Centrafrique : Les risques d’une candidature de Patassé

Le 15 mars 2003, Ange-Félix Patassé est victime d’un coup d’Etat. François Bozizé, son allié qui avait fini par animer une rébellion depuis le Tchad, avait pris le pouvoir. Cet épisode, ainsi que les moments de conflit qui l’ont précédé en 2002, la République centrafricaine avait un chaos terrible, durant lequel dans des tueries de masses et des atteintes graves aux droits humains avaient frappé les populations. Jean-Pierre Bemba, le dirigeant du Mouvement de libération du Congo (MLC), qui appuyait Patassé, répond actuellement des crimes de cette époque, de le TPI. Quant à ce dernier, encore libre de toute poursuite de la part de la justice internationale, il aspire à revenir au pouvoir avec l’élection présidentielle de 2010. En RCA, une telle perspective est fortement redoutée. A Bangui on n’a pas oublié les exactions de son pouvoir et les plaies ont du mal à se cicatriser. Et s’il se croit encore populaire, Patassé est handicapé par plusieurs facteurs.

L’ancien chef d’État de la République centrafricaine, Ange-Félix Patassé, a déclaré qu’il allait participer à l’élection présidentielle de l’année prochaine. Une perspective qui inquiète. Pour certains analystes, cela risque de faire basculer le pays dans une nouvelle crise. Patassé, président de 1993 à 2003, vit en exil au Togo depuis qu’il a été chassé du pouvoir par l’actuel président François Bozizé. L’épisode avait donné lieu à un coup d’Etat sanglant au cours duquel des dizaines de milliers de civils avaient été tués.

Patassé traîne aussi un lourd passé, la Cour pénale internationale (CPI) ayant établi un lien entre lui et les crimes de guerre commis au cours de la période précédant le coup. Mais l’ancien chef d’État n’a pas perdu espoir de revenir un jour au pouvoir. “Je suis toujours l’un des acteurs les plus importants de la République. Je serai candidat à la prochaine élection présidentielle,” a-t-il indiqué à depuis sa maison au Togo.

A Bangui, la capitale du pays, certains officiels déclarent qu’il est libre de revenir pour disputer l’élection de 2010 – il a déjà bénéficié d’un certain degré de réhabilitation politique, faisant l’objet d’une amnistie de la part du gouvernement – mais ses perspectives électorales ne sont pas très prometteuses. Dépossédé par son propre parti, des commentateurs avancent qu’il a perdu sa capacité à mobiliser les foules, même s’il peut encore compter sur la loyauté de sa tribu qui lui est restée fidèle, une des plus importantes du pays.

Il n’empêche que l’instabilité que pourrait entraîner son éventuel retour continue de susciter des inquiétudes. Pour nombre d’analystes, un tel geste pourrait être perçu comme une provocation par les victimes des violences ayant précédé le coup d’Etat de 2003 et déclencher une nouvelle confrontation potentielle violente avec Bozizé. Suite aux enquêtes menées sur les violences commises à l’encontre des civils lors de la lutte pour le pouvoir qui avait opposé Patassé et Bozizé de 2002 à 2003, seul un chef de milice congolais, Jean-Pierre Bemba, a été inculpé par la Cour, et se trouve actuellement détenu. Pour les Procureurs, les crimes des combattants du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Bemba contre les civils, pour aider Patassé à lutter contre les rebelles de Bozizé, sont patents. Il lui est reproché d’avoir permis aux troupes du MLC d’entrer dans le pays pour repousser les tentatives de prise du pouvoir.

A la CPI, on souligne que les enquêtes continuent en RCA et les groupes de défense des Droits de l’Homme s’attendent à ce que d’autres mandats d’arrêt suivent. Surtout qu’au cours de l’audience de confirmation des charges au niveau du Tribunal pénal, l’Accusation avait mis en exergue qu’un plan commun avait été élaboré dans l’intention de commettre des crimes. Selon le procureur principal Petra Kneur, “Patassé a publiquement appelé Bemba à l’aider et ce dernier a accepté. Le mandat visait à protéger la présidence de Patassé et à attaquer les civils considérés comme alliés des rebelles ».

