Après Moubarak : quel futur pour l’Egypte?
Pendant que tous les regards restent tournés vers l’Egypte et les évènements qui s’y déroulent, Khadidja Sharife examine le rôle des militaires lors du soulèvement et ce qui peut être leur rôle politique dans les évolutions futurs.
Les leçons apprises par les autorités au Caire font écho à celles apprises trop tard par les autorités à Tunis : la répression de la dissension n’est pas si facile lorsque les réseaux sociaux et les blogueurs citoyens peuvent accéder à une audience globale en quelques jours. Mais quel est le point de vue des militaires égyptiens qui ont gardé profil bas quant aux changements qui actuellement déferlent sur le pays ?
Il était sans doute impossible pour les autorités égyptiennes d’empêcher le soulèvement de millions de citoyens dans un pays caractérisé par de stupéfiantes inégalités, par des violations des Droits de l’Homme et par la corruption. Ceci était particulièrement vrai après le soulèvement dans la Tunisie voisine, qui a entraîné si vite la chute du régime du président Zine el Abidine Ben Ali. Selon les estimations, il pourrait y avoir eu jusqu’à deux millions de protestataires lors de certaines manifestations pour la seule ville du Caire. Une nation, qui ne cherche pas habituellement la confrontation, s’est réveillée pour revendiquer ses rues, ses droits humains, sa dignité.
A beaucoup d’égard, la résistance soutenue des jeunes qui tiraient leur force de leur courage et de leur conviction, de leur rage et de leur désespoir, est une véritable Intifada née de l’ancien et du nouveau. Les méthodes de communication traditionnelles comme les pamphlets, les fax, le téléphone fixe et les réunions clandestines dans les foyers, au coin des rues et dans les mosquées, ont été augmentées par les congrégations virtuelles sur les sites des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter.
Ces réunions cybernétiques ont l’avantage évident d’éviter les dangers liés à des points de rencontre géographiques fixes. A une époque où l’information circule à la vitesse de la lumière, l’Internet a permis à l’ensemble du corps social de montrer les dents. A l’inverse, Internet est aussi le moyen par lequel les Etats répressifs peuvent identifier les militants et les combattre.
En Iran où le taux de pénétration d’Internet est estimé à 35%, la plupart de ses services ont été interrompus pendant la période de troubles. Néanmoins, le gouvernement a généralement permis à ses citoyens l’accès continu à Twitter, comme moyen de rassembler des informations sur les contestataires.
En Tunisie, Facebook a joué un rôle déterminant lorsque le vendeur de fruits de 26 ans, Mohamed Bouazizi, qui s’est immolé par le feu en protestation au harcèlement continuel de la police, a laissé un message sur le réseau social demandant pardon à sa mère. Après que le réseau d’info de Al Jazeera ait relevé le message, la prise de conscience globale s’est accélérée et la rébellion tunisienne ainsi générée a connu un momentum rapide.
Les écrits des citoyens versus le contrecoup du gouvernement
Les évènements extraordinaires qui se sont déroulés récemment en Tunisie et en Egypte ont été documentés largement grâce aux réseaux sociaux citoyens - un substitut pour le reportage traditionnel suite à la suspension de nombreuses publications - qui ont permis aux citoyens ordinaires de raconter leur propre lutte. De plus, les médias traditionnels ont souvent utilisé les récits des citoyens comme méthode de transmission de l’information, nivelant le terrain de jeux dans des pays comme l’Egypte, l’Arabie saoudite, l’Iran et Israël où les infos sont grandement influencées, sinon à la solde du régime au pouvoir.
Ä la différence de la Tunisie, où environ un tiers de la population a accès à Internet, le taux de pénétration en Egypte est inférieur, autour des 15%. Par ailleurs ceux en Egypte. Tels les adeptes du Mouvement Facebook du 6 Avri (April 6 Facebook Movement), qui voulaient accéder à ces sites, ont eu à faire face à de nombreux obstacles. Parmi ceux-là, le plus important découle du fait que l’octroi des licences aux opérateurs des services Internet est l’apanage du gouvernement, ce qui lui permet d’accéder aux données des utilisateurs et de connaître l’endroit où ils se trouvent. Il peut alors aussi interrompre la connexion sans préavis.
Ceci rend la vie difficile pour des personnes comme Wael Ghonim, le patron du marketing de Google pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord. Ghonim a été libéré après une semaine en prison, pour avoir participé, le 25 janvier, à des manifestations organisées par le April6 Movement. Il a rejoint les contestataires de la place Tahrir et est reparti en ligne droite sur Twitter.
Comme dans le cas de la Tunisie, Wikileaks a révélé des informations qui disent que les Etats-Unis ne considèrent pas Ben Ali comme un allié et préférerait sa destitution. Washington a longtemps collaboré avec les principaux dirigeants du April 6 Movement. Les révélations de Wikileaks confirment qu’un changement de gouvernement avait été prédit pour 2011 qui permettrait des négociations avec d’autres partis.
Généralement décrit dans les médias américains comme étant un moindre mal, le règne du président Hosni Moubarak a longtemps été justifié par les Etats-Unis le fait qu’il dirige un pays considéré comme un bastion contre l’islam militant. Mais au cours de ces dernières années, les blogueurs qui revendiquaient des changements démocratiques ont battu en brèche ce mythe. Un des blogueurs égyptien anglophone les plus connus, Sandmonkey, a été arrêté le 2 février alors qu’il apportait du matériel médical sur la place Tahrir. Il dit avoir été brutalisé en prison et son blog a été suspendu jusqu’à sa libération le lendemain.
