Election présidentielle 2012 : Etat d’évolution des rapports de forces
Le Sénégal s’engage dans la dernière semaine de campagne pour l’élection présidentielle, dans un contexte toujours marqué par les violences et la contestation de la candidature d’Abdoulaye Wade. Il reste que ce dernier, engagé dans la campagne, s’applique à délimiter son espace politique et à conforter ses alliances. Dans cette dernière semaine avant l’élection la mobilisation au sein de l’opposition est appelée à élargir et à renforcer ses stratégies d’actions.
INTRODUCTION
De façon générale, une campagne électorale, qui n’est pas précédée d’élections primaires pour le choix des candidats, sert, dans un premier temps, aux candidats en course, à camper leur camp respectif dans le champ de bataille que compose l’électorat, pour bien délimiter les lignes de démarcation entre eux, afin de pouvoir, dans un second temps, les faire bouger au maximum en sa faveur chacun, avant de procéder, dans un troisième temps, à l’assaut des urnes le jour du scrutin.
Dans la perspectives de la présidentielles du 26 février 2012, ce scénario électoral classique est biaisé au Sénégal par la volonté du chef de l’Etat sortant, qui est décidé à imposer sa candidature à un troisième mandat que la Constitution ne lui permet pas. C’est cette circonstance qui donne au processus électoral encours, un cachet particulier que certains analystes ne veulent pas prendre en compte dans leur évaluation, alors qu’elle est le reflet évident de la volonté du chef de l’Etat sortant de confisquer le pouvoir en se proclamant vainqueur dès la tenue du premier tour de l’élection présidentielle le 26 février. Ils demandent ainsi aux candidats de l’opposition de fermer les yeux sur cette forfaiture et de prendre acte de la validation de la candidature du chef de l’Etat sortant par le Conseil constitutionnel, dont l’indépendance par rapport au pouvoir exécutif est mise en doute même par une délégation d’observateurs de l’Union Européenne qui s’est rendue compte qu’il a sollicité les services du ministère de l’intérieur pour prendre des décisions.
Il est donc étonnant, qu’après un tel constat du manque d’indépendance du juge électoral, que l’on cherche encore à convaincre l’opinion, que le processus électoral est suffisamment fiable pour empêcher le chef de l’Etat sortant d’accomplir son holdup up électoral, tout en sachant en âme et conscience que les éléments consensuels de cette fiabilisation du vote que sont « le bulletin unique et l’utilisation du spray à la place de l’encre qui n’est pas indélébile » , ont été soustraits du code électoral. Mieux, comment peuvent ils ignorer la prise des décrets n° 2012-177 et 178 ; et 2012 -180 et 181, le 26 janvier 2012, soit à un mois de la tenue du premier tour des élections, qui portent nomination et affectation, entre autres, d’instituteurs de la « Génération du concret », comme sous-préfets et sous-préfets adjoints, à la place des secrétaires d’administration formés à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et qui végètent à la Direction de l’Administration Générale et de l’Administration Territoriale (DAGAT) du ministère de l’Intérieur ? Ne savent ils pas que cette « Génération du concret » est une organisation politique sous la houlette du fils du chef de l’Etat sortant, qui cherche à hériter du pouvoir de son père, au lendemain du holdup électoral ?
Comment donc peut on demander aux autres candidats à cette élection, particulièrement ceux regroupés au sein du M23, de faire comme si les conditions sont réunies pour un scrutin transparent, et de laisser le peuple, par son suffrage, décider du sort du chef de l’Etat sortant ? Il est donc évident, dans ces conditions, que le sort du président sortant ne peut pas se régler par les urnes, mais bien par l’établissement d’un rapport de forces, bien avant le 26 février, en mesure de l’obliger, par la négociation ou par la rue, à respecter la Constitution en retirant sa candidature. C’est cette circonstance qui donne à la campagne électorale en cours son cachet particulier. Elle est avant tout une campagne pour sceller le sort du chef de l’Etat sortant, avant d’être une campagne de compétition de programmes économiques et sociaux pour gagner la faveur de l’électorat. C’est cela qui fait la trame qui polarise les rapports de forces entre ceux qui veulent faire fi du projet en cours de confiscation du pouvoir par le chef l’Etat, et ceux qui en font leur point de mire. L’analyse du déroulement de la première semaine de la campagne électorale, sous ce rapport, permet de bien cerner l’état des rapports de forces, et leurs perspectives d’évolution dans la deuxième semaine qui démarre dès lundi 13 février 2012
EVALUATION DE LA PREMIERE SEMAINE DE LA CAMPAGNE ELECTORALE
Le chef de l’Etat sortant est parvenu, depuis la validation de sa candidature par le Conseil constitutionnel, à stopper, momentanément, l’érosion de son parti politique consécutive à des démissions en cascade de hauts responsables. L’épouvantail de la « prison pour tous, en cas de défaite » et le slogan « le candidat qui rassure », semblent avoir produit les effets escomptés parmi les rangs du Parti au pouvoir et des alliés du chef de l’Etat sortant. Ceux qui se sont enrichis dans l’exercice de leurs fonctions dans l’appareil d’Etat, et ceux qui constituent la « nouvelle classe d’entrepreneurs » que le chef de l’Etat a fabriquée artificiellement à travers les marchés publics et la spéculation foncière, ont repris leurs esprits pour s’engager résolument à ameuter l’opinion pour qu’elle accepte la candidature de Wade, et qu’elle préserve la paix pour la tenue des élections le 26 février 2012, en tentant de faire croire que seul leur suffrage pourra trancher le sort du Président sortant.
