Crise malgache de 2009 : Des enjeux économiques face à un potentiel minier alléchant…
La réalité de l’intérêt économique que représente Madagascar est elle avérée ? Au premier chef, oui parce que les potentialités minières de l’Ile sur lesquelles se sont fondées des opérations d’investissements majeures impliquant les plus grandes puissances économiques, sont faramineuses.
La réalité de l’intérêt économique que représente Madagascar est elle avérée ? Au premier chef, oui parce que les potentialités minières de l’Ile sur lesquelles se sont fondées des opérations d’investissements majeures impliquant les plus grandes puissances économiques, sont faramineuses. Ces investissements ont ainsi vu la Chine assurer la survie financière d’un gouvernement asphyxié par l’interruption de l’aide internationale, à travers l’injection de fonds du Consortium Wisco (29) 29, (Wuhan Iron and Steel Corporation Limited, producteur d’acier chinois, qui investit massivement en projets miniers : Canada, Venezuela, Liberia), pour l’exploitation des gisements de fer de l’ouest malgache.
On n’épiloguera pas sur l’exploitation massive et la spoliation des ressources forestières en bois précieux. On ne reviendra pas sur les projets de vendre l’eau du fleuve Faraony aux Saoudiens (30)30. On n’épiloguera pas non plus sur la capacité agricole du pays avec une surface agricole potentielle estimée à 36 millions d’ha, surfaces que le ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (MAEP) estime exploitées à moins de 10%. Ces chiffres, qui prêtent toutefois à contestation, ont étayé le dossier Daewoo assassin et assassiné par manque de transparence. On se demandera aussi pourquoi les scandales Daewoo et Varun ont été levés (et il n’est pas question de les défendre ici), quand peu sont ceux qui remettent en question les superficies concernées par les projets miniers du moins après le coup d’Etat et leurs enjeux.
environnementaux. Bizarreries de la politique et de la manipulation de l’information. Il est vrai que le potentiel minier de l’île engage des enjeux financiers sans commune mesure avec la sauvegarde des intérêts des paysans qu’il s’agissait prétendument de défendre. Il reste que l’Ile dite Rouge, bien que n’ayant pas encore atteint l’auto¬suffisance, est vue comme le grenier potentiel de l’Océan Indien.
Mais on démontera un jour le montant des investissements en prospection et en infrastructures engagés jusque là. Ils sont venus, ils sont tous là, même ceux du Sud de l’Australie (31) 31…
Le développement de la Chine et des pays émergents a tiré vers le haut les cours mondiaux de l’ensemble des matières premières nécessaires à leur développement. De fait les importantes ressources minières de Madagascar ont attisé les convoitises de toutes les grandes nations industrielles et de la Chine en premier lieu … et attiré les investisseurs… pour les multiples ressources que l’on énumère ci après.
Nickel et cobalt (33) : 33Ces minéraux, dont Madagascar représente aujourd’hui, à travers le concessionnaire Sherritt, respectivement 5% et 10% de la production mondiale, ont connu en un an une hausse de 66% et 36% de leurs cours. Bagatelle me direz vous. A¬t¬on besoin de se battre pour cela ?
Ilménite et bauxite (33) : 33 Le métal de titane, transformation de l’ilménite, a vu de même en un an une hausse de + 57%. Les 750 000 tonnes /an d’ilménite qui seront produite par QMM Rio Tinto représentent 10% de la production mondiale. Les Chinois sur la côte Est, et les Sud africains au Nord de Tuléar ont lancé ou négocient des projets d’exploitation de ce minerai. La mise en exploitation d’autres gisements d’ilménite le long de la côte Est, entre Mananjary et Fénérive ont fait l’objet d’appels d’offres. Le projet Ticcor des Sud Africains laissait, lui, envisager la production de 500 000 tonnes/an d’ilménite.
L’aluminium, lui, a augmenté de 71%. Est il alors surprenant que Rio Tinto s’intéresse dans le Sud aux ressources en bauxite à proximité des gisements qu’ils exploitent. Mais au fait, où sont donc les compagnies françaises ?
