Criminalisation de la Violence contre les Enfants
« Vos enfants ne sont pas vos enfants,
Ce sont les fils et les filles de la Volonté de « Vie » pour elle-même.
Ils viennent à travers vous mais ils ne sont pas de vous vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, pourtant ils n’appartiennent pas à vous. »
[ Khalil Gibran, Le Prophète]. Dikpak Naker s’exprime sur les raisons pour lesquelles il ne convient pas de frapper vos enfants.
L’autre jour je parlais avec un collègue qui est activiste pour la prévention de la violence contre la femme. Quand je lui ai demandé si elle frappe son enfant, elle m’a répondu , « je ne tape pas sur lui mais s’il perd la ligne, je n’hésiterai pas à utiliser la gifle. » Sa réponse m’a étonnée et m’a amenée à commencer ma propre expérience de poser aux amis et collègues la même question. Le même genre de réponse a continué. La plupart d’adultes ont répondu en disant que si on le fait avec modération, frapper les enfants est un moyen utile d’orienter leur comportement. Certains ont ajouté des qualificatifs tels que « ça doit faire partie d’une approche disciplinaire plus vaste ou intervenir comme le tout dernier recours.
Néanmoins, beaucoup d’adultes croyaient avoir raison de recourir à la violence contre les enfants sous la couverture de contrôler leur conduite. Même ceux qui avaient vu l’effet corrosif de la dynamique qui mène à la violence d’un homme envers une femme ont répondu à la question par leur propre question : qu’est-ce qu’il y a de mal à frapper les enfants pour leur apprendre comment se comporter ? Certains posaient la question avec un étonnement réel, tandis que d’autres la posaient tout simplement parce qu’ils comprenaient pas d’interaction avec les enfants qui n’implique pas l’affirmation de la force sur les enfants.
Beaucoup d’entre nous ont eu des années d’expérience au cours desquelles nous avons appris que les adultes devraient contrôler les enfants autour d’eux et que dans cette entreprise, les frapper est une nécessité. La plupart d’entre nous avons été témoins de scènes où les enfants ont été giflés, où on leur a crié dessus et où ils ont été humiliés au nom de la « discipline ». Peut-être que vous avez survécu à une enfance où être frappé, recevoir l’ordre de se taire ou être intimidé était vu comme un fait normal et acceptable suivant le système de valeurs qui prévalait.
Si cela est la réalité dans laquelle vous avez grandi, pourquoi devriez-vous en arriver à penser autrement? Pourquoi devriez-vous abandonner tout ce que vous avez connu, pour apprendre une nouvelle sorte d’interaction avec les enfants? Pourquoi ne demanderiez-vous pas, en cherchant réellement à comprendre, ce qu’il y a de mal à frapper les enfants afin de leur apprendre à bien se comporter?
Si vous êtes en train de lire ceci, il se pourrait que vous ayez un certain intérêt personnel ou professionnel pour la question. Peut-être que vous travaillez pour une agence qui s’occupe essentiellement des enfants et où toute la littérature ou la culture qui prévaut déclare que battre les enfants est faux. Vous pourriez avoir lu les conclusions d’une Etude Mondiale de l’ONU sur la Violence contre les Enfants ou beaucoup d’autres documents semblables qui tirent la même conclusion: que battre les enfants, peu importe le nom que vous donnez à l’acte, est faux.
Si vous n’êtes pas convaincu par la rhétorique que vous pourriez avoir rencontré dans les documents habituels ou la littérature produite par les organisations de la société civile, vous n’êtes probablement pas la seule personne. Peut-être que vous ne voulez pas risquer votre boulot ou apparaître comme grossier en articulant un point de vue qui diverge de celui de certains cercles. Le présent morceau vous est adressé. Si des gens qui vivent dans votre communauté vous ont demandé ce qu’il y a de mal à frapper les enfants, et que vous avez été incertain au sujet de ce qu’il fallait penser, le présent morceau vous est destiné.
Ce que je vais soutenir n’est pas nouveau. Cependant, ce que je crois être imposant est que cela est sorti des enfants eux-mêmes. Enfin si vous êtes intéressé par la création d’un monde meilleur pour les enfants, à qui faudrait-il mieux demander ce qu’il faut faire, si pas les enfants eux-mêmes et les adultes qui prennent soin d’eux?