De même, après avoir constaté qu’il lui était impossible de faire de la communauté mouride sa base politique exclusive, il a consacré la première semaine de la campagne à tenter de railler le soutien des chefs des autres communautés religieuses et de l’aristocratie coutumière, qu’il longtemps snobés tout le long de son règne.
Mais sachant qu’il ne pouvait pas obtenir, pour le moment, leur soutient direct, il s’est contenté de leur demander de faire, au nom de la préservation de la paix, pression sur le M23 et l’opinion, pour qu’ils acceptent la validation de sa candidature afin d’aller à un scrutin tranquille, qui lui permettrait, sans résistance aucune, de perpétrer son forfait, qu’il faudrait aussi accepter au nom de cette même paix et du respect du suffrage du peuple. Il exploite ainsi à fond, leur tradition légitimiste pour les fixer dans son camp.
Tout laisse croire, qu’il est entrain, de réussir son coup, si l’on se réfère aux discours ambiants de chefs religieux et coutumiers, qui ont ainsi freiné le processus d’exigence du retrait de la candidature du chef de l’Etat sortant qui était enclenché par certains parmi eux.
Ainsi durant la première semaine de la campagne électorale, Wade est parvenu à délimiter son camp.
Son camp vient même d’être renforcé par la décision de Macky Sal, d’aller aux élections en compétition avec Wade, sous prétexte qu’il se réfère, en temps que talibé mouride, à l’appel de son guide qui demande d’accepter la validation de la candidature de Wade par le Conseil Constitutionnel.
Cette décision sort Macky Sal des rangs de ceux qui exigent le retrait de la candidature de Wade, et le place dans les rangs, à combattre, du chef de l’Etat sortant.
Pour ce qui est du camp du refus de la candidature de Wade, il est composé des candidatures les plus significatives de l’opposition qui se sont regroupées au sein du M23, en compagnie de personnalités et d’organisations de la société civile qui ont ratifié les conclusions des Assises nationales. Ce sont des forces issues des couches moyennes intellectuelles, d’artistes, et de milieux d’affaires, qui en constituent la base sociale.
Ce camp a reçu l’appui de forces issues des milieux religieux qui se sont clairement démarquées en exigeant, publiquement, le retrait de la candidature de Wade pour créer les conditions de la paix et de la stabilité nécessaires au déroulement d’une élection transparente.
Les frontières du camp du refus se sont ainsi délimitées.
Ce camp est renforcé par l’attitude des partenaires économiques et financiers du Sénégal et de la plupart des chefs d’Etat africains, à l’exception notoire de celui de Cote d’Ivoire, qui ont demandé au président Sénégalais sortant de se retirer pour préserver la stabilité et la paix dans le pays.
Mais les forces syndicales et rurales organisées, qui ont participé aux assises nationales et qui sont l’objet, depuis lors, d’ostracisme de la part des tenants du pouvoir, ne se sont pas encore impliquées dans le camp du refus. Leur neutralité légendaire en matière électorale est aujourd’hui un obstacle pour les faire participer, au sein du M23, à la création de conditions permettant d’assurer des élections paisibles et transparentes. Fortement mobilisées dans leurs luttes sectorielles, elles ne semblent pas encore prendre conscience que la satisfaction de leurs revendications, dans le contexte de campagne électorale actuelle, dépend en grande partie, du sort du président sortant, et pas seulement de leur détermination dans ces luttes.
Le président sortant, mise sur leur neutralité électorale, pour négliger leurs luttes, afin de mobiliser les ressources disponibles pour acheter la loyauté de la bureaucratie d’Etat en augmentant les indemnités des Présidents de juridictions du pouvoir judiciaire, des Présidents et vice Présidents des conseils ruraux et régionaux, et des adjoints aux Maires, après avoir mobilisé 8 milliards pour la rémunération des chefs de village, qui, sous l’égide des sous-préfets, constituent la cheville ouvrière de l’organisation matérielle des élections.
Les risques d’année blanche, le renchérissement du coût de la vie, et la famine qui s’installe dans le monde rural, sont relégués au second plan par le président sortant, pour s’occuper à parfaire sa machine de fraude.
