Cameroun : Eléments explicatifs d’un soulèvement populaire
http://www.pambazuka.org/images/fr/articles/46/46613map.jpgAu courant de l’année 2007, des dignitaires du parti au pouvoir et proches du Rassemblement du peuple camerounais (RDPC) relancent le débat engagé par ce camp au sujet de la modification de la Constitution, pour que l’actuel président du Cameroun puisse se représenter aux prochaines élections ; ce que la Constitution actuelle interdit. Cette initiative suscite une forte colère chez la plupart des citoyens, qui estiment qu’il s’agit d’un projet politique inadmissible et d’une escroquerie morale. Diverses forces politiques d’opposition menacent de descendre dans la rue.
Dans ce climat de tension, le gouverneur de la province du Littoral, basé à Douala, publie une décision à la fin de l’an 2007, interdisant les manifestations et autres occupations non autorisées de la chaussée. Ce qui est pris pour une provocation par de nombreux mouvements associatifs, syndicaux et politiques, et qui ravive le mécontentement suscité par l’affaire de la constitution.
Une chaîne de télévision et une radio indépendantes émettant de Douala sont interdites par l’administration en février 2008 pour des motifs règlementaires, alors que le principe officiel proclamé en la matière est celui de la « tolérance administrative ». Les populations, nombreuses à suivre ces médias (une radio et une télévision du même groupe), s’offusquent du fait que l’interdiction soit en réalité motivée par l’indépendance de la ligne éditoriale desdits médias qui organisaient des débats sur l’affaire de la Constitution. Débats libres dans lesquels des critiques sévères visaient le projet de révision constitutionnelle.
A cette conjoncture politico-administrative s’ajoutent des préoccupations économiques, sociales, éthiques et sportives. Il y a, par exemple l’« opération épervier », chargée d’inculper et de faire traduire en justice les grands détourneurs de fonds publics. Seulement, après l’incarcération d’une poignée de victimes, de ce qui ressemble fort à des règlements de comptes, l’opération ne se poursuit pas. Les populations en sont troublées et en sortent déçues.
Premièrement, elles souhaitent que les fonds récupérés auprès des détourneurs permettent de lutter contre le chômage endémique des jeunes. Ce qu’elles ne voient pas. Il faut dire que des milliers de diplômés de l’enseignement supérieur se retrouvent dans un chômage à durée indéterminée, sans parler des centaines de milliers de jeunes désoeuvrés des couches populaires, réduits à la « débrouillardise ».
Deuxièmement, elles veulent que tous les fonctionnaires richissimes s’expliquent sur l’origine de leur immense fortune. Ce qui ne se fait pas. Enfin, cette opération révèle la cruauté de la bourgeoisie camerounaise, qui a pillé sauvagement les caisses de l’Etat et qui nargue les gens. Biya lui-même est mis à l’index. Ce qui en dit long sur sa crédibilité et sur la rancoeur des populations.
Par ailleurs, depuis 2005-2006, des affaires d’homosexualité défraient la chronique au Cameroun. Il s’agit d’une pratique sexuelle que la moralité africaine réprouve. Or les scandales homosexuels signalés impliquent des ministres et autres hautes personnalités du système Biya. L’assassinat d’un jeune enrôlé dans ces moeurs par des bourgeois du parti au pouvoir, en plein Hotel Hilton à Yaoundé, il y a un an, a créé une vive émotion à travers le pays. Les enquêtes promises n’ont pas eu de suite. Le peuple est choqué d’être dirigé par un pouvoir homocratique et il lui en veut profondément.
Il y a aussi le phénomène de la vie chère au cours des années récentes, qui conclut le divorce entre gouvernants et gouvernés au Cameroun. Tout ce qui peut être classé parmi les denrées alimentaires, les produits de première nécessité, les articles et services de consommation courante, les matériaux de construction, a renchéri nettement. Ceci s’est accompagné de coupures d’eau et d’électricité récurrentes et de pénuries régulières de gaz domestique. En 2007 et 2008, le prix du carburant a grimpé à un rythme soutenu (en accompagnement de la hausse internationale du baril de pétrole, dit-on officiellement). Ce qui n’est pas compris par les populations dans un pays producteur de pétrole. Cette situation sociale délétère a créé des mécontentements perceptibles.
