Côte d'Ivoire : Quelques bonnes raisons pour ne pas voter Gbagbo

Les Ivoiriens vont voter le 28 novembre pour le second de l’élection présidentielle. Face à Gbagbo, Alassane Dramane Ouattara va se présenter fort du soutien que lui a apporté Henri Konan Bédié. Ironie du sort, c’est ce dernier qui, au temps où il était président, avait développé le concept de l’«Ivoirité» pour déchoir son allié d’aujourd’hui de sa nationalité ivoirienne. Mais pour Venance Konan, ces péripéties ne sont des détails d’histoire, devant l’Histoire que les Ivoiriens peuvent écrire avec le ticket ADO-Bédié.

« L’émotion est nègre et la raison hellène », disait Senghor. Il voulait dire par là que nous, Africains, réagissons beaucoup plus à l’émotion qu’à la raison. Que les Ivoiriens fassent mentir Senghor, à l’occasion de ce second tour de notre élection, en réagissant plus avec notre raison qu’avec nos passions.

Notre pays se déchire depuis plus de dix ans, parce qu’une partie des Ivoiriens avait voulu rejeter une autre avec laquelle elle vivait pourtant en bonne intelligence depuis des lustres. Concédons que c’est Bédié qui avait ouvert la boîte de Pandore avec l’ivoirité. Mais c’est le même Bédié qui demande de la refermer aujourd’hui. Allons-nous la maintenir ouverte, pour prolonger les souffrances de ce peuple ?

Pendant plus de dix ans, pendant qu’en Afrique du sud Mandela tendait la main aux Blancs qui avaient inventé le sinistre apartheid, nous excluions une partie de notre population. Pendant qu’Obama, de père kenyan est en Indonésie et raconte son enfance dans ce pays où sa mère, blanche américaine, avait épousé un Indonésien, allons-nous laisser les extrémistes rétrogrades de notre pays nous ramener cinquante ans en arrière ?

Sortons de nos forêts et regardons notre pays. Le père de Ouattara vient de Sindou, au Burkina Faso ? Oui, et alors ? Les frontières de notre pays avaient été tracées par le colonisateur. Lorsqu’il lui avait plu d’inclure une partie du Burkina Faso actuel dans la Côte d’Ivoire d’alors, avions-nous protesté ? Lorsqu’il lui a plu de détacher cette partie du Burkina Faso, avions-nous réagi ? Pourquoi ne chercherions-nous pas à recomposer nous-mêmes notre Côte d’Ivoire ?

Qui, dans cette Côte d’Ivoire n’a pas dans sa famille quelqu’un dont un parent est venu d’au-delà de nos frontières actuelles ? Affi N’Guessan peut-il répondre à cette question ? Mamadou Koulibaly, pouvez-vous répondre ? Notre pays, comme tous les autres pays du monde, s’est formé avec des hommes et des femmes dont les ancêtres sont venus d’ailleurs. Depuis la nuit des temps, les hommes se sont toujours déplacés, pour des raisons économiques ou pour des raisons de sécurité.

Sortons de nos forêts et de nos savanes, et regardons le monde évoluer. Pendant que l’Europe se regroupe de plus en plus pour faire face à la mondialisation, pendant qu’il y a des Dakoury, Koffi, Koné, Yade, Diallo, des Obama, des Mouloud, des Ping de nationalité française, anglaise, ou américaine, gabonaise, allons-nous, nous Ivoiriens, céder aux discours ceux qui veulent présenter Ouattara comme un étranger ?

C’est curieux qu’ils aient oublié qu’ils étaient en alliance avec lui, l’étranger, en 1995, contre Bédié, et qu’ils ont organisé le boycott actif ensemble. Ouattara est étranger et ils l’ont laissé participer à notre élection présidentielle ? Voyons ! Mettons de côté les émotions puériles et agissons avec raison. Notre pays a été en crise parce que nous avions voulu traiter d’autres Ivoiriens comme des étrangers. Sortons de cette crise en nous acceptant tous.