L’uranium (33) :33 L’explosion de la demande en énergie nucléaire laisse craindre à terme une pénurie des ressources en uranium. Là aussi, Britanniques, Canadiens, Australiens et leurs compagnies minières (ALM & Forex et ClineMining Corp, Pencari Mining Corp, Haddington, Uranium Star) ont lancé des campagnes d’exploration dans l’Ouest, le Centre et le Sud. Alors que « Depuis 2001, le prix spot de l’ U3O8 (yellow cake) est en progression constante, Il a ainsi augmenté de plus de 300 % en moins de cinq années. Cette hausse n’est donc pas conjoncturelle et elle a de forte chance de perdurer. » (32) 32
Le charbon (33) 33 : Les besoins sidérurgiques de la Chine et des pays émergents ont de la même manière provoqué une envolée des cours du charbon qui ont pris 200% entre 2005 et 2008. Ainsi, le gisement de la Sakoa « exploité dans la seconde moitié du siècle dernier, puis délaissé en raison d’une rentabilité insuffisante, voit son intérêt renouvelé »33. Les réserves en charbon de la Sakoa sont à ce jour estimées à plus de 100 millions de tonnes en hypothèse basse et jusqu’à 1 Md de tonnes en hypothèse haute ! Le groupe australien Straits (coté à Singapour) à travers Red Island Mineral et Madagascar Consolidated Mining dispose d’un champ d’exploitation de 800km2 sur la zone. De Français ici, point …
Le fer (33) : Le gisement de fer de Soalala dont les réserves sont estimées à 562 Mt pour une production à ciel ouvert de près de 3,5 Mt annuelles intéresse bien évidemment les entreprises de la région asiatique, première productrice d’acier et dont les besoins continuent de croître… Et le reste… Sans oublier le pétrole
Nous ne nous étendrons pas sur les ressources et les potentiels réels en or, les potentiels diamantifères, les ressources en pierres précieuses et semi¬ précieuses, ou en chromite et autres graphite, mais est il besoin de parler en plus du pétrole qui demeure la ressource éminemment stratégique des décennies à venir ? Les sables bitumineux et les huiles lourdes ne sont rentables qu’avec un cours du brut autour de 100 dollars le baril, mais les 16 milliards de barils estimés en réserve on shore sur Bemolanga (plus vaste gisement de grès bitumineux inexploité au monde) ont certainement posé des enjeux de pérennisation de la ressource. Ce sont ces enjeux qui ont poussé Total à acquérir 60% du contrat d’exploration de Bemolanga. Selon Afrique Energy Intelligence il a fallu, pour la conclusion de ce contrat, une intervention du président Sarkozy lui¬même qui en aurait négocié en avril 2008 le dossier avec Ravalomanana. Ce dernier préférait en effet une solution en faveur des Chinois de la China National Petroleum Corp. Mais les rancoeurs entre l’administration française et le président Ravalomanana ne se sont pas éteintes pour autant34 (34).
Et bien évidemment, derrière les énormes infrastructures à bâtir et les besoins de logistique, les intérêts des géants français du BTP (Colas) et du transport (Bolloré), ne sont probablement pas très loin.
Au¬-delà des potentiels pétroliers on shore de Madagascar, les potentialités offshore font l’objet de convoitises que l’on lit derrière les blocs de prospection négociés du Sud au Nord de l’île. Or, il s’avère que les zones d’exclusivité économique des îles éparses, qui sont strictement accolées à la ZEE malgache et aux zones de prospection, recèlent aussi potentiellement des ressources pétrolières. Sur Juan de Nova, possession française, deux concessions de prospection aux sociétés Marex Petroleum Corporation et Roc Oil Compagny Ltd, ont été accordées (arrêté du 22/12/2008 du ministère français de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire) pour des montants d’engagement de 47 millions de dollars.
Dans ce sens les propos d’Anne Lauvergeon, présidente d’Areva au cours des débats du livre Blanc de la défense et la sécurité de 2008 sont éclairants : « Dans le domaine des matières premières stratégiques, nous sommes le deuxième ou troisième producteur d’uranium au monde. Je trouve, et cela concerne d’ailleurs toutes les matières premières, qu’il existe un énorme décalage stratégique entre l’Europe et le reste du monde. Il n’est qu’à voir l’activité ou l’activisme en Afrique de groupes brésiliens, américains, canadiens… Il reste deux groupes miniers français, Eramet dans le nickel et le manganèse et AREVA dans l’uranium et un peu dans l’or.
