Guinée : La révolte sociale surprend l’alter mondialisme africain
Au vu de la révolte sociale qui se passe actuellement en Guinée, bravement amenée par les syndicats des travailleurs, Bernard Founou salue le courage de ces acteurs décidés à faire face aux théories et pratique d’un capitalisme sauvage. Mieux, il en appelle à un sursaut de la société civile africaine toute entière.
La révolte sociale qui se développe en Guinée doit être replacée dans le contexte historique pour en saisir la portée. Pour tous les altermondistes lucides, et ceux d'Afrique occidentale en particulier, elle devrait permettre de se demander si un véritable projet d'exclusion des peuples ouest africains du développement capitaliste, fut-il dépendant , n'est pas en cours d'exécution. Pour la Guinée le projet date de 1958.
Le système impérialiste lui réserve le même futur qu'à Haïti pour la même raison fondamentale: elle opta pour la souveraineté contre le néocolonialisme de la Communauté Franco africaine. La punition infligée à ce peuple, qui souffrait d'ailleurs de sa péripherisation dans l'AOF, a joué un rôle de premier plan dans la transformation en tyran d'un dirigeant politique dont ce n'était sans doute pas le projet.
A la mort de Sékou Touré il y a 23 ans toute la presse impérialiste feignit de croire que la Guinée allait passer de la tyrannie a la démocratie bourgeoise calquée sur le modèle français ou américain. De l'autre côté, les démocrates guinéens et africains terriblement affaiblis par le caractère dictatorial du régime issu du choix de 1958 auquel ils avaient participé ou avaient soutenu se scindèrent en deux groupes l'un surtout politique et l'autre formé d’intellectuels critiques.
Pour les premiers une ère des libertés démocratique s'ouvrait en Guinée ; ils oublient que dans le système néo-libéral le non développement produit une paupérisation et un inégalité sociale moralement illégitimes qu’elles servent de terreaux aux forces obscurantistes et antidémocratiques.
Pour les seconds la démocratisation durable de la vie politique et des rapports sociaux - au delà de la démocratie des procédures qui excluent les multipartisme de façade - est indispensable, certes mais suppose la construction parallèle d’une économie qui vise l’amélioration de plein emploi des jeunes et une augmentation soutenue des conditions de vie du peuple qui forme environ 90 % de la population. Ils n'oublient pas que pour les ennemis (externes et internes) de cette interconnexion entre la politique, l’économique et le social, le peuple de Guinée a commis un péché qu'ils lui ne se pardonne pas.
Aujourd'hui il est plus que temps que les altermondistes africains perdent leur innocence et sachent que l'exclusion de la Guinée du développement et donc de la construction du potentiel économique de démocratisation entraînerait automatiquement celle de la Sénégambie et sans doute de toute l'Afrique de l'Ouest pour le moins.* Dans ce contexte difficile il faut saluer le courage des syndicats guinéens qui défient ce projet. Ils ont eu raison de mettre l'accent sur le refus de la détérioration des conditions de vie et sur l'opposition à la formation d'une sorte d'apartheid social rampant que justifient les théoriciens et les bénéficiaires du capitalisme sauvage.
Comment manifester de la solidarité au delà de la sympathie; Che Guevara disait que l'une des meilleures manières de soutenir le peuple Vietnamien en lutte conte l'impérialisme consistait à créer d'autres fronts de lutes, mais ne minimisait pas les rôles des autres formes; Mettons notre imagination en marche à l'heure de l'Internet. La leçon principale est que les mouvements ancrés dans les rapports de production (syndicats des travailleurs et des paysans) et des partis politiques qui leur sont liés devraient renaître. C’est la condition pour des sociétés civiles réellement progressistes.
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*Sous la dictature accompagnatrice de l'ajustement structurel, dont pour la Guinée, l'objectif est un endettement qui hypothèque les ressources naturelles, la politique économique a été réduite aux "plans de stabilisation", de libéralisation du code minier et de l'ouverture aux importations qui rendent impossible le développement agricole. Selon le dernier rapport du PNUD, l'indice du développement humain a reculé en 200 de 21 points. Cet indice composite nous apprend que 30 % d'enfants en âge scolaire sont scolarisés! En fait la paupérisation s'est étendue du milieu rural au milieu urbain à un moment où la jeunesse sent bien que l'émigration n'est plus une solution. Le Guinéen peut se sentir moins en sécurité en Afrique que pendant l'âge d'or du pan africanisme. L'Europe et les Etats Unis ferment leurs portes à l'immigration noire.
* Bernard Founou est le Directeur de recherche du Forum du Tiers-Monde, une Organisation non-gouvernementale (Ong) basée à Dakar (Sénégal)
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