Souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest : la résistance des peuples contre les agression

Les explications apportées à la crise alimentaire que l’Afrique connaît survolent les véritables causes du problème. Elles les ignorent même souvent. Pour Mamadou Goïta, le phénomène n’est pas conjoncturel. C’est le point d’orgue d’un processus de déstructuration du secteur agricole africain et de son arrimage au marché international dans un contexte de libéralisme sauvage. Par-delà la description des choix politiques qui ont conduit à une telle situation, notamment avec les Politiques d’ajustement structurel engagées dans les années 1980, Goïta explore les pistes de solution et les décisions à prendre pour aller vers une souveraineté alimentaire en Afrique.

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En Afrique et particulièrement en Afrique de l’Ouest et du centre, l’agriculture (1) occupe la grande majorité des populations. Elle est essentiellement une agriculture familiale et rurale développée autour des exploitations agricoles familiales. Celles-ci sont des entités ou entreprises socio-économiques dont le lien entre les membres est un lien familial. Les membres mettent ensemble leurs moyens en termes de savoirs, savoir-faire et savoir-devenir, mais aussi en termes de ressources financières et matérielles pour produire de la richesse avec la commercialisation du surplus. La production est, dès lors, en priorité, orientée vers l’alimentation de la famille même si elle n’exclue pas les ventes du surplus pour satisfaire d’autres besoins des membres. Elle est différente de l’entreprise agricole de type prive dont le lien entre les membres est le capital (les ressources financières sous forme e contributions de chaque actionnaire ou du seul promoteur individuel).

La première partie de ce texte porte sur une réflexion globale sur les enjeux de l’agriculture dans la perspective d’une contextualisation. Dans un second chapitre, il s’agira de mettre l’accent sur la valorisation des produits locaux et leur sécurisation pour une meilleure promotion dans l’atteinte de la souveraineté alimentaire au Mali, en Afrique de l’Ouest et du Centre. Enfin, un dernier chapitre sera consacré à l’esquisse de certaines solutions en termes d’alternatives pour prendre en charge les problèmes soulevés.

L’agriculture et ses enjeux pour le développement socioéconomique

En prenant compte la perception de l’agriculture mentionnée dans l’introduction, elle englobe d’autres dimensions qui vont au-delà de la production alimentaire et des activités économiques. Elle a des orientations multiples, et de ce fait contribue simultanément à plusieurs aspirations fondamentales de la société. A titre illustratif, sur le plan social, l’agriculture concourt au soutien de l’emploi et au maintien du tissu social si elle est politiquement bâtie autour de l’exploitation agricole familiale comme cela doit être le cas au Mali et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Au point de vue culturel, l’agriculture sous tend la diversité culturelle alimentaire (des aliments selon nos goûts et selon notre culture). Elle préserve la consommation locale et l’agro biodiversité. Cette dimension est l’un des arguments fondamentaux pour la nécessité de valoriser les produits locaux. Ces produits constituent aujourd’hui des alternatives crédibles aux tentatives de changements des habitudes alimentaires notamment des citadins dans la perspective d’une indépendance à la production d’autres pays.

Sur le plan environnemental, l’agriculture peut contribuer au maintien de la fertilité des sols, à la préservation des ressources génétiques et de la qualité des eaux.

A l’indépendance, la majorité des pays africains ont prôné la stratégie de l’autosuffisance alimentaire centrée sur les disponibilités agricoles nationales et leur développement. Avec les politiques d’ajustement structurel (PAS), cette stratégie est abandonnée au profit de celle de la sécurité alimentaire, basée sur la libéralisation du commerce international des produits agricoles. Dans cette stratégie, la question de savoir qui produit la nourriture devient une réflexion secondaire.

En Afrique, au plan politique, la libéralisation s’opère dans un contexte de désengagement de l’Etat, de décentralisation et de restructuration des services agricoles. Au plan économique, elle intervient dans un contexte de développement des OGM, de piraterie et de privatisation des ressources génétiques ; et récemment dans une période d’incitation au développement des agro carburants. Au plan social, l’analphabétisme reste encore très élevé chez les producteurs agricoles, limitant ainsi leur capacité d’accès à l’information.

