L’agriculture biologique dans la lutte contre la pauvreté
Le processus est embryonnaire, lent, mais porteur. L’agriculture biologique commence à sortir de l’ornière et à s’imposer comme une alternative face aux échecs de l’agriculture conventionnelle. Aujourd’hui, elle se présente comme un pilier essentiel dans la quête d’une souveraineté alimentaire, à travers le principe d’une production à dimension humaine, dans une symbiose avec l’écosystème qui assure sa durabilité.
L’agriculture biologique s’impose de plus en plus comme une alternative devant les limites et les effets néfastes des approches conventionnelles basées sur l’exploitation abusive des terres. Une conscience se développe ainsi, dans l’agriculture, pour un retour vers les principes originels qui fondent les rapports entre l’homme et son environnement. Avec la recherche de cette osmose qui font l’équilibre de la nature, à travers une dimension fondamentale : nourrir son homme sur la base d’une dynamique qui n’est pas uniquement de productivité et de rendement, mais qui vise à améliorer la santé de l’écosystème agricole, à préserver la biodiversité, à respecter la respiration biologique des sols….
Le développement de l’agriculture biologique est encore embryonnaire. Mais elle commence à marquer les esprits. Au Sénégal, les foires de produits bio se multiplient. Les kiosques qui en proposent à la vente commencent à avoir pignon sur. La Foire Internationale de l'Agriculture et des Ressources Animales (FIARA), dont la 11e édition annuelle vient de se tenir à Dakar du 7 au 18 avril, a encore été une occasion pour permettre aux producteurs de la sous-région de mettre en valeur les produits de cette agriculture qui rejoint les pratiques anciennes de mise en valeur des terres. Une alternative dont les promoteurs cherchent cet équilibre né d’une approche holistique qui intègre santé animale et végétale, mais aussi une dynamique positive entre l’homme et son environnement.
L’appauvrissement endémique en milieu rural a fini de convaincre certains de l’échec de l’agriculture conventionnelle dont la finalité ultime tend aujourd’hui vers un système d’exploitation des paysans. Dans le «paquet technique» où on enferme ce dernier, «celui qui vend les engrais vend les semences, vend les pesticides et prête l’argent pour les acheter. Quand on s’y inscrit, c’est pour entrer dans un cycle d’endettement et dans une logique d’appauvrissement sans fin. Malheureusement, le discours qu’on sert aux paysans est attractif. C’est celui de la productivité et du rendement. La vision à court terme, le manque d’information les pousse vers le piège», regrette Mossane Ndour, chargée de programmes d’Agrecol Afrique. Dans le système qui les enferme aujourd’hui, les paysans ne produisent plus pour se nourrir, mais pour satisfaire un marché dans lequel ils se retrouvent à la merci des intermédiaires et autres acteurs qui monopolisent et manipulent l’engrenage à leur profit. Cela commence des multinationales de semences et de pesticides, à leurs relais locaux.
Le défi de l’agriculture biologique est celui de la souveraineté alimentaire. «Il s’agit de faire en sorte que le grenier familial soit de nouveau rempli de cette production librement décidée pour satisfaire les besoins et les envies propres d’alimentation. D’où l’importance de donner aux paysans un rôle central dans la définition des approches agricoles», argumente Mossane Ndour. Car, là où les scientifiques réfléchissent en termes de rendement, ces derniers jugent leur production sur d’autres critères. «Le mil qui sort des champs doit donner un couscous dont le goût et la couleur satisfont les habitudes alimentaires séculaires. Ce n’est pas souvent de ces «semences améliorées» ou génétiquement modifiés pour produire sur des cycles courts».
Les conditions climatiques perturbées, la rareté des pluies en Afrique subsaharienne, ont conduit à de multiples expérimentations pour doper la production. La Révolution verte en est aujourd’hui le pilier principal. Pour lancer cette initiative en Afrique, il y a quatre ans, les Fondations Gates et Rockeffeller avaient investi 250 millions de dollars. S’est alors installée une nébuleuse où les multinationales des semences et des pesticides (Syngenta, Monsanto, etc), se sont retrouvés avec les philanthropes du développement pour fondre sur l’agriculture africaine. La plupart des pays ont eu à succomber aux sirènes de cette option à haut rendement, où les pesticides, les engrais chimiques, les semences modifiées, l’irrigation intensive, la mécanisation à outrance, etc., font miroiter des lendemains qui chantent.
La révolution verte opère ainsi un grand retour en Afrique. Mais dans le milieu paysan on n’a pas oublié les échecs de la première expérience des années 1960, avec ces sols lessivés par un usage intensif, appauvris par l’utilisation de pesticides et finalement devenu improductifs quand les moyens techniques qui permettaient d’entretenir le système, à travers les structures d’encadrement, ont fait faillite. Mais, entre temps, les paysans qui avaient tourné le dos à leurs savoirs culturales traditionnelles les ont perdus. La biodiversité s’est réduite autour d’eux du fait des techniques agricoles intensives qui ont ravagé la nature. Dans le contexte de pauvreté qui s’est installé, la dépendance a commencé. Les intermédiaires ne se sont pas gênés pour exploiter la misère et la faiblesse de paysans démunis et sans solutions.
