Le Protocole sur les Droits de la Femme en Afrique et sa Compatibilité avec les Principes Islamiques Légaux

Dans cet article, Maryam Uwais, avocate et défenseuse des droits de l'homme, soutient que l'Islam et les droits de la femme sont compatibles. S’inscrivant dans le cadre de la loi Islamique ainsi que dans celui du Protocole ratifié récemment sur les Droits de la Femme en Afrique et de la Déclaration du Caire sur les Droits Humains dans l'Islam, Uwais jette un regard approfondi sur un certain nombre de facteurs affectant la femme Africaine Musulmane. Avec sa formation de juriste, Uwais a fourni un outil extrêmement important aux défenseurs des droits de la femme en Afrique Musulmane, liant les problèmes des femmes à un soutien concret pour leurs droits aussi bien dans le Coran que dans la loi Islamique.

Introduction

Le Protocole de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples sur les Droits de la Femme en Afrique a été adopté en juillet 2003 lors de la 2ème Session Ordinaire des Chefs d'États Africains à Maputo, au Mozambique. L’adoption de ce protocole a été considérée par les femmes du monde entier comme un pas décisif vers l’assurance d’un cadre juridique pour la protection et l'avancement des droits de la femme en Afrique. Sa ratification rapide lui a permis d'entrer en vigueur en novembre 2005 et a mis en exergue l'importance et l’intérêt que les États Membres attachent aux injustices que subissent les femmes Africaines au quotidien. Ces injustices prennent la forme de violences physiques et morales, d’abus de droits sociaux, économiques et culturels, d'exploitation de vulnérabilité et, discrimination et inconvénients qui en sont les conséquences.

Cet article tente d’établir des comparaisons entre le contenu du Protocole et les droits de la femme au sein du cadre Islamique légal, en vue de mettre l’accent sur les questions d’intérêt commun, particulièrement sur ces concepts Islamiques et principes juridiques qui donnent foi aux dispositions adoptées par l'Union Africaine, pour la protection de la femme Musulmane Africaine, en particulier.

Les interprétations sévères, dogmatiques et rigides du Coran et des Hadith, adoptées et véhiculées par beaucoup d’érudits particulièrement dans des territoires où la Charia prévaut (zones régies par la Charia) constituent une des questions principales. Ces interprétations servent de couverture à beaucoup d'injustices, qui ne peuvent être justifiées dans une religion qui professe la justice universelle et substantive pour tous, et particulièrement pour les personnes vulnérables au sein de la société. Cependant, une étude plus poussée montre que beaucoup de ces interprétations/croyances tirées des cultures patriarcales et des traditions résultent de l'ignorance des vrais préceptes de la religion, plutôt que des interprétations bienveillantes des sources primaires de la Charia, conformément à l'esprit du Coran et des traditions du Prophète Muhammad (SAW).

Ainsi, cet article se penchera sur plusieurs de ces questions importantes pour la femme Musulmane en Afrique, dont l'accès à la justice, la polygamie, les droits économiques et le droit à la participation politique. On tentera de lier ces questions au contexte Musulman, aux traités de droits internationaux et aux solutions potentielles de chaque sujet.

L’Accès à la Justice

Etant une religion qui recommande la justice substantive pour tous, l'Islam souligne aussi l'égalité de tous devant la loi, indépendamment de la position sociale, du sexe, de l'inclination religieuse et autres considérations similaires. Un des principaux mandats pour les droits humains dans le contexte Musulman provient de la Déclaration du Caire sur les Droits humains dans l'Islam, prononcé par l'Organisation de la Conférence Islamique (l’OCI). Ainsi, l'Article 19 de la Déclaration de l’OCI stipule que :

(a) Tous les individus sont égaux devant la loi, sans distinction entre les gouvernants et les gouvernés; et
(b) le droit de recourir à la justice est garanti pour chacun.

En outre, l’Article 8 de la même Déclaration stipule que :

Chaque être humain a le droit de jouir de sa capacité juridique aussi bien en termes d'obligations que d’engagements; en cas de perte ou de défaillance de cette capacité, il sera représenté par un tuteur.

Cependant, les États Membres ont beaucoup à faire pour surmonter les obstacles à la garantie des protections accordées à la femme par la loi, du fait que bon nombre de telles structures et mécanismes ne sont pas en place et que les circonstances accablantes de la pauvreté et de l'ignorance se posent comme de redoutables obstacles à la réalisation des droits de la femme.

Bien que la codification complète soit préconisée dans beaucoup de secteurs (particulièrement dans le vaste et interdépendant domaine du droit de la famille) l’on doit prendre soin de s’assurer que les lois en question, quoique apparemment positives, n’aient pas d'effets contraires sur la femme dans la pratique.

Par exemple, l'expérience a montré que dans certains cas, les efforts visant à renforcer une réglementation stricte ont simplement eu l'effet de rendre 'invisibles' ces pratiques négatives. Par conséquent, la réglementation ne devrait pas être stricte au point d’aggraver les conditions dans lesquelles de malheureuses femmes se retrouvent, ni d’enlever toute possibilité d'exercer un pouvoir discrétionnaire juste et compatissant.

