La crise globale et l’Afrique : quels engagements
Si elle n’est pas à l’origine des crises multiformes qui secouent le monde, l’Afrique en subit le plus durement les répercussions, avec des conséquences dramatiques dans un continent qui reste le plus frappé par la pauvreté au monde. Pour Sammuel Mack-Tit, il appartient aux partis politiques progressistes du continent de se mobiliser pour mener ensemble les luttes qui peuvent assurer le redressement et le développement du continent.
Le constat de l’existence de la crise étant posé, avant d’en indiquer les changements qu’elle provoque et de quelle manière il convient de gérer ces derniers, il nous semble judicieux d’évoquer, au moins en quelques mots, les origines de cette crise. La crise globale a été précédée par une crise financière larvée qui durait depuis une trentaine d’années. Sans être seules responsables de cette crise financière, les banques d’affaires américaines ont eu, semble-t-il, une lourde responsabilité dans la survenue de celle-ci. En un mot comme en cent, le « primum movens » de ces sorties des banques de leur métier, est l’appât du gain, la recherche du profit maximum et rapide.
Richard Fuld, le patron de la Lehman Brothers (« honorable veille dame » des banques d’affaires américaines, fondée en 1850), en déclarant la faillite de sa banque le dimanche 14 septembre 2008, reconnaissait, du coup, l’ampleur de la crise financière qui allait se développer et provoquer la crise globale dans tous les secteurs de l’activité des pays et des peuples. Comme on peut le constater aisément, les pays africains n’ont eu aucune responsabilité dans le déclenchement de cette crise.
Une crise globale
La crise est globale, car, elle est financière, bancaire et économique. La dépendance des pays du Tiers Monde en général et des pays africains en particulier, vis-à-vis des pays développés, laisse très peu de marge d’actions autonomes à ces pays dans cette situation de crise globale. Pire, cette dépendance fait d’eux les principales victimes des conséquences.
C’est ainsi qu’on a noté :
- Le recul de 5 à 10 % en 2009 de la demande de leurs produits d’exportation à cause de la contraction des échanges commerciaux avec les pays développés.
- Une diminution du taux de croissance du PIB de l’Afrique Sub-saharienne, de 5,2 % en 2008 à 1,7 % en 2009. Ceci indique une augmentation de la pauvreté qui concerne déjà plus de 51 % de la population africaine qui vient de franchir le cap du milliard d’habitants.
- L’effondrement du prix des matières premières dont l’Afrique regorge.
- La chute des flux des capitaux privés destinés à l’Afrique. Ceux-ci sont passés de 30 milliards de dollars en 2007 à 13 milliards de dollars en 2009.
- Une baisse des transferts à leurs pays d’origine, des travailleurs africains basés à l’étranger. En 2008, 15 millions de travailleurs migrants africains dont 2/3 sur le continent, avaient contribué pour près de 20 milliards de dollars d’envois aux pays d’origine.
- L’aggravation de la menace de réduction de l’aide publique au développement, de la part des pays développés confrontés à la récession. Ainsi, la France a renoncé à sa promesse d’effectuer 0,51 % de son revenu national brut à l’Aide au développement en 2010.
- La fin de l’illusion des espoirs d’atteindre les Objectifs du Millénaire fixés par l’ONU en 2000, dont le but était de faire reculer la pauvreté et la malnutrition de moitié avant 2015.
- L’augmentation de la fragilité des pays africains dont la dette absorbe déjà 40 % de leur revenu national en moyenne.
En résumé, cette crise mondiale pour laquelle les pays sous-développés en général et les pays africains en particulier, n’ont aucune responsabilité, entraîne pour eux, une crise politique, économique et sociale.
La dynamique de croissance que semblait, ces derniers, tirer l’Afrique du sous développement, a été brisée par la crise mondiale dont l’Afrique n’est en rien responsable ou co-responsable.
Que faire ?
