Commerce, genre et la recherche d’alternatives

Ce sont les femmes qui subissent le plus les effets de la libéralisation du commerce sur le développement social à travers un manque d’accès aux services sociaux de base. Mais, comme l’écrit Jennifer Chiriga d’ Alternative Information and Development Centre, l’un des impacts majeurs du commerce sur les femmes est la manière dont l’éthique capitaliste joue à construire la masculinité alors qu’en même temps elle diminue le rôle que les femmes jouent dans la société. Les alternatives sont en vue, soutient-elle.

Les tendances définissant les relations actuelles dans les domaines du commerce et de l’économie à travers le monde et le processus à travers lequel les relations économiques internationales actuelles se jouent, et les marchés pour les produits et les services se définissent de plus en plus, tombent tous sous la rubrique de mondialisation.

L’élargissement du commerce international a manifesté, au cours des quelques dernières décennies, une profonde transformation, avec l’émergence de l’intégration de l’activité économique, y compris l’élimination des restrictions en matière de circulation libre du capital, des biens, des ressources, de la technologie et des services à travers les frontières.

Toutes les régions du globe se rapprochent les unes des autres à travers l’intensification des transactions commerciales, des transactions en investissement, des transactions financières, et la technologie de l’information. Malheureusement, l’expansion mondiale n’a pas affecté les régions en développement de la même manière, et l’Afrique continue de traîner derrière.

La caractéristique principale de la mondialisation est une vague dans le pouvoir du capital mondial et la réorganisation de la production mondiale à travers des entreprises multinationales qui exercent une influence énorme sur les économies. La mondialisation a été assez judicieusement citée comme « en grande partie le jeu des plus forts… ceux qui sont forts font ce qu’ils veulent, et les faibles doivent rendre ce qu’il ne peuvent pas protéger » (Tandon, cité dans Vale and Maseko, 1998).

D’autres caractéristiques pour définir la mondialisation sont une économie mondiale plus intégrée avec des interdépendances parmi les nations, mais dont les bénéfices s’en vont vers les économies développées ; le déclin en investissement dans le domaine de la production, avec des compagnies qui bougent davantage vers un investissement spéculatif, ce qui amène des profits plus rapides et plus élevés ; le secteur public en diminution, avec l’Etat qui devient plus orienté vers les affaires à travers la privatisation des entreprises de l’Etat, et le pouvoir phénoménal des entreprises multinationales qui ont l’influence pour diriger le commerce mondial et influencer les gouvernements, comme cela se voit par le pouvoir de la Banque Mondiale (BM), du Fonds Monétaire International (FMI) et de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

L’OMC ne concerne pas juste le commerce, elle concerne le pouvoir et le contrôle des ressources. Les pays développés façonnent et contrôlent les régimes commerciaux qui affectent les pays en développement et cela mène à la dé-industrialisation, aux pertes d’emplois et à l’aggravation de la pauvreté. Ceci est prouvé par l’expérience des pays en développement qui sont en train de subir le commerce appliqué par le FMI/ la BM à travers des programmes d’ajustement structurel néo-libéraux, qui ont été forcés à libéraliser leur commerce extérieur, et ont en conséquence souffert de la destruction des industries locales conduisant aux renvois massifs des employés.

En dépit de la compréhension conventionnelle au sujet de la création d’un système commercial mondial libre « ouvert », il y a un « commerce libre » très limité, particulièrement pour les pays africains. La pertinence de l’OMC dans le système mondial est qu’elle est vue comme une institution centrale dans une économie mondiale centralisée. Ceci a une pertinence majeure pour les pays africains au fur et à mesure qu’ils affrontent d’énormes défis en développement.

L’orientation externe des pays africains a conduit à l’ouverture des marchés mondiaux, ce qui a eu pour résultat l’inondation des importations et la domination des produits, par exemple les produits agricoles et les textiles, pour n’en citer que quelques-uns, et ceci a conduit à la perte massive d’emplois dans les secteurs ruraux et urbains, à des menaces contre la sécurité alimentaire et l’abandon du projet de développement social. Les effets de la libéralisation du commerce sur le développement social sont prouvés par le manque d’accès aux services sociaux de base, un scénario dans lequel les femmes portent le plus grand fardeau.