Nous voyons le décalage dans la façon dont les gouvernements de ces différentes compagnies minières les supportent, les poussent et les accompagnent par rapport à ce qui se passe en Europe et en France. Je fais partie des pessimistes dynamiques. Je trouve que nous sommes dans le domaine des matières premières stratégiques dans la même situation où nous étions pour l’énergie cinq ans auparavant. À cette époque-¬là, très peu de gens étaient convaincus que la question de l’énergie était essentielle. Aujourd’hui, tout le monde l’est. Nous sommes dans la situation d’il y a cinq ans pour les matières premières stratégiques, et il faut bien comprendre que le reste du monde ne l’est pas du tout. Je crains que nous devions faire face lorsque nous nous réveillerons, à une consolidation extraordinaire des grands groupes miniers mondiaux, et à des capacités financières incroyables puisque nous assistons à l’absorption des transformateurs par les groupes miniers. Le mouvement Rio Tinto¬Alcan est ainsi remarquable. À partir d’une partie des groupes miniers, l’industrie va se retrouver consolidée. Nous sommes au coeur d’une évolution extrêmement importante et qui n’est pas du tout analysée en Europe. Je crains que nous nous réveillions avec des conséquences fortes sur le tissu industriel et sur les coûts. Aujourd’hui pour les centrales à gaz, à charbon et nucléaires, les coûts ont augmenté, du fait de l’augmentation des prix des matières premières, de 35 % en dix¬huit mois. Une fois encore, je trouve que cette dimension n’est ni très perçue ni très prise en compte.
(Les matières stratégiques) sont extrêmement variées. Il s’agit de tout ce que vous mettez dans l’acier, du charbon, du fer, du manganèse, du nickel, du chrome, du cuivre. Tout ce qui était encore considéré il y a huit ans comme des « commodities » sans intérêt. Aujourd’hui nous assistons à un « kriegspiel » mondial d’accès aux réserves. Concernant les permis miniers et les concessions, nous nous inscrivons toujours dans le long terme. Ces éléments donnés, vendus ou partagés par les pays, ne sont pas forcément réversibles. Cette course mondiale est particulièrement active en Amérique Latine, en Afrique et sur les marges de l’Ouzbékistan, du Kazakhstan, de la Mongolie. Nous ne sommes que deux groupes français dans cette course, et cela ne suscite que de l’indifférence. Cela n’est pas considéré comme un sujet stratégique. Je pense pourtant que nous sommes devant un sujet aussi stratégique que l’énergie. Nous devons éviter toute naïveté dans ces domaines. »
Nous devons éviter toute naïveté dans ces domaines. Tout n’est-il pas dit ici ?
L’ALIBI DE LA PRESENCE FRANÇAISE LOCALE…
Les flux d’échange entre Madagascar et la France ne représentent aujourd’hui qu’un millième des échanges français. Sur cet argument de relative faiblesse immédiate des flux en cause, d’aucuns, et au premier chef l’ambassadeur Chataignier lui-même, prétendent que seule la présence française locale justifie l’intérêt de la France pour Madagascar et qu’on prête de fait à tort de « sombres manigances à la diplomatie française ».
On prendra tout de même en compte que si la France reste le 1er client à l’exportation de Madagascar, elle a perdu sa place de premier fournisseur désormais occupée par la Chine (35)35. Contrairement à cette dernière, la France n’a pas de fait tiré avantage de la hausse des importations malgaches (+26%) dues aux grands chantiers. Il y a là un évident manque à gagner pour les entreprises françaises… et l’emploi des Français.
En pleine crise, « Madagascar est prioritaire » déclarait en commission parlementaire un député français quant au financement de l’Aide Publique au Développement française. Pour le plus grand nombre, y compris en métropole, les intérêts de la France à Madagascar sont essentiellement caractérisés par sa présence36. (36)
[…] On recense plus de 650 entreprises – dont 130 filiales et plus de 500 entreprises privées à capitaux français – et environ 25 000 ressortissants y compris les Franco¬malgaches, ce qui en fait l’une des plus importantes communautés françaises à l’étranger.
Les implantations françaises locales résultats et les flux économiques à court ou moyen terme sont ils pourtant à la hauteur de l’énergie, de l’acharnement mis en œuvre par la diplomatie française pour contrôler la mise en place d’un pouvoir qui lui serait acquis ? Ces intérêts économiques étaient ils si importants pour que Madagascar fasse l’objet de jeux d’une telle violence ?
