Soudan du Sud : Une libération pour l’élite seulement
L’indépendance a été gagnée grâce à la lutte de millions de Sud-Soudanais qui a duré des décennies, mais les gens qui ont sacrifié leur vie à ce combat, ainsi que leurs familles et amis n’en ont, pour la plupart, pas récolté les bénéfices.
Le 9 juillet 2011, le Sud-Soudan devenait le dernier pays indépendant d’Afrique. Cela marquait la victoire finale du Sudan Peoples Liberation Army (Spla, Armée de libération des peuples du Soudan) après plus de vingt ans de guerre civile. Cependant, comme dans de nombreux cas en Afrique, l’indépendance n’a permis la libération que de quelques-uns, notamment des élites qui conduisent, autour de Juba, leur Hummer et autres 4x4 de luxe et de ceux qui sont propriétaires des nombreux hôtels et appartements qui ont poussé tout autour de la capitale.
La plupart des Sud-Soudanais restent désespérément pauvres. Neuf personnes sur dix vivent avec moins d’un dollar par jour, 33 % souffrent de malnutrition et seulement 6 % ont accès à des conditions sanitaires dignes de ce nom alors que, récemment, le ministère des Finances a été suspendu pour avoir détourné 8 millions de dollars, le dernier scandale pour lequel personne n’a encore été réellement sanctionné. Au contraire, l’année dernière un journaliste connu a apparemment été assassiné pour avoir critiqué le gouvernement.
L’indépendance a permis certaines libertés, comme par exemple la possibilité de créer des organisations syndicales. Les travailleurs de l’hôtellerie, les chauffeurs routiers et les enseignants, par exemple, ont pu mettre sur pied leurs propres syndicats. Cependant, la Fédération syndicale des travailleurs du Sud-Soudan est plutôt dépendante du soutien du gouvernement. Ses bureaux sont fournis gratuitement par l’État et elle souhaite que le gouvernement accepte finalement une loi portant sur les syndicats. Dans l’État de Warap, les organisations syndicales se sont opposées à la mesure gouvernementale qui visait à obliger les salariés du secteur public à donner une journée de leur salaire pour financer un évènement sportif, et le gouverneur les a dissoutes.
En décembre dernier, près de 20 manifestants ont été tués par la police alors qu’ils manifestaient pacifiquement à Wau, la troisième ville du pays. Ils s’étaient mobilisés contre le transfert des bureaux de l’administration locale hors de la ville. Personne n’a donné suite à ces meurtres, tandis que plusieurs jeunes hommes ont été condamnés à mort pour leur implication, dans les conflits intertribaux encouragés par des politiciens locaux.
Les revenus du pétrole permettent au gouvernement de gérer un budget qui est aussi important que celui de leurs voisins, Ouganda ou Kenya. Mais beaucoup de cet argent est gaspillé par les hauts fonctionnaires et les politiciens qui se comportent en jet-set, avec avion et voitures luxueuses. Dans le même temps, les écoles primaires et les centres de santé fonctionnent avec très peu de moyens de l’État et doivent compter sur les frais de scolarité payés par les ménages. Enseignants et infirmières devraient être payés par le gouvernement, mais les salaires sont pitoyables, souvent inférieurs à 150 dollars par mois. Vingt-mille Sud-Soudanais ont quitté les camps de transit du Nord, alors que le gouvernement n’a pas fourni de barges ou d’autres moyens de transport pour les amener au Sud.
L’indépendance a été gagnée grâce à la lutte de millions de Sud-Soudanais qui a duré des décennies, mais les gens qui ont sacrifié leur vie à ce combat, ainsi que leurs familles et amis n’en ont, pour la plupart, pas récolté les bénéfices. La démocratie et l’équité qui sont une nécessité pour la quasi-totalité des Sud-Soudanais seront gagnées par une juste redistribution des revenus du pétrole qui ne pourra être obtenue que par de nouvelles luttes collectives.
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** Drew Povey (Source : afriquesenlutte.org)
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