Sénégal : Faire prévaloir la force de la raison face aux médias

Les relations entre les autorités sénégalaises et les médias sont devenues critiques au Sénégal. Les interpellations de journalistes se multiplient, de même que les mises sous mandat de dépôt, voire les peines de prison. On assiste aussi à la suspension d’émettre pour des chaînes de radio et de télévision, sur des bases politiques ou administratives dont la portée ne justifie pas qu’on en arrive à des telles extrémités. Mais aujourd’hui, il ne fait pas de doute que les critiques sévères dont les autorités sénégalaises sont l’objet dans les médias ont poussé celles-ci à se lancer dans une politique de répression et de mise au pas qui menace la liberté d’expression. Pour Olivier Sagna, même si les journalistes et les entreprises de presse ne sont pas toujours exempts de reproche dans certaines situations qui ont pu survenir, une meilleure régulation du secteur constitue une réponse plus idoine, que de s’inscrire dans une logique de dérives autoritaires et arbitraires.

Après la fermeture de toutes les stations de radio de Sud Fm, la saisie du journal Sud Quotidien et l’arrestation d’une trentaine d’employés du Groupe Sud Communication en octobre 2005, pour « atteinte à la sureté de l’Etat », suite à la diffusion d’une interview d’un des responsables du Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (MFDC), la suspension de Première Fm, au lendemain de son démarrage en mai 2007, au motif qu’elle utilisait une fréquence qui ne lui avait pas été officiellement attribuée, la fermeture des radios communautaires Afia Fm, Djoloff Fm et Oxyjeunes par le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) en mars 2009, pour non respect des règles du cahier des charges les régissant en matière de diffusion d’informations à caractère politique, la décision avortée de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) du 22 mai 2009, de suspendre toutes les stations de radios et de télévisions ne s’étant pas acquittées de leurs obligations financières, la suspension pendant quelques heures Walf TV le 4 mai 2009 dans le cadre du différend commercial l’opposant à la chaine de télévision RDV, les émissions de Walf Fm et de Walf Tv ont été interrompues pendant une huitaine de jours entre le 27 août et le 3 septembre 2009 suite à une décision de justice relative au contentieux opposant le Bureau sénégalais du droit d’auteurs (BSDA) au Groupe Wal Fadjri.

Si l’on ajoute à cela, les attaques informatiques contre certains sites web (Rewmi et Senweb), les violences exercées contre les journalistes en diverses circonstances, la censure d’un certain nombre de livres ainsi que les multiples convocations devant la justice voire les emprisonnements de journalistes, il apparaît que les autorités sénégalaises sont dans une logique de confrontation dans leurs rapports avec les médias nationaux, notamment lorsqu’ils expriment un discours critique à leur égard.

S’il n’est pas question de cautionner les violations de la loi par les journalistes et les groupes de presse qui les emploient, il n’est pas pour autant tolérable que ceux-ci se voient réduire brutalement au silence du jour au lendemain comme cela a été le cas à plusieurs reprises par le passé. Dans cette affaire opposant le BSDA au groupe Wal Fadjri, de nombreuses voix se sont élevées, à juste titre, contre la nature et la sévérité de la sanction, jugées disproportionnées par rapport au délit commis. En effet, du point de vue des principes, il est tout à fait inadmissible que l’Etat et ses démembrements portent ainsi atteinte à la liberté d’expression et au droit à l’information inscrits dans la Constitution du Sénégal après les longues et âpres luttes menées par les forces démocratiques pour le renforcement des libertés individuelles et collectives.

Tant que l’attribution des fréquences de radio se fera sur la base de considérations politiques, pour ne pas dire politiciennes, comme cela a été le cas ces dernières années pour la création de stations Fm, tant qu’il sera possible d’obtenir l’autorisation de lancer une chaîne de télévision privée suite à une audience avec le président de la République ou que l’attribution des licences de télécommunications se fera dans l’opacité, la mise en place d’une régulation adaptée, transparente et équilibrée restera un vœux pieux.

Compte tenu de ses dimensions démocratiques, éthiques, économiques et de ses enjeux sociaux, la régulation de la Société de l’information, qu’elle porte sur les infrastructures de télécommunications comme sur les contenus, doit s’inscrire dans des rapports policés entre les différents acteurs reposant sur des règles élaborées et acceptées par tous. Seule une telle démarche peut permettre, le cas échéant, de faire preuve de toute la fermeté nécessaire dans l’observation de la loi sans pour autant tomber dans la brutalité. A l’heure où l’on parle de société de l’information et de la connaissance, il est grand temps de privilégier la force de la raison plutôt sur la raison de la force.

* Olivier Sagna est secrétaire général d’OSIRIS (Observatoire sur les systèmes d’information, les réseaux et les inforoutes au Sénéga) – Ce texte a été publié dans le bulletin du résau (Batik) publié en septembre 2009.

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