Au regard des potentialités minières évaluées précédemment, la réponse est aussi dans les propos du Ministre de la Coopération Alain Joyandet. Se posant en véritable ministre du commerce extérieur délégué à l’Afrique, il déclarait en mai 2008 : « l’implantation des entreprises françaises en Afrique est l’une de mes priorités (…) Je veux accentuer la politique d’influence de la France sur le plan économique. C’est une erreur stratégique majeure de ne pas développer cet axe alors même que le continent Africain est en train de se développer » … « Il ne faut pas qu’on se fasse prendre notre place par des puissances émergentes (…). Il faut renforcer l’influence de la France, ses parts de marché, ses entreprises. » (source Samuel Foutoyet : « Nicolas Sarkozy ou la françafrique decomplexée »)
Dans ce registre les observateurs attentifs auront pris note d’une manifestation organisée par UBIFRANCE à Paris le 4 février 2010. Ce petit déjeuner débat, tenu autour notamment de Jean Marc Chataignier (Ambassadeur de France) et de Lionel Levha (Directeur général, Total Exploration Production Madagascar) pour la promotion de Madagascar auprès des investisseurs, présentait ainsi son objet : […] Ce petit déjeuner permettra de faire un point de situation (calendrier politique, prévisions macro¬économiques, environnement des affaires) et d’étudier les secteurs qui peuvent se développer dans ce contexte avec deux éclairages particuliers sur l’environnement des grands projets miniers (implantations, développements, besoins) et sur les entreprises des secteurs de l’informatique et des services liés, au moment de l’arrivée de l’internet à haut débit. […]
Là encore, les choses sont dites.
Dans ce jeu de cartes, le politique français s’est donc constituée une main avec des cartes aux couleurs d’enjeux géostratégiques, des cartes aux couleurs d’enjeux économiques long terme, à coté de celles de la préservation de cette importante communauté française, à coté de celles aux couleurs des entrepreneurs localement installés, à coté de celles qui offrent à Madagascar un marché pour les entreprises réunionnaises dans un contexte de développement régional, a coté de celles d’enjeux culturels qui voient Madagascar à l’horizon 2050 du fait de sa démographie devenir le premier pays de la francophonie (référence) au regard de la sauvegarde et du rayonnement de la dite Francophonie …
Aucune de ces cartes ne peut être sacrifiée par un jeu d’impasse … Elles feront toutes l’objet de jeux d’influence de la politique française… Certains y voient encore la main d’une certaine Françafrique…
VOUS AVEZ DIT FRANÇAFRIQUE ?
L’argument de la Françafrique, image d’une France jalouse de son ancien empire colonial, s’il peut satisfaire les « damnés » du néo¬colonialisme en mal de légitimité d’une construction intellectuelle et politique, peut il résister à une analyse poussée ?
En fait, depuis la chute du mur de Berlin qui a bouleversé les équilibres mondiaux, depuis le 11 septembre avec l’érection des USA en gendarmes de la planète, et depuis la montée en puissance sur le continent africain des pays émergents Inde Russie et, au premier chef, la Chine qui inquiète particulièrement pour son agressivité économique sur le territoire Africain37 (37), la France semble avoir perdu la plus grande part de son pré carré en Afrique. La crise en Côte d’Ivoire de 2004 en a été l’expression ultime. On y a vu la France se retirer de manière humiliante et affronter l’hostilité des Africains de sa vitrine ivoirienne qu’elle croyait jusque là ses amis.
Quoi qu’on en dise et quoi qu’on en pense, la Françafrique de Foccart « écheveau de liens occultes, privés et publics, entre une majorité de régimes africains dits francophones et le parrain français, caractéristique, de la Ve République », est morte (1), d’autant que ses réseaux et supports (Bongo) ont désormais disparu. A l’ère chiraquienne, la politique française en Afrique empêtrée dans ses contradictions, dans ses scandales (Elf, Angolagate, …), dans son clientélisme et dans ses erreurs dramatiques et ses fautes d’analyse (Rwanda) s’est cherchée sans se trouver, enferrée dans ses anachronismes et son passé colonial. Elle y a aussi perdu ses positions pétrolières au bénéfice des Américains et des Chinois, alors que le pétrole africain place le continent au cœur des enjeux stratégiques et énergétiques du XXIème siècle.
L’idée de ne voir en Madagascar qu’une partie de la chasse gardée de l’ancienne puissance colonisatrice paraîtra de fait dépassée si on se tient à la vision originale d’une Françafrique bâtie sur des rapports émaillés de coups bas, de barbouzeries, d’assassinats, de corruption, de détournement, de financements occultes, de pillage des ressources et de jeux politiques pervertis par des relations personnelles entre chefs d’Etat français et africains.