On ne saurait minimiser la colère suscitée par l’éternelle gestion catastrophique des « Lions indomptables » dans un pays où le football est une sorte de divinité. Pour les jeunes et les populations, la défaite à la finale de la coupe d’Afrique des nations face à l’Egypte, le rival par excellence du Cameroun, est imputable au pouvoir, qui n’a pas préparé normalement l’équipe et qui a choisi au dernier moment un entraîneur rejeté par la Fédération Camerounaise de Football.
Le dernier facteur concourant à la montée de l’insatisfaction, dans de multiples milieux sociaux et couches de la population, est l’augmentation récente du prix du carburant, qui se répercute dans divers secteurs, entraînant la hausse d’autres prix. Les syndicats des transporteurs urbains ayant sollicité la révision de cette mesure, le gouvernement leur adresse une fin de non recevoir. Ils lancent donc un mot d’ordre de grève dans les transports pour le lundi 25 février 2008. Dès lors, les événements s’enchaînent (voir encadré).
Le sentiment profond de la plupart des Camerounais aujourd’hui est qu’il règne une gouvernance calamiteuse au sommet de l’Etat et qu’il n’y a aucune solution classique pour changer la situation. Non seulement l’embourgeoisement illicite et insolent des riches nargue la misère populaire galopante ; non seulement les crimes des dignitaires du régime restent impunis ; non seulement la chèreté de la vie est aggravée par un taux d’imposition scandaleux, alors que le chômage bat tous les records ; non seulement l’arbitraire administratif et la corruption règnent ; non seulement les élections présidentielles, législatives et municipales sont gravement et systématiquement faussées ; mais en plus le principal responsable de ce blocage national cherche à s’éterniser au pouvoir contre la volonté populaire. Les gens semblent être prêts à tout pour mettre fin à ce chaos.
Au total, le Cameroun semble s’installer dans une spirale de la violence qui a une dimension nationale et une signification politique décisives, même si l’ensemble du pays n’est pas touché par les manifestations. Cette conclusion s’impose pour de multiples raisons. Premièrement, Yaoundé, le siège des institutions nationales, est secoué ; ce qui annule désormais la version dite du « mouvement d’humeur localisé dans une ville traditionnellement rebelle : Douala ». Deuxièmement, le chef de l’Etat, spécialiste de la politique de la bouche cousue et des oreilles fermées ne peut plus se débiner. Troisièmement, parce que, comme il le dit lui-même, on n’en est plus à des questions de pouvoir d’achat mais à une affaire de lutte pour le pouvoir tout court.
Quelques stratégies en cours
• La stratégie présidentielle
Le coeur de la stratégie de Biya semble être de type pouvoiriste et militaire. Tout se passe pour lui comme si l’actuelle crise nationale entrait dans une phase insurrectionnelle visant la chute de son régime. Aussi, afin de défendre son pouvoir, déplace-t-il le problème social et politique sur le terrain de la violence d’Etat, par un accroissement et une intensification de la répression brutale contre les manifestants et par des menaces de représailles dures contre les opposants politiques accusés de monter discrètement les jeunes contre lui.
Cette stratégie ne vise ni l’apaisement des insurgés ni la résolution des problèmes sociaux et politiques posés par les événements en cours. Au contraire, elle ressemble à une posture de préparation d’une offensive armée, comme pour montrer qu’il reste le plus fort, malgré la tourmente. Il situe le problème au niveau bas du bras de fer et non au niveau élevé du dialogue. Cette stratégie de la non écoute a conduit le locataire d’Etoudi dans un acte d’étourderie remarqué, consistant à oublier d’adresser ses condoléances aux familles endeuillées. Ce sont pourtant ses soldats qui ont tué bêtement des manifestants, passants et badauds qu’ils pouvaient neutraliser autrement.
En son temps, face à la contestation, Mobutu paradait, répétant qu’« il n’y a pas deux coqs dans un poulailler » au lieu de prendre des mesures conciliantes en vue d’une solution politique. Faut-il suivre un tel exemple ? Reste à savoir si la stratégie du torse bombé et de la rebellion à mater, qui ignore le mécontentement et la détermination populaires légitimes permettra au pays de trouver une issue durable à la crise.