Savoirs et expériences endogènes
Devant les perturbations naturelles qui les assaillent parfois, les paysans ne sont pourtant pas sans imagination. Ils sont aussi des innovateurs. A des échelles simples, mais efficaces. On raconte, au Sénégal, l’exemple de ce producteur qui, devant la rareté de l’eau, a planté des arbustes dans son verger de manguiers. Les arbres ont ainsi pu bénéficier de l’eau que les plantes qui poussaient à leur pied comme un tapis pouvaient aller chercher et emmagasiner. La technique a été améliorée par les chercheurs sénégalais, pour sa vulgarisation. C’est ce savoir, ces expériences que les réseaux qui se forment aujourd’hui autour de l’agriculture biologique cherchent à valoriser, à partager et à promouvoir.
Pour cela, il faut former les paysans et renforcer les acquis. L’expérience, ce n’est pas le nombre d’années qu’on a passé à répéter les mêmes choses. C’est aussi le passage à l’échelle. Il importe également d’informer et de développer une capacité d’analyse qui permette aux paysans d’interpréter et de faire des choix raisonnés, pour développer des approches alternatives aux tendances productivistes et à leurs effets négatifs. La «mal bouffe» aujourd’hui, ce sont aussi ces pesticides et ces engrais chimiques qui laissent des résidus dans l’alimentation et nuisent à la santé.
Pour cette femme d’une association paysanne burkinabé venue exposer ses produits à la FIARA, promouvoir l’agriculture biologique c’est «revenir au naturel dans le goût des aliments et préserver les valeurs nutritives. Dans notre vie quotidienne, c’est aussi veiller à une complémentarité entre les éléments d’un même milieu. Pas seulement les humains, mais aussi pour le monde animal et les plantes poussent dans leur diversité. Les bêtes vont à chacune d’elles pour se nourrir et cela diminue la pression sur l’écosystème. Sinon quand les plantes se font rares, on vit une agression constante sur le peu qui restent. Malheureusement, avec l’agriculture conventionnelle on coupe tout, on brûle tout pour ensuite essayer de cultiver. Or, quand le feu ravage, c’est sans distinction. Il y a beaucoup d’arbres et de plantes utiles à l’écosystème ou nécessaires à la phytothérapie qui sont emportés par les flammes».
En Afrique subsaharienne, les femmes représentent plus de la moitié de la population, s’occupent à 60 % du travail agricole, sont responsables à 70% de la production alimentaire et à presque 100% de la transformation des produits (1). Aujourd’hui, l’agriculture biologique s’offre comme un levier pour les aider à sortir de leurs conditions de précarité. Dans un contexte où l’accès à la propriété foncière, aux crédits, aux intrants et au matériel agricole leur est pratiquement fermé, les exploitations familiales ou les petites exploitations, qui sont par excellence le domaine de cette cette agriculture bio, leur ouvrent des perspectives. «Il suffit de peu d’investissement. Pour l’engrais, le compost est là. Les techniques culturales sont à portée de main et ne nécessitent pas une lourde mécanisation. Avec une production diversifiée, on peut se nourrir, vendre, transformer les produits, élargir les possibilités d’accès au marché, générer des revenus, améliorer l’alimentation dans la famille et contribuer au budget du ménage», énumère Mossane Ndour. Et d’ajouter : «Si vous regardez aujourd’hui, les femmes sont davantage intéressées que les hommes par l’agriculture biologique. Et les raisons en sont évidentes. Ce sont elles qui s’occupent le plus dans les champs et les cultures de rente ne leur rapportent guère. Dans la pauvreté, ce sont elles qui sont les plus touchées, alors que leurs responsabilités dans le foyer sont plus importantes».
Mais cette alternative agricole a encore du chemin à faire pour sortir de l’ornière et s’imposer en plein champ. Dans la revue Accacia n° 30, Mme Mari Touré, animatrice d’un projet Gestion intégré des terroirs, dessine ainsi les voies du changement :
«Une énergique campagne d’information et de communication qui orienterait les esprits vers l’adhésion à l’agriculture biologique comme système de production alternatif ;
«L’organisation d’ateliers expérimentaux de formation/ recyclage sur les méthodes et les principes de l’agriculture biologique ;
«Un appui financier conséquent en faveur des producteurs durement éprouvés par la pauvreté ;
«L’inventaire exhaustif et la mise à jour de toutes solutions techniques proposées par la recherche et les techniques impliquées ;
«Un appui à l’élevage pour augmenter les disponibilités en fertilisants organiques ;
«La mise sur pied d’une équipe locale de suivi des activités ;
«Cibler une jeunesse paysanne à privilégier, elle qui n’a connu que l’ère de vulgarisation de l’agriculture conventionnelle».
Au Sénégal les statistiques sont rares en matière d’agriculture biologique, mais selon Souleymane Bassoum, directeur d’Agrecol, on peut estimer ses pratiquants à 1%, alors que 5 % sont en cours de conversion. Les premiers maillons d’une chaîne dont les pionniers ont commencé à s’activer au début des années 1990.
Notes
“Women and sustainable food security,” Prepared by the Women in Development Service (SDWW),
FAO Women and Population Division, www.fao.org/sd/fsdirect/fbdirect/fsp001.htm
* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News.
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