De plus, les réformes et réglementations de la loi doivent être accompagnées par de plus grands efforts pour le changement social, tels que le renforcement du pouvoir des hommes et des femmes en leur faisant connaître l’essentiel des droits accordés à la femme par la Charia, (dont les moyens financiers nécessaires), puisque plusieurs des décisions positives et avantageuses prises (même sous le droit coutumier) peuvent à peine être mises en application en raison du fait que trop de violations passent inaperçues et sont non documentées (elles sont ainsi considérées comme étant la norme) et que les conditions de pauvreté, d'ignorance et d'analphabétisme sont omniprésentes, particulièrement en zone rurale.

La Polygamie

Les érudits musulmans soutiennent que la polygamie est autorisée en tant que remède à certains maux sociaux, sous certaines conditions strictes. Sans creuser les arguments sur la justification de la polygamie dans le contexte actuel (particulièrement du fait que la pratique est profondément établie et acceptée comme la norme, même par les femmes, dans beaucoup de pays Africains), il suffirait juste de souligner que la capacité de traiter des co-épouses équitablement est une condition préalable stricte à la pratique, conformément aux versés du Coran suivants:

‘…Épousez les femmes de votre choix, deux, trois ou quatre; mais si vous estimez que vous pourriez ne pas être capables de les traiter équitablement, alors une seulement . . . c’est presque une manière de vous empêcher de commettre des injustices.’

' . . . Vous ne serez jamais capables d’établir une justice parfaite entre vos épouses même si c'est votre ardent désir . . .'

Il est évident que ces versets ne véhiculent pas une permission sans restriction aux hommes pour la multiplication d’épouses et la monogamie semble être l'option préférée. Malheureusement, la polygamie est devenue un trait de notre culture dans nos propres pays, faisant abstraction de la nécessité sous-jacente d’équité et de justice entre les épouses qui constituent les valeurs normatives qui lui sont pourtant intrinsèquement liées.

Puisque les Musulmans acceptent que la cohésion au sein de la cellule familiale est l'objectif de la Charia, certainement là où la violation flagrante d'un droit accordé en toute bonne foi est devenue la norme (au point ou le désordre est devenu la conséquence d'une pratique qui caractérise la lettre et non l'essence de la Charia) il est temps pour la Justice et pour les juridictions régies par la Charia d’intervenir dans le but de protéger les personnes vulnérables. Les juridictions régies par la Charia sont dans l’obligation de protéger tout le monde, y compris la femme. Ainsi il serait approprié qu’une loi régulatrice qui renforce le contrôle et la vérification des abus des versets Coraniques soit votée.

Ainsi, les tribunaux doivent être dotés de pouvoir leur permettant de s’enquérir de la situation de tout homme désirant épouser d’autres femmes quant à sa capacité et possibilité de remplir les obligations de base telles qu’elles existent ou telles qu’elles sont stipulées dans le contrat de mariage, comme cela se fait dans plusieurs juridictions régies par la Charia à travers le monde.

Des justifications et preuves devraient être exigés des hommes, qui les fourniront, concernant les autres femmes qu’ils envisagent d’épouser, sur des questions portant sur leur capacité à les entretenir, à les loger dans les conditions ou elles pourront vivre leur intimité (l’intimité étant un droit fondamental dans la Charia), si la femme existante consent à cet ajout (suivant la conduite du Prophète lorsque Ali, le mari de sa fille, demanda conseil pour un autre mariage), autrement la femme serait indemnisée dans des conditions heureuses. L'État doit intervenir, en tant qu'Autorité responsable de la protection des faibles dans leurs droits respectifs

En outre, il est clair que l'Islam permet la polygamie en tant que remède social sous certaines conditions strictes (sans lesquelles la pluralité d’épouses est interdite). Conformément à cela, certains pays Musulmans ont préconisé l’interdiction pure ou ont introduit des lois qui autorisent le pouvoir judiciaire à refuser d’accorder la permission de prendre une autre épouse du fait qu’il se trouve que l’homme n’est pas en position de soutenir toutes les deux épouses, de manière satisfaisante (en termes d’entretien, etc.).

Bien que cette approche ait été jugée restrictive (du fait qu’elle prive l’homme de son pouvoir discrétionnaire et de certains de ses droits fondamentaux), elle pourrait servir de moyen de procédure pour s’assurer que la capacité à être équitable ne soit pas subjective et autorise l'intervention d'un tiers impartial, assurant ainsi la justice selon le véritable esprit du Coran. Ceci est particulièrement dû au fait que là où la polygamie est pratiquée, les hommes tiennent rarement compte de la condition d’établir l’équité entre le co-épouses.

Les Droits Économiques

Dans la loi Islamique, la femme a le droit de détenir ses propres biens, en son nom, durant et après le mariage, selon le cas. Cela inclut le droit de gagner, d’acquérir, d’avoir accès et de disposer de ses biens. Bien que la loi stipule qu'elle ne peut pas en être dépossédée de force, ces droits semblent exister plus en théorie. Les femmes musulmanes en Afrique restent en grande partie économiquement dépendantes de leurs conjoints, d'autant plus que le contrôle de leurs biens, si elles en ont, est invariablement entre les mains de parents masculins.