• La stratégie des prétendues forces neutres
Parmi les Camerounais qui se veulent neutres, il y a des journalistes, des personnalités dites indépendantes, des milieux confessionnels, des associations de la société civile, des chefs traditionnels, etc. Pendant que le chef de l’Etat brandit le bâton, passant à côté de l’essentiel, ces forces « neutres » versent dans le double jeu ou dans la démagogie en soutenant discrètement la position du pouvoir. D’un côté, elles pensent que l’Etat a vocation à écouter le peuple, mais ne lui demandent pas clairement, ici et maintenant, de répondre aux demandes populaires justifiées et ne condamnent pas non plus les exactions de ses agents en armes ni les tueries évitables dont les citoyens sont victimes de la part des forces de répression. De l’autre, elles s’appuient sur les débordements de violence contestables pour demander l’arrêt pur et simple de la lutte populaire, au nom du respect des institutions et de la valeur de la paix, sans mettre en exergue le caractère légitime de la contestation directe des masses.
L’opinion des ministres de culte, qui sont déjà intervenus, se montre aussi d’une neutralité discutable. Les évêques camerounais avaient lancé le mouvement de « sagesse opportuniste » le mardi 26 février. Ils sont suivis, le 27, par un certain Conseil des Eglises Protestantes du Cameroun rassemblant des baptistes, des luthériens et des évangélistes. Des dignitaires musulmans aussi ont parlé, tenant des propos tout aussi décalés de la réalité populaire. Tous ces religieux disent vouloir jouer la carte de l’apaisement, mais sans vraiment pouvoir équilibrer leur position ni se montrer vraiment compréhensifs à l’endroit des masses et d’une jeunesse sacrifiée par des pilleurs de la nation actuellement confrontés à un retour de manivelle.
En tant que voix de la sagesse du cœur attentive au sort des pauvres, en tant que conscience civique soucieuse du triomphe des valeurs de justice et de démocratie, en tant qu’autorité morale capable d’amener les pouvoirs publics à plus de discernement, l’église ne devrait-elle pas pousser les autorités à adopter une position d’écoute réelle et d’action responsable qui les honorerait en même temps qu’elle contribuerait à résoudre la crise ?
• La stratégie des manifestants
Les jeunes insurgés semblent décidés à poursuivre leur action sous de multiples formes (marches pacifiques, attroupements d’intimidation, barricades, incendies, fermeture forcée des magasins, interdiction de la circulation des voitures et des motos,...). Ils estiment être en position de force actuellement dans la lutte qui les oppose au pouvoir. Téléphones portables, internet, tracts et motos leur permettent de coordonner de plus en plus leur action, y compris entre les différentes villes du pays. Leur mouvement autonome se montre pour le moment méfiant vis-à-vis des partis politiques, même ceux de l’opposition, parce qu’ils veulent éviter d’être récupérés ou manipulés.
Diverses associations de jeunesse s’activent pour assurer un encadrement de la lutte. La situation n’est donc plus celle d’une agitation totalement anarchique. Les jeunes commencent à présenter leur action comme celle d’un mouvement civique radical se posant en interlocuteur du pouvoir en vue de mettre à plat tous les problèmes du Cameroun dans une négociation nationale pour la réforme profonde et immédiate des structures politiques, économiques, sociales et culturelles du pays. Ils semblent prêts à observer une brève pause pour laisser le gouvernement réfléchir.
La stratégie de l’étranger
Dans la situation présente, les ambassades et consultats occidentaux (France, Etats-Unis, Suisse, etc.) interviennent à travers des communiqués publics ou discrètement pour demander à leurs citoyens présents au Cameroun de faire preuve de prudence et d’éviter autant que possible de circuler. Malgré cela, certains prennent des risques. C’est ainsi que le 27 février 2008, au quartier New Bell à Douala, des expatriés blancs roulant en voiture ont failli se faire intercepter par des manifestants surexcités.
Par ailleurs, il ne semble pas actuellement que les représentations diplomatiques se mêlent ouvertement et directement du problème camerounais, notamment en faveur du pouvoir. Il est à craindre que si cela s’avérait des conséquences fâcheuses pour les expatriés et leur famille pourraient en découler.
Il est à noter l’attitude ambiguë de RFI, qui semble jouer le même jeu que les médias nationaux en activité : taire la légitimité des manifestations, revoir à la baisse le bilan des morts et donner une version des faits favorable au pouvoir.
Quelles perspectives ?
