Togo : En route vers une réconciliation durable ?
Mise en place en 2009 pour faire la lumière sur les crimes politiques qui ont émaillé l’histoire du Togo indépendant, la Commission Vérité, Justice et Réconciliation arrive au terme de ses travaux pour formuler ses recommandations. Mais il ne suffit pas de produire un rapport pour que les péripéties et drames qui ont marqué ce pays se couvrent du manteau de l’oubli.
Quand les Forces Armées Togolaises, dans un message adressé à la Nation le 5 février 2005, indiquaient qu’elles donnaient le pouvoir à Faure Gnassingbe après la mort du feu président Eyadema, tout le peuple togolais s’est soulevé comme un seul homme pour contester cette décision qui permet au clan Gnassingbé de rester au pouvoir. Devant ce soulèvement, le régime RPT (Rassemblement du Peuple Togolais) à fait passer, en vingt-quatre heures, Faure Gnassingbé du poste de ministre des Mines à celui de député, pour ensuite en faire président de l’Assemblée Nationale et enfin président de la République. Car la constitution togolaise, en son article 65, stipule : « En cas de vacance de la présidence de la République par décès, démission ou par empêchement définitif, la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président de l’Assemblée nationale ».
Fanbaré Ouattara Natchaba, président de l’Assemblée nationale de l’époque, étant à l’extérieur, il revenait ainsi à Faure d’exercer le pouvoir présidentiel. Ce stratagème n’a pas convaincu le peuple togolais qui est sorti dans les rues. Faure a dû alors présenter sa démission pour organiser une élection présidentielle anticipée qu’il a remporté haut la main.
La contestation qui a suivi la proclamation des résultats de l’élection a été sévèrement réprimée par l’armée togolaise et les milices du RPT, parti créé par le feu président Eyadema. L’enquête de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme, le Rapport Koffigoh, du nom de l’ancien Premier ministre, et celui de l’ONU ont indiqué respectivement qu’il y a eu entre 400 et 1000 morts. La venue au pouvoir de l’actuel président de la République est entachée de morts, de disparus et de beaucoup de réfugiés. Il a été réélu en mars 2010 pour un second mandat.
L’ACCORD POLITIQUE GLOBAL ET LA CREATION DE LA COMMISSION VERITE, JUSTICE ET RECONCILIATION (CVJR)
Pour apaiser les tensions et calmer la classe politique, le régime RPT avait signé, un an après la prise du pouvoir par Faure, un Accord Politique Global (APG) à Ouagadougou, en présence du président burkinabè Blaise Compaoré. Au point 2.2.2. et 2.4 de cet accord, il est prévu la mise en place d’une commission devant faire la lumière sur les crimes politiques que le Togo a connus depuis l’indépendance. En avril 2009, le président de la République, par décret présidentiel pris en Conseil des ministres, crée la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), avec pour mission de faire la lumière sur les crimes, violations et violences à caractères politique que le Togo a connus de 1958 à 2005. Monseigneur Nicodème Barrigah-Benissan, archevêque d’Atakpamé (une ville qui a connu beaucoup de violence en 2005) est le président de cette commission.
Les travaux de la CVJR ont commencé en 2009 et sont entrain de prendre fin. La dernière étape est celle de la rédaction du rapport final et les recommandations à l’endroit du pouvoir. L’avant-dernière étape, considérée par tous les observateurs comme cruciale, a permis à la commission d’auditionner certaines victimes et quelques présumés auteurs. Ces auditions ont vu passer quelques personnalités du pays, notamment les anciens Premiers ministre Agbeyome Kodjo, Me Koffigho Kokou, Agboyob Yaovi et Edem Kodjo, l’ancien président de l’Assemblée nationale Natachaba Ouattara Fanbaré, l’actuel président de l’Assemblée Nationale El Hadj Abbas Bonfoh, le chef d’Etat major général des Forces Armées Togolaises Atcha Titikpin, la présidente de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) en 2005, Dr Kissen Tchangai Walla, actuel vice présidente de la CVJR, pour ne citer que ceux là (Voir www.cvjr.org)
Le défi de la CVJR est d’arriver à établir la vérité sur les crimes politiques, situer les responsabilités et faire des recommandations pour aboutir à une réconciliation durable. Là-dessus, la population togolaise demeure sceptique. Et pour cause. Les témoignages enregistrés lors des audiences ont montré qu’aucun des présumés coupables ne reconnait les tords portés contre lui et personne n’a demandé pardon au peuple togolais. D’autres vont jusqu’à justifier leur actions comme étant légitimes et menacent même de porter plainte contre les victimes qui ont témoigné. L’armée, en premier lieu, ne se reconnait pas dans les accusations portées par les victimes et enregistrées par la CVJR, bien que tous les rapports depuis1998 l’incriminent.
