Angola : la politique de reconstruction nationale par la démolition

Le 8 mars a marqué le début de «l’opération combat et démolition des bidonvilles et des constructions anarchiques de la municipalité de Lubango», dans la capitale de la province du sud-ouest de la province de Huíla en Angola. Jusqu’ici, 2000 maisons ont été démolies le long de la voie de chemin de fer de Moçâmedes (CFM), en construction depuis 2005 et qui va reconnecter la ville portuaire côtière de Namibie à la province méridionale de Kuando Kubango, en passant par la province de Huíla. Un chantier qui entre dans le cadre du programme de reconstruction nationale. Quelque 1000 autres maisons subiront le même sort dans la deuxième phase de l’opération.

Ce n’est pas la première fois que des démolitions à grande échelle ont lieu en Angola. Une activité qui, ô ironie du sort, fait partie des efforts de reconstruction engagées par le gouvernement à la suite d’une guerre civile qui a duré plus de trois décennies. Au cours de la campagne électorale de 2008, le président angolais, José Eduardo dos Santos, avait promis de construire un million de maisons réparties dans les 18 provinces, et ce jusqu’en 2012. Après les élections, la révélation est tombée, selon laquelle la majorité de ces maisons devront être construites par les citoyens eux-mêmes sous l’égide du programme gouvernementale «d’auto construction».

Le coût moyen minimal de construction en Angola est d’environs 300 $ par mètre carré, cependant que plus de la moitié de la population vit toujours avec moins de 2$ par jour. Dans l’intervalle, les «maisons illégales» continuent à être démolies dans la capitale, Luanda (selon une estimation, 3000 foyers ont été démolis, affectant 15 000 personnes en 2009), ainsi que, de plus en plus, dans des provinces de l’intérieur du pays comme la province côtière de Benguela et récemment Huíla. Il s’agit ainsi de préparer le terrain pour de nouvelles constructions publiques ou des projets d’infrastructure

Bien que la Constitution de l’Angola récemment approuvée garantisse et mette le gouvernement en demeure de promouvoir le droit au logement et à la qualité de vie (art. 85), des quartiers entiers continuent de manquer d’eau et d’électricité. L’attitude arrogante et négligente du gouvernement à l’égard de ce droit est illustrée par les récentes démolitions à Lubango qui n’ont pratiquement pas retenu l’attention des médias nationaux.

Selon des ONG locales, 3000 familles ont été expulsées à ce jour et hébergées de façon temporaire dans des écoles et des stades, avant leur transfert de force à Tchavola, un endroit à 9 km du centre de la ville de Lubango où il est attendu qu’ils reconstruisent leur vie. Bien que la zone soit interdite aux journalistes, le journal indépendant Novo Jornal a réussi à découvrir, au cours d’une visite officielle des responsables du CFM en novembre 2009, que les gens s’étaient vus notifier concernant leur prochain délogement en même temps qu’on leur promettait de nouvelles maisons. Il apparaît maintenant que ces maisons doivent être construites par les gens eux-mêmes sur des terrains qu’ils doivent acheter au gouvernement provincial pour la somme de 250 $ chacun. Il y a aussi eu des rapports alléguant qu’une partie des terrains assignés sont des terres agricoles, ce qui a généré des tensions entre les familles déplacées et les habitants autochtones de Tchavola.

Jusque là, seules 700 tentes ont été distribuées afin que les familles de Tchavola aient un abri temporaire. Les enfants ne vont pas à l’école et les parents, parmi lesquels des enseignants et des fonctionnaires, ne vont pas travailler, voulant quitter la région. Les conditions sanitaires de base font défaut : il n’y a que des latrines et peu ou pas d’accès à l’électricité, à la nourriture, à des couvertures. Les conditions sont encore aggravées par des pluies fréquentes et importantes. Des vols ont lieu la nuit parce qu’il n’y a pas de force de sécurité. Il a été rapporté que sept personnes ont perdu la vie, dont deux enfants.