Cette crise mondiale aux origines totalement étrangères à l’Afrique entraîne pour celle-ci des conséquences dramatiques. Pour subsister, à cause de cette crise, un africain sur deux, dispose de moins d’un dollar par jour soit environ 400 francs CFA. Tout en prenant des dispositions pour faire face aux conséquences de cette crise mondiale, il est indiqué d’essayer de tirer des leçons qu’enseigne celle-ci.
Sur le plan international : Devant l’ampleur du désastre, la Banque Mondiale a augmenté de 54 % son aide en 2009, soit 60 milliards de dollars pour les pays confrontés aux difficultés causées par la crise. Trois priorités ont été assignées comme destinations de ces fonds, à savoir :
- Programmes de protection sociale pour les populations les plus vulnérables
- Maintien des investissements réalisés dans les infrastructures
- Soutien aux petites et moyennes entreprises et à la micro finance.
Sur le plan politique : La crise a permis de mettre en évidence, les insuffisances structurelles des pays africains. Elle a apporté l’illustration de l’utopie de l’autorégulation par le marché mondial. Elle a démontré de façon magistrale que le « moins d’Etat », le crédo des institutions de Bretton Woods depuis deux décennies, était une chimère. Les années 2008 et 2009 sont caractérisés par un reflux démocratique en Afrique, avec :
- Une manipulation de la Constitution pour se maintenir au pouvoir : au Cameroun, au Niger
- Des dérives monarchiques avérées (au Gabon et au Togo ; début 2010), en préparation (en Egypte, en Lybie et au Sénégal, des coups d’Etat (à Madagascar et en Guinée)
Sur le plan national au Cameroun : Des actions ont été menées avec plus ou moins de bonheur ou de succès.
- Contre la corruption et pour la transparence
Pendant longtemps, l’UPC avec d’autres, n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme à propos de la corruption dans notre pays. En Décembre 1999, l’UPC avait écrit au président de la République du Cameroun, M. Paul Biya, pour lui faire part de sa préoccupation à propos du problème de la corruption au Cameroun. Dans la même lettre, l’UPC faisait des propositions sur les moyens de lutter contre cette corruption. La dénonciation de ce problème par les partis politiques, les ONG et même les Eglises, notamment l’Eglise Catholique, a fini par avoir un peu d’effet. Il faut signaler l’action initiale de Transparency International pour être complet. C’est ainsi qu’en 2006 le président de la République, par ailleurs le Président du RDPC, le Parti politique au pouvoir, s’est résolu enfin à lancer « l’Opération Epervier » qui se veut de lutte contre la corruption. Mais beaucoup de Camerounais pensent que « l’Opération Epervier » n’a pas essentiellement la lutte contre la corruption comme objectif, mais beaucoup plus les règlements de compte internes au clan qui dirige le pays depuis cinquante (50) ans.
- Les luttes syndicales
L’existence des syndicats jaunes et surtout la force et l’ampleur prise par la corruption, rendent les luttes syndicales très difficiles au Cameroun. Plusieurs luttes ont été initiées par les travailleurs. Malheureusement au bout de quelques jours le gouvernement ou le chef d’entreprise, utilise la corruption pour dévoyer la lutte engagée. Rarement celle-ci obtient satisfaction.
Le dernier exemple dramatique de cette situation a été ce que l’on a appelé les « émeutes de la faim » en février 2008. Ces évènements, qui ont fait près de 200 morts selon diverses sources civiles dignes de foi, sont partis d’une grève des chauffeurs de taxis qui voulaient une réduction du prix du carburant. Mais en fait, ceci n’était que la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. En effet, depuis plusieurs mois, la vie était devenue de plus en plus difficile pour les démunis ; les aliments de première nécessité étant devenus hors de prix. A cela s’ajoutait aussi une revendication démocratique qui demandait au président Biya de renoncer à la manipulation constitutionnelle qui devait lui permettre de se présenter à l’élection présidentielle autant de fois qu’il le désirait, contrairement aux dispositions constitutionnelles en vigueur depuis 1996.