La libéralisation tous azimuts du commerce international des produits agricoles a montré ses limites en Afrique : la détérioration des conditions alimentaires des populations, l’effritement de l’emploi rural, l’appauvrissement de la paysannerie et des producteurs, l’exode rural constituent de sérieuses menaces pour la stabilité politique et sociale des pays africains. Aussi, le déficit alimentaire d’une grande partie de la population qui n’a pas les moyens d’accès à la nourriture dans les pays africains reste globalement très préoccupant.

Face a une telle situation, il est nécessaire d’approfondir le débat afin de situer les enjeux et de mieux cerner tous les domaines transversaux lies aux politiques agricoles et rurales.

La récente rencontre de haut niveau des experts de la FAO à Rome sur le thème : « Mettre fin à la faim d’ici 2050 » a une fois de plus constitué une autre tribune pour demander des engagements aux nations dites « riches » détenteurs des capitaux globalisés, destructeurs des économies africaines, de « sauver » le continent de la faim. Une fois encore et comme toujours pour l’Afrique, le monde veut s’attaquer aux conséquences des problèmes en ignorant royalement les causes profondes qui sont à l’origine de ces problèmes.

La crise alimentaire qui a secoué le monde en 2007–2008 a été un fait révélateur des incohérences des institutions internationales et des Etats, pour la gestion des problèmes alimentaires et même agricole auxquels le monde fait face. Plusieurs raisons (2) ont été évoquées par la presse pour justifier la flambée des prix des produits agricoles. La raison la plus évoquée était relative aux responsabilités de la Chine et de l’Inde par rapport À leur mode de consommation. Au fur et à mesure que la crise évoluait, les causes profondes de la crise sont apparues. Il s’agit notamment de l’explosion de la production des agro carburants, de la faiblesse des stocks de produits notamment céréaliers en Europe et aux Etats-Unis et de la spéculation financière, une des caractéristique du modèle néolibéral qui s’est étendue aux produits alimentaires.

La Chine et l’Inde ne sont pas responsables de la crise. Car pour la période 207-2008, tous ces deux pays étaient des exportateurs nets de produits agricoles. Les stocks de céréales de ces deux pays ont augmenté de plus de 10,9 Mt pour la Chine et de plus de 7,8 Mt pour l’Inde. Par contre, les Etats Unis (avec le déficit en poissons) et l’Union européenne (pour les céréales) étaient déficitaires pour la même période devenant des importateurs nets. Les statistiques montrent que les Etats Unis et l’UE sont responsables de 94 % de la baisse des stocks mondiaux de céréales pour la période 2007-2008.

La politique de promotion des agro carburants des Etats Unis et de l’UE, avec l’utilisation du maïs notamment qui est passé de 12 % de la production en 2004 à 23 % en 2007 et avec un objectif de 32 % en 2008 a été un élément déterminant. Cette augmentation s’est faite au détriment de la disponibilité des produits alimentaires, notamment le maïs, la quantité utilisée pour l’éthanol dépassant nettement les exportations des Etats Unis.

La décision de l’UE d’avoir un programme de biodiesel a, quant à elle, contribué à une augmentation très sensible des coûts des oléagineux. La production annoncée des agro carburants, notamment par l’UE, a incité les spéculateurs à s’intéresser aux produits comme le maïs et d’autres oléagineux.

On constate bien alors que la flambée des prix des produits agricoles est essentiellement due à la faiblesse des stocks des produits céréaliers aux Etats Unis et en Europe, l’augmentation de la production des agro carburants et la spéculation financière autour des produits céréaliers et oléagineux.

