Trois plans sénégalais d’émergence… Ce que j’en crois…

L’économie sénégalaise n’est pas malade uniquement de la dette. Il y a, entre autres maladies, la monnaie. On se rappelle la déclaration de Abdou Diouf : « Je vous l’avais dit, il n’y aura pas de dévaluation. » Arriva la dévaluation. Dévastatrice, dévastatrice, dévastatrice… Jusqu’à nos jours.

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Cinquante quatre années après le « Prenez la » du General de Gaulle, faisant référence à l’indépendance du Sénégal, nous sommes toujours confrontées aux problèmes structurels du sous développement, de la démocratie, de la mal gouvernance, de l’alimentation, de l’emploi, de la dette et de la monnaie.… A cela s’ajoute le fléau des fléaux l’insécurité qui met en faillite les Etats.

C’est dans ce contexte que trois plans de sortie de crise ont été élaborés. En 1998, l’année 2010 avait été choisie comme cap pour l’émergence. En 2000, c’est 2015 qui avait été désigné comme horizon pour rejoindre le rang des pays émergents. Et en 2012, l’horizon 2035 fut choisi pour atteindre l’émergence en reconduisant les mêmes objectifs de croissance que les plans précédents qui ont tous eu pour dénominateur commun l’absence de vision de politiques globales.

Faire de la croissance positive une priorité, c’est organiser, encadrer, financer les activités génératrices de richesses et d’emploi dans les secteurs de l’artisanat de production, de service, d’art, dans la pêche artisanale, dans l’élevage d’embouche, dans l’agro-industrie familiale, dans le commerce, dans le transport et dans le tourisme. Une croissance à 2 chiffres qui laisse en rade 90% de la population, dans la pauvreté, ne peut conduire que dans la voie du développement toxique.

L’annulation des créances odieuses reste une condition sine qua non pour la reprise économique garantissant un taux de croissance de 3,5% par an. Ce qui permettrait de maitriser la balance courante et le service de la dette. Seule la coopération économique, au niveau sous régional et régional, aiderait à surmonter les contraintes économiques qui pèsent sur nos économies. Sortir de la crise postule cette volonté de l’utilisation souple de la politique monétaire et l’abaissement des taux d’intérêts. C’est renoncer à l’impasse budgétaire et promouvoir l’épargne des travailleurs, l’emploi, l’investissement et le redéploiement urbain. C’est renouer avec une certaine solidarité en action : (Ceao, Cedeao, etc.).

Dévaluation et inflation

L’économie sénégalaise n’est pas malade uniquement de la dette. Il y a, entre autres maladies, la monnaie. On se rappelle la déclaration de Abdou Diouf : « Je vous l’avais dit, il n’y aura pas de dévaluation. » Arriva la dévaluation. Dévastatrice, dévastatrice, dévastatrice… Jusqu’à nos jours. Parmi les effets qui étaient attendus de la dépréciation du franc Cfa, on note le rétablissement de la compétitivité des exportations, la reprise des investissements, l’accroissement de la production, etc., pour une croissance durable.

Tout le monde est d’accord pour reconnaitre que la dévaluation fait partie des politiques d’ajustements. Le plus curieux, dans le cas sénégalais, ce sont les réactions psychologiques désastreuses notées depuis 1992, avec la fuite organisée des capitaux.

La dévaluation n’a pas résolu les problèmes de la balance commerciale, de la balance des paiements, de l’inflation, de la production ou du déficit budgétaire. Au contraire, elle a favorisé l’inflation et suscité un climat de spéculation et d’instabilité des prix ; elle a désorganisé le marché, déprécié les actifs des entreprises, provoqué la fuite massive des capitaux ; elle a annihilé la prime de dévaluation destinée aux déshérités et confisquée par l’Etat et les intermédiaires ; elle a précipité la paupérisation des classes moyennes.

Chaque Etat devant prendre des mesures en vue de l’identification de projets moteurs, de l’évaluation détaillée des besoins financiers et de la mobilisation des concours financiers, il manque toujours cette volonté politique pour créer les préalables indispensables à l’essor de notre industrialisation. Dans ce cadre, il s’avère indispensable d’établir des codes encadrant la pratique des multinationales des transferts technologiques, voire la redéfinition de la législation internationale de brevets (Accords de Paris de 1890) ; ceux qui sont donneurs de préférences généralisées. Car en l’absence de marchés en croissance, il demeure illusoire d’espérer un développement industriel ou l’expansion industrielle.

