Urgences pour une réconciliation à Madagascar
Un des nœuds de la crise malgache c’est qu’au sein de la population on ne s’accorde guère sur ce qu’on appelle «réconciliation nationale». Faute d’une acception et d’une compréhension communes, la minorité qui lutte pour le contrôle du pouvoir en fait un outil de diabolisation de l’autre. Or Il s’agit moins de punir et de pardonner que de connaître la « vérité ».
Tout est urgent à Madagascar. Peu importe le secteur, il y a un retard à combler, des améliorations à apporter, une refonte/relance à effectuer. Il y a un problème immédiat, mais sous-jacent, il y a toujours et surtout un problème difficile, de fond, dont la résolution ne peut venir qu’à moyen ou long terme. Tout est à refaire, mais rien ne se fera rapidement, du jour au lendemain, au coup de baguette magique. Ainsi pour la sortie de crise, ainsi pour l’après-crise, ainsi pour la fameuse réconciliation.
Je suis longtemps restée perplexe sur cette question de réconciliation nationale. Comme beaucoup, sans doute, je ne me sentais pas particulièrement concernée. Comme à l’accoutumée, on brandit les mots « réconciliation nationale » sans que nous en ayons tous une compréhension commune. Chacun comprend et interprète comme il le souhaite. Il ne s’agit pas d’une réconciliation similaire à celle de nos voisins où l’identité du gagnant et du perdant était plus claire, ou l’injustice faite est plus objectivement identifiable. Et, comme il semble être le cas dans presque tout à Madagascar, comment séparer ce qui est problème de pauvreté de ce qui est problème « autre » (culture, histoire, tradition). Quelle partie de l’injustice nécessitant réconciliation serait réparée par le développement économique et la bonne gouvernance et quelle partie est à corriger autrement ?
Que veut-on dire exactement par « réconciliation » / « fampihavanana » ? La grande masse en est-elle concernée ? Ce serait intéressant de faire un sondage, simultanément, au sein de la classe politique, au sein de l’« élite », et au sein de la population et en comparer les résultats : comment comprenez-vous réconciliation (« fampihavanam-pirenena ») ? Que souhaiteriez-vous voir ? Pensez-vous qu’on en a besoin ? Quel impact sur votre vie quotidienne ? Il me semble que la question de réconciliation, telle qu’elle figure dans la feuille de route et la Constitution de 2010, ne concerne qu’une petite minorité, mais c’est malheureusement la minorité qui lutte et s’entre-déchire, apparemment de crise en crise, pour le pouvoir.
S’il s’agit d’une réconciliation inter-élite : de quelle élite parle-t-on ? Elite politique (immédiate ou depuis le début des temps) ? économique (si étroitement liée à la politique quelque part) ? régionale (lutte entre bourgeoisies des différents groupements ethniques) ? sociétale (lutte pour/contre la perpétuation du système de caste) ? générationnelle ? Cela donne déjà le mal de tête, car la difficulté d’identifier le « fautif » et la « victime » rend déjà la matière extrêmement complexe. Qui sont les gagnants et qui sont les perdants qu’on cherche à réconcilier ?
Justement, si nous voulons une « réconciliation punitive », il s’agira d’identifier les bourreaux et les victimes ; il s’agira d’exiger une réparation, une punition, pour le mal fait. Les uns et les autres se positionnent déjà : toute la transition s’est basée sur cette dialectique de diabolisation de l’autre. Ce qu’il nous faut plutôt est une « réconciliation réparative », qui ne pourra se faire d’abord qu’à travers le dialogue et la reconnaissance, peut-être pas d’un mal fait, mais d’une injustice subie. Seul l’Etat pourra par la suite adopter des politiques publiques de réparation à travers des programmes de recherche, de centres de documentation et d’exposition, d’éducation et de manuels scolaires, de discrimination positive, de documentaires. Car il s’agit de réconcilier des perceptions.
La réparation et la réconciliation viendront si la manière de voir le monde de tout un chacun, des soi-disant victimes comme des soi-disant bourreaux, est bouleversée de manière à changer l’avenir. Il s’agit moins de punir et de pardonner que de connaître la « vérité » de l’autre aussi bien que la sienne ou des siens, peut-être même quelque part, de comprendre et (on peut toujours rêver) accepter.
Je vous entends déjà soupirer, elle est folle, c’est demander l’impossible. Mais il me semble que nous avons besoin de nous mettre d’accord sur au moins 3 points :
1) Que la réconciliation soit réparative, qu’elle nous fera plus de bien que de mal, qu’elle ne sera pas punitive.
2) Que la réconciliation prendra du temps – des années, qu’il faudra parler de ce qui fâche, dire les non-dits et dialoguer calmement et sans esprit de vengeance ou revanche, et avec un objectif bénéfique et de construction nationale.
3) Que la réconciliation n’appartient pas au Comité du Fampihavanana Malagasy mais à nous tous : au peuple, aux institutions, à l’Etat. Que les délibérations de ce comité et de toutes parties prenantes soient publiques et publiées et que l’avis de la masse soit demandé. Au fond, je crois qu’elle ne demande que paix et avenir, le passé c’est le passé, mais faisons qu’elle ne se perpétue ou se répète plus.
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** Sahondra Rabenarivo est juriste
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