Guinée Bissau : incertitudes et contexte particulier d’une élection

Les Bissau-Guinéens sont finalement allés aux urnes pour l’élection présidentielle du 28 juin dernier. Dans le contexte de violence qui a vu se faire assassiner, entre le 1er mars et cette date, l’ancien président de la République, le chef d’Etat major des armées, puis deux candidats à la présidentielle, beaucoup doutaient d’une telle perspective. Malgré toutes les incertitudes qui planaient sur le processus électoral, le scrutin a donc eu lieu, dégageant un 2e tour qui va opposer Malam Bacai Sanha et Kumba Yala. Dans cette analyse, Mamadou Aliou Diallo offre un regard sur le contexte de l’entre-deux tours et pose les forces et faiblesses des deux protagonistes. Mais pour lui, quel que soit le vainqueur, ce qui permettra de sortir la Guinée Bissau de son cycle de violence permanente ne proviendra pas uniquement du verdict des urnes.

Prises en tenaille entre misère et conflits armés à répétition sur fond de difficulté économique, les populations bissau-guinéennes affichent aujourd’hui une certaine lassitude vis-à-vis de la politique. Ils ont en effet le sentiment que ni leur opinion ni leur carte d’électeur ne comptent, puisque seules les armes qui finissent toujours par imposer l’orientation politique et les hommes qui les gouvernent. Ce traumatisme collectif s’est ainsi traduit par une baisse du taux de participation à l’élection présidentielle anticipée du 28 juin dernier.

« Les récents évènements tragiques qui ont eu lieu, dans ce pays au cours de ces cinq derniers mois, ont eu des répercussions négatives sur le taux de participation à l’élection présidentielle anticipée », a déclaré le 3 juillet dernier le président de la Commission nationale électorale (CNE), Desedjado Lima Da Costa, avant d’inviter ses compatriotes à venir massivement accomplir leur devoir civique au second tour.

Le second tour de l’élection présidentielle du 28 juillet prochain opposera deux anciens présidents de la République. Malam Bacai Sanha du Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), ancien parti unique, majoritaire au Parlement avec 67 sièges sur les 100 que compte l’Institution parlementaire sera opposé à Kumba Yala du Parti de la Rénovation Sociale (PRS, 28 députés). Au premier tour, Malam Bacai Sanha a obtenu 133 786 voix, soit 39, 59% des suffrages exprimés, contre 99 428 voix pour Kumba Yala, soit 29,42% des suffrages exprimés, selon la CNE.

C’est la seconde fois que Malam Bacai Sanha se présente à une élection présidentielle. Il part cette fois encore, avec un certain handicap par rapport à son adversaire. Son appartenance ethnique et religieux risquent de jouer en sa défaveur à moins qu’il parvient, d’ici là, à dompter les démons de la division confessionnelle et ethnocentrique. Malam Bacai Sanha, qui est musulman, fait en effet peur dans un pays où 60% de la population est animiste. Et le fait d’appartenir à l’ethnie mandingue minoritaire (environ 12% de la population) constitue un handicap supplémentaire pour lui, dans un pays où les clivages ethniques sont encore vivaces. Par ailleurs, le PAIGC, qui était profondément implanté sur l’ensemble du pays, a obtenu plus de 50 000 voix de moins que lors des élections législatives du 16 novembre dernier, où il avait pratiquement été plébiscité par les électeurs.

Malam Bacai Sanha a occupé plusieurs postes de responsabilité depuis l’indépendance de la Guinée-Bissau en 1973. Il fut, entre autres, ministre de province dans la région de Bafata (centre du pays) dans les années 1980, puis président de l’Assemblée nationale populaire (ANP) dans la seconde moitié des années 90.