Genre et Commerce

L’un des facteurs majeurs dans l’inégalité des genres a trait à la façon dont les perceptions négatives coulent les différences entre les genres et la façon dont l’éthique capitaliste joue dans la construction de la masculinité tandis qu’en même temps elle réduit le rôle que les femmes jouent dans la société où elles occupent le deuxième rang en matière de gains. Le genre est un déterminant clé de vulnérabilité à la pauvreté. Et les femmes, à cause de leur position désavantageuse sur le marché de l’emploi, tiennent les postes d’emploi les moins bien rémunérés, qui demandent un niveau plus bas d’aptitudes etc.

Même si les analystes du genre ont, pour longtemps, mis l’accent sur les impacts négatifs de la libéralisation du commerce, le lien entre genre et commerce a été tenu, en grande partie parce que peut-être les considérations du genre ont été perçues comme étant sans pertinence et n’ayant pas de place à la table des négociations où les questions commerciales sont discutées. Si on les regarde à travers un prisme du genre, les politiques commerciales ont des implications sérieuses pour le développement et le bien-être des femmes, compte tenu de l’impact sur l’emploi, la pauvreté et le fardeau social porté par les femmes.

Bien que les femmes soient une circonscription importante et significative, la politique commerciale au sein de l’OMC est formulée sans aucun élément prouvant une perspective tenant compte du genre. Une étude sur les liens politiques entre le genre et le commerce (Groupe Informel de Travail sur le Genre et le commerce, 1998) a dégagé un nombre de « points sur la réalité » qui lient le genre et le commerce, et elle défend l’importance de placer l’analyse du genre au centre de la politique commerciale.

a)Les changements dans la fourniture des services sociaux affectent les femmes dans une proportion plus vaste. Les politiques commerciales et la libéralisation du commerce peuvent affecter l’habileté des gouvernements à financer les dépenses du secteur social. L’observation est que toute baisse de revenues qui conduisent à la réduction des dépenses des gouvernements affecte la fourniture du service social, et le fardeau est dévié vers les ménages et les femmes.

L’étude indique qu’en 1993 les femmes ont donné à l’économie mondiale une contribution qui équivaut à plus de 11 trillions de US $ en travail domestique, et que la politique commerciale devrait, par conséquent, ne pas ignorer le travail non rémunéré des femmes dans la reproduction sociale. La planification du genre devrait être bâtie dans la conception des politiques commerciales. Un point très important qu’on fait ressortir est que le développement social devrait être la base de la politique commerciale puisque les rôles traditionnels des femmes ne leur permettent pas d’accéder facilement aux opportunités de s’engager dans le commerce mondial.

b)Les inégalités entre les genres qui se sont enracinées sur le marché de l’emploi sont défavorables aux femmes. Le marché de l’emploi tend à être segmenté selon les spécificités des genres avec des inégalités en revenu, en avancement dans les carrières et en termes de conditions de travail. Selon la tradition, l’élargissement du commerce est basé sur l’accès au travail avec faible rémunération, qui est essentiellement le travail féminin. La libéralisation du commerce et la recrudescence du capital étranger et les entreprises transnationales maintiennent la compétitivité à travers la minimisation des coûts de production, spécialement les coûts de main d’œuvre.

Alors que l’on peut généraliser les effets négatifs sur le marché de l’emploi, pour les femmes l’impact est plus élevé – elles sont moins rémunérées et elles ont moins de pouvoir de négocier les prix parce que les unions tendent à être dominées par un leadership masculin. Le danger de la libéralisation du commerce qui emmène plus de difficultés pour les femmes est très réel – parce qu’un travail de sous-contrat et flexible permet aux entreprises d’éviter la responsabilité financière directe pour les travailleurs.

c)Les femmes ont moins d’accès aux ressources économiques : le crédit, les aptitudes, l’assistance technique. La discrimination institutionnalisée affecte l’accès des femmes aux terres et au crédit de la part des institutions financières, et, par conséquent, elle affecte de façon très fondamentale leur rôle dans l’économie. Lorsque les barrières commerciales sont réduites et qu’une infusion d’importations moins chères intervient sur le marché, les femmes pourraient perdre spécialement quand le contrôle de la qualité devient une question et introduit un manque de compétitivité.