Dans un entretien accordé à Novo Jornal, le gouverneur de la province de Huíla, Isaac dos Anjos, justifie les expulsions et les mauvaises conditions à Tchavola comme faisant partie d’un nécessaire respect de la loi qui est plus important que toute considération humanitaire. «Le temps ne s’arrête pas. Nous devions continuer l’opération comme prévu, que les conditions soient optimales ou non», défend-il. Les citoyens qui déclarent posséder des documents officiels de la municipalité, affirmant un droit légal de résidence et le droit à la compensation pour leur perte, restent les mains vides en raison de l’Article 95 de la Constitution récemment approuvée, ainsi que l’Article 25 de la Loi sur la Terre, qui affirme que la terre est propriété de l’Etat et que les constructions sans autorisation sur le domaine public constituent une violation de ces lois. Selon le gouverneur, ces actes de corruption ne peuvent être récompensés et «les gens doivent assumer la responsabilité de leurs actes».

Dans l’intervalle, des excuses et des compensations ont été offertes aux victimes des expulsions à Lubango, au nom du parti au pouvoir, le MPLA, par le deuxième secrétaire de la province de Huíla, Virgílio Tyova. Le maire de la ville de Lubango est aussi intervenu et a reconnu qu’il aurait fallu suivre les procédures édictées par la Résolution 37/2009 de l’Assemblée Nationale datant de septembre 2009 et concernant les démolitions, expulsions et remplacements, ce qui aurait garanti de meilleures conditions aux familles expulsées.

Dans un entretien radiophonique à la Voix de l’Amérique, le gouverneur Dos Anjos a expliqué que ces déclarations découlent du désir de se démarquer des actions du gouvernement qui pourraient les faire apparaître sous un mauvais jour (eux et le parti), et a demandé la démission du maire de Lubango. Auparavant, le gouverneur avait déjà déclaré qu’aucun des fonctionnaires de la Commission d’intervention provinciale, créée pour « l’expulsion de citoyens occupant des espaces publics», incluant des fonctionnaires des autorités provinciales dans le domaine de la finance, de la santé, de la sécurité, de l’assistance sociale, des travaux publics, du logement et des transports n’avaient assumé leurs responsabilités au début des opérations, laissant le gouverneur seul à conduire le processus de démolition sur le terrain.

Le gouvernement central semble aussi avoir laissé le gouverneur Dos Anjos se débrouiller pour faire le sale boulot afin de préserver sa propre image. Cependant que le ministre du développement urbain et de la construction, José Ferreira, participait au 5ème Forum mondial de l’urbanisme au Brésil (au cours duquel la volonté d’ouvrir prochainement un bureau de UN-Habitat en Angola, a été réitérée), les drapeaux du MPLA ont été brûlés par la population dans le quartier de Sofrio à Lubango. Le gouvernement central a alors ordonné un arrêt des démolitions, indiquant ainsi que toute l’opération avait été ordonnée au sommet. Par la suite, la démolition a repris mais en se limitant aux habitations dans un périmètre de 25 à 30 mètres autour du chemin de fer, au lieu des 50 mètres préalables, épargnant ainsi environs 100 maisons.

La société civile, les dirigeants de l’opposition ainsi que l’Eglise catholique en la personne de l’archevêque de Lubango, se sont élevés contre les démolitions et ont reçu des témoignages de soutien du monde entier. Ceci est une réussite remarquable pour la société civile angolaise et ses avocats. L’ONG OMUGA attend l’autorisation de la justice pour organiser une marche de solidarité avec les victimes de la démolition et des expulsions forcées en Angola, prévue pour le 25 mars. Cette marche avait été interdite par le gouvernement provincial de Benguela, mais OMUGA a déclaré qu’elle aurait lieu, quelle que soit la décision de la justice, revendiquant ainsi son droit de manifester.

* Sylvia Croese est une chercheur-consultant indépendent néerlando-angolais base à Luanda.

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