Sur le plateau des approvisionnements français en pétrole ou en uranium, Madagascar, ne représente ni la manne du Gabon ou du Congo, ni celle du Niger. Elf¬Total ou Areva, soutenus par la puissance publique française, ont bien tiré de leurs exploitations les moyens financiers, suffisants pour dicter leur jeu aux dirigeants africains de ces pays, et assurer la nécessaire sauvegarde de leurs intérêts. La Françafrique avait des moyens. Les a¬ t-¬elle encore aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr quand les logiques de restrictions budgétaires de la République lui font faire économie de tout bois.
La présence de conseillers militaires français, affichée le 26 juin aux cotés de Rajoelina, relevait des accords cadre de 2006 passés avec le gouvernement Ravalomanana. Elle a toujours été une composante des relations de partenariat et de coopération technique entre Paris et Antananarivo. Mais, de fait, à Madagascar, de coups bas et barbouzeries ou d’assassinats, il n’en a pas été, heureusement, question. Quant à la corruption qui aurait vu des valises d’argent transiter de Madagascar vers la France et de Paris vers Antananarivo à coups de rétro commissions, les montants en jeu, les flux de valeur entre Tana et Paris sont bien faibles au regard des milliards en circulation au Gabon, au Congo ou au Niger. Total, que l’on tente d’incriminer sur la thèse de la Françafrique à Madagascar, n’avait ainsi pas d’intérêts à intervenir de manière radicale alors même que le contrat de prospection Bemolanga passé avec l’Etat malgache était établi. Que faute de confiance, Total ait apprécié avoir un interlocuteur plus francophile qui lui serait à long terme plus favorable, est une hypothèse. Mais il ne s’agit là que d’une conjecture.
Ne voir que la main d’une Françafrique affaiblie dans les évènements de Madagascar relève d’une analyse simpliste qui obère la prise en compte de la complexité et de l’ambiguïté de la position française. Cette image d’une France jalouse de son ancien empire colonial, s’il a pu satisfaire les « damnés » du néo¬colonialisme en mal de légitimité d’une construction intellectuelle et politique, ne semble ainsi pas satisfaire une analyse poussée.
FRANÇAFRIQUE OU LOBBYISTES ? MONSIEUR ROBERT BOURGI ET LES AUTRES
Toutefois, il reste que les anciens réseaux de la Françafrique sont là qui se lisent derrière l’activité de deux acteurs : Le premier est Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée qui a repris le rôle de Jacques Foccart dans le même poste et dans le premier cercle du pouvoir français. Le second est Robert Bourgi, avocat d’affaires, factotum de l’Elysée en Afrique, ami et intermédiaire affiché des dirigeants africains. La relation de ces deux acteurs est certaine, d’autant qu’elle se fonde sur la proximité respective de chacun d’eux avec le président français Nicolas Sarkozy.
Guéant reçoit ainsi à Paris le 19 mai, le sulfureux conseiller franco¬malgache d’Andry Rajoelina, Patrick Leloup, personnage expulsé au début de 2009 par Ravalomanana qui le soupçonnait de comploter au profit du TGV. Leloup avait accompagné Andry Rajoelina à Tripoli pour rencontrer Khadafi, sur une initiative largement appuyée par Claude Guéant. A quoi rimait cette rencontre ? Debriefing ? Coaching ? Robert Bourgi assistait à cette rencontre. Mais ces rencontres, postérieures au coup d’Etat, ne relèveraient dira¬-t-¬on, que de l’intérêt naturel de la diplomatie française pour une résolution de la crise malgache. Mais de cohérence et de cohésion avec la Communauté Internationale qui prône un boycott du pouvoir en place, il n’est point question. Sur la crise, la position de la France reste extrêmement ambiguë. On condamne du bout des lèvres, mais on soutient, on pilote, on conseille, on guide le pouvoir de la HAT.
Le personnage de Bourgi est toutefois plus équivoque. Héritier des réseaux Foccart, alors que ce dernier était un homme d’appareil d’Etat profondément attaché à la République, Robert Bourgi est avant tout cet avocat d’affaires soucieux de son image, de son pouvoir et de son importance dans cette intermédiation caractérisée par une inversion des rapports de force entre les dirigeants africains et Paris. Il se targuera ainsi d’avoir participé à l’éviction de Jean Marie Bockel à la demande pressante de Laurent Gbagbo.