L’une des lacunes principales existantes est qu’au moment où les règles de l’OMC englobent tous les niveaux de développement économique, il n’y a pas d’analyse des genres qui fait l’évaluation de ces règles d’une façon structurée. Alors qu’il y a une source prête de la recherche scientifique qui documente les réalités des vies des femmes et comment l’économie a un impact sur elles, les liens conceptuels et politiques entre les genres et le commerce doivent recevoir davantage d’attention et les tentatives de générer une analyse plus poussée sur le lien entre les genres et la politique commerciale devraient soulever les questions suivantes:

- les politiques commerciales sont-elles tournées vers l’élimination de la pauvreté et l’inégalité des genres ?
- Les règles commerciales empêchent-elles les gouvernements et les
affaires privées de formuler les politiques tenant compte du genre ; - les politiques commerciales sont-elles basées sur la compétition, qui ignore les tâches reproductives, c-à-d renforçant le modèle masculin de supériorité. Même au moment où nous nous colletons avec les dimensions spécifiques en matière du genre, la politique commerciale ne devrait pas être approchée isolément par rapport à la politique économique au niveau le plus large. Dans ce contexte, la discussion sur les alternatives soulève des sujets d’interrogation très étendus.

Les stratégies alternatives pour le développement.

Le changement est possible à travers une rupture avec le modèle général du capital mondial dominant. L’émergence des forums nationaux, régionaux et internationaux tels que le Forum Social Africain (FSA) et le Forum Social Mondial (FSM) est un signe qu’il y a une tendance croissante des organisations et mouvements sociaux qui se mobilisent à réfléchir et à échanger des idées sur des visions et actions alternatives.

Le FSM a été conçu comme une réponse à la lutte grandissante contre le néo-libéralisme et une alternative au Forum Economique Mondial où les leaders des affaires provenant du monde entier se rassemblent en vue de discuter l’état économique du globe, et c’est une arène de débat, de même qu’une opportunité pour les mouvements sociaux et les militants du Nord et du Sud de se rencontrer et d’échanger des idées.

Il y a déjà un langage puissant qui, cependant, est en train d’être miné par la concentration des richesses et du pouvoir anti-démocratique des entreprises mondiales puissantes. Néanmoins, l’émergence du régionalisme en tant qu’alternative est en train de gagner du terrain comme une solution possible à la dislocation du potentiel économique de l’Afrique. Les questions à poser dans toutes réflexions sur les alternatives sont :

-Comment faire en sorte que la volonté politique nécessaire pour le projet régional tienne compte des genres ;
-Comment le concept géopolitique du régionalisme peut-il être renforcé pour faire face au système mondialisé et défier celui-ci sous un angle plus fort;
-Comment l’Afrique peut-elle transformer les regroupements de l’intégration et de la coopération régionales en cadres réels pour les modèles alternatives du développement.

Déjà l’Afrique a quelques exemples d’un modèle d’intégration régionale unique qui a ses racines dans la solidarité panafricaine. Il y a la potentialité pour les blocs régionaux renforcés d’intégrer les besoins de développement des économies en émergence. L’intégration régionale a la potentialité de briser l’équilibre que les pays industriels ont sur l’Afrique, pays dont les gouvernements doivent se rendre compte du fait que la collaboration du local avec le régional et le continental est l’avenir en termes de développement économique.

En réponse aux questions soulevées ci-dessus, l’une des considérations clés est que la mobilisation sociale de mouvements et organisations sociaux forts peut fournir la pression et l’insistance qui vont finalement causer un déplacement de l’équilibre mondial du pouvoir. Les mouvements sociaux devraient être la fondation du processus basé sur les gens qui promeut le régionalisme dans le domaine du développement, centré sur les droits humains, les droits de la femme et la justice sociale. L’engagement devrait être envers une région unifiée dans laquelle le développement local et celui basé sur la communauté est la pierre angulaire des programmes nationaux et régionaux de développement.

A travers les interdépendances stratégiques, nous devons réorienter le commerce vers les espaces locaux et régionaux, accroître la fabrication et la production et valoriser nos produits primaires. En plus, les politiques de libéralisation et de privatisation devraient être remplacées et nous devrions créer des accords commerciaux et de coopération en développement qui devraient refléter les réalités et les besoins des gens, et qui ne sont pas pré-déterminés ou soumis au respect des termes et exigences de l’OMC.

Le développement coopératif assurerait, par exemple, que les ressources partagées telles que l’énergie, l’eau etc., pourraient être approchées de manière complète pour l’intérêt de toute la région. Mais aussi longtemps que les économies puissantes comme celle de l’Afrique du Sud continuent de suivre un programme sous-impérialiste, ce sera une lutte perdue. Les gouvernements africains doivent coopérer, coordonner et combiner. Comme l’a indiqué quelqu’un lors d’un atelier tenu récemment, « les économies extroverties ne nous amèneront nulle part. »

*Jennifer Chiriga est Coordinatrice du Département Mondialisation et Alternatives, Alternative Information and Development Centre (AIDC), le Cap.

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L’article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 240.
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