Pour un grand nombre des citoyens de RCA que nous avons interrogés, il faut que Patassé soit jugé à La Haye. Mais les Procureurs disent manquer de preuves pour émettre un mandat d’arrêt contre lui. “Patassé était, sans aucun doute, un acteur très important dans la situation de RCA en 2002-2003 et c’est lui qui a invité les troupes du MLC en RCA. Mais cela ne suffit pas”, selon le Procureur de la CPI, Fatou Bensouda. “Il n’y a pas de mandat d’arrêt contre Patassé parce que nous n’avons pas de preuves. Nous sommes guidés par les preuves et les preuves seulement », a-t-elle ajouté.

Cependant, bien que le pays ait été dans une situation de chaos depuis les combats de 2002-2003, des efforts récents pour apporter la stabilité en RCA ont donné lieu à une certaine forme de réhabilitation pour l’ancien président. Patassé a même participé à des pourparlers politiques en décembre dernier à Bangui. Les négociations avaient réuni les rebelles, les hommes politiques et le gouvernement, dans une tentative de trouver une voie commune vers la stabilité du pays. “Après les pourparlers de décembre, Patassé a bénéficié d’une amnistie, comme tous les autres participants. Ainsi, il peut bénéficier de ses droits civils et politiques aujourd’hui,” a souligne Bruno Hyancinthe Gbiegba qui travaille à la coalition pour la CPI en RCA, un réseau d’ONG et d’organisations des droits de l’Homme qui travaille comme observateur pour la Cour. “Il n’appartient qu’à lui de venir à Bangui et d’être candidat aux prochaines élections”, ajoute-t-il.

Il reste que l’amnistie accordée par la RCA ne couvre pas les graves crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et n’aurait donc pas de conséquence sur toute accusation de la CPI contre l’ancien président. De même, d’ailleurs, que contre toute autre personne accusée d’avoir orchestré des atrocités dans le pays. Mais, comme le précise le ministre de la Justice, le Général Jules-Bernard Ouande “[Patassé] peut être candidat à la présidence même si cela signifie que la justice internationale va devoir faire son travail par la suite”.

Aujourd’hui, des groupes de défense des droits de l’Homme appellent la CPI à poursuivre ses enquêtes sur les évènements de 2002-2003 et les rôles des différents dirigeants, y compris Patassé. Et malgré l’arrestation de Bemba, d’autres groupes et individus doivent encore faire l’objet d’enquêtes et être jugés, confie Godfrey Byaruha, expert sur la RCA auprès d’Amnesty International. “Patassé était le président et contrôlait les forces armées de RCA qui ont été impliquées dans des cas de violations des Droits de l’Homme. Ainsi, il y a des possibilités qu’il soit coupable de graves crimes ou au moins coupable de ne pas avoir essayé de stopper ces crimes,” a-t-il précisé.

Patassé avait été empêché de participer aux élections présidentielles de 2005, qui avaient abouti à l’élection de Bozizé, deux ans après qu’il se soit saisi du pouvoir par un coup d’Etat. L’invalidation de sa candidature découlait d’une décision de justice qui avait conclu que son certificat de naissance était illisible. Et pour l’ancien président, son tombeur n’est toujours pas un dirigeant légitime et ne bénéficie d’aucun soutien de la population. “Vous comprenez, déclare-t-il, comment Bozizé et ses supporters ont manipulé les lois électorales en 2005. Il avait peur de moi en raison de ma popularité”. Quant aux accusations de la population à son encontre, il a répété à plusieurs reprises, à nos questions, qu’il n’était “au courant de rien”.

Patassé a indiqué qu’il n’était pas non plus au courant du procès de Bemba à la CPI et, interrogé sur la possibilité de mettre un terme aux violences contre les civils entre 2002 et 2003, il a simplement rétorqué : “Nous ne sommes pas en 2002-2003, nous sommes en 2009.” Poussé à être plus précis sur cette dernière question, il lance : “Posez la question au président actuel. Je répète que ces questions ne me concernent pas.’’ Et d’ajouter : “Les plaintes portées par Bozizé devant la CPI sont illégales. Ce n’est pas à Bozizé le rebelle de se plaindre, c’est à moi qui représentait le gouvernement légal à l’époque.”