En plus de ces causes qui sont aussi des conséquences d’une situation plus ancienne, il faut mentionner la responsabilité du FMI et de la Banque mondiale pour le cas de l’Afrique. Après la crise de la dette du début des années 1980, dont l’effondrement du cours des matières premières était un élément déclencheur, le FMI et la Banque mondiale ont contraint les pays africains à adopter des politiques/programmes d’ajustement structurel (PAS) qui se sont prône notamment :

- La réduction des surfaces destinées aux cultures vivrières et la spécialisation dans un ou deux produits d’exportation (coton pour le Mali, le Burkina Faso, le Benin, etc., café et cacao pour la Cote d’Ivoire, le Ghana, etc.). Par exemple, pour le Mali, la production du coton est passé de moins de 200.000 tonnes avant le PAS à plus de 620.000 tonnes à la fin des années 1990. Cette augmentation de la production s’est faite à travers l’expansion des superficies et non l’augmentation des rendements qui sont restés presque constants. Le pays a payé un prix fort dans une telle évolution avec des mécanismes d’endettement et le repositionnement de l’assistance technique agro-sylvo-pastoral. Le coton était devenu le seul produit bénéficiant d’une structuration favorable à son développement (production et commercialisation surtout). L’économie est devenue de plus en plus extravertie, avec des stratégies de développement basées sur l’accès au marché international :
- Le retrait de l’assistance technique (conseils agricoles) de proximité aux producteurs,
- L’arrêt (fin) des systèmes de stabilisation des prix ayant constitué de véritables instruments de promotion agro-sylvo-pastorale dans les différents pays africains,
- L’abandon des politiques et stratégies d’autosuffisance en production de céréales,
- L’ouverture sauvage des marchés nationaux aux produits externes contribuant à une marginalisation de certains locaux jadis considérés comme des produits stratégiques dans certains pays, etc.

Toutes ces mesures, couplées avec l’ouverture des marchés africains aux capitaux étrangers, ont contribué à la fragilisation des économies par l’extrême dépendance aux révolutions des marchés mondiaux, la forte réduction des budgets sociaux, la suppression des subventions aux produits de base, la destruction des marchés locaux, nationaux et sous régionaux qui se construisaient. Elles ont mis en concurrence déloyale des petits producteurs locaux avec des sociétés transnationales…

Les populations africaines en grande majorité paient le prix fort aujourd’hui de ces politiques qui ont montré leurs limites très tôt. L’obstination des institutions de Breton Woods a conduit à la catastrophe pour le mode de production des pays africains en particulier et, par conséquent, les modes de consommation.

Dans un processus destructeur qui a été dénoncé par les mouvements sociaux depuis longtemps, la situation est apparue à la face du monde : en un an, les prix du riz et du blé ont doublé, celui du maïs a augmenté de plus d’un tiers. Les stocks céréaliers sont tombés au plus bas niveau depuis 25 ans. Le coût d’un repas a fortement augmenté et les risques de famine sont devenus réels.

Plusieurs marches ont été organisées en Afrique pour protester contre une situation qui a été jugée injuste pour les populations, notamment les populations urbaines : il s’agit de leur donner les moyens de faire face à la flambée des prix de certains produits de première nécessité en général (y compris les produits pétroliers, les céréales, etc.). Des marches similaires ont été organisées en Europe et notamment en France et elles ont été qualifiées de « marches pour le pouvoir d’achat ». Même si ces marches sont différentes, de par leurs formes, les fondements sont les mêmes. Les peuples veulent un meilleur partage des ressources nationales mobilisées. Ils veulent briser la fracture entre les riches et les pauvres. Ils veulent leur part de la croissance économique positive qui est évoquée chaque année par beaucoup de dirigeants du monde pour justifier leurs politiques économiques « néo-libérales ». Oui, le peuple veut sa part de la croissance aussi bien dans d’autres continents qu’en Afrique.

L’insistance de différents acteurs sur la crise alimentaire a amené les mêmes acteurs, qui sont à l’origine des problèmes actuels, à justifier leurs actions qui auront plus de conséquences négatives que positives sur l’alimentation et l’agriculture en Afrique. Ces actions proposées par les acteurs promoteurs du néo-libéralisme sauvage sont entre autres :

