Accès à l’information publique: Une nouvelle urgence pour l'Afrique

Ces dix dernières années ont vu une cinquantaine de pays à travers le monde adopter des lois sur l’accès à l’information publique. Gage de transparence, articulée à la réalisation d'une série de droits sociaux et économiques et moyen d’affirmation d’une citoyenneté responsable, cette législation tarde encore à s’implanter en Afrique. Le défi, aujourd’hui que la réflexion est engagée et que des initiatives-pilotes sont notées, est de veiller à ce que cette loi réponde aux urgence et priorités du développement sur le continent.

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En février 2008, le Centre Carter organise, à Atlanta, une conférence internationale sur l’accès à l’information publique. Il s’agissait alors de faire un état des lieux et d’analyser l’impact de ce droit consacré dans les domaines de la bonne gouvernance et du développement. Il en avait résulté une Déclaration et un Plan d’action pour l’Avancement du droit d’accès à l’information. L’approche était cependant globaliste, ne reflétant guère les spécificités et les contextes régionaux. Une volonté d’adapter les réflexions et les conclusions aux diversités culturelles et sociales a ainsi conduit à poser le débat au niveau régional. Lima a accueilli, en octobre 2009, la conférence pour l’Amérique latine. Et du 7 au 9 février 2010, c’est à Accra que s’est tenue la Conférence africaine régionale sur le droit d’Accès à l’information.

La déclaration qui a résulté des assises d’Accra, auxquelles ont participé des ministres, des juristes, des chercheurs, des organisations de la société civile et autres responsables de secteurs administratifs, commence par affirmer que «l’accès à l’information est un droit humain fondamental et, en tant que tel, l’Etat a le devoir de le respecter, le protéger et le réaliser». Elle souligne ensuite que «le besoin d’information est inhérent dans chaque citoyen même s’il n’est pas toujours bien exprimé. L’accès à l’information et la liberté d’expression devraient être garantis à tous, y compris aux populations vulnérables et marginalisées. A cet effet, la réduction des obstacles et la garantie accordée au peuple à rechercher l’information à travers les canaux oraux et informels s’imposent.»

Ces principes, peu d’Etats africains les ont consacrés. Mais le débat commence s’ancrer çà et là. Que ce soit en Zambie, au Zimbabwe, au Mozambique, au Nigeria ou au Sénégal, la réflexion est nourrie à des niveaux plus ou moins avancés. Nulle part, cependant, il n’existe de vide juridique en matière d’accès à l’information publique. Le fait est que là où les constitutions en assurent la garantie, il manque la volonté ou les moyens d’assurer une application correcte et complète des textes. Plutôt que de promouvoir un régime de liberté en la matière, les pouvoirs en place ont plutôt tendance à cultiver des pratiques marquées par le silence, le secret et la répression.

Ces attitudes continuent de couvrir des pratiques qui, à la longue, ont contribué à déstabiliser beaucoup de pays en Afrique. L’opacité cultivée par les gouvernants dans la gestion des affaires publiques, sous le couvert de trafic, de corruption, d’accaparement des ressources, etc., a fait le lit, dans certains cas, de dérives qui ont mené à des drames sanglants. Les coups de canon qui déchirent la Rd Congo et sédimentent l’instabilité dans la région des Grands lacs depuis des décennies, ne sont que les échos bruyants d’une lutte silencieuse que mènent les multinationales et certaines puissances occultes, de connivence avec les lobbies et les pouvoirs locaux, autour des richesses minières fabuleuses de ce pays. En Sierra Leone et au Liberia, où on a vécu des conflits aussi dramatiques, avec en toile de fond le diamant et les ressources forestières, la leçon semble avoir porté. Dans ces deux pays, l’insistance est forte sur la nécessité de favoriser une information libre, constante et utile du citoyen, comme antidote aux conflits potentiels. En effet, c’est derrière la vérité qu’on y cherche la réconciliation.

Par-delà ces cas extrêmes, la nécessité d’un cadre légal et institutionnel garantissant un régime de transparence rejoint un impératif de démocratie et de bonne gouvernance. C’est en effet l’assurance la plus solide d’une participation citoyenne avisée, participative et constructive pour le développement. Le défi est de mieux situer les responsabilités dans la gestion des affaires publiques, de favoriser la transparence au niveau de l’administration et de permettre une réelle liberté d’expression des citoyens au regard de leurs droits et devoirs.

Le principe veut que l’accès à l’information publique soit sans limites. Contenir une telle loi dans trop de «considérants» reviendrait à donner arguments restrictifs à l’autorité. Il est donc question de promouvoir la logique de la divulgation maximale. Celle-ci ne devant être limitée que par des cas exceptionnels qui tiennent à la vie privée du citoyen, aux intérêts supérieurs de la nation et à la sécurité de l’Etat. En dehors de ce champ restrictif, toute information publique (dossiers, rapports, études, procès-verbaux, statistiques, publications, indications, informations, correspondances administratives…), qu’elle émane du privé ou du public, devrait être du domaine de la divulgation.