Il est quasiment impossible de se prononcer sur la suite des événements. Le président prendra-t-il des mesures concrètes par rapport à la révision constitutionnelle et à la vie chère pour donner satisfaction aux revendications populaires ou continuera-t-il à jouer au plus fort comme Mobutu ? La nouvelle race de combattants de l’espoir, qui vient de naître au Cameroun, baissera-t-elle les bras face à l’adversité ? Compte tenu de la militarisation de Douala et de Yaoundé, en seront-ils capables ? Le Cameroun semble être en train de vivre des journées historiques de type pré-révolutionnaire dont les échos, à terme, surprendront certainement.
Le déroulement des évènements
• Durant la première quinzaine du mois de février 2006, un opposant politique camerounais non conformiste, organisateur habituel d’actes de « rebellion morale » médiatisés (grèves de la faim, marches interurbaines de protestation, etc.), le « combattant » Mboua Massock, tient des meetings de quartier à Douala et cherche à organiser des marches. Les forces de répression dispersent les manifestants qui se rassemblent pour le soutenir, conformément aux injonctions du gouverneur de la province. Une grande tension se cristallise dans la ville. M. Mboua Massock et les siens demandent le départ immédiat du président Biya, considérant son projet de modification constitutionnelle en vue de s’éterniser au pouvoir comme de la haute trahison.
• Ce « nationaliste révolutionnaire » obtient le soutient du SDF, principal parti d’opposition au Cameroun. Sur la lancée du « combattant », un député SDF du Wouri appelle à un meeting populaire le 23 février 2008, au quartier Dakar. Policiers et gendarmes répondent en masse à l’appel. Dans cette situation, le chef local du SDF annule sa manifestation. Une fois qu’il s’en va, les forces de répression attaquent les militants présents et les populations du coin. Cette nuit de samedi les affrontements se multiplient dans le secteur, entre jeunes gens et agents de répression. Deux jeunes sont tués par balles.
• Une certaine accalmie s’observe le dimanche 24 février. Mais le lundi 25, en même temps que démarre la grève des transporteurs, des émeutes sont déclenchées par les jeunes dans toute la ville de Douala. Des affrontements d’une terrible violence ont lieu entre policiers et gendarmes d’un côté, et insurgés de l’autre. Des camions lance eau de la police interviennent. Des barricades sont dressées dans de nombreuses rues et des pneus et autres matériaux sont brûlés dans la voie publique pour gêner la progression de la troupe. Aucune voiture ne circule. Un autobus public est brûlé ainsi que de nombreux véhicules de particuliers. Des magasins, boulangeries, pharmacies, stations d’essence, sont attaqués par des bandes de plusieurs centaines de jeunes chacune, armés de pierres et de gourdins. Ces établissements sont saccagés et pillés. Des kiosques du PMUC (Société française de jeux de hasard à travers les courses de chevaux) sont incendiés.
A Bonabéri, une vingtaine de gendarmes sont séquestrés, tabassés et délestés de leur uniforme. Le pont du Wouri est bloqué par les manifestants. Les entrées de Douala (vers Yaoundé et vers l’Ouest) sont impratiquables. A Bonamoussadi, la mairie du 5e arrondissement, dont le maire est une candidate mal élue du parti au pouvoir est totalement saccagée. Les services de la SNEC et de AES-SONEL dans ce même quartier sont attaqués et vandalisés. Douala est une véritable « ville morte » où ne circulent que des piétons courageux. Les commerces sont fermés. Certaines représentations diplomatiques (le consulat de France à Douala par exemple), demandent à leurs ressortissants qui étaient en week end et ne sont pas encore rentrés à Douala lundi matin, de le faire dans l’après-midi et non dans la nuit. Le bilan officiel des événements est de 3 morts chez les émeutiers, et le bilan officieux, d’au moins 6 morts.
• Des mouvements plus ou moins violents se produisent dans les provinces du Sud-Ouest et du Nord-Ouest ce même lundi, toujours en marge de la grève des transporteurs. A Buéa et à Kumba, il y a des barricades et des manifestations en vue d’empêcher la circulation des voitures. Si à Buéa il n’y a que des intimidations, à Kumba, la situation est plus grave. Des affrontements avec les forces de répression tirant à balles réelles, comme à Douala, ont cours. Le transport interurbain reliant Kumba aux autres villes est mis en grande difficulté. Les insurgés endommagent installations et camions de la société des Brasseries du Cameroun. Il y a un tué. A Bamenda la situation est aussi très préoccupante.