Est¬-ce le Bourgi, l’avocat d’affaires représentant de Imperial Tobacco, l’ancien employeur du ministre des finances Benja Razfimahaleo, qui a rencontré Rajoelina le 7 Avril 2010 à Antananarivo ? Ou bien est-ce le Bourgi, missi dominici de l’Elysée, qui a participé à un entretien, le 4 du même mois, entre Guéant et Ny Hasina Andriamanjato ?
S’affichant dans la tribune officielle du défilé militaire du 26 juin à Mahamasina, dans une assemblée désertée par les représentations étrangères, Bourgi était à l’occasion accompagné de deux confrères, avocats : Philippe Leclerc, de la société d'ingénierie financière Orizon Finance, et Ann¬Philippe de La Giraudière. Ce sont eux qui accompagneront Andry Rajoelina lors de son voyage à Tripoli. Ce sont ceux-là qui ont conseillé à la HAT de se lancer dans une opération Référendum. Ce sont ceux-là aussi qui s’emploient à relancer le projet Intertek de contrôle et de taxation à l’origine des importations malgaches qui met en place une scandaleuse pompe financière. Ce sont toujours ceux la qui proposent le projet controversé, autre pompe financière, de frontal de sur-taxation des appels téléphoniques internationaux entrants IEG (38) 38. C’est enfin toujours le même Ann¬ Philippe de La Giraudière qui a assuré la défense et la libération de Natacha Barday, épouse de cet homme d’affaires expulsé par Marc Ravalomanana, et depuis revenu au pays.
Une partie de la boucle se dessine-¬t¬-elle là, dans ces relations et réseaux d’affaires et d’affairisme qui se croisent et s’entrecroisent et se dévoilent ici, dans cette relation de personnes et d’entreprises mêlée de politique. Alors Françafrique ? Ça en a un peu la couleur, ça en a un peu l’odeur (sulfureuse), ça en a un peu les acteurs. Mais ça n’en a pas la dimension : là où la corruption à grande échelle du monde politique français, le pillage faramineux et l’enrichissement démentiel des chefs d’Etat caractérisaient la Françafrique des « grandes » années d’ELF, on n’a probablement ici que de la diplomatie et de l’affairisme à la petite semaine qui sert les intérêts d’une oligarchie locale et prédatrice. Et monsieur Bourgi s’implique-¬t¬-il sur le dossier malgache au titre d’homme lige de la politique française, ou bien y voit-il l’opportunité économique personnelle de pallier le manque à gagner de la disparition de Bongo ?
De la même manière, les interventions de personnalités politiques dans cette crise telles que Jean François Mancel, faire valoir de Joyandet à l’assemblée (39) 39 et cornac de Rajoelina auprès de groupes de parlementaires (40) 40 et de sénateurs (voir dates) ne relèvent probablement que d’initiatives individuelles reflets de relations interpersonnelles. Jean François Mancel, en 1999, a invité et reçu pendant une semaine à Beauvais l’ancien Premier ministre M Norbert Ratsirahonana (41)41, aujourd’hui tête pensante et stratège de la HAT, lequel entretenait des ambitions électives à l’époque, dans le cadre de « projets », de coopération entre le département de l’Oise et la province de Tananarive. La relation privilégiée qu’il entretient depuis avec le pouvoir en place a probablement été initialisée là.
NOTES
30) « Le ministre de la Haute autorité de Transition (HAT) en charge de l’Eau et de l’Assainissement, Nirhy Lanto Andriamahazo annonce que le fleuve Faraony dans le sud Est, à Manakara, va ravitailler l’Arabie Saoudite en eau » ¬Madagascar Tribune. 20 Juin 2009.