En mars 2001, l’Afrique du Sud a vu entrer en vigueur sa loi sur l’accès à l’information. Celle de l’Ouganda, promulguée le 7 juillet 2005, est appliquée depuis le 20 avril 2006. D’autres disposent de projets de loi, mais le décompte est maigre. Le Centre Carter note que 80 pays à travers le monde ont un droit légal et exécutoire à l’information, dont cinq seulement en Afrique. Cependant, «un quart des pays d’Afrique subsaharienne ont à l’étude des projets de législation sur l’accès à l’information».

Si le processus tarde, cela ne peut être que le fait d’une faible volonté politique. En effet, le cadre juridique régional existe, en complément des textes internationaux comme la Déclaration universelle des Droits de l’homme, ou encore la Convention des Nations Unies contre la corruption. C’est ainsi que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuple, stipule, dans son article 9 alinéa 1, que «toute personne à droit à l’information». S’y ajoute la Déclaration de Principes sur la liberté d’expression en Afrique, de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

Par ailleurs, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des peuples, a renouvelé et élargi, en 2007, le mandat du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression en Afrique.

Devant les retards à légiférer, on évoque une culture de la confidentialité pour renvoyer aux traditions africaines qui font que seuls savent et doivent savoir les initiés, les membres du clan, du groupe, etc. On dédouane aussi l’Etat en évoquant le manque de ressources permettant de mettre en place les instruments et mécanismes adaptés à un accès libre et généralisé à l’information. Ici ou là, les archives sont mal tenues voire inexistantes, ailleurs les nouvelles technologies ne sont pas encore de mise pour faciliter la satisfaction des besoins du public dans les meilleures conditions. Une autre raison voudrait que les populations n’aient qu’une conscience mineure de ce droit.

En effet, le droit à l’accès à l’information est souvent ramené à l’exercice de la liberté de la presse, pour en faire la seule préoccupation (ou la priorité) des journalistes. Or, elle va bien au-delà. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle qui entre dans la promotion d’une culture des Droits de l’homme. Tout comme il est question de «respecter cette obligation qui est faite à un gestionnaire de démontrer qu’il a géré ou contrôlé en conformité avec certaines conditions explicites ou implicites les ressources qui lui ont été confiées et la bonne gouvernance, notamment par l’éducation du public» (1).

Si des processus s’enclenchent depuis quelques années dans certains pays africains, pour consacrer le principe et aller vers la promulgation de lois sur l’accès à l’information, cela résulte pour beaucoup de l’engagement de la société civile. Les initiatives sont souvent sectorielles à ce niveau, mais elles convergent. Que ce soit pour exiger la transparence dans les contrats de prospection, d’exploitation et de gestion des ressources tirées des industries extractives, que ce soit pour la lutte contre la corruption, ou encore pour le respect des règles dans les marchés publics, etc., la pression des organisations locales et internationales pousse de plus en plus les autorités à un devoir d’explication et partant, d’information du public.

Mais tout cela est à codifier, à structurer dans des cadres juridiques qui garantissent non seulement le droit du public, mais protègent aussi ceux qui accomplissent leurs devoirs de veille, de collecte, de contrôle et de diffusion de tous les faits et actes administratifs dans lesquels l’Etat, ses agents, les institutions internationales, le secteur privé local et les multinationales agissent au nom des citoyens.

Un des principes les plus importants, en la matière, devrait être d’éviter d’exclure les populations marginalisées. L’accès à l’information est une belle opportunité pour sortir ces dernières de leur isolement, plutôt que de renforcer la fracture qui les isole avec la centralisation des moyens de connaissance et des pouvoirs de décisions au sein d’un groupe parfois minoritaire mais dominant.

Dans un continent où le taux d’analphabétisme dépasse parfois les 70 %, l’accès à l’information doit reposer sur des moyens, des mécanismes, des supports et des espaces qui favorisent la participation populaire et citoyenne, dans le respect des droits des plus vulnérables. Si un rapport sur la corruption intéresse un public particulier, la femme rurale a aussi besoin de savoir comment et à quel coût accéder aux soins de santé reproductive.

Les contextes et les processus politiques guident souvent les Etats dans l’élaboration des cadres légaux et institutionnels. Pour l’accès à l’information publique par les citoyens, les motifs de rigueur ne manquent pas. Mais plus que des normes, la transparence repose sur des valeurs. Elle n’est pas seulement le luxe d’une démocratie qui affirme sa maturité, elle participe du respect et de la promotion des droits humains. Et surtout, elle place le citoyen au cœur de l’action publique. Tous les citoyens.

Note

(1) - Amadou C. Kanouté : Séminaire Panos-Forum Civil sur l’accès à l’information publique au Sénégal : Plaidoyer pour une loi d’accès à l’information

* Tidiane Kassé est le rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News

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