Les militants peuvent accéder à une notoriété globale
Dans un de ses précédents blogs, il décrivait son extrême fatigue pour avoir couru pendant des jours. Il écrit : ‘’ la situation est sombre ici, pour le moins qu’on puisse dire. Cela n’avait pourtant pas commencé comme ça. Le mardi 25 janvier, tout avait commencé très paisiblement. Contre toute attente nous avons réussi à rassembler des centaines de milliers de personnes et à les amener à la place Tahrir, malgré les attaques de la police anti-émeute qui faisait usage de bâtons, de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc à notre encontre.’’
Sandsmokey continue : ‘’ On m’a tiré dessus deux fois ce jour-là. Une fois par un clampin avec une arme semi-automatique dans une voiture sur laquelle nous, le peuple, prenions plaisir à taper. Le gouvernement a annoncé que de toutes les prisons, les prisonniers s’étaient échappés et que, d’une façon ou d’une autre, ils avaient réussi à se procurer des armes et ne faisaient rien d’autres que d’attaquer les gens sans discrimination aucune. Un jour, nous nous sommes faits attaquer par une bande de voyous en uniforme qui a ouvert le feu contre nous. Le jour suivant ils avaient disparu et ont été remplacés par une bande de voyous sans uniforme qui faisait feu sur nous. Curieusement personne n’a fait le rapprochement.’’
Il était aussi supposé que Ahmed Maher, un des dirigeants du April6 Movement, dont les plans de manifestations ont été régulièrement interceptés par les agents de sécurité, a été arrêté et détenu. Dans un entretien du 2 février avec Wired Magazine, Maher nie avoir été arrêté et refuse de dire s’il a été brutalisé par la police.
Revenez deux ans en arrière. Le 6 février 2009, Philip Rizk, un cinéaste égypto-allemand a été enlevé par des agents des services secrets alors qu’il était dans un commissariat de police dans la ville de Qalyubia au nord du Caire. Rizk a été arrêté alors qu’il faisait campagne pour le soutien humanitaire en faveur de Gaza. Il dit avoir été emmené dans un endroit secret, trois étage en sous-sol et constamment interrogé sur ‘’mon militantisme, mes écrits et tout’’. Il a été libéré après avoir été détenu pendant 4 jours.
Il est peu probable que Rizk ait été libéré si tôt - si même il l’aurait été - si tous ses amis et collègues n’avaient pas monté une campagne internationale qui a attiré l’attention du New York Times. Ces enlèvements n’ont rien d’extraordinaire en Egypte où les détenus sont régulièrement emprisonnés sans procès et sans représentation légale.
Quel est le rôle actuel des militaires en Egypte ?
Sous le couvert de réforme au niveau de l’Etat, les militaires se sont encore davantage implantés dans le Cabinet égyptien nouvellement nommé. Lorsqu’on l’interroge sur l’élévation au rang de vice-président d’Omar Souleymane, ancien chef du renseignement égyptien et bras droit de Moubarak, Rizk confie à « Africa Report » que ‘’ les Egyptiens appréhendent la situation pour ce qu’elle est, c'est-à-dire une absence de changement. Aussitôt sa nomination annoncée, les protestataires étaient dans les rues pour manifester contre Souleymane identifié comme un homme du régime.’’
Si les militaires ont été dépeints par les médias internationaux comme sympathisant avec les protestataires et les protégeant, on ne sait pas grand-chose sur qui contrôle les militaires. Spécialiste de l’Egypte, Joshua Stacher de l’université de Kent State a récemment confié à CNN que ’’ le refus des militaires d’agir est un acte hautement politique, qui montre qu’ils permettent au régime égyptien de se reconstituer au sommet. Dès lors, se positionnent absolument et complètement contre les protestataires’’.
Mais est-ce que les Etats-Unis vont avoir une bonne lecture de la situation ? Si les militaires soutiennent le pouvoir et reçoivent annuellement environs 1,3 milliard de dollars des Etats-Unis - la deuxième contribution la plus importante de Washington, la première allant à Israël- qui est responsable de la dictature de Moubarak ?
Selon Na’eem Jeenah, directeur exécutif du think tank Afro-Middle East Centre, basé à Johannesburg,’’ l’idée même qui a circulé ces jours derniers, selon lequel les soldats sont des protecteurs bienveillants, est un mythe. Dans les échelons inférieurs et moyens, il y a sans doute un potentiel de mutinerie. Mais ce à quoi nous assistons véritablement c’est à l’éviction des hommes d’affaires et le retranchement des militaires qui leur permet de s’assurer du contrôle du nouveau gouvernement.’’ Pour Jeenah, qui s’est confié à Africa Report, les militaires ont longtemps contrôlé les secteurs-clé de l’économie politique du pays et ont ‘’ un plan bien élaboré aussi bien en ce qui concerne le rythme que le moment du changement afin de pouvoir jouer un rôle dans le gouvernement et l’économie.’’ Et d’ajouter : ‘’Une fois le soleil couché, l’armée ira chasser les protestataires.’’
Même sans Moubarak, sa figure de proue, la machine qu’il a mise en place continuera sur sa lancée et reproduira les mêmes tactiques répressives et brutales. Les médias sociaux peuvent servir de chiens de garde, à la condition que le gouvernement égyptien l’accepte, mais qui en Egypte réagira aux chiens de garde ?
* Cet article de Khadidja Sharife a d’abord été publié dans The Africa Report - Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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