L’Afrique prise dans la spirale de l’«agrocolonisation»

C’est un nouveau phénomène né de la mondialisation. Des pays riches, en manque de terres cultivables ou de ressources hydrauliques pour les mettre en valeur et nourrir leurs populations, en louent dans d’autres pays. Dès lors, les paysans locaux se voient spoliés des meilleurs surfaces qui leur assurent leurs moyens d’existence et de subsistance, pour devenir la plupart du temps des ouvriers agricoles, voire des paysans sans terre. Cette nouvelle pratique a fait naître un terme : celui d’«agrocolonisation». D’après l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires, 15 à 20 millions d’hectares sont concernés par ces cessions.

Les pays qui se singularisent le plus dans cette pratique demeurent l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, la Corée du Sud et le Japon et la Chine. En Afrique, les terres colonisées se multiplient ainsi en Zambie, au Zimbabwe, en Ouganda, en Tanzanie, en Rd Congo. D’autres pays africains comme la Libye et l’Afrique du Sud sont également des acquéreurs. On parle de 15 à 21 milliards d’euros rapportés par ce nouveau marché, sans compter l’espoir de création d’emplois et d’investissements agricoles, mais ce sont des gains de 400% que les nouveaux colons réalisent sur les friches africaines. Cependant, la logique capitaliste ignore une chose : c’est que la terre n’est pas un bien banal qu’on peut confisquer impunément. Même si les complicités des Etats sont acquises , cela ne suffit pas à contenir les révoltes paysannes qui montent. Comme à Madagascar.

Pambazuka News vous propose cette revue de presse sur une question qui commence à faire débat.

Du riz mauritanien pour nourrir les saoudiens !

Avec un déficit de 25% dans sa consommation de riz, le royaume d’Arabie saoudite recherche de nouveaux «débouchés » pour s’approvisionner en Afrique, notamment dans les pays d’Afrique de l’Ouest où il s’arroge d’énormes superficies acquises à cet effet. La Mauritanie ne déroge pas à cet appétit et depuis 2008, sous l’ancien régime, une zone de 2000 hectares a été allouée à la société Foras-Mauritanie qui a confié la faisabilité du projet rizicole à une équipe de consultants de l’université thaïlandaise de Kasetsart.

(…) L’Etat n’a pas encore totalement souscrit à la demande de ce consortium mauritano-saoudien qui entend produire du riz en Mauritanie et l’expédier en totalité vers l’Arabie. Mais il pourrait bien s’affaisser face à des investisseurs aussi importants et bien introduits dans le pays, non seulement par des hommes d’affaires qui ont l’œil sur le pactole saoudien, mais l’on craint que la Banque Mondiale n’apporte aussi sa caution à ce projet en convainquant les autorités de sa « pertinence ».

En Mauritanie, les responsables de Foras-Maurianie voulaient 100.000 hectares au début. Finalement seul un potentiel de 15.000 ha serait disponible. Mais les réticences de l’Etat continuent d’ajourner l’attribution foncière. Or, Foras est une filiale récemment créée de la Chambre Islamique du Commerce et de l’Industrie, financée par la Banque Islamique de Développement, le gouvernement saoudien et des investisseurs privés. Sa mission est de développer les investissements dans les pays islamiques et elle joue un rôle particulièrement actif dans le soutien aux objectifs des pays du Golfe en matière de production de denrées alimentaires à l’étranger. Elle a déjà acquis 200 000 ha au Mali et 500 000 au Sénégal.

(…) A l’orée de l’organisation du Congrès du Riz en Afrique 2010 au Mali, la contestation ne cesse de monter au sein des organisations paysannes de la sous-région qui craignent d’être même dépossédées de leurs terres pour favoriser un tel transfert foncier.