Dans la course à l’élection de 2010, personne ne sera capable d’empêcher Patassé de faire campagne, étant donné que l’amnistie locale lui a accordé le droit d’être candidat à la présidence. Cependant, les opinions des gens à son sujet en RCA ne semblent pas correspondre à ses aspirations. “Venant de Patassé, une déclaration selon laquelle il sera candidat à la prochaine élection est une provocation pour les Centrafricains,” dénonce Vincent Mambachaka, un dirigeant de la société civile. “Ses victimes sont ici. Elles n’ont reçu aucune compensation et il y a une enquête de la CPI sur les crimes commis il y a six ans,” souligne Abakar Nyakanda, commissaire des Droits de l’Homme en RCA, qui ajoute : “Je suis l’un de ceux qui pensent qu’il ne devrait pas revenir. Ce serait une insulte pour toutes ses victimes et il serait incompréhensible que la communauté internationale [permette cela].”

Le soutien apporté à Patassé semble s’être tari. Même son vieux parti, le Mouvement de libération du peuple centrafricain, MLPC, l’a désavoué. Selon le président de cette formation politique, Martin Ziguele, “il est toujours membre actif du MLPC, mais a été suspendu de la direction. Il ne peut pas être notre candidat”. L’ancien président est cependant toujours soutenu par une branche non officielle du parti, conduit par Luc Apollinaire Dondon-Konamembay, qui était président de l’Assemblée nationale sous son règne. Il devrait aussi bénéficier d’un certain soutien au sein de sa propre tribu, les Gbaya, un des groupes ethniques les plus importants en RCA, constituant 34 pour cent de la population. Ce dernier élément pourrait peser sur la balance. Car, comme le souligne Prosper Yaka Maïde, journaliste à l’agence de presse centrafricaine, “les Centrafricains ne votent pas sur la base d’une idéologie ou d’un programme. Ils votent par rapport à l’ethnicité. La tribu de Patassé devrait donc voter massivement pour lui”.

Par le passé, Patassé a bénéficié du soutien des Gbaya, ainsi que des Kaba et des Kare, les groupes ethniques dont sa mère est originaire. Néanmoins, il sera difficile pour l’homme politique de 72 ans de mobiliser des supporters comme il l’avait fait au début des années 1990, époque à laquelle il était le leader charismatique du MLPC. “Je pense que Patassé est toujours dans une sorte de rêve, par rapport à son passé, à son pouvoir. Ceux qui le connaissaient dans ma génération ne sont pas ceux qui vont voter. Il y a une nouvelle génération et ils commencent à l’oublier,” déclare Mambachaka. Coupé de son pays, Patassé a pu mal interpréter l’intérêt qu’il a soulevé lorsqu’il est revenu en décembre de l’année dernière, pour prendre part aux pourparlers. Les gens avaient afflué pour assister à son arrivée dans la capitale, mais selon Maide, ils étaient simplement curieux de voir un personnage politique célèbre.

Aujourd’hui, beaucoup estiment que la simple participation de Patassé à l’élection et son retour en RCA pourraient provoquer une nouvelle crise dans le pays. Le différend qui existe depuis longtemps entre Bozizé et lui, et qui semble avoir été résolu par leur participation conjointe aux pourparlers de décembre, pourrait ressurgir dans une campagne électorale. Pierre Debato, président de l’observatoire des médias de Bangui, est préoccupé par une telle perspective : “C’est dangereux pour la RCA parce que… Bozizé et compagnie – vont entrer en conflit les uns avec les autres une fois de plus. Ils ont tous des problèmes les uns avec les autres et cela va donner lieu à de nouvelles tensions,” prédit-il. “Au cours des 20 dernières années, les problèmes sont restés les mêmes, encore et encore, parce que les rancoeurs subsistent”, ajoute-t-il

* Mélanie Gouby est une collaboratrice de l’ Institute for War and Peace Reporting.

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