- La détaxe des produits alimentaires, notamment le riz, dans beaucoup de pays africains, correspondant à une ouverture (libéralisation) du marché ;
- La promesse de don du président Georges Bush des Etats Unis d’environ 200 millions de dollars sous forme d’aide alimentaire à l’Afrique ;
- La signature d’accords de partenariat entre AGRA (Alliance pour la Revolution Verte en Afrique), (3) la FAO, le PAM et le FIDA ;
- Initiative « Riz » au Mali et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Burkina Faso et le Sénégal, avec un faible dispositif technique et une faible légitimité sociale pour sa mise en œuvre ;
- Des prises de décisions spectaculaires concernant les politiques agricoles dans certains pays où s’opèrent la mise en œuvre de ces politiques fondées sur des approches néolibérales. Le « fast-food » politique devient de mise avec cette situation de crise « artificielle », car les décisions sont prises a la hâte ;
- La demande de l’OMC pour une plus grande ouverture des marchés pour « faire le commerce » même s’il se fera sur les « ruines des pays pauvres » et sur les corps des pauvres, notamment les femmes et les enfants.
- La vente effrénée des terres agricoles à des investisseurs étrangers, pour des investissements et la production, connue sous le nom d’«accaparement des terres», etc.

L’ensemble de ces actions constitue une agression contre les sociétés paysannes qui ont un besoin urgent de réforme des systèmes actuels. Cette perception de la crise alimentaire et de la crise agricole actuelle est très réductrice par rapport au combat actuel des peuples engagés à travers leur société civile et notamment les mouvements sociaux. Elle contribue à restreindre :

- l’échelle de réflexion sur la situation (en se focalisant uniquement sur les céréales qui sont devenues chères) ;
- les capacités des interventions pour trouver des solutions durables à la crise actuelle (risques de chercher à résoudre les problèmes des villes et non ceux des campagnes productrices)

La situation telle que décrite par les uns et les autres empêche de réfléchir sur les causes profondes du problème et de formuler des solutions durables respectant l’agenda africain en matière de souveraineté alimentaire. Oui, il y a des problèmes en Afrique sur le plan alimentaire. Oui, l’augmentation des prix de certaines denrées alimentaires sur le marché mondial a affecté l’Afrique. Mais comment en est-on arrivé à cette situation ? Comment en sortir en prenant les bonnes décisions ? Ce sont là certaines des questions fondamentales auxquelles tout analyste de la situation, quel que soit son niveau d’intervention doit chercher à répondre.

La crise a eu le mérite de faire ressortir les paradoxes de la situation de l’Afrique. La plupart des pays africains étaient excédentaires en termes de production agricoles lors des évaluations de stocks en décembre 2007. En février 2008, la plupart de ces pays ont déclaré des crises importantes : « mensonges d’Etat » concernant les stocks disponibles ou « spéculation » autour des produits céréaliers ? Les deux arguments semblent plausibles.

Il y a des explications à chercher dans le contexte global de la spéculation financière et de la faiblesse des états par rapport au secteur privé pour les investissements. Un autre élément important reste lié à la faiblesse des outils mis en place pour collecter les données et assurer une meilleure planification. Il y a donc souvent des paradoxes qui doivent être pris en charge par les Etats et les autres acteurs du développement socio-économique de ces différents pays.

L’exemple du Mali illustre bien ce paradoxe (…). La production des céréales sèches (mil, sorgho, maïs, fonio) a constamment augmenté sauf pour la campagne 2004/2005 qui a connu des attaques des criquets pèlerins ayant causé des dégâts dans les exploitations. Il faut signaler que pendant toutes ces années, la production globale a toujours été excédentaire avec une moyenne de plus de 500.000 tonnes d’excédent par rapport aux besoins en céréales du pays. La production des céréales au Mali a été estimée à plus de 4 millions de tonnes en 2008 – 2009 et elle a atteint le seuil de 6,3 millions de tonnes pendant la campagne 2009 – 2010, selon les chiffres officiels donnés par les services du ministère de l’Agriculture du pays.

Il est vrai que certaines zones sont chroniquement déficitaires, mais la production globale du pays est suffisante pour nourrir l’ensemble de la production. Le problème à ce niveau reste alors la question de l’accessibilité d’une partie de la population à la nourriture, mais aussi la faiblesse de l’organisation des marchés locaux avec la non valorisation des produits locaux.