• Le lundi soir, à travers le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, le pouvoir cherche des boucs émissaires, accusant le SDF d’être derrière les mouvements de Douala et de Bamenda, au lieu d’annoncer les mesures d’apaisement attendues. Ceci fera encore monter la tension.
• Le mardi 26 février 2008, l’agitation sociale gagne Yaoundé et diverses autres villes, notamment Bafoussam, Dschang, Banganté, Limbe, Nkongsamba, etc. Dans la capitale politique du Cameroun, certains quartiers périphériques connaissent le phénomène de barrage des rues et des affrontements entre manifestants et agents de répression durant toute la journée et pendant la nuit. Officiellement, il y a un mort dans la capitale de la province de l’Ouest et des destructions. Des installations du PMUC et un centre des impôts sont attaqués. Officieusement, on parle de plusieurs tués par balles. Les commerçants ferment leurs établissements par mesure de précaution. La circulation est difficile ou inexistante entre les villes de l’Ouest. Les manifestants portent des pancartes indiquant : « Touche pas à ma Constitution » et dénonçant la vie chère.
• A Douala le 26 février, la situation reste bloquée. Aucune voiture ni aucun camion ne pouvant circuler, les transporteurs qui ravitaillent l’intérieur du Cameroun ainsi que le Tchad et la Centrafrique sont immobilisés. Et les camions qui ravitaillent Douala en vivres, à partir de l’Ouest ne peuvent entrer dans la ville, les routes étant toujours barrées. Des militaires viennent prêter main forte aux policiers et gendarmes. Des troupes d’élite arrivent des bases militaires de l’intérieur du pays et de Yaoundé pour investir la capitale économique. Un hélicoptère militaire survole les quartiers à basse altitude. Les avions devant atterrir à Douala sont déroutés sur Yaoundé. Les violences se poursuivent mais baissent d’intensité. Les commerces et marchés restent fermés, à part deux boulangeries protégées par des militaires en armes.
La société industrielle et forestière SIDEM, située au niveau de l’échangeur de l’aéroport de Douala, et dont la rumeur dit qu’elle appartiendrait au fils aîné de Biya, a subi d’énormes dégâts qu’elle chiffre aujourd’hui a plus d’un milliard de Francs CFA, suite à l’incendie de plusieus camions neufs et d’autres matériels de travail, par les émeutiers. Au niveau du Campus de l’Université de Douala, des manifestants demandent le départ de Biya et du recteur en exercice. Le bilan officiel de la journée à Douala est de 2 morts. Selon radio-trottoir, il est sous-estimé.
• Dans la soirée, les pouvoirs publics ont commencé à réagir. Le gouvernement a procédé à une baisse symbolique des prix du carburant (de quelques francs CFA). Certains leaders syndicaux des transports ont appelé à la reprise du travail le mercredi 27 février 2008. Le gouverneur de la ville de Douala a exigé de certaines stations services et pharmacies qu’elles ouvrent à nouveau sous la protection de l’armée. Le délégué du gouvernement (super maire) de la capitale économique et les maires d’arrondissement ont lancé un appel au calme. Les évêques du Cameroun, à travers la voix du cardinal Tumi, invitent les Camerounais au dialogue. Quelques chefs traditionnels Sawa d’obédience Rdpéciste dénoncent le soulèvement avec des accents etnicistes et appellent à une répression plus forte contre les manifestants. Dans des débats télévisés contradictoires, divers leaders d’opposition et journalistes estiment que la crise sociale est d’une gravité extrême et que les pouvoirs publics devraient prendre des mesures plus sérieuses s’ils espèrent répondre aux attentes populaires qui amènent les jeunes à un tel ras le bol et à un soulèvement aussi radical. Ils insistent sur le fait qu’il s’agit désormais d’une crise nationale inédite, qui requiert l’intervention immédiate du chef de l’Etat et non d’une simple affaire de baisse du prix de l’essence et de manipulation ou d’intimidation des syndicalistes pour les amener à lever le mot d’ordre de grève des transporteurs.
• Il n’est pas signalé jusqu’ici que des expatriés auraient été victimes de ces événements et qu’ils auraient eu à en souffrir en tant que cibles particulièrement visées par les émeutiers. Cette nuit du mardi 26 février, personne ne peut prévoir ce qui se passera demain au Cameroun, d’autant plus que des tracts circulent dans certaines villes du pays pour promettre la poursuite du combat.