Kumba Yala qui est fondateur du PRS a été élu pour la première fois président de la République en janvier 2000 et sera renversé par un coup d’Etat militaire en octobre 2003. Il tentera de revenir au pouvoir lors de l’élection présidentielle de juin 2005, mais arrivera seulement en troisième position. Il soutint alors la candidature de l’ancien président Nino Vieira, qui avait été, comme lui, renversé six ans plus tôt, lors d’un putsch militaire. Par la suite, Kumba Yala part en exile volontaire au Maroc en 2006, avant de s’établir au Sénégal à partir du mars 2009. Comme les autres prétendants, l’ex-président a profité de la vacance du pouvoir intervenu à la suite de l’assassinat du président Nino, pour se représenter à le 28 juin dernier.

Kumba Yala qui est enseignant de formation, à fait ses études universitaires en ex-RDA. Il est l’homme politique le plus controversé de la Guinée-Bissau. Son bref passage à la présidence de la République entre 2000 et 2003 fut une véritable catastrophe pour le pays, qui connut alors un net recul démocratique et des libertés individuelles. Son règne fut marqué par des graves atteintes à la liberté de presse et syndicale, sans compter l’aggravation de la misère et les difficultés économiques de tous ordres.

L’ancien président de la Transition (2003-2005), Henrique Pereira Rosa est arrivé en troisième position lors des élections, avec 81 751 voix, soit 24, 19% des suffrages exprimés. Ce membre de la société civile, qui s’est présenté à cette présidentielle en indépendant, sera ainsi le principal arbitre lors du second tour. Il est courtisé par les deux candidats en lice, qui savent que la clé de la victoire finale pourrait se trouver entre ses mains. Henrique Rosa est très populaire à Bissau, la capitale, où il a obtenu son meilleur score. Ce richissime homme d’affaires a fait fortune dans l’élevage de volaille. Il est par ailleurs consul honoraire de la Côte d’Ivoire en Guinée-Bissau et président du Centre d’Arbitrage et des Litiges Commerciaux dans son pays.

Le contexte de cette élection présidentielle est cependant particulier. Les Bissau-guinéens ont été traumatisés par la série d’assassinats des hommes politiques, survenue au cours de ces cinq derniers mois, dans ce petit pays d’Afrique de l’ouest, de 1,3 million d’habitants. L’histoire récente de cette ancienne colonie portugaise est en effet jalonnée par des évènements tragiquement absurdes. L’assassinat, dans des conditions atroces, du président Joao Nino Vieira, le 2 mars dernier, par des militaires, à la suite du meurtre du chef d’état-major général des forces armées, le général Batista Tagme Na Waie, aura été le déclenchement de l’apocalypse.

Les fins tragiques du président et du général s’inscrivent ainsi visiblement, dans cette logique de meurtres impunis. Dans ce pays à la dérive où le culte de l’intolérance est érigé en règle et où la liste des victimes innocentes continue de s’allonger au grand dam d’une population meurtrie et traumatisée, rien ne semble pourtant arrêter le cycle infernal de la violence. Ainsi les Bissau-guinéens ont été aussi traumatisés par les assassinat de Baciro Dabo, ministre de l’Administration territoriale, par ailleurs candidat indépendant à l’élection présidentielle du 28 juin dernier, ainsi que celui de l’ancien ministre de la Défense, Helder Proénça. C’était en pleine campagne électorale.

Les militaires les accusent d’implication dans une tentative de coup d’Etat contre le gouvernement du Premier ministre Carlos Gomis Junior. Comme éléments de preuve de l’implication de ces deux personnalités dans le présumé putsch, l’état-major général de l’armée a présenté devant la presse locale, le 15 juin dernier, des documents sonores. Ce que démentent évidemment les familles des deux ministres. « Ces soient disant preuves visent tout simplement à salir la mémoire des victimes de ces assassinats barbares et injustifiés », a déclaré à ce propos, un membre de la famille du défunt. Son oncle et son frère furent par ailleurs arrêtés et torturés pendant plusieurs heures par les militaires, qui les soupçonnaient d’être de connivence avec les deux ministres tués.