Source: http://tinyurl.com/yg2kp9f

Libye: Des terres pour les Sud-Africains

La Libye cherche à s’assurer des terres agricoles à l’étranger pour accroître son autonomie alimentaire, ce qui ne l’empêche pas de louer ses propres terres à d’autres pays ! Tripoli devrait en effet finaliser, d’ici la fin du mois, un accord avec AgriSA, le plus important syndicat agricole d’Afrique du Sud. Une délégation conduite par Theo de Jager, vice-président de l’organisme, se rendra dans la Jamahiriya pour signer un contrat pour la location de 35 000 hectares pour la culture de vignes et d’oliviers.

AgriSA est sur le point de parapher un accord similaire avec le ministère de l’Agriculture de la République du Congo (10 millions d’hectares loués, destinés à la culture du maïs, du soja, l’élevage de volailles et de vaches laitières). AgriSA est appuyé par de puissants partenaires : ABSA Agribusiness, T&E FinOps (assurance), Nissan South Africa, TOTAL SA…

Saif El Islam, le fils du colonel Kadhafi, a entamé, il y a plus d’un an, des négociations pour la location de 100 000 ha, puis 300 000 ha de terres ukrainiennes afin d’y faire pousser du blé pour alimenter les nouveaux moulins libyens. Des démarches similaires ont été initiées au Soudan. En mars, la Libyan Trade and Investment Agency s’est entretenue en Guyane avec le président Bharrat Jagdeo pour un projet de terres agricoles dans le cadre de la reconversion de la dette en investissement.

Source: http://www.africaintelligence.fr

La Chine manque de terres arables

Par Anne Farthouat

La Chine dispose de 9% des terres arables de la planète pour nourrir 20% de la population mondiale. Or, le recul grandissant de ces terres labourées rend le défi de plus en plus difficile. Si le recours à davantage d’importations est inévitable, la « délocalisation » de l’agriculture semble aussi être une solution envisagée.

La Chine frôle la ligne rouge. La surface agricole minimale pour subvenir aux besoins des Chinois sera bientôt atteinte. Fixée à 1,8 million de mu (120 millions d’hectares), elle est aujourd’hui d’à peine 1,826 million de mu. Conséquence directe de l’urbanisation et de l’industrialisation massives qui bouleversent le paysage chinois depuis les années 80, le recul des terres arables est désormais une préoccupation majeure pour le gouvernement.

(...) Le recours à davantage d’importations est inévitable. Ne serait-ce que pour assurer la demande grandissante de viande et les nouvelles habitudes alimentaires des Chinois. Mais les dirigeants semblent également miser sur une toute nouvelle stratégie : la location, voire l’achat, de terres cultivables à l’étranger. En 2006 déjà, Pékin avait signé des accords de coopération agricole avec plusieurs États africains, qui ont permis l’exploitation de 14 fermes expérimentales en Zambie, au Zimbabwe, en Ouganda et en Tanzanie. La République Démocratique du Congo a, quant à elle, cédé 2,8 millions d’hectares à la Chine, pour qu’elle y réalise la plus grande exploitation mondiale d’huile de palme. Et plus récemment, une société mixte sino-kazakhe a loué, pour 10 ans, 7000 hectares de terres près de la frontière avec le Kazakhstan, pour exploiter des champs de soja et de blé.

Controversées, ces cessions de terres sont souvent mal vécues par les populations locales, qui dénoncent un pillage organisé des ressources. C’est d’ailleurs l’achat par la Corée du Sud de la moitié des terres arables malgaches qui avait mis le feu aux poudres en novembre 2008, et déclenché les sanglantes émeutes de Madagascar. Évidemment, les paysans kazakhes ne voient pas non plus d’un très bon œil l’arrivée des quelque 3000 collègues chinois sur l’exploitation d’Alakol. Quant aux agriculteurs africains, ils doivent s’attendre à accueillir près d’un million de Chinois dans les fermes expérimentales (ceux-là mêmes dont les terres ont été réquisitionnées), d’après le consultant agricole Jean-Yves Carfantan.

La Chine n’est pas seule sur ce créneau. Ce phénomène de cessions de terres tend à se développer depuis les crises alimentaire et économique. D’après l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, ces cessions concerneraient 15 à 20 millions d’hectares, pour 15 à 21 milliards d’euros d’investissement. Aux côtés de l’Arabie Saoudite, des Émirats Arabes Unis, de la Corée du Sud et du Japon, la Chine fait partie des plus gros investisseurs. Ils totalisent plus de 7,5 millions d’hectares de terres exploitées à l’étranger.

