Un leader MSM sénégalais juge : « On avait des acquis qu’on risque de perdre »

La lutte contre le VIH/SIDA ne peut occulter la prise en charge des groupes hautement vulnérables tels que les travailleuses du sexe et les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (MSM en sigle anglais qui signifie Men having sex with Men). Ces MSM, depuis les arrestations et dénonciations intervenues ces derniers temps au Sénégal à leur encontre, sont sur le qui vive. La plupart d’entre eux qui vivent avec le virus du sida (on note environ 21,5 % dans ce groupe) respectent à peine leurs rendez-vous chez le médecin. Les séances de sensibilisation ne se tiennent pratiquement plus. Il est devenu impossible de les organiser au vu de l’environnement d’intervention de plus en plus délétère.

A ce rythme, les interventions en direction de cette catégorie de population sont menacées. Avec un fort risque pour la population générale, car des études ont montré que plus de 90% des MSM sont des bisexuels. Ils entretiennent des rapports sexuels aussi bien avec les hommes qu’avec les femmes. Un leader MSM sénégalais, engagé dans la lutte contre le sida, campe la situation.

Article Image Caption | Source
Wikimedia

A quand remonte votre engagement dans la lutte contre le sida auprès de la communauté MSM et quels ont été vos motivations?

Leader MSM : J’avoue que je ne suis pas le seul leader dans la communauté. Mon engagement remonte à 2003. J’étais sollicité par mes pairs. A un moment donné je me suis senti concerné et je me suis dit pourquoi ne pas m’engager aussi dans cette lutte.

Qu’est ce qui a motivé véritablement cette sollicitation.

C’est à travers les mouvements associatifs et lors de la création de notre association qu’un pair leader m’a approché pour me dire qu’une association avait été créée et qu’il y avait un besoin de ressources humaines assez instruites vu le niveau faible qui y prévalait.

Quelle était la situation de l’infection à VIH dans la communauté MSM à cette époque ?

En ce temps, je n’avais aucune idée de la situation. Par contre, j’avais des doutes parce que beaucoup de nos pairs avaient perdu la vie et on ne savait réellement pas de quoi ils étaient mors. Je n’avais aucune idée précise, mais le doute était présent.

Qui sont vos principaux partenaires dans la réponse à l’épidémie ?

Parmi les partenaires je citerai l’Alliance nationale contre le sida (ANCS), Enda Santé, la Division sida du ministère de la Santé et le Centre de traitement ambulatoire

Qu’est ce que vous faites avec ces partenaires ?

Pour la Division sida et le Centre de traitement ambulatoire, nous faisons de la prise en charge globale. Même moi je suis médiateur de santé au sein d’une structure de santé. Quant à l’ANCS et Enda Santé, c’est pour les activités de sensibilisation qu’ils nous accompagnent. Cela nous permet de faire de l’éducation par les pairs lors des activités de prévention et les agents des structures partenaires avec lesquels nous travaillons viennent nous superviser et apporter leur appui technique. Des pairs MSM ont été formés par les organisations partenaires comme ENDA et Santé

Comment se passe la sensibilisation du point de vue la sécurité et de la mobilisation?

J’avoue qu’on le faisait facilement avant. Avec l’homophobie croissante qui règne dans notre pays, cela n’est plus facile. La preuve est que toutes nos activités sont presque mises en stand by. On ne peut plus organiser des activités régulières au risque d’avoir des problèmes.

Quel impact la vague d’homophobie a sur la prévention ?
Par rapport à la prise en charge, la cible a fait une prise de conscience. Les MSM se soucient de plus en plus de leur état de santé en allant vers les structures de santé pour bénéficier des services offerts. C’est par rapport à la prévention à savoir les causeries, projections de films qu’il y a régression.

Est ce qu’il y a des besoins non couverts concernant la prévention, l’accessibilité de certaines couches MSM ?

Tout à fait. Actuellement nous ciblons plus les jeunes, par exemple ceux de 15 à 20 ans et les personnes âgées qui sont souvent un peu réticentes. A cause de leur statut de responsable celles-ci ne veulent pas fréquenter les moins jeunes. Ils ont peur et ont besoin de confidentialité. On avait commencé à les sensibiliser jusqu’à ce qu’ils acceptent de participer avec les autres, mais avec la crise d’homophobie qui sévit ils ont peur.

On peut dire qu’il y a un besoin d’information qui est là et non satisfait. Quelles sont les risques ?

Les responsables du programme sida se vantent partout dans le monde pour dire que le Sénégal est en avance par rapport à beaucoup de pays dans la réponse à l’épidémie. On avait des acquis certes, mais on risque de les perdre. On n’arrive plus à sensibiliser les MSM alors qu’on constate qu’il y a de nouvelles vagues de MSM qui émergent, en plus ceux qui évoluent dans l’ombre qu’on ne connaît pas. Toutes ces populations risquent encore de sombrer dans la clandestinité.
C’est quoi le poids de la stigmatisation dans le vécu du MSM?

C’est vraiment un poids et il faut avoir une force de caractère pour s’en sortir parce que la personne peut se replier sur elle-même du point de sa vie professionnelle, sentimentale, sanitaire... Un MSM connu dans un quartier quelconque peut même finalement refuser d’aller se faire soigner sous risque d’être hué ou stigmatisé.

Comment cette vague d’homophobie est ressentie surtout avec la presse ?