• Journée du 27 février 2008 à Yaoundé
La matinée commence sans problème. Les taxis circulent. Mais à partir de 9 heures tout bascule. Des émeutiers, en groupes multiples, occupent les rues, dressant des barricades, arrêtant la circulation et fermant les boutiques de force, y compris au marché central. Des pneus sont incendiés dans les carrefours. Des colonnes de fumée montent dans la ville. A cette fumée se mêle celle du gaz de combat, car les forces de répression interviennent en tirant à balles réelles et en lançant des grenades lacrymogènes. Un hélicoptère militaire sillonne le ciel. Quelques véhicules seulement circulent au centre ville. Le boulevard du 20 mai, la plus prestigieuse artère du pays au coeur de la ville, où se déroulent traditionnellement les cérémonies de la fête nationale sous la présidence personnelle du chef de l’Etat, connaît des échauffourées : voitures incendiées, barricades, heurts entre la troupe et les activistes.
Fait unique qui ne s’était jamais produit, même au plus fort des « villes mortes » qui paralysèrent le pays il y a une quinzaine d’années. Mais aussi symbole lourd de signification ! Une marche populaire vers la présidence de la république est violemment réprimée. Des coups de feu sont tirés çà et là dans la ville. A la mi-journée, on dénombre de nombreux blessés et un tué, tombé au quartier Elig Edzoa, vers le stade omnisport, sous les balles de la soldatesque. Par la suite il y aura deux autres morts parmi les manifestants.
Dans la soirée, juste après le discours de Biya, des éléments armés attaquent le campus universitaire, saccagent les chambres des étudiants et les molestent sans la moindre explication alors que ceux-ci ne se livraient à aucun mouvement revendicatif. Il y a des interpellations et au moins cinq blessés graves. Après ce discours, il se produit aussi des casses et incendies isolés dans la ville.
• Journée du 27 février 2008 à Douala
Dans la matinée, des scènes de violence et de pillage se déroulent dans divers coins de la ville. A Bonabéri, l’usine CIMENCAM, productrice de ciment est attaquée. Il faut dire que le prix du sac de ciment ne cesse de monter ces derniers temps. Ce qui laisse désagréablement aux jeunes l’impression qu’à ce rythme, ils ne construiront jamais leur propre maison et seront par conséquent des « sans domicile fixe ». Les activistes interrogés par les journalistes mettent systématiquement en avant des revendications sociales concernant le chômage et la vie chère, et des revendications politiques mettant en cause la mauvaise gouvernance. Ils exigent un message présidentiel spécial et urgent à la nation. Quelque 150 à 200 manifestants sillonnant le boulevard de la liberté à la mi-journée scandent un chant militant qui emprunte et détourne un air louangeur du parti au pouvoir à l’endroit de son président Biya. Les paroles des militants sur cet air du RDPC qui est retourné contre lui sont à peu près les suivantes :
Cameroun, Cameroun - Paul Biya, Paul Biya
Non à la vie dure - Le pays va mal
Nous voulons la vie moins chère - Nous voulons le changement
Quelques boulangeries sont en activité dans ce boulevard sous protection militaire. De longues colonnes de clients se forment en vue du ravitaillement en pain et autres produits utilitaires. Des patrouilles policières roulantes parcourent cette rue sensible. D’autres points chauds s’observent de chaque côté de l’entrée du pont du Wouri où il y a un face à face tendu entre les activistes et la troupe, au carrefour des 2 églises, dans la vallée Bessenguè, etc. L’un des champs de bataille les plus explosifs s’est constitué au lieu dit Shell New bell depuis la nuit du 26 au 27 février, qui connaît la chasse à l’homme et des coups de feu. Quelque 5000 personnes de tous les âges ont occupé ce secteur pour battre avec les forces de répression. Des brasiers sont allumés sur la chaussée. Bonapriso, un quartier huppé de la ville jouxtant ces lieux, est également secoué par des échauffourées durant la matinée. La ville de Douala est paralysée.
En fin de journée, le couvre feu y est décrêté à partir de 18 heures. Sans doute parce que depuis la fin de l’après-midi, une intervention du chef de l’Etat est annoncée pour la soirée. On se rappelle que le soir où, en 1991, Biya a refusé la Conférence nationale souveraine, les Doualéens ont pris spontanément les rues d’assaut et exprimèrent leur mécontentement par des casses.
