Aide, résistance et pouvoir des homosexuels

Si l’aide ne sert pas les intérêts des peuples africains, comme de l’aide conditionnelle serait-elle un moyen en faveur de la justice sociale en Afrique ?

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Les Lesbian Gay Bisexuel Transsexuel (LGBT) africains sont actuellement au cœur d’attaques en nombre croissant de la part des conservateurs (oserai-je dire fascistes ?), perpétrés principalement par la classe dirigeante en collusion avec, et souvent financées par les forces globales de droite, utilisant l’appareil de l’Etat et des institutions tel que l’Eglise. Les forces africaines progressistes, au travers de mouvements LGBT et homosexuels, ainsi que les alliés féministes, universitaires, militants des droits humains et de communautés pour la justice sociale ont résisté à cet assaut et tenté d’apporter un nouveau regard et un nouveau discours sur les questions des LGBT en Afrique, en les plaçant en particulier dans un contexte de lutte des classes sur le continent où la régression démocratique va s’aggravant.

Au vu de cette situation, les tentatives globales de solidarité avec les LGBT africains et les communautés ont porté ces questions sur le devant de la scène, à un niveau international. Les politiciens occidentaux, souvent à la demande de la société civile en Europe et aux Etats-Unis, ont réagi de différentes manières, y compris la menace de lier l’aide au développement à la protection des droits humains des LGBT. Ces tentatives n’ont pas toujours rencontré l’approbation des communautés ou mouvements LGBT en Afrique.

Afin de comprendre une partie de cette résistance, à l’intérieur du mouvement homosexuel, à l’utilisation du bâton à l’intention des gouvernements africains pour qu’ils changent leur politique et les lois concernant les LGBT, nous devons déconstruire et comprendre le fondement de l’aide en Afrique en général, ainsi que le contexte et la politique d’organisation des homosexuels.

Dans les années ‘50, alors que l’Afrique obtenait son indépendance et tentait d’établir un alignement Sud-Sud à l’écart des allégeances de la Guerre Froide, le paradigme du développement à pris de l’ampleur dans les affaires internationales avec les Etats-Unis, qui se présentaient eux-mêmes comme les bienfaiteurs autant de l’Europe détruite suite à la Deuxième Guerre Mondiale que de ses anciennes colonies. L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) a aussi cherché à faire des alliances idéologiques basées sur les principes socialistes et leurs effets.

Pendant que la guerre était " froide" pour la majeure partie du monde, elle était cataclysmique en Afrique où des gouvernements légitimes ont été renversés, des guerres par procuration alimentées, les ressources naturelles exploitées et les économies dévastées. Le capitalisme n’offrait pas grand-chose en termes de droits économiques et sociaux des masses, à la différence de la lutte pour l’indépendance. Ce qu’il a offert revenait à de "l’aide et du développement", pendant que ses défenseurs libéraux s’appesantissaient t sur les vertus d’un genre particulier de démocratie et de droits humains (les droits civiques et politiques).

La fin de l’URSS allait permettre la dominance du capitalisme libéral et donc la dominance de l’aide et du développement dans le discours des relations Nord-Sud globales. C’est avec fracas que les nations développées continuent de promettre des sommes d’argent significatives à des fins d’aide à des pays du Sud global, mais nulle part autant que sur le continent africain. Toutefois, une grande proportion de l’aide promise à l’Afrique ne se matérialise pas, tandis qu’une autre grande partie de cette aide profite aux pays donateurs, étant liée à des services et des produits provenant de compagnies établies dans les pays donateurs. La majeure partie de l’aide étrangère a été fournie sous forme de prêts associés à des taux d’intérêt élevés et créant ainsi une crise de la dette écrasante qui a perpétué le sous-développement des économies africaines.

Aujourd’hui, l’Afrique paie pour rembourser le service de la dette plus qu’elle ne reçoit d’aide des pays occidentaux et des blocs : il est estimé que là où l’Afrique reçoit moins de 13 milliards de dollars d’aide par année, elle dépense 15 milliards en remboursement de la dette. Pour chaque dollar qu’un pays africain reçoit sous forme de prêts, il en paie 13 en intérêts pour cette dette. Alors que les conditions attachées à l’aide concernent la protection et la promotion des droits humains, la majorité des conditions sont élaborées afin de consolider la dépendance aux pays donateurs, en créant, par exemple, des préférences commerciales, des privilèges exclusifs pour des contractants,etc.

Par conséquent, l’aide, telle qu’elle est actuellement conçue entre l’Occident et l’Afrique, ne suffit pas pour redresser les conditions qui maintiennent le niveau de pauvreté en Afrique, bien que le continent soit l’un des plus riches en matières premières. Au contraire, la crise de la dette et de l’aide reflète les relations passées et présentes de l’Afrique avec le reste du monde. En résumé, il s’agit là d’une relation de pouvoir basée largement sur la dépendance et l’exploitation. J’ai argumenté ailleurs (1) que plutôt que de souhaiter réviser l’architecture de l’aide, les énergies africaines devraient s’investir dans le commerce équitable, les réparations et l’annulation de la dette odieuse.

Donc si l’aide ne sert pas les intérêts des peuples africains, comment l’aide conditionnelle pourrait-elle être un instrument pour la justice sociale en Afrique ? Le discours des droits humains a été salué par les démocrates libérales occidentales qui supposent qu’elles doivent forcer et contraindre l’Afrique à comprendre des notions d’égalité et de justice sans reconnaître les effets dévastateurs des politiques économiques néo-libérales globalisées et les limites des démocraties électorales tel que pratiquées par les Etats à deux partis, avec une seule idéologie acceptable. Au cours de la dernière décennie, la question des LGBT est clairement entrée dans l’arène géopolitique. En Afrique, les homophobes font usage de la notion même de citoyenneté et d’identité africaine dans leur rhétorique d’exclusion et d’oppression des personnes et des communautés LGBT. Ceci ne survient pas en l’absence d’oppression.

