Pourquoi nous disons non aux Ape

L’Union européenne est en train de dévier des principes de négociation des Accords de partenariat économique (Ape) avec les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (Acp). Le constat repose sur trois éléments d’analyse au moins. Le premier tient au fait que la référence des Ape, c’est l’Accord de Cotonou. Or Cotonou insiste sur la dynamique qui veut que le partenariat inclut le respect mutuel, le respect de la souveraineté des Etats et l’engagement de l’Europe à soutenir l’intégration régionale dans les espaces des Acp. Ce sont pour nous des actes juridiques, signés par des chefs d’Etats du Sud et de l’Europe. C’est la référence et la balance pour tous les accords, pour toute négociation. Donc, quand on voit aujourd’hui l’Europe dire que des pays peuvent signer à titre individuel des accords, il y a vice de forme.

Cette position choque et viole les règles du partenariat et du respect mutuel. Elle viole aussi la volonté des pays Acp, alors que la Commission européenne s’était engagée à accompagner ces Etats dans ce qu’ils ont décidé de faire.

Le deuxième élément découle du fait que quand nous avons lancé la feuille de route des négociations, les Acp ont demandé qu’il y ait un groupe de travail sur les productions. Car on ne peut pas négocier des accords de partenariat économique s’il n’y a pas de groupe de production. C’est-à-dire des entreprises, des industries, des organisations paysannes, etc. Pendant un an, l’Europe a refusé la formule, parce que son intérêt était dans les marchés publics et autres. Il a fallu attendre un an et demi pour que l’Europe accepte que ce groupe de travail existe. Mais pendant une autre année, Elle a refusé toutes les propositions qui en venaient. Ce qui fait deux années de perdu sur les trois prévues dans la négociation. Mais tout cela n’est pas écrit et l’opinion publique ne pouvait pas le savoir.

La troisième raison tient aux études d’impact. Les termes de référence ont été négociés avec l’Europe, de même que le budget de préparation des Ape à financer entre toutes les parties, les consultants à embaucher, etc. Mais quand le document est sorti l’Europe en a rejeté en bloc les conclusions, parce qu’elles ont démontré les impacts négatifs pour nombre de pays, soi-disant que les consultants n’ont pas présenté d’arguments. La vérité est plutôt que ces conclusions n’ont pas aidé l’Europe dans sa dynamique.

Le quatrième point de rupture, c’est quand l’Europe dit que l’on peut signer et attendre vingt ou vingt-cinq ans pour appliquer les accords. Devant cette option, nous préférons prendre du temps, bien faire le travail, mieux nous préparer, afin de signer pour appliquer.

Nous n’avons jamais été d’accord avec la Commission européenne dans ce qu’elle veut faire, dans sa volonté de diviser les pays africains et de casser les dynamiques régionale que nous avons mis tant de temps à construire. Et cela, l’Europe le fait en usant de corruption institutionnelle. Tout le monde sait que les pays pauvres très endettés rencontrent des difficultés. Quand on présente à leurs représentants, entre quatre murs, à huis clos, des projets de ceci ou de cela, il peut y avoir des changements de position.

On nous dit qu’il y a 27 milliards d’euros dans le Dixième Fonds européen de développement. Mais que représente 27 milliards pour 77 Etats sur dix ans, par rapport à ce que la signature d’un Ape peut poser en termes de désintégration ? Qui peut évaluer pour nous, le coût de l’éclatement de la Cedeao, de la Sadc en Afrique australe ou de la Cemac en Afrique centrale ? On ne peut pas parler de l’avenir des peuples, de leur responsabilité, en mettant en ligne des montants d’argent.

Nos organisations paysannes d’Afrique australe, des Caraïbes, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, constituent 60% des Acp, avec une population qui n’est pas loin de celle de l’Europe. Si 60% de l’Europe ne veut pas de quelque chose, on ne peut pas dire que l’Europe est d’accord.

Officiellement, la Cedeao a déclaré qu’elle ne sera pas prête pour signer le 31 décembre. L’Afrique centrale vient d’envoyer une lettre pour avancer tellement de préalables qu’on ne peut rien finaliser dans les deux mois qui restent. Quant à l’Afrique de l’Est, elle a plus de mille cinq cents lignes tarifaires qu’elle veut sauvegarder.

* Mamadou Cissokho est le président d’honneur du Réseau des organisations paysannes et des producteurs d’Afrique de l’Ouest.

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