A 20 heures, le chef de l’Etat intervient. Le ton est vigoureux, voire coléreux. Biya menace les jeunes camerounais en lutte et ceux qui, soi-disant, les manipulent en cachette (sous-entendu les partis d’opposition). Il ne dit rien sur les problèmes concrets qui sont posés : refus de la révision de la Constitution, hausses des prix et vie chère, chômage chronique des jeunes, pillage des richesses communes de la nation par les dignitaires du régime, immoralité officielle galopante, etc. Il n’annonce aucune mesure et ne fait aucune promesse, même pas celle de revenir sur les questions soulevées lorsque le calme sera instauré. En prenant la température, on sent une énorme déception des populations qui ne comprennent pas une telle attitude de fermeture et d’insensibilité.
Journée du 27 février 2008 à Buéa :
Si le lundi, à Buéa, il n’y a eu que des interdictions de circuler et des intimidations dans les barrages, des affrontements ont lieu dans la nuit de mardi à mercredi, qui se poursuivent jusqu’au matin dans les quartiers populaires, troubles ponctués de tirs de grenades lacrymogènes. Les agents de répression tuent un jeune et en molestent plusieurs autres. Dans la matinée, la circulation routière est bloquée. Durant la nuit du 27, entre 22 h et 22 h 30, des coups de feu résonnent dans la ville, notament à Buéa Town. Ce qui s’expliquerait par le fait que la troupe répond ainsi à une attaque de la mairie de ce quartier par des activistes.
Journée du 27 février 2008 à Bamenda
Les événements qui ont eu cours dans la capitale provinciale du Nord-Ouest le 26 se poursuivent le 27. Le mardi, il y a eu « ghost town » dans divers quartiers du fait des barrages de jeunes, des fermetures de magasins et de l’absence de moyens de transport. Parmi les faits marquants des mouvements de contestation, on a noté l’incendie de la tribune officielle des défilés et festivités publiques, du bureau des impôts et des locaux AES-SONEL, ainsi que l’attaque des Brasseries du Cameroun. Le mercredi, des groupes de jeunes ont continué d’occuper les rues et d’empêcher la circulation des véhicules. La mairie est attaquée et brûlée. La voiture du délégué du gouvernement subit le même sort et une école appartenant à son épouse est en partie saccagée. Le patron national du SDF se voit dans l’obligation de décliner toute responsabilité de son parti dans ces événements, étant donné qu’il se sentait visé par le discours du chef de l’Etat, préoccupé de dénicher les « manipulateurs qui se cachent derrière les jeunes ».
Journée du 27 février 2008 dans le Moungo :
La province du Moungo, dont le chef-lieu est Nkongsamba, compte une bonne partie de la vingtaine de morts que compte le pays. Dans l’arrondissement de Njombe-Penja, durant la matinée du 27 février, des éléments du Groupement mobile d’intervention, composé de troupes d’élite de la police, tirent sur un des rassemblements pacifiques de jeunes. Ils en tuent deux et en blessent beaucoup d’autres. Cette tuerie gratuite d’activistes désarmés fait suite à une véritable boucherie qui s’est produite dans une localité voisine (Loum), la veille, où six jeunes étaient déjà tombés sous les balles de la soldatesque.
A Manjo, c’est le calme plat. Les parents ont gardé leurs enfants à la maison, la plupart des écoles étant fermées. A Nkongsamba, il n’y a pas de mort mais la situation est tendue : attroupements d’activistes, fermetures des boutiques, marchés fermés, barrages de rues, pas de circulation automobile.
Journée du 27 février 2008 à l’Ouest
A Bafoussam l’armée occupe les points sensibles de la ville. Les jeunes sont dans les rues. La circulation est bloquée. A Dschang les examens qui ont été perturbés à l’Université la veille recommencent à se dérouler aujourd’hui. La circulation aussi reprend progressivement après que la veille il y ait eu quelques saccages de voitures et des barrages. A Foumbot, la situation est également tendue et des accrochages ont lieu. Dans toutes les localités, les autorités administratives et les dignitaires du parti au pouvoir mobilisent les « élites » et chefs traditionnels pour les amener à contenir les populations afin d’éviter de nouvelles manifestations.
* Dr Nsame Mbongo est professeur à l’université de Douala
* Veuillez envoyer vos commentaires à ou faire vos commentaires en ligne à l’adresse suivante www.pambazuka.org