En effet, la régression démocratique et la récession économique qui nous menacent ont entrainé une consolidation systématique des diverses formes d’oppression. Dans ce cadre, l’oppression qui tente d’exercer le pouvoir sur les corps et la sexualité gagne du terrain dans un Etat de plus en plus fondamentaliste, avec une rhétorique religieuse basée sur un pouvoir populiste. Du côté positif, les questions LGBT ont gagné du terrain dans les arènes internationales, sur la base d’un baromètre qui détermine les "bons pays libéraux" contre "les arriérés". Avec des connotations racistes concernant les "barbares"et les "non civilisés", il a été écrit que les "cultures"et "traditions" des peuples noirs et bruns du monde ne sont pas encore suffisamment civilisées pour tolérer des homosexuels et des lesbiennes. Sur la base de ce postulat les "droits des homosexuels" (terminologie utilisée comme si elle devait suffire à englober la diversité collective de l’égalité et de la libération des LGBT), sont devenus un mauvais argument pour gouvernements occidentaux, qu’ils utilisent bruyamment à des fins politiques.

Ceci est regrettable, parce derrière ces efforts des gens s’efforcent de se montrer solidaires avec les communautés LGBT et les populations dans le monde entier. Et c’est peut-être maintenant le moment où nous entamons une discussion sur notre compréhension d’une authentique solidarité et comment la réaliser.

Se voyant critiqués par les mouvements africains LGBT concernant leur déclaration sur le retrait de l’aide, certains gouvernements occidentaux ont considéré une redirection d’une partie de l’aide vers des mouvements de la société civile qui travaillent pour les droits et l’égalité des LGBT. Tous les mouvements nécessitent des financements et il court un mythe qui veut que les mouvements LGBT en Afrique sont inondés d’argent et vont continuer à l’être en raison de l’intérêt particulier que leur accordent les gouvernements occidentaux. En réalité c’est le contraire qui est vrai : avec très peu de moyen, les mouvements LGBT africains ont fait des progrès considérables. Si le financement est une véritable stratégie de solidarité, les mouvements africains LGBT doivent se voir accorder l’espace pour décider leurs propres priorités. En dépit des opinions divergentes qui vont inévitablement surgir, il y a certaines priorités sur lesquelles tout le monde peut se mettre d’accord. Le mouvement doit aussi commencer à se mettre d’accord pour décider des critères pour que l’argent soit acceptable compte tenu du contexte politique dans lequel le mouvement opère et s’efforce d’avoir un impact.

L’aide conditionnelle, liée aux droits des LGBT, est actuellement utilisée pour soutenir une minorité vulnérable, mais cette démarche, qui a cours sans concertation, ignore les effets pervers qu’une telle action aurait sur les LGBT africains. Tous les Africains souffriraient si, par exemple, nos systèmes d’éducations et de santé devaient subir des dégradations supplémentaires. De plus, la rétention ou la menace de rétention de l’aide étrangère ne feraient que renforcer l’argument qui veut que l’homosexualité soit une construction occidentale. Et bien entendu, les homophobes, sachant pertinemment que l’argument est fallacieux, encouragent ce lien comme lorsque le président Museweni a parlé de retirer la proposition de loi anti-homosexuel, et a ignoré ou occulté les grands mouvements africains et ougandais qui luttaient contre cette proposition de loi, mais a considéré uniquement la pression occidentale, ce qui a entraîné quelques retours de flammes.

Un mouvement homosexuel africain émergeant s’engage dans ce contexte, non pas du point de vue des "droits des homosexuels" mais de celui de leur libération. Tenter de démanteler les notions binaires de genre et de sexualité afin de parler de pluralisme et de complexité. Ce mouvement s’efforce de ne pas séparer la question des LGBT du spectre plus large des problèmes qui affectent tous les Africains y compris les homosexuels africains. Ce qui signifie que ce qui affecte les Africains négativement est en effet mauvais pour les homosexuels africains et vice-versa.

Il y a des myriades d’opinions dans le mouvement LGBT concernant l’utilisation de l’aide comme tactique. Il s’agit d’une situation normale, qui reflète la pluralité et les nombreuses facettes d’un mouvement en croissance permanente. De la même manières les sanctions contre l’Afrique du Sud étaient devenues une tactique des forces de libération qui a généré des débats jusqu’à construire un consensus interne : est-ce que les effets pour la population noire pouvaient être compensés par une victoire potentielle contre le système de l’Apartheid ? De même, il y a des tactiques qui doivent être débattues, discutées et décidées à l’intérieur du mouvement LGBT africain. Lorsque des mesures difficiles sont prises, qui auront un impact sur des communautés et des nations entières, elles doivent être prises avec précaution, en dernier recours et non sans consultations avec ceux directement affectés.

Toutefois, alors que la question de l’aide en faveur des droits et de l’égalité des LGBT est en discussion, des changements significatifs dans la géopolitique globale rend ces discussions presque futiles. Avec les puissances "émergentes" qui détiennent autant de pouvoir économique et politique que les anciennes puissances coloniales, le système d’assistance internationale est susceptible de subir une transformation significative et la notion d’aide conditionnelle pourrait devenir obsolète. Dans ce contexte, le mouvement homosexuel africain doit de nouveau considérer la manière de contracter des alliances globales, avec qui et avec quelles tactiques et doit continuer à s’engager courageusement sur la question de la nature d’une authentique solidarité avec tous ses partenaires

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS




* Hakima Abbas est la Directrice exécutive de Fahamu - Réseau pour la justice sociale
Cet article a d’abord été publié dans Sxpolitics. Il a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger


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