C’est exactement ce que nous avons fait en Ouganda. Nous sommes allés dans cinq districts différents, de l’est en ouest, du nord au sud. Nous avons demandé à 1.400 enfants et à 1.100 adultes, sous diverses formulations à propos de ce qu’ils pensent, leurs sentiments et leur expérience en ce qui concerne la violence contre les enfants. Nous avons posé des questions aux garçons et aux filles, aux enfants jeunes et aux plus âgés, à ceux qui étaient scolarisés et à ceux qui ne l’étaient pas.
Nous avons cherché des enfants qui vivaient en milieu rural et ceux du milieu urbain, aux orphelins de même qu’à ceux vivants avec leurs parents. Ils ont dit beaucoup de choses au sujet de la violence contre les enfants (voir mais sommes toutes, ils ont unanimement dit deux choses; il y avait trop de violence contre les enfants, et elle n’enseigne rien aux enfants sauf la peur et la honte.
Quatre-vingt dix pour cent des enfants ont dit avoir eu l’expérience de la violence physique, un tiers de ces enfants ont indiqué qu’ils en avaient l’expérience au moins une fois par semaine. Approximativement un sur huit ont dit qu’ils font face à la violence régulièrement de la part des gens qui sont supposés prendre soin d’eux; leurs parents, enseignants, voisins, frères ou sœurs plus âgés, les gens de la famille et les membres de la communauté. Quand on a demandé aux enfants comment ils se sentent face à cette violence, la réponse est allée de la rage à la résignation. Dans cet espace confidentiel, loin des yeux contrôleurs des adultes dont ils devaient avoir l’approbation, pas un seul enfant ne nous a dit qu’être frappé le remplissait de fierté ou d’un sens d’être aimé ou de sentir qu’on s’occupait de lui.
Cela pourrait vous surprendre. Après tout, n’avons-nous pas formé nos enfants suffisamment pour qu’ils avalent ce qu’Alice Miller, la fameuse psychologue pro-enfant appelle « pédagogie empoisonnante »; qu’être frappé c’est pour son propre bien? Ce n’était pas anormal que certains enfants aient commencé par cette défense au cours des groupes de discussions ciblées et tantôt l’abandonnèrent lorsqu’ils se sont rendus compte que nous n’étions pas là pour leur faire changer d’avis. Nous étions là tout simplement pour écouter et apprendre auprès d’eux à partir de leurs avis. Dès que la « défense fut jugée non-nécessaire, des sentiments et des idées authentiques sont survenus.
Nous avons appris beaucoup de choses au sujet de la violence contre les enfants à travers cette étude. La première chose que nous avons apprise est que les enfants ont différentes idées sur la violence exercée contre eux. Les adultes mettent l’accent sur l’acte alors que les enfants le mettent sur l’expérience. La signification de ceci est que lorsqu’un adulte est en train de frapper un enfant, il y pense comme s ;il s’agit d’un incident isolé qui se termine dès que l’acte physique prend fin.
Mais les enfants apprennent la peur et la honte de l’incident et le sentiment que l’acte leur inspire à propos de la personne qui le commet contre eux. Ils apprennent que les personnes plus grandes qu’eux peuvent les traiter injustement sans qu’il y ait des conséquences pour l’auteur de l’abus. De manière significative, ils apprennent à propos de la nature du pouvoir dans des relations intimes et que quiconque en a plus a plus de valeur. Les enfants apprennent que la meilleure façon de se protéger contre les abus est d’avoir plus de force par rapport aux gens. Nous connaissons tous très bien les conséquences de cette leçon lorsque ces enfants deviennent des adultes et acquièrent le pouvoir.
Deuxièmement, quand nous demandions aux adultes pourquoi ils frappaient les enfants, la majorité a indiqué que c’est pour guider les enfants et leur apprendre comment se comporter. Pourtant les adultes prennent du temps pour causer avec les enfants, discuter avec eux sur ce qu ils ont fait de mauvais ou leur expliquer l’erreur commise. Quand ils le faisaient, il était plus probable qu’ils utilisent l’alternative de les frapper en tant que forme de punition. Quand les enfants sont frappés pour des raisons qui se trouvent au-delà de leur compréhension, ils apprennent rarement ce qui était faux dans leur comportement et ils n’apprennent absolument pas comment mieux se conduire.