Le volume des produits disponibles n’était pas en cause dans l’exemple du Mali, d’autres facteurs sont à prendre en compte. Il s’agit, entre autres :

- De la montée des prix des céréales avec une grande spéculation en lien avec le faible pouvoir d’achat des populations ;
- Des habitudes de consommation qui ont changé, mettant plus de ressources dans l’achat du riz très souvent importé et du blé avec la consommation du pain.
- La faiblesse de la valorisation des produits locaux pour assurer une consommation des produits dont la maîtrise est locale (ne dépend pas du marché international).
- La faiblesse des prix aux producteurs, incitant les commerçants véreux à acheter des stocks importants pour spéculer après sur les prix.

La valorisation des produits locaux est l’une des réponses indispensables pour non seulement prévenir de telles crises, mais aussi asseoir les bases d’une sécurité et d’une souveraineté alimentaires durables dans les pays. Cette option constitue l’un des six (6) principes de base de la souveraineté alimentaire tels qu’ils ont été définis par les mouvements sociaux lors du Forum Social Mondial sur la Souveraineté alimentaire intitulé « Nyéleni 2007 », organisé à Sélingué, au Mali, en février 2007 comme un espace de résistance. Il y aura difficilement des solutions de sortie de crise pour la grande majorité des pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre sans la prise en compte de ce principe combien important pour promouvoir de façon générale la production agricole.

La valorisation des produits dans un contexte de souveraineté alimentaire

Depuis les débats de l’agriculture, il y a des milliers d’années, les productrices et producteurs agri-sylvo-pastoraux ont développé des dizaines de milliers de variétés de plantens mais aussi contribué à des améliorations animales. Toutes les variétés mises au point correspondent à de nombreux besoins locaux de consommation, aux variations climatiques et aux usages traditionnels sous différentes formes.

Là où les pratiques agricoles traditionnelles sont toujours utilisées à travers les exploitations agricoles familiales comme le Mali, il est courant de trouver des dizaines de variétés de céréales (mil, maïs, blé, riz,…), de légumes, de fruits et d’autres plantes qui sont issues de ce processus inventif et de recherche participative.

Dans l’expression « produits locaux », l’idée de local renvoie aux habitudes culturelles et de sécularité, non seulement dans la production mais aussi dans la valorisation et dans l’usage multiforme de proximité physique territorialisée et de la commercialisation autour des marchés locaux. Les produits locaux font donc allusion au développement local qui contribue efficacement à l’échelle nationale. Le produit local se démarque donc de ces produits du système alimentaire mondial industriel « transnationalisé », produits « ailleurs » que « chez nous » . (4) Les produits « chez eux » (ailleurs), encouragés par l’urbanisation et l’ouverture sauvage des marchés nationaux, se retrouvant dans nos assiettes par le truchement des politiques destructrices des économies rurales.

Les produits locaux constituent l’un des secteurs les plus dynamiques de la consommation alimentaire de nos pays ces dernières années. Ces produits répondent aux besoins de l’évolution sociale, car la consommation alimentaire est devenue un trait distinctif des identités collectives et individuelles, notamment en milieu rural. C’est ainsi qu’on parle au Mali du Sarakholé avec son « bassi gnoukou na » (5); du Malinké avec son « tigudègè na » (6), du Tombouctoucien avec son « takoula mafé » (7), du Minianka avec son « Jawèrè siké » (8),etc. Ces repas sont des traits de culture. Ils sont les reflets de la valorisation des produits locaux.

Qu’il s’agisse de produits agricoles, animaux ou de cueillette, notre sous-région ouest-africaine dispose de riches potentialités qui, si elles sont rationnellement valorisées et utilisées, pourraient la mettre à l’abri des déficits alimentaires et de la malnutrition.

Du fait de la concurrence déloyale, les producteurs de céréales, de fruits et légumes, des volailles, des animaux de différentes natures sont pénalisés et croient difficilement à l’avenir de leurs productions. Les produits importés venus de « chez eux » sont moins chers que les produits locaux « de chez nous » à cause de l’ouverture des marchés suite aux programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés par le FMI, la Banque mondiale et certaines élites africaines complices de la destruction des économies de leur continent. Les subventions des Etats Unis, de l’Union Européenne et autres pays producteurs, accordés pour d’autres produits, cassent les prix et fragilisent les marchés des produits des pays économiquement faibles.