La CVJR finira son travail en mars 2012 et elle formulera des recommandations pour arriver à une réconciliation. La question qui se pose est de savoir si la population togolaise va se retrouver dans le rapport de la Commission. Est-ce que le gouvernement togolais acceptera de publier ce rapport et surtout de mettre en œuvre les recommandations ?
LE ROLE DE LA SOCIETE CIVILE
La justice transitionnelle est un processus long et souvent incompris par les populations. Dans ce processus, le rôle des Organisations de la Société Civile (OSC) est très important pour non seulement sensibiliser les populations sur l’ensemble du processus mais aussi intervenir pour apporter des solutions aux problèmes qui se poseront en vue de faire trainer les travaux de la commission. Dans le cas togolais, la société civile n’était pas au rendez-vous au début des travaux de la CVJR. Etant donné que ce sont les présumés coupables qui l’ont mise en place, la population en générale ne s’est pas sentie concernée et particulièrement la société civile. Cette absence a été préjudiciable au processus, puisque ce sont les Organisations de la Société Civile (OSC), plus proches du peuple, qui sont à même de les sensibiliser.
Aujourd’hui les OSC ont pris le train en marche et multiplient des actions d’accompagnement du processus. Non seulement en vulgarisant les travaux de la CVJR à travers le pays, mais aussi en recadrant la commission elle-même et le gouvernement dans l’accomplissement de leur tâche dans ce processus. Une coalition de la société civile dénommée Plateforme Citoyenne Justice & Vérité a été créée et regroupe toute les couches de la société. L’objectif est de suivre les travaux de la CVJR, de vulgariser le rapport quand celui-ci serait prêt et de suivre la mise en œuvre des recommandations.
Si tous les observateurs reconnaissent le pas posé vers la réconciliation, ils sont tout aussi d’avis que cette réconciliation ne peut être possible qu’à certaines conditions.
Les recommandations de la CVJR doit prendre en compte certains aspects notamment :
- Le découpage électoral qui doit être revu ;
- Le mode du scrutin présidentiel doit passer à deux tours ;
- La limitation du mandat présidentiel qui doit passer à deux simplement ;
- La reforme de la justice pour qu’il y ait une indépendance au niveau des magistrats ;
- Le processus électoral dans son ensemble pour avoir des élections apaisées, justes, équitables et transparentes
Si le Togo est en crise sociopolitique depuis 1990, on reconnait que c’est lors des élections, surtout la présidentielle, que ces crises s’accentuent et causent beaucoup de morts. Pour arriver donc à une réconciliation efficace au Togo, il faudra aborder la question de l’alternance au pouvoir et permettre à ce que toutes les conditions soient réunies pour une élection transparente et sans violence. Là encore, les OSC ont un rôle important à jouer en pesant de tout leur poids dans la formulation des recommandations de la CVJR et après dans la mise en œuvre par l’Etat togolais.
Tous comptes faits, le Togo est au tournant de son histoire. Cette commission et les élections législatives, communales et cantonales qui arrivent sont des indicateurs pour mesurer l’impact des travaux de la CVJR. On verra alors ou en est le processus de réconciliation au pays de Faure Gnassingbé.
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* Bernard Anoumo Dodji Bokodjin - Sociologue et journaliste indépendant, Consultant en Droit de l’Homme et Bonne Gouvernance
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