Troisièmement, les adultes sous-estiment gravement la réponse émotionnelle que leur violence provoque chez les enfants. Quand les enfants se sentent humiliés, leur réaction peut aller de la furie à la dépression. Vu que beaucoup d’enfants n’ont pas l’option d’exprimer leurs sentiments, ça finit par se stocker dangereusement en eux. Les enfants brutalisés pendant une longue période de temps peuvent aussi faire leurs propres victimes, ils ont un comportement anti-social ou ils se retirent pour former leur propre identité. Ils pourraient se sentir désespérés et certains pourraient devenir suicidaires. Cela affecte leur performance scolaire et cela affecte leur confiance en eux-mêmes. Cela affecte le genre de personne qu’ils devraient devenir.
Quatrièmement, bien que le fait de frapper les enfants soit commun, plus de la moitié des adultes n’étaient pas sûrs que ce fait de frapper créait le changement souhaité au niveau du comportement. Beaucoup ont admis que souvent ils frappent les enfants suite à la frustration plutôt que suite à une bonne réflexion sur la stratégie d’apprendre quelque chose aux enfants. Plusieurs fois les enfants sont frappés parce que ce sont des enfants plutôt qu’à cause de leurs actions.
Enfin, quand la dignité des enfants est insultée sous forme de routine, ils perdent confiance aux adultes qui font qu’ils se sentent ainsi. Ils apprennent de l’extérieur qu’ils faut avoir peur et intérieurement ils haïssent l’adulte qui leur inflige la violence. Ils développent des moyens de s’accommoder à la violence plutôt que de dépenser l’énergie en développant leur intelligence. Ils deviennent des individus plus petits que ceux qu’ils pourraient être devenus.
En menant une réflexion sur ces choses, il est devenu plus clair pour nous comment différentes sociétés en sont arrivées à légitimer la violence contre les enfants. Le seul moyen par lequel nous pouvons soutenir une telle injustice patente dans nos relations intimes est de refuser d’avoir de l’empathie avec l’enfant. Comment pourrions-nous autrement vivre avec un autre être humain au jour le jour, tandis qu’au plus profond de nos cœurs nous savons que nous sommes régulièrement injustes à leur égard? Après tout, c’est le truc le plus vieux dans l’art de dominer un autre groupe de gens. Nous avons appris d’autres moyens plus flagrants par lesquels les adultes ignorent l’évidence devant leurs eux. Si frapper enseignait quoi que ce soit à quiconque, personne n’aurait besoin d’être frappé deux fois ou du moins à plusieurs reprises, et pourtant c’est ce qui continue de se passer dans le cas des enfants.
Chose plus importante, nous avons appris auprès des enfants que frapper les enfants n’est pas un vice inoffensif auquel les parents succombent et sur lequel nous pouvons fermer les yeux. La violence a des conséquences fortes à court terme, et des conséquences profondes à long terme, non seulement pour l’enfant mais aussi pour la totalité de la communauté (peut-être même l’ensemble des pays). Pour ces raisons et pour beaucoup d’autres, frapper un enfant est anti-productif. Ça n’arrive pas à réaliser l’objectif de faire changer le comportement. Ça n’aide pas l’enfant à apprendre ce qu’il y avait de mal dans leur comportement. Ce fait réduit leur confiance en eux-mêmes et contribue à mener l’enfant à avoir moins confiance en vous. Si vous vous intéressez à aider les enfants à apprendre, les frapper est la dernière chose qu’il faudrait faire.
Si vous êtes toujours en train de lire le présent article, je suppose que vous voulez poser des questions plus profondes. Si je peux me permettre de supposer, je voudrais me vous poser la question suivante : Comment vos responsabilités en tant qu’adulte pourraient-elles être différentes, si vous n’aviez pas été frappé et ridiculisé en tant qu’enfant. Je me demande ce que vous auriez été, si vous n ‘aviez pas été humilié en tant qu’enfant.
Est-ce que vous pourriez persister à croire que cela ne vous a causé rien de mal ou vous seriez assez honnête pour voir la blessure que cela pourrait vous avoir causée? Attendez! Ne répondez pas encore. Laissez la chose circuler dans votre tête et revenez-y quand vous serez sur le point de dormir, la nuit…juste au moment où vous entrez dans cet espace intime et que vous êtes peut-être le plus profondément en contact avec votre cœur, et ensuite, répondez-vous vous-même de la façon la plus honnête possible.
* Dipak Naker est Co-Directeur de Raising Voices
Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 301. Voir : [email protected]