Sénégal : Le conflit en Casamance entre tradition et héritage colonial

Depuis 1982, la rébellion armée en Casamance connaît des périodes épisodiques de tension qui viennent rappeler les difficultés que rencontrent les autorités sénégalaises à résoudre ce conflit qui reste un des plus anciens d’Afrique. Certes, les revendications indépendantistes que brandit le Mouvement Démocratique des Forces de Casamance n’ont jamais reçu un écho au niveau international et restent dans une dimension locale, mais elles s’expriment dans un contexte sous-régional où les facteurs d’exacerbation ne manquent pas. Dans cette analyse du conflit casamançais, Babacar Diouf en rappelle les origines et insiste sur ses dimensions culturelles dont on ne peut faire l’économie dans une recherche de solution.

Le conflit au Sud du Sénégal est assurément d’un genre nouveau. A entendre les responsables du Mouvement Démocratique des Forces de Casamance (MFDC) s’exprimer nous remarquons que l’objet politique n’est pas toujours clairement défini, le territoire revendiqué pas bien délimité, les combattants et les non combattants se distinguent difficilement tandis que les populations civiles non armées constituent encore la majorité des victimes. Aussi avons-nous, depuis le début du conflit en décembre 1982, assisté à un cycle de négociations porteuses des prémices de la division du MFDC qui ont toujours été précédées de périodes de tensions sur le terrain.

Pour rappel, l’offensive de la rébellion sur le terrain dans la période 1990-91 avait conduit aux accords de Bissau en 1991 suivis, le 8 juillet 1993 par un deuxième accord de cessez le feu.

La reprise des combats en 1995, avec une vaste offensive de l’armée nationale a l’est et à l’ouest de Ziguinchor est suivie, le 3 décembre de la même année, par une trêve pendant laquelle le gouvernement avait mis en place une Commission Nationale de la Paix. L’Abbé Diamacoune Senghor, leader du mouvement, est assigné à résidence, il entame une grève de la faim, appelle à l’arrêt des combats le l3 décembre 1995 et propose un calendrier de négociation. Le 13 janvier 1998, devant la presse nationale, Diamacoune lançait un appel en ces termes « que tous ceux qui prétendent agir en mon nom mettent fin à la violence et s’engagent sur la voix de la paix ».

Le 7 juin 1998, l’armée bissau-guinéenne, sous le commandement du général Ansoumana Mané, se révolte. Le Sénégal envoie 1200 soldats (Ndlr : des accointances existaient entre des éléments de l’armée bissau-guinéenne et le MFDC). C’est au deuxième soulèvement de l’armée bissau guinéenne que le général Ansoumana Mané est mort le 30 novembre 2000. Le 16 mars 2001 le gouvernement du Sénégal signe le premier accord de paix avec le MFDC qui sera suivi, le 30 décembre 2004 par la signature d’un accord général de paix qui débouchera sur les négociations de Foundiougne I, le 1er février 2005.

Depuis cette période, le discours semble avoir évolué et c’est ainsi que dans une communication faite par M. Ansoumana Badji, secrétaire général du MDFC, le 22 février 2006, à la rencontre préparatoire de Foundiougne II organisée par Me Mbaye Jacques Diop, ancien Président du Conseil de la République pour les Affaires Economiques et Sociales, réaffirmait l’engagement irréversible et solennel du MFDC d’avoir choisi la voie de la négociation pour une solution définitive du conflit afin de satisfaire la revendication des populations qui réclament la paix. C’est pour manifester cet engagement que le MFDC avait participé aux négociations de paix de Foundiougne I, un mois après la signature de l’Accord Général de Paix le 30 décembre 2004.

Dans le sillage de ces négociations, Le MFDC a entrepris de nombreuses démarches auprès de toutes les forces vives de la Casamance et de l’aile combattante en vue de l’élaboration d’un document de négociation. Cette revendication est formulée par toutes les couches de la population sur l’étendue de la Casamance naturelle à travers des manifestations diverses. Dans ce contexte, disait-il, le MFDC, pour répondre favorablement à cet appel des populations, démasquerait « tous ceux qui veulent, d’une manière ou d’une autre, s’opposer à cette volonté populaire. ».

Pour Jean François Marie Biagui, dans sa communication à la même rencontre, les assises des forces vives de toute la Casamance ont exprimé le besoin d’une paix durable et définitive et ont intimé l’ordre au MFDC de s’affranchir de toute logique de guerre au profit de toute initiative politique ayant pour objectif la réhabilitation du peuple casamançais.

Partant de l’enclavement géographique de la Casamance et compte tenu de la dimension politique de la revendication, M. Biagui, tout en fondant beaucoup d’espoir sur le processus de paix, pense qu’il « est urgent d’inventer immédiatement un système de Gestion de la Casamance… ». Ce système de gestion serait accompagné d’une série de mesures urgentes suivantes : une exonération totale d’impôts de toutes les entreprises basées en Casamance, une défiscalisation immédiate des lignes maritimes et aériennes de la Casamance, la dotation d’un réseau routier digne de ce nom et la mise en ligne d’un bateau pour le transport de marchandises.

Aujourd’hui, dans un environnement marqué par un regain de tension, nous pouvons nous interroger sur les perspectives d’une résolution de la crise. Le Sénégal, au plan géopolitique, est dans la continuité d’une dorsale forestière ouest-africaine, qui irrigue le conflit en Casamance : partition de la Côte d’Ivoire, coup d’Etat militaire en Guinée et appareils d’Etat en construction au Libéria, en Guinée Bissau et en Sierra Leone avec, en toile de fond, les contre coups d’une crise mondiale en mutation constante ; financière d’abord, alimentaire par la suite et enfin politique et sociale.