Ce n’est pas la première fois que des hautes personnalités politiques et militaires sont assassinées, dans ce pays où les plus petits différends se règlent toujours par le langage des armes. On se souvient encore du cas de l’ancien chef d’état-major général des forces armées, le brigadier Ansumana Mané, abattu, le 23 novembre 2002 par l’armée, atrocement torturé avant d’être tué. Les gens ont aussi en mémoire l’assassinat du général Vérissimo Seabra Correia, ancien chef d’état-major général des armées entre 2002 et 2003. Il avait été exécuté en octobre 2OO3 par des jeunes soldats qui réclamaient de meilleurs salaires. Son successeur, le Général Batista Tagme Na Waie subira le même sort le 1er mars dernier.

Un autre chef d’état major, celui de la marine, le Commandant Muhamed Lamine Sanha, a aussi été assassiné le 23 février 2007. Son remplaçant à ce poste, Americo Bubo Na Tchutt, a dû s’enfuir du pays pour se réfugier en Gambie, après une tentative avortée de coup d’Etat contre l’ex-président Nino Vieira, en juillet 2007. Les autorités bissau-guinéennes l’accusent d’implication dans le trafic de drogue entre l’Amérique latine et l’Europe. Par ailleurs, quelque trois semaines après sa nomination au poste de chef d’état-major général des forces armées, en remplacement de Tagme Na Wai, le capitaine de frégate Zamora Induta a échappé de justesse à une tentative d’assassinat. Il est fortement contesté par une bonne frange de l’armée, qui estime que sa nomination à ce poste n’est pas justifiée, dans la mesure où il y a des plus gradés que lui dans l’armée, notamment des généraux qui ont plus de grades que lui.

Le fil conducteur de tous ces assassinats reste l’impunité. Le gouvernement bissau-guinéen avait mis en place une Commission d’enquête pour faire la lumière sur le double assassinat du président Joao Bernardo Nino Vieira et de son chef d’état-major général des forces armées. Mais, les conclusions de cette enquête que d’aucuns qualifient de partiale n’ont pas permis d’identifier les auteurs et les commanditaires de ces crimes. Et ce, malgré les engagements de la communauté internationale. Le Secrétaire général des Nations-Unies, Ban-ki Moon, vient de dépêcher un émissaire dans ce pays pour rappeler aux autorités la position de l’ONU sur cette série d’assassinats de personnalités politiques. Les Nations-Unies, qui ont décidé de prolonger le mandat du bureau de l’ONU pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (UNOGBIS) jusqu’à la fin de l’année, demandent la mise en place d’une Commission d’enquête internationale, sensée faire la lumière sur l’assassinat du président Nino Vieira et du général Tagme Na Waie.

La réalité, est qu’en Guinée-Bissau c’est l’armée qui détient le vrai pouvoir. Les militaires qui se sentent au dessus de la loi peuvent se permettre de tous les dérapages, commettre toute sorte de crimes voire les plus odieux, sans avoir à répondre devant la justice qu’ils considèrent comme « une affaire des civiles ». L’armée, considérée comme le seul et unique libérateur du peuple bissau-guinéen du joug colonial portugais, s’est arrogée d’immenses pouvoirs après l’indépendance du pays en 1973. Ce qui fait d’elle la prétendue garante de la cohésion nationale et de la liberté retrouvée après près de cinq siècles de domination portugaise. Près de quarante ans après l’accession de ce petit pays à la souveraineté internationale, cette mentalité n’a pas évoluée. Dans ce pays où l’aide extérieure représente près 80 % du budget national, principalement assurée par le Portugal et le Brésil, l’armée à elle seule s’accapare de plus de la moitié.

Beaucoup d’espoirs reposent sur le 2e tour des élections qui auront lieu le 28 juillet, mais ce qui peut sauver la Guinée Bissau ne sortir pas seulement des urnes. Ce pays a besoin d’abord de guérir de son armée, avant de commencer sa reconstruction.

* Mamadou Aliou Diallo a été correspondant de plusieurs journaux et agences de presse en Guinée-Bissau pendant plusieurs années

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