C’est difficile. Vous savez que l’homosexualité est vécue depuis longtemps mais n’avait pas une grande visibilité. Avec la presse toute l’opinion nationale est au courant de cette pratique. Auparavant, les gens pensaient que le MSM était par exemple un homme efféminé qui s’accompagnait avec des grandes dames. Aujourd’hui l’opinion est au fait que c’est l’acte sexuel entre hommes de même sexe qui est pratiqué. La pratique est davantage relayée et rendue publique par la presse. On ne peut pas rester un ou deux mois sans en entendre parler. Et c’est ce qui a le plus influencé les autorités religieuses.

Quelle est donc la part de responsabilité des leaders MSM dans ce changement d’appréhension au sujet de l’homosexualité au Sénégal?

Au plan de la visibilité, il y a des MSM qui choquent (1).

Comment sentez vous l’avenir de la lutte contre le sida en direction des MSM au Sénégal ?

Les MSM doivent changer leurs attitudes et éviter de blesser l’opinion, mais il faut aussi que la société soit plus tolérante. C’est un phénomène qui prend de l’ampleur. On trouve les MSM dans toutes les couches sociales et cette orientation n’engage que la personne qui la vit. Si je choisis cette façon de vivre, ce n’est pas un tel ou un tel qui va me dire de changer impérativement d’attitude.

Est-ce qu’il y a des pistes de réflexion face à l’homophobie que la communauté MSM va engager dans les prochaines années ?

Il faut d’abord un travail avec la presse, avec les religieux mais aussi avec la société. Les gens ont tendance à dire maintenant qu’il faudra revoir la loi sur l’homosexualité. Mais le problème ne réside pas au niveau de la loi, qui est d’ailleurs faite pour être dès fois violée. Même si on révise cette loi, la solution se trouve dans le changement des mentalités au sein de la société. Sinon des gens peuvent être encore lapidés.

On sent au niveau de la communauté MSM l’émergence de nouvelles idées en faveur du respect des droits humains, comme avec le mariage de deux hommes qui a choqué l’opinion. Est-ce qu’il n’y a pas une part de responsabilité des MSM avec ces attitudes revendicatives qui entraînent une radicalisation dans la société ?

Je suis désolé, ce n’était pas un mariage mais une simulation pour s’amuser (2). Le mariage se célèbre dans les lieux de culte (mosquée ou église). Cet événement remontait pratiquement à un an quand les informations ont été diffusées. La communauté homosexuelle avait pendant longtemps l’habitude d’organiser des événements sans qu’il n’y ait aucun problème. Là où il y a eu faute c’est peut-être avec les photos prises pour immortaliser l’événement.

Il y a aussi cette volonté d’affirmation identitaire dans laquelle certains leaders s’engagent.

Je reconnais qu’il y a cette affirmation identitaire que certains assument. Mais cela n’engage qu’eux. Nous ne sommes pas d’accord ni prêts pour cette affirmation parce que nous habitons un pays où résident nos frères, sœurs et parents. Je sais que la plupart de mes pairs ne militent pas pour une telle affirmation. Comme j’ai l’habitude de le dire, là où on est arrivé aujourd’hui, on n’aurait pas atteint ce stade si on scandait nos actions dans des micros. On a toujours fait ce qu’on avait à faire dans le silence. Donc cette affirmation n’engage qu’une minorité. Notre motivation d’engagement réside exclusivement dans la dynamique de santé publique, pour la prise en charge médicale des MSM.

Qu’est ce qui motive l’avènement de générations de MSM plus jeunes ?

J’avoue que cela me dépasse. Il s’agit d’un phénomène qui se développe dans la clandestinité. Et il faut savoir une chose : quand on voit un MSM fréquenter un lieu déterminé, c’est parce qu’il a des partenaires dans cet environnement. Que ce soit dans la maison où il a ses habitudes ou dans le quartier. Un autre fait est que des gens plus nantis ou plus âgées entretiennent ces jeunes. Ils sont actifs, mais ne se considèrent pas comme des MSM.

L’argent facile expliquerait donc le penchant homosexuel de plus en plus de jeunes ?

C’est la société même qui véhicule ce genre de message pour dire que les MSM ont de l’argent. Au soi-disant mariage relayé par une certaine opinion, il a été fait mention qu’il y a eu de grosses dépenses. C’est une idée tellement enracinée dans la tête des gens, qu’un leader MSM n’hésite pas à dire que ceux qui avancent de tels propos sont entrain de faire la promotion de l’homosexualité. En effet, les jeunes essaient de s’intéresser à nous pour ces raisons. Par exemple, certains parmi les neuf MSM qui avaient été emprisonnés (3) se font aborder par des jeunes qui espèrent se faire de l’argent en leur compagnie.

Notes de la rédaction

(1) Certains MSM sénégalais, établis à l’extérieur du pays surtout, adoptent des comportements et font des déclarations dans la presse qui suscitent des réactions de haine ou de violence dans la population.
(2) – En août 2008, un journal sénégalais avait publié des photos d’une cérémonie où des MSM étaient présentés comme célébrant un mariage. Il s’en était suivi une vague d’arrestations et de violences contre la communauté homosexuelle.
(3) – Des MSM arrêtés par la police avaient été jugés et condamnés à 8 ans de prison avant d’être libérés en appel.

* Cet entretien a été réalisé avec un responsable d’association de MSM au Sénégal, qui a préféré garder l’anonymat.

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org