La Protection des droits des autrement capables

Le vendredi 25 août dernier, un comité de l'Assemblée générale des Nations Unies a approuvé une convention des Nations Unies sur les droits des personnes frappées de handicaps. Cette convention constitue le premier traité du 21eme siècle consacré aux droits de l'homme et a pour but d'encourager les gouvernements à voter des lois pour protéger les personnes autrement capables ainsi qu'à éliminer toute loi et pratique discriminatoires. Lina Lindblom qui travaille au sein du Secrétariat de la Décennie Africaine des Personnes Autrement Capables analyse la portée de cette convention pour les quelques 60 millions de personnes handicapées vivant en Afrique.

Le premier traité du 21e siècle consacré aux droits de l’homme vient d'être mis au point auprès des Nations Unies. Il servira à promouvoir et à protéger les droits de 650 millions de personnes autrement capables à travers le monde. En Afrique, la décennie de 1999 à 2009 a été proclamée par l'Union africaine: la Décennie Africaine des Personnes Autrement Capables. Cette toute première convention portant sur les droits de l’homme pour les handicapés sera un outil important pour le Secrétariat qui facilitera la mise en œuvre du plan d'action adoptée pour la Décennie Africaine.

Il y a presque 60 millions de personnes autrement capables qui vivent en Afrique. Ces individus ne sont presque pas aperçus dans les sociétés africaines et ont rarement l'occasion de pouvoir faire entendre leur voix ou exprimer leurs opinions sur des sujets d'ordre général auxquels les médias attirent notre attention. La plupart de ces personnes sont privées de scolarité, de possibilités d'emploi et de participation aux programmes de développement. L’action africaine des handicapés qui milite pour les droits de l’homme vise essentiellement à éliminer cette exclusion et la pauvreté débordante qui en découle.

Le Secrétariat de la Décennie africaine des personnes autrement capables prône l'inclusion de l'invalidité dans les priorités actuelles de développement parmi les états membres de l'Union africaine puisque l'exclusion conduit à la pauvreté et au désespoir des Africains autrement capables. La nouvelle convention constitue une structure importante consacrée à l'infirmité, aux droits de l’homme ainsi qu’au développement.

Il sera de plus en plus important d'associer toute étude sur l'infirmité à cette convention, y compris les éventuels moyens de réduire la pauvreté. La Décennie Africaine des Personnes Autrement Capables, 1999-2009, fut proclamée par l'Union africaine dans le but de traiter des droits de l'homme ainsi que des besoins de développement des Africains autrement capables.

Des représentants d’organisations pour les personnes autrement capables et des agences auprès des Nations Unies ont proposé un plan d'action continental pour la Décennie Africaine. Ce plan a été approuvé par le conseil exécutif de l'Union africaine en 2002. En 2003 le gouvernement sud africain a accepté d'être le siège du Secrétariat de la Décennie Africaine, ce dernier étant installé au Cap en 2004. Le Secrétariat facilite la mise en œuvre du plan d'action continental de par son programme Décennie Africaine pour les Autrement Capables (ADDP), programme financé principalement par les gouvernements suédois et danois.

L’un des principaux centres d'intérêt de l’action consacrée aux autrement capables, est l'intégration du concept de l'infirmité, c'est à dire, le besoin d’inclure la notion d'infirmité et celle des personnes autrement capables dans tout développement communautaire en cours. Pour les gouvernements et les organisations de développement, il s’agit d'inclure l'infirmité dans leurs politiques et leurs programmes ainsi que d'inviter les personnes autrement capables à participer au développement de ces politiques et programmes. L’action qui milite pour les autrement capables rejette toute notion de procédés séparés, exclusifs, qui les tiennent hors du circuit normal sociétal.

Puisque l'intégration est un mot clé dans l’action consacrée aux autrement capables, vous vous posez peut-être la question : comment se fait-il qu'on ait élaboré une nouvelle convention des droits de l'homme tout à fait à part et consacrée uniquement aux handicapés? Au fait, certains à l'intérieur de l’action auraient souhaité que la notion du handicap fasse déjà partie des dispositions actuelles concernant les droits de l’homme; mais la majorité soutient avec ferveur la nouvelle convention.

Petronella Linders, employée du gouvernement sud africain, qui a apporté sa contribution à la délégation sud africaine lors des délibérations à New York, se déclare convaincue que la nouvelle convention obligera les pays à revoir leurs propres lois, tout en considérant la notion d'infirmité. Aussi une convention à part pourra-t-elle en fin de compte renforcer et faire valoir l'intégration de l'infirmité dans la législation nationale.

Auparavant, l'approche de plusieurs gouvernements africains était de faire appliquer de façon ponctuelle des lois concernant les droits de l'homme pour les personnes autrement capables. Dorénavant, si les gouvernements ratifient la convention, ils seront tenus d'appliquer les contenus de ce document qui aura force de loi.