31) « […] un autre projet minier de premier plan va être lancé sur la Grande Île : l'exploitation du fer de Soalala, dans les régions de Boeny et de Melaky. […] le Bureau du cadastre minier de Madagascar (BCMM) a lancé un appel d'offres en avril pour le projet. Vingt et une sociétés ont été présélectionnées […] : Cline Mining Corp. (Canada, en partenariat avec Mitsui), Demir Export AS (Turquie), Diamonds Fields International Ltd (Canada), DMC Mining Ltd (Australie), Essar Steel Holding Ltd (Maurice), Gimpex Ltd (Inde), Hong Kong Wisco Guanxin Kam Wah Resources, Kylin International Corp. Ltd (Chine), MadModSa Alloys (Afrique du Sud), Midwest Holding Ltd (île de Man), Osho Ventures Madagascar SARL, Posco Steel Service & Steel Co. Ltd (Corée du Sud), Hebei Puyang Iron & Steel Co. Ltd (Ambatobe), Sojitz Corp. (Japon), Strike Resources Ltd (Perth), Sumitomo Corp. (Chome Chuo¬Ku, Japon), Tata Group/Tata Afrique Holdings SA (Pty) Ltd (Johannesburg), Tau Capital Corp. (Ontario), Vale do Rio Doce South Africa (Pty) Ltd, Vanga Resources (Suisse), Vedanta Resources Plc & Sesa Goa Ltd (Inde), Sesa Ghor (Mumbai, Inde) » ¬Lettre de l’Océan Indien / Africa Mining Intelligence. N° 195 21/01/2009
32) Bergenza : L’uranium et l’industrie du nucléaire dans le monde. Situation actuelle et perspectives
33) Voir à ce sujet : Madagascar, l’essentiel d’un marché » –Service économique de l’Ambassade de France –
Ubifrance 2010
34) : « C’est la chancelière allemande Angela Merkel qui, durant une visite officielle du président malgache Marc Ravalomanana à Berlin en avril, a joué le rôle d’intermédiaire entre les deux chefs d'Etat. Ravalomanana a été reçu à Paris le 12 avril par Sarkozy, sans que cela ait été prévu originellement par l’agenda. Ils ont ainsi pu évoquer, entre autres dossiers, celui de Total à Madagascar. Ravalomanana au tropisme anglo¬saxon […] fait preuve d'une volonté personnelle de ne pas renforcer les acquisitions des compagnies françaises dans l’île même si son pays est, par ailleurs, candidat pour accueillir le sommet de la francophonie en 2010. Ravalomanana n'a jamais soutenu le projet de Total, militant plutôt pour les Chinois de la China National Petroleum Corp. Après avoir convenu pendant l’été avec Sarkozy qu’il mettrait de la bonne volonté pour la résolution de ce dossier, Ravalomanana a exigé du groupe que son PDG, Christophe de Margerie, vienne signer en personne le contrat, ce que ce dernier n’a pas accepté. Margerie a donc délégué à Antananarivo, comme à l'accoutumé, le directeur E&P du groupe, Yves¬Louis Darricarrère. Ravalomanana a ensuite décidé de ne pas assister à la signature officielle du contrat afin de montrer son mécontentement ». Lettre de l’Océan Indien / Africa Energy Intelligence. N° 590 du 15/10/2008
35) « La France reste, de très loin, le premier pays client historique de Madagascar en absorbant 38% des exportations malgaches en 2008, avec même une légère tendance haussière au cours des dix dernières années.[…] La France détient 6,9% de parts des importations malgaches en 2008 (14,6% en 2007) ce qui la situe au troisième rang des pays fournisseurs, après la Chine (22,2% contre 16,7% en 2007) […] qui s’adjuge la place de premier fournisseur grâce à la fourniture de grands équipements : pipeline de 220 km, moteurs et turbines pour centrale hydroélectrique, équipements pour centrale thermique, équipements ferroviaires, etc.