Ce commerce injuste est source d’appauvrissement des producteurs et de nos opérateurs économiques privés qui souvent, consciemment ou inconsciemment, jouent le jeu des produits de « chez les autres ». C’est l’économie des pays qui en paye les frais incommensurables.

Les négociations des APE (Accords de Partenariat Economique) risquent de porter un coup de grâce aux quelques espoirs qui existent aujourd’hui. En effet, la demande aux pays ACP d’ouvrir leurs marchés est faite en sachant que ces pays ne peuvent pas exporter leurs produits vers les pays du nord parce que ne remplissent pas les réglementations phytosanitaires et d’hygiène, mais sont aussi moins compétitifs à cause du fait que ces produits ne sont pas subventionnés comme ceux des pays du Nord.

Malgré toutes les difficultés actuelles, il existe toujours une prédominance de la consommation des produits locaux notamment en milieu rural. La crise alimentaire récente a aussi donné un coup d’accélérateur aux options de valorisation des produits locaux dans les centres urbains. Le système agricole local, même s’il est très affaibli, repose sur les variétés locales (animaux, céréales, légumes et fruits) adaptées qui peuvent faire l’objet d’une véritable politique de valorisation dans la perspective de la souveraineté alimentaire.

Il y a certes des risques liés, entre autres, à l’ouverture du marché africain aux produits agricoles subventionnés de l’UE et des Etats Unis et à l’introduction des OGM et autres semences hybrides industriels qui peuvent détruire le peu qui reste de ce système agricole quelque part intimement lié à un mode de vie, mais l’espoir est permis.

Sans des mesures radicales pour valoriser les produits locaux, le système actuel va certainement détruire le tissu productif et installer irrémédiablement et de façon durable les producteurs africains de l’Ouest et du Centre, qui constituent presque 80 % de la population dans certains pays, dans une paupérisation indescriptible.

La valorisation de nos produits locaux est dès lors un impératif pour tous les pays de la sous-région dont l’économie repose essentiellement sur l’agriculture. Cette option, qui doit être politiquement exprimée et programmatiquement réalisable et réalisée, repose sur l’appui à la production mais aussi à la transformation, à la commercialisation et à la valorisation nutritionnelle des aliments. La demande alimentaire des villes africaines constitue une opportunité sans précédent pour les producteurs africains.

Pour ce qui concerne la transformation des produits, qui est l’une des voies de valorisation de la production agricole, des organisations de femmes et certaines ONG spécialisées font la promotion de la transformation de certains produits locaux. Elles sont très mal connues par beaucoup de consommateurs et de consommatrices, car l’essentiel de la production est destinée à une population « élite » à cause des prix appliqués souvent, mais aussi à cause des marchés utilisés (les supermarchés constituent les clients privilégiés au détriment de la consommation de masse.

A côté de ces formes de petites entreprises de transformation, les familles transforment aussi les produits qui sont destinés à la consommation familiale ou à la vente. Ces produits constituent une réponse importante aux besoins alimentaires des populations.

Malgré les nombreux acquis obtenus par des ONG comme l’Association Malienne pour la Sécurité et la Souveraineté Alimentaire (AMASSA/Afrique Verte Mali), les Unions de transformatrices et d’autres organisations, certains problèmes majeurs existent et doivent être pris en compte. Il s’agit, entre autres, de :

- La faiblesse du niveau d’équipement de transformation pour assurer une production continue dans le temps et dans des espaces bien donnés. Beaucoup d’associations sont incapables de s’acheter un séchoir solaire par exemple, sans l’appui d’une organisation extérieure. La stratégie d’équipement des transformatrices, particulièrement, doit être une piste d’actions pour améliorer la situation au niveau national.
- La difficulté à vendre les produits transformés à cause de la concurrence déloyale des produits importés qui ont la préférence de la plus grande partie de la population, à cause, entre autres, de leur prix et de leur disponibilité constante. En plus, la question de conditionnement, notamment l’emballage, pose un problème sérieux aux femmes.
- La qualité de certains emballages laisse à désirer. En effet, malgré l’importance de l’emballage dans la chaîne de transformation, il ne constitue pas, pour la plupart des transformatrices notamment, une préoccupation majeure.