Après trois jours de manifestations au cours desquelles, l’armée a tiré à balle réelles sur des manifestants désarmées, la corruption de certains responsables a assommé le juste mouvement des légitimes revendications des populations. Néanmoins, il existe encore des dirigeants syndicaux qui assument correctement leurs responsabilités. C’est pourquoi la lutte continue.
- Les alternatives des partis politiques progressistes
Il est difficile aujourd’hui, d’identifier avec des précisions, les partis progressistes d’Afrique. A notre avis, on peut (et on doit) se demander s’il est adéquat de considérer comme parti politique progressiste tout parti politique qui, selon les circonstances ou les évènements, affiche un vocabulaire nationaliste et patriotique souvent de reniements grossiers.
Depuis 1960, justement, il existe un florilège de partis politiques de ce type. Ils font partie de ceux qui ont mis les idées panafricaines de Kwame Nkrumah en minorité à la conférence d’Addis Abeba qui fonda l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en Mai 1963. Lors de son dernier congrès qui s’est déroulé du 14 au 17 août 2008 à Douala, l’UPC a adopté un Programme Politique qui est l’alternative qu’elle présente face à la crise globale et au pouvoir en place au Kamerun. Ce programme, nous l’avons intitulé : « Le Kamerun doit changer dans une Afrique en marche et un monde qui bouge »
La signification profonde de ce programme, c’est de remettre le peuple kamerunais aux commandes de la direction de son destin. Seul le peuple kamerunais de concert avec les autres peuples frères d’Afrique et les amis de l’Afrique dans le monde, peut trouver les réponses adéquates aux conséquences provoquées par la crise mondiale.
- Les convergences des luttes et la solidarité internationale.
Cette année du cinquantenaire des « indépendances » des pays africains est une preuve irréfragable de ce que l’unité de l’Afrique est un impératif incontournable sans la réalisation duquel le développement et l’indépendance effective des pays africains est impossible. La situation globale de l’Afrique et la situation de chaque pays africain, pris isolément, montrent clairement, à l’occasion de cette crise que le sort des peuples africains est unique ou identique. (…)
Pour nous à l’UPC, les classes et couches dominantes des pays dits riches et développés, comme nous l’avons rapidement montré au début de cette analyse, sont les principaux responsables de la crise globale dont les pays africains subissent les conséquences. Le moins qu’on puisse attendre de ces pays, serait qu’ils se proposent spontanément à assumer leurs responsabilités dans cette crise qu’ils ont provoquée. Par exemple – rêvons un peu – ces pays pourraient décider, non dans un élan de générosité, mais plutôt dans un souci de justice, d’effacer la fausse dette de tous les pays dits pauvres. C’est à ce pays et à leurs homologues et hommes–liges installés et maintenus par eux à la tête de la majorité des pays africains, d’apporter les réponses aux problèmes qu’ils ont contribué à faire naître, comme par exemple le chômage.
Pour l’UPC donc : « Le monde actuel, tel qu’il est organisé et tel qu’il fonctionne, n’est qu’une montagne d’injustice sur tous les plans. Et les peuples qui vivent dans une misère de plus en plus profonde, ont le droit et le devoir de se révolter contre cet ordre mondial injuste. C’est le cas es peuples africains et, en particulier, du peuple kamerunais. Ils ont le droit et le devoir de s’organiser et de lutter pour défendre leurs intérêts. » (In Programme de l’UPS – 2008.)
L’heure a sonné pour un mouvement panafricain organisé de lutte contre la misère, le sous-développement entretenu et l’humiliation des peuples d’Afrique, pour la Démocratie réelle, la Justice et l’Indépendance véritable, dans l’Unité politique de nos pays.
* Docteur Sammuel Mack-Tit est le président de l’Union des Peuples du Cameroun
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