Compte tenu de l’espoir suscité par l’Accord Général de Paix de décembre 2004 et le premier round de négociation de Foundiougne I, il serait plus sage de développer une approche inclusive de tous les acteurs pour construire une paix durable en Casamance. Aujourd’hui, toutes les composantes de la nation, sans exagérer ou surestimer nos forces potentielles respectives, doivent s’engager avec l’Etat, dans la recherche de la paix et la résolution de la crise : ailes combattantes, ailes civiles du MFDC, organisations de la société civile et partis politiques.

La solution consistera à rallier le maximum d’acteurs à la recherche d’une solution définitive avec lucidité, réalisme et respect mutuel. Elle passera par une réponse à la demande des acteurs à être reconnus au plan culturel et au sein de la nation.

Tradition et héritage colonial

La première marche de Ziguinchor, le 26 décembre 1982 (Ndlr : événement considéré comme l’élément déclencheur de la rébellion armée), avait enregistré une forte participation de femmes âgées. En tête de cortège, exhibant des gris-gris et des armes comme des arcs, des flèches, des fusils traditionnels, elles étaient habillées en pagne avec des parures de libations et elles imprimaient, dès le départ, un caractère sacré au Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance, MFDC. Avant cette marche, des rencontres stratégiques de préparation avaient été tenues dans le bois sacré de Diabir, non loin de l’aéroport de Ziguinchor. Nous savons ce que représente le bois sacré dans les sociétés traditionnelles de la Casamance il est le lieu par essence qui organise et rythme la vie religieuse, politique, économique et socioculturelle.

Atika (qui signifie le combattant en diola) la branche armée du MFDC, a été formée avec l’aide des prêtres féticheurs, conservateurs des bois sacrés. Cela confère, à l’aile combattante du MFDC un caractère mystico religieux dans sa gestion, son organisation et son fonctionnement. Beaucoup d’indices, comme par exemple cette relation avec le bois sacré, tendent à attribuer au conflit une coloration ethnique diola, car une grande majorité des militants arrêtés avant la marche de Ziguinchor en 1982 étaient diola. Abbé Diamacoune Senghor, la personne morale du MFDC, avait cependant toujours réfuté le caractère ethnique du conflit car il déclarait que le mouvement était composé de « toutes ethnies confondues venant de Sédhiou, Kolda, Velingara, Kédougou, Bakel » (...)

Dans notre tradition politique ancienne, le peuple sénégalais appartenait à des royaumes précoloniaux distincts, entre lesquels, il existait des passerelles comme la parenté à plaisanterie. Aujourd’hui, le Sénégal est un Etat Nation en construction qui se caractérise par l’unité dans la diversité, au plan religieux, ethnique ou régional. Ces passerelles montrent que nos relations sont forcément antérieures à celles déterminées par le statut de la Casamance à l’époque coloniale française. Ce statut, présenté le 21 décembre 1993 par l’archiviste Jacques Charpy, concluait que la Casamance n’existait pas en tant que territoire autonome avant la colonisation et que les territoires situés entre la Gambie et la Guinée Bissau ont toujours été, au temps de la colonisation française, administrés par le gouverneur du Sénégal.

Ce témoignage dit historique, à notre avis, était sans objet car étant juste une preuve qu’après l’époque des conquêtes et des résistances, l’espace sénégambien était partagé entre les puissances coloniales : l’Angleterre, la France et le Portugal.

Suite au dernier remaniement ministériel marqué par la nomination de M. Abdoulaye Baldé comme ministre de la Défense, les médias ont pour l’essentiel interprété cette décision, dans une analyse schématique et réductrice, comme la mise en selle d’un « Monsieur Casamance », tout simplement parce qu’il est un fils de la région sud. Abdoulaye Baldé n’est pas un « Monsieur Casamance » mais celui qui gère un ministère de souveraineté, chargé de la défense nationale, dont la mission régalienne est d’assurer la sécurité dans l’ensemble des quatorze régions administratives du Sénégal, dont les régions de Sédhiou, Kolda et Ziguinchor.

Jeter un regard critique sur l’information sensible nous amène à relever, par moments, des éléments de frustrations dans les angles d’analyse et le lexique des médias, surtout dans les langues locales qui alimentent en sourdine une stigmatisation et une exclusion empreintes d’ignorances culturelles qui sont souvent exploitées par les théoriciens du MFDC.

L’Etat, la société civile et les médias doivent désormais prendre progressivement en considération les expressions des minorités qui se manifestent de plus en plus car le journalisme est devenu en Afrique et particulièrement au Sénégal une profession ouverte, ce qui doit l’amener à jouer un rôle prépondérant et décisif dans le processus de résolution des conflits et de construction de la nation.

Dans les années 1990, le Parti Démocratique Sénégalais (au pouvoir), alors dans l’opposition, rejetait avec force, toute solution militaire pour la résolution de la crise en Casamance et demandait au gouvernement socialiste de ne pas assimiler un problème politique à un problème ethnique ou d’une minorité. Dans la même période, la Sierra Leone et le Libéria avaient connu des guerres civiles meurtrières. Pourtant des programmes de Démobilisation, de Désarmement et de Réinsertion (DDR) ont ramené au civil des milliers d’ex-combattants et permis l’organisation d’élections. Ces processus de paix ont pu être réalisé parce que la « Communauté Internationale » était parvenu à freiner le trafic des « Diamants de la guerre » qui assurait le financement des anciennes milices en Sierra Leone et au Libéria. Par analogie, dans la région sud aussi, la résolution du conflit devra intégrer un programme de DDR soutenu par un engagement sans réserve de l’Etat à lutter contre l’économie souterraine qui s’est progressivement développée dans la région durant près de trois décennies.

* Babacar Diouf est ancien membre du Conseil de la République pour les Affaires Economiques et Sociales du Sénégal.

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org