Ce sont donc ces rapports de force ainsi délimités durant la première semaine de campagne électorale, que les deux camps vont essayer de faire bouger en leur faveur durant toute la deuxième semaine de campagne qui est décisive en direction du scrutin du 26 Février.
PERSPECTIVES D’EVOLUTION DES RAPPORTS DE FORCES DANS LA DEUXIEME SEMAINE
Le camp du président sortant va accentuer son discours d’assurance pour empêcher de nouvelles défections de ses rangs, tout en exploitant, plus à fonds, la culture légitimiste et de paix des milieux religieux et coutumiers, pour mettre le M23, présenté comme fossoyeur de la légalité et de la paix, au banc de la société, et comme cible à réprimer pour faire respecter l’ordre. De même, il va chercher à accentuer les effets que la défection de Macky Sal pourrait avoir sur les candidats membres du M23, pour les pousser à accepter d’aller aux élections en compétition avec lui.
Il compte, pour ce faire, sur l’électoralisme et l’appétit du pouvoir qui pourraient amener, à la longue, certains candidats à vouloir jouer le jeu. Pour cela, il utilisera la corruption, et le deal de « partage du pouvoir », avec sa proposition de « Gouvernement d’Union Nationale », à l’issu de sa confiscation du pouvoir.
Quand au camp du refus, il exploitera au maximum le rejet par l’écrasante majorité des cadres du PDS, du projet de transmission du pouvoir à son fils, une fois son forfait accompli. La rentrée de sa fille dans la campagne électorale, et la violation récente du Code des marchés publics pour permettre à son fils de recourir au « gré à gré » dans l’achat de combustible pour la SENELEC, du carburant pour l’Administration, et du gaz butane pour les ménages, montrent à suffisance, qu’il est décidé à donner à sa famille les moyens politiques et financiers pour mieux s’imposer dans la campagne électorale pour réaliser son projet de holdup électoral. De même, l’épouvantail agité de « chasse aux sorcières » en cas de départ de Wade, devrait être levé pour réconforter tous ceux qui rejettent le projet de Wade, mais restent encore inquiets quand à leur sort en cas de son départ du pouvoir.
En outre, il faudra au camp du refus, s’atteler à faire transcender les chefs religieux et coutumiers de leur tradition légitimiste et de leur souci pour la paix et la stabilité, en les persuadant que la seule garantie pour qu’elles soient réellement préservées, réside moins dans la recherche à conforter Wade dans ses projets de confiscation du pouvoir et de sa transmission à son fils, que dans son retrait, pour ouvrir, dans la troisième semaine de la campagne électorale, des négociations avec le M23 et ses candidats, des conditions de son départ du pouvoir et de création de conditions apaisées pour des élections transparentes. Ces forces religieuses et coutumières ne peuvent pas ne pas avoir tiré les leçons de la première semaine de campagne électorale, et ne sauraient, en conséquence, ne pas être sensibles à de telles perspectives de paix et de stabilité. C’est de cette manière que pourrait redémarrer l’exigence du retrait de Wade qui émanait de leurs milieux et qui s’est arrêtée durant la première semaine de campagne électorale.
Mais c’est surtout, l’implication effective des syndicats des travailleurs et des organisations du monde rural dans le M23, qui est à rechercher durant cette deuxième semaine. La corruption en leur milieu, et la tradition de collaboration avec le pouvoir, ne peuvent être des obstacles insurmontables, si l’on prend en compte l’expérience de l’évolution de leurs collègues en Tunisie et en Egypte, où ces organisations étaient encore plus inféodées et corrompues. Il faudrait donc s’atteler à leur monter toute la place qu’elles devraient occuper auprès des couches moyennes issues des milieux intellectuels, d’affaire et des artistes, regroupées dans le M23, pour sauver la République, la démocratie, et créer les conditions d’un Etat de droit, sans lesquelles, leurs revendications, même acceptées par le pouvoir sous la contrainte, ne sont jamais respectées. C’est ce qui les oblige à se battre régulièrement sans jamais obtenir gain de cause, et qui leur donne le sentiment d’impuissance et d’un éternel recommencement. Il leur est donc indispensable de s’opposer au coup de force électoral mis en œuvre par le Président sortant, en transcendant leur neutralité électorale sur laquelle Wade compte énormément pour arriver à ses fins.
L’alliance des organisations syndicales et rurales avec les couches moyennes dans le M23, est donc l’objectif majeur qui doit être atteint par le camp du refus, durant cette deuxième semaine.
Le sort du scrutin du 26 Février en dépend largement. La fin de la deuxième semaine de campagne électorale devrait donc nous édifier vers quel sens les lignes de démarcations, issues de la première semaine, vont bouger. Cette deuxième semaine de la campagne électorale est donc la semaine de tous les dangers.
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* Ibrahima Sène est membre du Parti pour l’Indépendance et le Travail/Sénégal
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