L'accès au crédit, aux prêts bancaires, aux hypothèques et autres est toujours lourdement biaisé en faveur des hommes et beaucoup de barrières socioculturelles et économiques ne militent pas en faveur des femmes bénéficiant d’une indépendance financière. En effet, bien qu'il n'y ait aucune injonction religieuse catégorique contre les femmes possédant des biens, même la politique des États Membres ne réussit pas à reconnaître les statistiques actuelles qui révèlent que les femmes deviennent de plus en plus les soutiens de famille dans leurs ménages. Les sempiternels préjugés, attitudes et comportements doivent aussi changer, afin de réellement tenir compte des problèmes spécifiques auxquelles font face les femmes dans leurs tentatives d'affirmer leurs droits.

Le Droit à la Participation Politique

En ce qui concerne le leadership politique, la Charia met un accent particulier sur la bonne gouvernance, basée sur la justice, l'équité et la responsabilité. Le Coran déclare clairement que la souveraineté du ciel et de la terre appartient à Dieu, et que Dieu a fait des êtres humains Ses agents et représentants, sans distinction de sexe.

Il ressort de ces versets et des traditions du Prophète, qui viennent en appui, qu’il y a un consensus autour du fait que chaque Musulman a le droit et la possibilité de participer directement ou indirectement aux affaires publiques du pays et aux processus électoraux et les pré requis de leadership sont considérées comme étant la capacité à exercer la justice et à l’assurer pour tous.

Il n’est fait mention nulle part dans le Coran ou les Hadith d’une quelconque interdiction à la femme de participer aux affaires de son pays. Plusieurs érudits disent du Hadith qui est souvent utilisé comme faisant autorité pour nier une telle participation (où on rapporte que le Prophète a dit qu'une Nation qui laisse ses affaires entre les mains d'une femme ne prospérerait pas) qu’il est d’une authenticité douteuse.

On dit que le contexte historique de cette tradition a été l'événement lors duquel le Prophète a reçu des nouvelles annonçant que la fille de Khusro, qui était largement perçue comme autoritaire, avait succédé au trône. Le commentaire a été considéré comme étant en relation spécifique avec sa personne. En effet, en opposition à cette position, les versés 32-34 du Coran au Chapitre sur les Fourmis (Naml) chantent les louanges de Bilqis, la Reine de Saba, comme une dirigeante d’une grande prospérité, digne et bénéficiant de la pleine confiance de ses sujets. Si c'était une aberration d’avoir une femme dirigeante, Saba n'aurait pas été digne d'un tel honneur, à savoir celui d’être mentionnée si louablement par Dieu.

De plus, on sait que des femmes constituant un groupe ont participé à l’engagement initial d'allégeance (bay'a) accordé au Prophète par les Musulmans, ce qui représente un indicateur significatif du fait que même à cette époque, les femmes étaient considérées comme partie intégrante de la communauté Musulmane, participant aux activités politiques de leur société. On rapporte aussi que Aïcha, la veuve du Prophète, a mené et a commandé la Bataille du Chameau, avec beaucoup de compagnons du Prophète dans son armée et aucun d'eux n'a renié son autorité de diriger.

Conclusion

Les réalités d'aujourd'hui font qu’il est impératif que les mécanismes et structures intrinsèques à la Loi Islamique (tels que les doctrines pour le développement de la Charia) soient activés par nos propres Erudits et Juristes. Cela est à l'avantage du genre féminin, ne serait-ce que pour permettre des interprétations constructives et contextuelles des sources primaires de la Charia, comme cela se faisait il y a des siècles par des juristes Islamiques et des érudits réputés de leur époque au sein du monde Islamique.

Comme cela a été démontré, il y a suffisamment de place au sein de la loi Islamique pour que les États Musulmans puissent remédier aux problèmes et contradictions apparentes entre la position de la femme dans la Charia et les dispositions du Protocole, en usant d’un esprit ouvert qui voit ces questions comme étant complémentaires, plutôt qu'incongrues.

La bonne foi, renforcée par la volonté politique et humanitaire, est capable d'assurer la flexibilité requise pour résoudre les conflits apparents entre la Loi Islamique et le contenu du Protocole Africain, créant ainsi la compréhension qui mènerait à l'harmonisation et à la réalisation de normes communes d'universalisme, abstraction faite du genre et d'autres considérations similaires, en Afrique et dans le monde, en général.

Une attitude positive, pour gérer les variations à travers la synergie des normes de droits (comme rempli dans le Protocole), avec des principes Islamiques légaux, est nécessaire et impérieuse, pour des protections considérables et complètes à accorder aux femmes des pays en voie de développement, dont les femmes Africaines Musulmanes constituent une part significative.

* Cet article est composé d'extraits d'un dossier plus long réalisé par Maryam Uwais, qui est l'Avocate Principale à Wali-Uwais & Co. au Nigeria. Elle est aussi engagée dans la Commission Nationale des Droits de l'Homme.