DE LA PERTINENCE DU MODELE INDUSTRIEL

L’ajustement d’une nouvelle politique industrielle a donné comme résultat, sur le plan pratique, la fermeture de nombreuses entreprises. Le tissu industriel sénégalais reste dominé par des unités de production conçues pour la demande locale et le marché ouest-africain, où chacun cherche à être autosuffisant et où règne une âpre concurrence entre Etats. Pour les entreprises tributaires de la consommation intermédiaire, le cout des intrants grève lourdement le prix de revient des produits finis rendus finalement impropres à toute compétitivité.

Disons le net : l’absence de pôles de compétitivité ne permet pas de prétendre à des produits de hautes technologie, pour stimuler les investissements et éventuellement les exportations. La compétitivité, c’est la capacité concurrentielle des entreprises et le dynamisme d’ensemble du système productif.

On doit, avant tout, déplorer que le débat n’ait pas été réellement engagé ni sur la pertinence du modèle industriel ni sur sa cohérence au niveau national et sous régional. Il en est de même pour le Programme Sénégal émergent (Pse). Pour son efficience, il aurait suffit d’une structure légère sous l’autorité du Premier ministre, assisté du conseiller représentant le président de la République, qui pourrait en être la cheville ouvrière. Ceci à l’exclusion des autres intervenants qui ne peuvent que provoquer un cafouillage, qui est le contraire même du but visé.

S’il est toujours aisé, dans une conjoncture difficile, d’arrêter des modalités pratiques, pour faire face à la crise, il est par contre plus difficile de maîtriser les contraintes fondamentales qui s’opposent au développement. Au Sénégal, les industries légères, les textiles et la confection des bois et assimilés, la céramique, le cuir assimilé de l’industrie traditionnelle, l’industrie des produits de la mer, l’industrie des produits alimentaires, l’industrie textile, les matériaux de construction, les industries du cuir et du bois de chez nous, etc., ne sont pas performantes par rapport aux industries d’Asie du Sud-est, du bassin méditerranéen et des pays d’Amérique latine.

LA COMPETITIVITE DES ENTREPRISES

La compétitivité, c’est la capacité concurrentielle des entreprises et le dynamisme d’ensemble du système productif. Autrement dit, l’entreprise doit pouvoir innover (connaissance des marchés et maitrise technologique) ; elle doit pouvoir produire au moindre coût (coût salarial, coût de productivité, coût des frais généraux). Elle doit pouvoir vendre ; cette étape est décisive pour la vie de l’entreprise. L’absence de pôles de compétitivité n’autorise aucun espoir de sortie de crise.

Les biotechnologies, les télécommunications et l’aéronautique de Taiwan et Singapour, la machine allemande, l’électronique grand public japonaise, l’informatique américaine sont des pôles de compétitivité. A un degré moindre, ce sont les pays d’Amérique latine, d’Asie du Sud-Est, du bassin méditerranéen qui sont les plus performants dans les industries des appareillages électriques et électroniques.

Le Sénégal ne dispose ni de sidérurgie ni de métallurgie, ni de pétrochimie, mais de simples produits d’import-substitution non porteurs sur son marché national, pour espérer mettre en évidence les créneaux commerciaux dans les pays de la sous région, de la région et des marchés de L’Ocde.

Le continent avant, comme après le Plan d’action de Lagos, est appelé à initier des programmes et projets appropriés de développement industriel. Il s’agit, pour chaque pays, en fonction de son tissu industriel, de mettre au point une législation adéquate et des mécanismes capables de dégager des investissements industriels rémunérateurs, permettant aux nationaux de se créer une place éminente dans ce secteur.

On pense à la sidérurgie-métallurgie avec ses usines de four électriques, d’aciérie intégrée pour la fabrication des produits plats et creux, de fonderie pour produire les différentes qualités de fontes nécessaires pour les industries mécaniques. On pense aussi à l’industrie mécanique avec la production de machines et matériels agricoles, à l’outillage moteur pour pompes d’irrigations et générateurs, aux mini-pressoir pour la transformation des fruits et légumes. De même qu’il y a l’industrie du matériel de transport routier et ferroviaire, des moteurs et châssis, wagons de chemin de fer, véhicules standards polyvalents. Ou encore l’industrie du matériel pour la fourniture d’énergie, conducteur et câble en aluminium, transformateurs, turbines, commutateurs, instruments solaires, éolien etc. …

CREATION DE RICHESSES ET D’EMPLOIS

Parmi les secteurs créateurs de richesses et d’emploi, on peut citer l’artisanat. Sans pour autant anticiper sur le prochain organigramme de ce secteur, on peut souhaiter la mise en place d’une structure administrative de conception, de formation, de planification et de contrôle, et d’autre part d’une structure privée légère de promotion, d’organisation et de gestion, qui ne sera, en aucun cas, une superstructure devant étouffer les ateliers artisanaux, les groupements professionnels et coopératifs, etc., ou se transformant en cartel de nouveaux nantis. Cette structure pourra préjuger des métiers artisanaux ; ceux devant disparaître, ceux qui sont à moderniser, ceux qui peuvent faire l’objet d’un développement immédiat ou ultérieur.