Source: http://tinyurl.com/yz77f7y

Un investissement qui rapporte… avec des risques

Par Ingrid Labuzan

“Je suis convaincu que les terres agricoles vont être l’un des meilleurs investissements de tous les temps”, a annoncé le gourou des matières premières Jim Rogers. Une opinion partagée par un autre gourou de la finance, George Soros. Il est vrai qu’avec la crise, l’attention des investisseurs s’est tournée vers une classe d’actifs très particuliers : les terres agricoles et les fermes. Pensez donc, en 2008 en Grande-Bretagne, c’est l’un des rares domaines à avoir affiché des retours sur investissements positifs. C’est simple : la location de terres agricoles a pris entre 20 et 30% cette année-là, alors même qu’au niveau des propriétés commerciales, la chute se chiffrait à -22,1%, et à -15,3% pour les propriétés résidentielles.

(…) Le secteur n’est pas exempt de pièges, comme l’expliquait Sylvain Mathon dans « Matières à profits ». “Le pari (des financiers), au départ, était un peu le même que celui du « private equity » dans le monde industriel : dénicher un gisement de croissance largement sous-exploité ; le faire fructifier à l’aide d’investissements considérables et un suivi attentif ; obtenir en peu de temps des rendements sans égal – on espérait jusqu’à 400% sur les friches africaines ; décrocher la timbale, non sans redistribuer un peu et rembourser les emprunts. Pas étonnant que les ténors du capital-risque se soient lancés dans l’aventure, à plus forte raison quand les marchés d’actions ont commencé à marquer le pas. Ils avaient oublié un détail : la terre n’est pas une ressource comme les autres, mais un levier politique des plus puissants, et le ferment de révolutions. Un principe capitaliste ne tient pas contre une famine (…). Les adeptes de land grab [Ndlr : c'est-à-dire l'achat par un pays de terres agricoles situées à l'étranger] sont aujourd’hui assis sur une poudrière”.

Source: http://tinyurl.com/yhc5obz

Terres cultivables à louer ou à vendre, le marché est en plein essor

Par Pablo de Roulet

Depuis la crise alimentaire et financière de 2008, de larges mouvements de capitaux se sont dirigés vers la production agricole dans divers pays du Tiers monde. Des fonds souverains, des entreprises et des Etats (particulièrement l’Inde, la Chine et les pays du Golfe) se sont lancés dans une course à l’achat ou à la location de vastes étendues de terre pour la production de nourriture - essentiellement des céréales – ou d’agrocarburants, en Amérique latine, en Afrique et surtout en Asie du Sud.

(…) Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation (…) s’est emparé de la question en publiant une liste de onze recommandations, suivant les principes de défense des droits humains fondamentaux. Le rapporteur spécial demande notamment la transparence dans le déroulement des accords, des études d’impact social et environnemental, la consultation des populations locales, la promotion d’une agriculture à forte densité de main-d’œuvre et l’assurance qu’une partie conséquente de la production alimentaire soit écoulée sur les marchés locaux.

(…) Le cas de Madagascar pourrait également inspirer investisseurs et gouvernements à prendre au sérieux ce type de recommandations, pour assurer la viabilité des accords. En 2008 et 2009, des négociations entre les autorités malgaches et l’entreprise coréenne Daewoo devaient déboucher sur la location de la moitié des terres arable de l’île au constructeur automobile. Un accord qui s’est écroulé en même temps que le président Marc Ravalomanana renversé par Andry Rajoelina le 17 mars de cette année. Si le projet de Daewoo ne saurait être vu comme la seule raison de la chute du gouvernement de Madagascar, il est possible que cet épisode inspire la prudence dans d’autres négociations de vente ou location.

Source: http://tinyurl.com/yf2ju7e

* Tidiane Kassé est le rédacteur en chef de l'édition française de Pambazuka News

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