Un déclin symbolique, politique et culturel de la France en Afrique
(…) D’importantes mutations sont intervenues sur le continent africain, dont notre pays a parfois tardé à prendre entièrement la mesure. L’Afrique d’aujourd’hui connaît des transformations profondes que la plupart des grandes puissances du monde, en particulier les puissances émergentes comme la Chine et l’Inde, ont clairement identifiées. D’anciens conflits se sont résorbés tandis que l’Union africaine commence à jouer un rôle clé en matière de paix et de sécurité, attestant d’une volonté forte de prise en main par les Africains eux-mêmes des problèmes qui surgissent à l’échelle continentale ou régionale.
Malgré de grandes disparités du Caire au Cap, l’Afrique connaît, depuis quelques années, une croissance économique soutenue, supérieure à la moyenne mondiale. Parallèlement, le processus de démocratisation n’est pas pour autant aussi vigoureux. Le développement du continent s’en trouve en partie affecté, notamment en matière de bonne gouvernance et d’État de droit, ne serait-ce que parce que l’aide au développement peut difficilement donner toute sa mesure dans un tel environnement.
Au-delà de ces transformations, l’Afrique se trouve aujourd’hui, en raison de la mondialisation, confrontée à des problèmes qui préoccupent l’ensemble de la communauté internationale, qu’il s’agisse de l’insécurité alimentaire – cela a été évoqué –, de la menace terroriste, des flux migratoires ou de la sécurisation des marchés et des approvisionnements, notamment énergétiques. Ces problèmes ont, sur le continent africain, des conséquences démultipliées.
(…) La France, malgré une présence ancienne en Afrique, a insuffisamment anticipé l’ampleur de ces évolutions et leurs conséquences. Alors qu’il s’engageait progressivement dans un processus de retrait de la gestion des conflits africains au profit d’autres acteurs internationaux, dont l’Union européenne, il a, dans le même temps, enregistré un recul de son influence propre sur le continent. Ce recul n’est pas uniquement matériel, quantifiable en argent, troupes, enseignants ou migrants ; il est aussi symbolique, politique et culturel.
En tant que membre de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, je suis particulièrement sensible au rayonnement culturel de notre pays à l’étranger, notamment dans les pays africains francophones. Mais j’ai bien conscience du fait qu’il faut désormais considérer le continent dans sa globalité et dans sa diversité.
Face à ces mutations profondes et au risque considérable que représenterait pour la France un désamour durable avec l’Afrique et dans l’indifférence d’une opinion publique française repliée sur ses problèmes intérieurs, nous ne pouvons rester silencieux.
À titre d’anecdote, j’évoquerai un domaine dans lequel la France doit plus que jamais collaborer étroitement avec le continent africain, celui de l’énergie nucléaire.
(…) Bien qu’elle produise 43 % de l’électricité du continent, l’Afrique du Sud – je pourrais évidemment évoquer l’exemple d’autres pays – souffre d’un énorme déficit énergétique pour assurer sa croissance et son développement industriel. De passage à Paris le mois dernier, la ministre sud-africaine de l’énergie a rappelé les ambitions de son pays : son programme nucléaire vise une production de 9 600 mégawatts, ce qui correspond à la construction d’environ six EPR d’ici 2030, pour un coût de 30 milliards de dollars. Cet important marché a d’ailleurs mobilisé l’ensemble des acteurs de la filière nucléaire française autour de notre excellent ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, Éric Besson, afin de faire face à la concurrence des Chinois, des Américains et des Sud-Coréens.
Le pays possède déjà deux centrales nucléaires d’une capacité de production de 970 mégawatts, soit 5 % de l’électricité, construites par Framatome devenue AREVA. La maintenance de ces centrales gérées par l’opérateur nationale ESKOM est assurée par EDF et AREVA.
On pourrait penser que les groupes français ont de l’avance sur leurs concurrents, mais c’est loin d’être le cas. Le fait que nos entreprises n’aient pas été retenues à l’issue de l’important appel d’offres d’Abu Dhabi a fait couler beaucoup d’encre, car elles étaient largement favorites face aux Sud-Coréens qui ont remporté le marché.
Espérons que nos efforts seront récompensés et que le président sud-africain Zuma fera, à l’occasion de sa visite en France, des annonces qui nous seront favorables. Espérons-le d’autant plus vivement que les autres gouvernements africains qui ont décidé de se lancer dans l’énergie nucléaire – ceux de l’Algérie, du Maroc, de l’Angola, du Sénégal, du Nigeria et de la Tanzanie – seront sûrement attentifs à la décision de ce grand pays de leur continent.
L’Afrique est un enjeu majeur du XXIe siècle, et la France doit, plus que jamais, jouer auprès de ce continent ami de longue date un rôle de premier ordre.
* Jacques Remiller est député français de l’Union pour la Majorité Présidentielle
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