On peut évidemment citer d’autres métiers du secteur de la production utilitaire (articles en étoffe, ustensiles de cuisine, chaussures, bois), ou du secteur des services dans lesquels il conviendra de passer de la fabrication à la sous-traitance, de l’installation à la réparation et à la vente d’articles. On peut aussi évoquer les métiers de services (maçonnerie, forgerons, charpentiers, menuisiers, réparateurs cycles moteurs, véhicule, appareils froid, électriques, électroniques, etc.). Ils pourront s’orienter vers de nouveaux produits et services par la mise en place de moyens de formation, de changement dans l’aménagement de l’atelier et par l’adoption d’un outillage amélioré.

La technologie sociale doit jouer pleinement son rôle et éviter de se constituer en superstructure (bureaucratique ou privé). Pour mener à bien ces diverses activités créatrices de richesses et d’emplois, il conviendra de ressusciter le modèle des banques nationales de développement avec des capitaux publics, privés nationaux et étrangers, où l’Etat ne sera ni président du conseil d’administration ni directeur général pour échapper à des interventions intempestives qui ne peuvent être que la marque d’une gestion calamiteuse.

Les dossiers de candidature de prêts seront soumis rigoureusement aux critères bancaires. L’argent public et privé doit irriguer les différents secteurs d’activités nationales sources d’une véritable croissance et non pas aller vers les investissements de prestige qui sont le contraire même de l’émergence.

AGRICULTURE ET REPARTITION DES TERRES

Avec le domaine national, c’est un véritable remodelage du territoire agricole qui est visé. Ce territoire apparait comme une unité économique s’insérant dans l’organisation administrative du territoire, ayant pour objet l’exploitation collective d’un ensemble de terres faisant partie du domaine nationale, suivant un plan établi par l’Etat.

L’Etat désire dans ce but lutter contre le parcellement, afin de rendre homogène la superficie cultivée et réaliser les infrastructures correspondantes. Les structures agricoles ainsi préconisées se nouent autour d’un type d’exploitation moyenne, dont la loi donne une définition précise. Il s’agit d’aller vers une meilleure répartition des terres entre les usagers et une rationalisation de l’ensemble de la production agricole. Il en résulte que les coopératives qui participent de droit aux conseils ruraux doivent évoluer pour que leur emprise territoriale corresponde à l’emprise du terroir.

C’est plutôt devant l’alternative, d’une part de l’extension d’une agriculture traditionnelle, avec l’amélioration des conditions de production ; d’autre part, de l’aménagement d’ensembles importants mettant en œuvre des techniques plus couteuses d’irrigation, avec deux facteurs fondamentaux, avec des terres utilisables et leur mise en valeur, les ressources en eau et la qualité de ces eaux, qu’il convient d’aborder concrètement le problème de la réforme foncière et agricole au Sénégal.

Pour créer la croissance il convient d’aller vers la création des activités génératrices de richesses et d’emplois dans les secteurs des fruits et légumes, l’élevage, les spéculations céréalières (riz, mais, etc.), la pêche, le commerce, le transport, le tourisme, etc. Il faut les organiser, les encadrer et les financer à travers une banque nationale de développement.

L’arachide reste le café-cacao du Sénégal. C’est la filière intégrée du producteur (8 millions de familles de ruraux) jusqu’à l’huilerie, en créant de la valeur ajoutée. Secteur maîtrisé depuis l’ère coloniale, il ne peut connaître que des adaptations. Le riz, denrée de base des Sénégalais pouvait être autosuffisant depuis les années 1970 avec la mise en valeur de la vallée du fleuve du baobalong au Sine Saloum et la Casamance. Même avec un croit démographique de 3,5.

Comme la tomate, la pomme de terre où l’oignon, on a délibérément bloqué l’essor de ces spéculations dans le souci d’octroyer des quotas à de grands électeurs et continuer à privilégier nos importations. Gageons, à l’heure actuelle, que la production de riz ne sera pas confrontée à des problèmes fonciers et à des coûts de production exorbitants qui la rendront impropre à la consommation locale par rapport au riz importé vendu deux fois moins cher. En dehors d’une subvention de l’Etat, il sera vendu deux fois plus chère que le riz importé de Thaïlande.

En dernière analyse, peu importe le nom que l’on donnera à telle ou telle organisation (coopérative, Gie, syndicat, association d’intérêt économique, etc.), ce qui importe ce sont la nature des rapports économiques qui s’établissent à travers la coopération, le degré de socialisation de la production des services, les modalités de la participation des intéressés à la marche de leur affaire et la répartition équitable des produits du travail entre membres.