Thomas Ong'olo, de nationalité kényane et responsable de dossiers auprès du Secrétariat de la ADDP, partage cet avis. Il déclare que la nouvelle convention sera un instrument crucial « pour rappeler aux gouvernements notre présence». Auparavant, les personnes autrement capables étaient trop souvent simplement écartées. S’y ajoute aussi l'argument que les personnes frappées d'un handicap se voient dans un encadrement légal qui les défavorise par rapport aux autres groupes vulnérables (tels les réfugiés ou les femmes) car ces derniers sont eux protégés par des organismes bien distincts tenus de faire appliquer les dispositions spécifiques prescrites par les conventions de droits de l’homme.

La convention sur les droits de l'enfant est jusqu’à présent la seule à mentionner de façon formelle les personnes autrement capables. Les autres conventions mentionnent ces mêmes personnes comme faisant partie de « groupes vulnérables ou marginalisés ». Les gouvernements ratifiant la nouvelle convention seront tenus par la loi de traiter des personnes autrement capables non seulement comme un groupe vulnérable ou une minorité, mais aussi en tant qu’individus possédant des droits clairement définis par la loi.

Il ressort qu’il y a eu une forte participation aux étapes menant au développement de la nouvelle convention et que cette participation s’est passée sans difficultés. Depuis 2002, plus de 400 délégués et avocats défenseurs des autrement capables du monde entier ont assisté aux huit sessions tenues aux Nations Unies à New York.

Parmi les problèmes sérieux soulevés a été l’impossibilité pour plusieurs handicapés en provenance de pays en voie de développement et représentant des organismes de handicapés d’assister aux réunions, ce qui signifie que leurs problèmes et leurs points de vue n'ont pas été suffisamment pris en considération dans la version préliminaire de la convention, ce qui est, une fois de plus, une conséquence du problème de pauvreté. Parmi ces organismes africains, plusieurs n'avaient simplement pas les moyens de payer à leurs délégués le voyage jusqu’au siège social des Nations Unies à New York.

Selon Phitalis Were Masakhwe, conseiller international auprès des Nations Unies chargé de l'infirmité, il semble qu'il y ait un grand écart entre les attentes, les besoins et les aspirations des personnes autrement capables venant de pays en voie de développement par rapport à ceux en provenance de pays dits développés. En Afrique et dans certaines régions asiatiques, on aurait préféré une convention qui mette l’accent sur les défis majeurs : la pauvreté, l'infirmité, les conflits ainsi que l'exclusion de l'infirmité dans la coopération et le développement internationaaux.

Thomas Ong'olo, qui travaille au sein du Secrétariat de la Décennie Africaine est du même avis. Il affirme que les points de repère pour les discussions qui ont eu lieu à New York avaient été décidés par les pays riches : « Parfois les discussions peuvent tourner autour d'un problème qui n'a simplement aucune pertinence pour la majorité des Africains, comme, par exemple, le choix de services. Choisir votre mode de transport ou l'heure exacte de votre trajet ne représente pas un enjeu majeur dans les pays en voie de développement. Le problème majeur africain est la survie de base ».

Comment faire aboutir est maintenant le souci principal : pendant la huitième session du comité pour la nouvelle convention le consensus s’est révélé être difficilement atteignable sur deux facteurs en particulier - comment contrôler la mise en œuvre des principes adoptés par la convention ainsi que la coopération internationale dans ce domaine ? – ce qui est peut-être plus grave en Afrique que dans d'autres régions du monde, en raison du manque de capacités et de fonds au niveau national.

Beaucoup d'Africains s'inquiètent que la Convention ne soit jamais qu’encore un document qui ne soit pas mis en pratique par leurs gouvernements respectifs. Le manque de fonds demeure une préoccupation prédominante. La mise en application des dispositions de la convention sera coûteuse. On craint que le manque d'argent gêne les états dans leurs efforts de répondre aux besoins, même les plus pressants. Tous les pays auront à faire face à des coûts, mais les pays en voie de développement seront les plus affectés.

L’ambassadeur Don MacKay, président du Comité ad hoc pour la convention auprès des Nations Unies, souligne que la coopération internationale devra y jouer un rôle important, en ce qui concerne l’insertion d’éléments visant à aider les infirmes aux programmes collaboratifs de développement, pour n’en citer qu’un exemple.

Un deuxième souci - on s'attend à ce que les organisations représentant les personnes autrement capables (les DPO) veillent à ce que les gouvernements appliquent les dispositions prescrites par la convention, mais dans de nombreux pays elles sont plusieurs à ne pas détenir assez de pouvoir. Des stages de formation ont lieu, mais le problème persiste. Il faut développer beaucoup plus les capacités et améliorer les structures.

Dans les cinq pays pilotes du programme d'infirmité de la Décennie Africaine [1], des Comités de coordination pour la Décennie (les DSC) ont été créés, comprenant des représentants de ministères d’état, d’organisations pour les autrement capables, de la société civile, des médias, des experts sur l'infirmité ainsi que des organisations internationales. Dans ces pays on exhorte le secteur privé à y participer. Un partenariat entre les secteurs public et privé est crucial si l’on veut créer des emplois et centraliser avec efficacité les ressources.