L’emballage est l’un des outils de communication par excellence entre le vendeur et l’acheteur. A ce titre, il ne s’agit pas d’avoir des emballages chers pour faire comme les autres, mais d’avoir des emballages propres, adaptés, pouvant assurer la conservation et le maintien de la qualité. Certains emballages de récupération utilisés aujourd’hui sur les marchés locaux ne contribuent pas à faire la promotion des produits. En effet, des sacs de ciment aux sachets plastiques, le problème de la qualité sanitaire des aliments est posé. Il ne s’agit pas d’acheter des emballages qui vont contribuer à augmenter de façon très sensibles les prix sur le marché, mais d’avoir des emballages propres, adaptés aux produits et qui garantissent la qualité hygiénique des aliments mis sur les marchés.

L’enjeu majeur est de trouver un système qui allie les emballages de qualité (propres, bons conservateurs de produits, maintien de la qualité nutritionnelle,…) et la maîtrise des coûts de production. La maîtrise de ces dimensions permettra de mettre sur le marché des produits de bonne qualité à des prix adaptés aux conditions de vie des populations. Il est important de signaler le fait que la valorisation des produits locaux doit être orientée en priorité vers les marchés locaux pour la souveraineté alimentaire. Dans une telle perspective, les prix aux consommateurs ont une importance capitale.

La question de la sécurité sanitaire est fondamentale dans le débat actuel sur la valorisation des produits locaux. L’un des arguments pour rejeter certains produits locaux reste lié à leur qualité sanitaire. La question reste posée : comment sécuriser les consommateurs tout en préservant des prix qui les permettent de les acheter ? Les tests de produits qui sont proposés aujourd’hui par l’Agence Nationale pour la Sécurité des Aliments (ANSA), pour assurer la certification, constituent une bonne initiative. Mais elle doit être mieux contextualisée pour répondre aux acteurs et actrices de la transformation des produits.

En fait, la certification « individualisée » des produits a un coût opérationnel que la plupart des transformatrices ne peuvent avoir. Il faut trouver une solution pour permettre d’assurer les tests de certification sous forme d’économie d’échelle. Il s’agit de regrouper les productrices et les producteurs individuels et assurer la certification ensemble pour des gammes de produits. Cette forme de certification n’exclut pas des contrôles périodiques. Cette option permet de rassurer les consommateurs, mais aussi de minimiser les charges supportées par les acteurs de la transformation et les consommateurs. C’est le rôle de l’Etat d’assurer la promotion des produits et de s’engager dans la prise en charge de certains coûts, dans une perspective de souveraineté alimentaire. La mise en place d’un fond de valorisation des produits est une nécessité pour régler la question de confiance des consommateurs concernant certains produits locaux.

Il faut signaler le fait que la question des tests de certification des aliments n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour contribuer à la promotion des produits locaux et à leur consommation. Les actions les plus durables consisteront à mieux sensibiliser et à former les transformateurs et les transformatrices sur la question de la qualité pour qu’ils l’intériorisent et en font des usages au quotidien. L’auto certification assistée pourra être une alternative importante pour contribuer à la sécurisation des aliments issus de la transformation des produits locaux.

Quelles alternatives pour une meilleure valorisation des produits locaux ?

La question de la valorisation des produits locaux ne pourra pas être séparée de la question plus globale de la promotion de la souveraineté alimentaire. Les alternatives que nous proposons vont au-delà de la valorisation des produits. Ces alternatives sont entre autres, à moyen et long terme :

- Soutenir l’agriculture familiale pour qu’elle puisse être plus performante et plus moderne dans une optique de durabilité. Il faut signaler qu’en Afrique c’est cette agriculture familiale qui nourrit les populations africaines.

- Soutenir la mise en place des stocks de souveraineté alimentaire avec une priorité à l’approvisionnement avec la production locale.