L’ABSENCE DE SOUVERAINETE MONETAIRE

Les résultats de la politique de l’émission monétaire ont fait apparaitre de graves contradictions entre les moyens mis en service et les fins poursuivies. Tant au niveau de l’Etat qu’au niveau de l’union sous régionale. Et la politique rigoureuse de contrôle quantitatif du crédit a échoué dans son objectif essentiel. Une partie des ressources nouvelles provenant du système bancaire a servi à combler le déficit budgétaire. Elle a été représentée sous forme de salaires et de dépenses de fonctionnement. En outre, les pressions de la demande n’ont pu être résorbées que par l’augmentation des importations. C’est la gestion des finances publiques qui est à la base de la dégradation de balance des paiements au Sénégal.

Il est certain que les pays de la périphérie ne peuvent s’orienter vers une stratégie autocentrée en demeurant dans la Zone franc. En fait, la Banque centrale ne contrôle presque rien. Les succursales des banques métropolitaines et étrangères qui constituent le réseau bancaire d’Afrique, rien que par le transfert des fonds et une politique occulte, arrivent à contrecarrer la politique monétaire des Etats et de la Banque centrale. Au surplus, la Zone franc constitue un marché monétaire et financier, contrôlé par la seule Banque de France. Dans cette stratégie extravertie, les Etats africains n’ont pas besoin d’une politique monétaire. Laquelle n’a de sens que dans une économie autocentrée. Il faut la création d’une monnaie africaine.

Du fait de l’existence d’une chambre de compensation et d’une unité de compte ouest africaine (1 Ucao = 1 Dts du Fmi = 1,5 Dollar) la zone ouest africaine pourrait être dotée d’une monnaie commune, instrument indispensable pour une politique de développement autocentrée véritable entre pays africains. Cette unité monétaire dont le principe repose sur la convertibilité des monnaies nationales, sans limitation, mais à taux fixe, s’imposerait aussi comme instrument de règlement des échanges intra régionaux et des opérations commerciales avec l’extérieur. En dehors de contraintes techniques nécessaire à la création d’une unité de compte, les principaux atouts seront la perméabilité du système et la solidarité agissante des membres.

En fait, la presque totalité des difficultés qui assaillent le monde provient d’une méconnaissance totale des conditions monétaires et financières internationales et nationales et d’une structure inappropriée des institutions bancaires et des marchés financiers. Les accords de confirmation (Stand by) et de financement élargi (Extended facility) doivent être transformés en contrats de financement compensatoire de stabilisation des matières premières, de l’achat ou du rachat de devises et des actifs de biens réels.

Les institutions de Bretton Woods nous ont habitués jusqu’ici à de simples affirmations appuyées sur de purs sophismes, sur des modèles mathématiques et sur des analyses superficielles des circonstances du moment. Naturellement, rien sur l’abandon total du dollar comme monnaie de compte, comme monnaie d’échange et comme monnaie de réserve sur le plan international. Le dollar, entre d’autres devises fortes (euro, mark etc.…) donne aux Etats-Unis un véritable tribut payé aux plus riches par les plus pauvres. Il ne s’agit pas de s’arrêter à des expédients et aux mirages des illusions, mais d’agir pour faire admettre par la communauté internationale la reforme profonde des institutions monétaires et financières mondiales. Cela malgré l’hostilité des intérêts très puissants des groupes de pression et des doctrines régnantes.

ENGAGER LES RUPTURES

Pour la stabilité de l’économie mondiale, son efficacité repose sur l’équité et la distribution des revenus pour tous. Les principaux actionnaires de Bretton Woods qui sont également les membres du G8 sont interpellés par l’histoire, pour définir des institutions économiques nouvelles ou les fluctuations conjoncturelles se trouveraient considérablement atténuées.

Le moment est venu de produire les travaux de ruptures. Rupture avec ce qui se fait actuellement dans les instances nationales et internationales. Il est temps, au Nord comme au Sud, d’exorciser la monnaie. Au Nord, pour la mettre au service de l’homme et des économies modernes. Au Sud pour ne pas croire à une panacée avec des facilités dangereuses, pour résoudre les difficultés budgétaires et la pénurie de capital. En attendant l’avènement graduel d’un plus grand degré de convertibilité des monnaies, il faut parfaire l’harmonisation des plans de développement, des codes des investissements, des politiques économiques grâce à une politique ferme - le plan de Lagos est plutôt resté lettre morte ainsi que le Nepad.

C’est un pari audacieux qui s’éloigne des débats qui volent bien bas.

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