Parmi les fonctions principales des Comités nationaux de coordination pour la Décennie est celle de jouer un rôle clé dans la préparation d'un plan national exhaustif et dans le développement de la politique nationale. Ces comités surveillent également la mise en œuvre de politiques et de programmes élaborés pour les handicapés dans leurs pays respectifs.

Le projet du Secrétariat de la Décennie Africaine est de faciliter la mise en place de nouveaux comités dans au moins 15 autres pays africains avant la fin de 2009 [2]. La mission du Secrétariat est d’encourager les gouvernements, les DSC, les organismes pour les autrement capables ainsi que les organisations de développement à travailler en partenariat pour que l'infirmité et les personnes handicapées fassent partie de politiques et de programmes dans tous les secteurs de la société en Afrique.

L'accent est donc mis sur le processus pour que ces acteurs puissent travailler ensemble. L’un des avantages qui existe au sein du Secrétariat est que nous pouvons tirer des leçons des initiatives en vigueur dans un certain pays, pour les reproduire (ou éviter) ailleurs.

De plus, nous engageons de grandes organisations internationales dans la lutte pour l’inclusion de l'infirmité dans le circuit normal des sociétés. Une fois leur soutien garanti, d’après notre expérience, il ne faut souvent qu'une seule réunion, qu'un tout petit effort pour atteindre de gros résultats.

L’une des initiatives actuelles est une collaboration entre le Secrétariat et l'UNESCO, pour former des journalistes africains à rapporter sur des sujets touchant l'infirmité d'une manière qui respecte les droits de l'homme et ne perpétue pas les stéréotypes. Une seconde initiative consiste à collaborer avec l'UNICEF pour que les enfants handicapés soient inclus dans leurs programmes.

Le préjudice, l'exclusion, la stigmatisation et la tendance à toujours voir l'infirmité sous l’angle d’œuvres bénévoles ou en termes médicaux, plutôt que dans le contexte des droits de l'homme –cette mentalité crée de véritables obstacles à la participation de personnes autrement capables vivant aujourd'hui en Afrique. Vu aussi le taux très élevé de pauvreté, l’action africaine pour les droits des handicapés est confrontée à une tâche difficile. Il existe néanmoins des signes positifs, des occasions positives, de vraies opportunités.

Depuis quelques décennies déjà, le sujet de l'infirmité et du développement est présent dans les discours portant sur le développement. Au niveau mondial et régional, il existe bel et bien des discussions et des engagements dont l’objectif est de rendre accessibles aux personnes autrement capables politiques, programmes et ressources tout en prenant compte des besoins de tous.

Une dizaine de pays africains, (tels le Ghana, le Malawi, le Kenya et l'Afrique du Sud), ont élaboré des projets de loi relatifs à des stratégies nationales en matière d'infirmités. Ce sont des documents modèles pour l'intégration des infirmes. Ces dernières années l'Union africaine a pris des initiatives importantes et prometteuses, telle que l’instauration de la Décennie Africaine des Personnes Autrement Capables.

Toutefois, les Africains frappés d'un handicap se voient de plus en plus frustrés par les belles paroles, et demandent quelque chose de concret. Pour cette raison, la mise en place du Secrétariat de la Décennie africaine des Personnes Autrement Capables représente une étape importante reliant les paroles à la mise en œuvre.

La Décennie a été proclamée en 1999. Au sein du Secrétariat ce n’est qu’en 2004 que nous nous sommes mis à la tâche. Nous pourrions regretter ce délai, mais nous choisissons plutôt de nous concentrer maintenant sur le rôle que nous jouons, rôle qui consiste à faciliter la mise en œuvre du projet d'action continental, à favoriser le développement de capacités, la conscientisation, la lutte continue pour l’intégration de l'incapacité et contre la pauvreté et l'exclusion des Africains handicapés. Nous avons maintenant plus de pouvoir avec un nouvel outil important, la toute première convention des droits de l'homme pour les personnes autrement capables.

Notes:

[1] Les pays pilotes sont l'Ethiopie, le Kenya, le Mozambique, le Rouanda et le Sénégal.
[2] Plusieurs pays africains - le Mali, la Mauritanie, la Guinée-Bissao et la République Démocratique du Congo - ont aussi créé des comités de coordination pour la Décennie africaine au delà du programme élaboré par le secrétariat.
Pour de plus amples renseignements, voir:

http://www.un.org/esa/socdev/enable/rights/ahc8.htm

* Linda Lindblom, responsable communication auprès du Secrétariat de la Décennie Africaine des Personnes Autrement Capables

* Cet article a d'abord paru dans l'édition anglaise de Pambazuka News n° 267. Voir : www.pamabazuka.org