Agissons avec raison en regardant notre pays. Dans quel état se trouve-t-il aujourd’hui ? En pleine décadence. Notre pays est devenu celui de l’immoralité à tous les niveaux, de la paresse, de l’impunité, de la corruption. Est-ce un tel pays que nous voulons léguer à nos enfants ? Sommes-nous fiers de vivre dans un tel pays que plus personne à l’extérieur ne respecte ? Sommes-nous fiers que le monde entier se torde de rire chaque fois que notre chef d’Etat ouvre la bouche ? Quelle culture le pouvoir actuel a-t-il inculqué à nos enfants ? Celle de la violence, de l’irrespect, de l’impolitesse, de la tricherie, du gain facile. Qui respecte encore une quelconque valeur ou autorité dans ce pays ? Quel jeune respecte encore un aîné, un chef ?

Même dans l’armée, des hommes de troupe ont osé battre des officiers, au point où l’un d’eux en est mort, sans subir la moindre sanction. Des étudiants ont osé battre des magistrats, tuer certains de leurs camarades, en violer, sans subir la moindre sanction. Sommes-nous fiers de vivre dans un tel pays ?

Moi je veux vivre dans un pays qui marche sur ses pieds et non sur la tête, un pays qui marche avec les autres pays du monde, à commencer par ses voisins, et non contre eux. On nous chante qu’on va nous donner la vraie indépendance. Peut-on être indépendant quand nos enfants ne peuvent pas aller correctement à l’école, parce que le pouvoir subventionne une mafia appelé FESCI (Ndlr : Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) ? Allons, allons, chers compatriotes ! Avez-vous vu dans quel état se trouvent nos universités et nos grandes écoles qui ont servi à former nos élites d’aujourd’hui, celle qui fait encore tourner ce pays malgré tout, et qui devraient former celles de demain ? Quelles élites sortent-elles de nos écoles aujourd’hui ? Quel pays nous attendons-nous donc à avoir ?

M. Gbagbo nous dit qu’il n’a rien pu faire à cause de la guerre. Il a pourtant englouti tout l’argent de notre pétrole dans la construction de palais à Yamoussoukro, pendant que ses proches bâtissaient des colossales fortunes. A quoi cela nous sert-il d’avoir de beaux palais lorsque nous vivons dans la misère et que nos enfants n’ont pas de travail ? Ivoiriens, soyons lucides pour arracher notre pays dont nous étions si fiers des mains de ceux qui l’ont rabaissé au rang d’un pays quelconque.

Que nos jeunes frères et sœurs réfléchissent bien. Notre pays n’a pas besoin d’un chef qui mange de la banane braisée au coin d’une rue ou qui sait danser. Nous avons trop dansé. Il est temps que notre pays se remette au travail pour que, eux, les jeunes y aient un avenir et qu’ils ne soient pas tentés, comme bien d’autres jeunes d’aujourd’hui, de traverser le désert ou l’Atlantique pour aller à la recherche d’un illusoire paradis. Ce pays peut être un paradis pour tous. A condition que nous taisions nos haines et nos rancœurs, et que nous nous donnions un chef qui a de solides compétences en économie et qui est respectable.

Alassane Ouattara est cet homme. Que les militants du PDCI qui hésitent encore sachent que le RHDP n’est que la recomposition du PDCI d’avant, celui qui avait bâti la Côte d’Ivoire prospère, fraternelle et respectée dans laquelle nous avons vécu. Le RDR et l’UDPCI sont sortis des entrailles du PDCI. Le MFA est venu les rejoindre. Le RHDP, c’est la famille brouillée hier qui s’est réconciliée aujourd’hui. Ce sont les enfants d’Houphouët-Boigny qui se sont retrouvés. Alassane Ouattara au pouvoir, c’est le PDCI d’antan qui s’y installe. Que ces militants du PDCI n’oublient pas que c’est Houphouët-Boigny qui avait fait venir Ouattara lorsque le pays traversait une crise très aiguë.

* Venance Konan est écrivain et journaliste ivoirien

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