L’analyse des importations malgaches confirme un tropisme asiatique croissant, en ligne avec la tendance mondiale. Désormais, l’Asie de l’Est détient 34,8% des importations malgaches (25% en 2007), essentiellement en provenance du monde chinois (23,2% pour Chine, HK, Taiwan), ASEAN (6%), Japon¬Corée du Sud (5,5%) ».¬ Mission économoique Ambassade de France
36) Les intérêts français sont principalement dans les activités financières (Crédit Agricole¬BNI, BFV¬Société Générale, BNP¬Paribas avec BMOI), distribution de produits pétroliers et énergie (Total, LP, Air Liquide, Rubisgaz/Vitogaz), BTP et immobilier (Colas, Sogea/Vinci, Guy Hoquet, Getim), transports et tourisme (Air France, Corsair/Nouvelles Frontières enregistrée comme filiale française malgré son actionnariat allemand, Accor avec un investisseur local, Caillé/Sicam, CMA¬CGM, AGS, […] ingénierie et études (Socotec, Sofreco, Sogreah, Brl), grande distribution (Casino,Weldom/Ravate). (4)
37) « Piloté par Michel de Bonnecorse, ancien conseiller Afrique de l'Elysée, un rapport du Conseil des affaires étrangères (Quai d'Orsay) redéfinit "Les intérêts économiques français face à l'irruption de nouveaux acteurs en Afrique". "Très appréciée des dirigeants Africains pour l'absence de conditionnalité politique et le volume ainsi que la panoplie des instruments financiers", l'aide chinoise à l'Afrique, de l'ordre de 10 milliards de dollars, est liée à 70%. Premier fournisseur en Afrique subsaharienne (11%) devant la France, la Chine est aujourd'hui son troisième partenaire commercial. En trois ans, Pékin a rogné 1,5 point de parts de marché à la France et 1 point au Royaume¬-Uni, alors que l'Allemagne est en légère progression et les autres pays émergents en forte augmentation (+1,8 pour le Brésil et +1 pour l'Inde). L'empire du Milieu remporte des contrats au détriment des opérateurs français dans tous les secteurs d'activité, y compris la santé (médicaments génériques au Kenya et à Madagascar). Les deux secteurs où les intérêts français sont les plus menacés sont le BTP et les télécoms : "En Angola, une ligne de crédit chinoise de 5 milliards de dollars devrait ôter toutes les chances de la France pour la construction de l'aéroport et de 3 000 km de voie ferrée". Paris conserverait cependant quelques bastions grâce à Total, GDF, Eramet et Areva (manganèse et uranium), sans même parler de la distribution des produits chinois en Afrique par des sociétés comme CFAO (filiale du groupe PPR) » – Lettre de l’Ocean Indien N° 534 ¬07/02/08 – «Afrique/Chine - ¬Quel impact sur les intérêts français»
38) « Philippe Leclerc de la société française Orizon Finance est le promoteur d'au moins deux projets controversés : l'octroi à la société britannique Intertek d'un contrat pour le contrôle pré¬embarquement des importations malgaches, ainsi que l'attribution à la firme Vocalpad d'Hassan Ghandour d'une autorisation pour installer et gérer une "passerelle internationale unique", qui servira à surveiller et taxer les appels téléphoniques internationaux. Ces deux initiatives sont vivement combattues : la première par les importateurs et la seconde par les opérateurs téléphoniques (Telma, Airtel et Orange) »– TGV cherche des financements à tout va ¬¬La Lettre de l’Océan Indien N° 1300 ¬08/01/2011.
39) JF Mancel s’avançait ainsi à déclarer de manière pour le moins partisane: « L’ancien président, Marc Ravalomanana, qui a dû prendre la fuite sous la pression de la population malgache à la suite des exactions qu’il avait commises, a quitté l’île et une haute autorité de transition a été mise en place, présidée par le maire de Tananarive, Andry Rajoelina. La communauté internationale a considéré que ce pouvoir n’avait pas suffisamment de légitimité démocratique et elle a suspendu les aides financières attribuées à Madagascar. La France quant à elle a maintenu son aide publique bilatérale – le fait mérite d’être souligné.
Depuis, la communauté internationale a imposé à Madagascar et au président de la haute autorité une série de conditions très lourdes à remplir: organiser une réunion de concertation avec les anciens présidents de Madagascar, accepter de changer la composition de son gouvernement pour y représenter les différentes mouvances politiques du pays, fixer rapidement des dates d’élection. Le président Rajoelina, très courageusement, a décidé, prenant en considération l’intérêt supérieur de son pays, d’accepter ces conditions et est prêt à signer un accord. Mais, depuis, l’ex¬président Ravalomanana cherche, par tous les moyens, à en empêcher la signature, retardant du même coup la reprise des aides financières.
Je souhaiterais, donc, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous disiez, compte tenu de l’amitié qui nous lie à Madagascar et de l’importante communauté française et franco¬malgache qui réside là¬bas ou en France, ce que compte faire notre pays pour précipiter la signature de cet accord » ¬Jean François Mancel / Assemblée Nationale. 28/10/2009
40) Jean Faure, président du Groupe Amitié France Madagascar du Sénat, avait refusé de recevoir officiellement le président de la HAT. C’est une petite partie du groupe en question qui aura reçu Andry Rajoelina. Mais de retour de cette rencontre point : ni déclaration officielle, ni avis communiqué commun.
41) L'axe Beauvaix-Antananarivo– La Lettre de l’Océan Indien ¬N° 854 ¬17/04/1999
* Patrick Rakotomalala (Lalatiana Pitchboule) - Madagoravox.wordpress.com
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