- Mettre en place des mécanismes de soutien à l’agriculture africaine (sous forme de subventions à la production et de subvention à la consommation) pour prendre en charge les investissements, la maîtrise de l’eau de façon durable ainsi que d’autres contraintes majeures. Il est impératif de développer les alternatives agro-écologiques au détriment du modèle d’agriculture industrielle. Les mouvements sociaux en Afrique doivent combattre cette forme d’agriculture prônée par les multinationales et certains pays riches qui ne pourraient que être destructrices, car exclusive pour l’exploitation agricole familiale qui est la forme dominante de l’agriculture en Afrique.

- Assurer une meilleure organisation des marchés locaux, sous régionaux et régionaux de céréales à travers les bourses de céréales (9) qui mettent les producteurs et les consommateurs en lien et qui ne sont pas des bourses spéculatives.

- Donner des prix rémunérateurs aux producteurs pour assurer des investissements dans les exploitations, mais aussi pour les permettre de prendre en charge les besoins liés aux services sociaux de base.

- Promouvoir la sécurité sociale pour les producteurs et mettre en place des fonds de calamités.

- Mettre en place des fonds de transformation/valorisation des produits locaux et assurer la promotion de ces produits.

- Mettre en place des programmes de recherches participatives et les intégrer dans le dispositif national de la recherche. La souveraineté de la recherche doit être affirmée.
- Régler les questions foncières ou agraires en prenant en compte les réalités de chaque pays. Il sera important d’éviter la « titrisation » des terres qui ne peut que conduire à la privatisation du patrimoine foncier national. Le bradage du patrimoine foncier ne peut que conduire à des conflits difficiles à gérer. Il faut avoir un moratoire sur la vente des terres des pays africains qui devient un phénomène inquiétant dans les différents pays.

- Re-nationaliser les industries agro-alimentaires qui sont des outils stratégiques pour le développement agricole au sens large. La question de l’industrialisation sera déterminante pour l’avenir de l’agriculture de l’Afrique.

- Elaborer et mettre en œuvre des politiques agricoles basées sur la souveraineté alimentaire qui fait de l’alimentation, la production et d’autres sujets liés, des questions de droits humains

La prise en charge de ces propositions permettra de trouver des solutions à moyen et à long termes pour le développement agricole durable de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Il faut tirer les leçons du passé et réagir assez vite pour éviter que des mesures inappropriées ne soient prises par les Etats et certains de leurs partenaires pour gérer la situation dans une approche de « fast-food politique ».

NOTES
1) Quand nous parlons d’agriculture il s’agit de l’ensemble des activités agro-sylvo-pastorales incluant la production agricole (végétale), l’élevage, la pêche, la foresterie.
2) 2) Cette partie de la note de communication s’inspire d’un article rédigé par l’auteur (Mamadou GOITA) en novembre 2008 intitule « La comédie dramatique de la crise alimentaire ».
3) Regroupant entre autres les fondations Bill et Melinda Gates, Rockfeller … et présidé par Koffi Annan Ex-Secrétaire General des Nations Unies.
4) Le “chez nous” socialisé et territorialisé à l’échelle du local, du régional ou provincial, du national ou éventuellement du sous-régional ou du continent en parlant de l’Afrique.
5) Couscous avec une sauce feuilles en Bamanankan.
6) Sauce arachide en Bamananaka
7) Pâte de farine de blé avec la sauce tomate
8) Pâte de mil ou petit mil avec sauce feuilles de haricot et le beurre de karité
9) Expérience mise au point par Afrique Verte dans trois pays du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger) et qui a démontré toute sa pertinence et son efficacité dans ces pays. AMASSA au Mali ; APROSSA au Burkina Faso et AcSSA au Niger ont pris le relai d’Afrique Verte pour continuer les actions.

* Mamadou Goïta est Directeur Exécutif de l’Institut de recherches pour des alternatives au développement/Afrique, Président du Conseil d’administration de l’Association Malienne pour la Sécurité et la Souveraineté Alimentaire (AMASSA/Afrique Verte Mali)

* Cette communication a été présentée lors du colloque organisé par la Fondation Gabriel Peri et le Parti de l’indépendance et du travail-Sénégal, à Dakar, les les 18 et 19 mai 2010. M. Blamangin a fait cette contribution en tant qu’«observateur, extérieur au continent africain mais en relation de coopération avec des organisations syndicales»

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