La France et le génocide rwandais : L’autre part de vérité
Le 7 août 2008, le Rwanda publiait son rapport sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés, en 1994. Des doutes sur l’impartialité de la commission d’enquête et sur la véracités de certains faits ont accompagné sa publication. Le document est cependant le fruit d’un groupe de travail intitulé «Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l'implication de l'Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994». Les accusations qu’il porte sur la France sont graves et Paris les a niées. Toujours est-il que trente-trois personnalités françaises politiques, militaires et autres sont nommément désignés, accusés d’avoir, à des degré divers, favorisé, couvert ou laissé faire ce qui a abouti au massacre de 800 000 personnes.
Ce qu’il est convenu d’appeler le «Rapport Mucyo», du nom du président de commission d’enquête, Jean de Dieu Mucyo, ancien procureur et ancien ministre de la Justice du Rwanda, n’a cependant pas fait l’objet de beaucoup d’attention. Au-delà des dénégations officielles de la France et de certaines personnes mises en cause, il n'y a pas eu d'effets médiatiques. Quatorze ans après le génocide rwandais, tout s’est passé comme si l’oubli et le désintérêt commençaient à faire leur œuvre face à l’un des pires drames de l'histoire contemporaine. Mais peut-être que la publication du Rapport Mucyo, en cette période estivale d’août, n’a pas non plus été le moment idéal pour faire des vagues. Plus qu’une banalisation, on a presque assisté à un black out dans beaucoup de médias français.
En Afrique, non plus, les commentaires n’ont pas été nombreux. Une des rares réactions est notée dans le quotidien burkinabé Le Pays (lundi 11 août). Séni Dabo écrit : «On s’attendait à une posture du genre "les chiens aboient, la caravane passe" pour minimiser l’effet du rapport surtout qu’il émane d’un tout petit pays africain. Mais ce ne fut pas le cas car des militaires et des hommes politiques français mis en cause dans le rapport parce qu’étant aux affaires au moment des faits, ont réagi. Comme s’ils s’étaient concertés, la ligne de défense est la même : la France n’a rien à se reprocher dans ce qui est arrivé au pays des mille collines en 1994 ; bien au contraire, son armée a même contribué à réduire l’ampleur des massacres. Il n’est donc pas question de laisser aboyer le chien mais plutôt de lui répondre.»
«Les accusations portées sont assez graves pour que la France ne réagisse pas. Et en matière d’accusation, la commission d’enquête rwandaise n’est pas allée avec le dos de la cuillère en reprochant à la patrie des droits de l’homme de s’être rendue coupable de violations de droits humains et, plus grave, de génocide.»
«Tous les péchés du ... Rwanda ont été mis sans ménagement sur la crête du coq gaulois, amenant donc celui-ci à sortir ses ergots pour faire état d’une enquête menée uniquement à charge et sous des arrières-pensées politiques. Et c’est en cela que réside une des faiblesses du rapport. Il est difficile pour les autorités rwandaises de démontrer que leur rapport n’est pas une réaction à celui du juge français Jean-Louis Bruguière rendant le président Paul Kagamé responsable de l’attentat contre l’avion de son prédécesseur.»
«La justice voulue par le Rwanda risque de ne pas être juste car elle a toutes les chances d’être celle des vainqueurs ou plutôt celle des victimes qui auront tendance à occulter leur propre responsabilité. Si dans ce qui s’est passé, la France ne peut pas être blanche comme neige, les Rwandais en général et les dirigeants actuels en particulier ne sont pas non plus des saintes Nitouche.»
Ce commentaire du quotidien burkinabé « Le Pays » s’inscrit dans la même tonalité que celles de la presse française qui parle d’absurdités, de légèreté ou évoque des sentences du genre : « on peut être responsable mais pas coupable ». Mais puisse-t-il être un travail «partial», les accusations portées par les enquêteurs rwandais sont assez précises, avec des faits, des circonstances et des détails tels qu’il est difficile de tout écarter d’un revers de la main. S’il s’agit de faux, il est possible de le prouver, plutôt que de s’enfermer dans des dénégations du genre : «Les accusations du Rwanda contre la France, prétendant qu'elle a participé au génocide sont grotesques. On pourrait en rire si on nous oubliait les massacres perpétrés des deux côtés » (Jacques Myard, député des Yvelines et membre de l'UMP, parti de Nicolas Sarkozy).
Quant à la position officielle, exprimée dans un communiqué du ministère français des Affaires étrangères, elle souligne : « Un très important travail d'investigations sur le rôle de la France au Rwanda pendant ces années là a été réalisé en 1998 dans le cadre de la mission parlementaire d'information présidée par M. Paul Quilès». Et d'ajouter que la France s'en tient à l'analyse de cette commission et à ses conclusions. Plutôt que d’accepter la confrontation entre les deux rapports, Paris s’enferme dans ses «vérités». Une position sans doute confortable, mais qui ne favorise pas l’éclatement de LA vérité.
Sur certains points, les deux rapports se recoupent, notamment avec l’exploitation des documents diplomatiques et militaires, au sujet de l'intervention française au Rwanda. Mais le document produit par la commission d’enquête rwandaise détaille des faits compromettants dont les militaires français sont accusés. Et cela, à partir de 1990. Ils avaient alors commencé à s’engager auprès des gendarmes rwandais dans des opérations de police, sous le couvert d’une mission de protection des ressortissants français.
Quoi qu’on puisse penser de la composition de la commission d’enquête rwandaise qui a aboutit à ces accusations, les profils de certains de ses membres sont crédibles et respectables. Entre autres, les universitaires José Kagabo et Jean-Paul Kimonyo. Le premier est historien, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris. La commission d’enquête parlementaire française conduite par Paul Quilès l’a d’ailleurs interrogé. Le second a produit une thèse de doctorat à l'université du Québec, qui a abouti à un livre fort documenté sur le génocide de 1994.
Pambazuka News vous propose un extrait de ce dont la France est jugée coupable dans le génocide rwandais, à travers le Rapport Mucyo :
Les faits reprochés à la France
Contribution à la conduite de la guerre
L’enquête de la Commission a permis de constater que, contrairement aux déclarations officielles, l’aide militaire française à la conduite de la guerre a été multiforme et souvent directe, comme dans le cas de la collecte de renseignements militaires, de supervision stratégique et opérationnelle de la guerre, de contribution en feu d’artillerie ou de minage par des militaires français.
Appui en renseignements militaires et écoutes téléphoniques
L’aide militaire et politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 a été intense et visible. Cependant, à d’autres égards, elle a été discrète et clandestine, grâce à l’étroite collaboration entre les services de renseignement des deux Etats et au soutien consenti par des cadres supérieurs français comme Paul Dijoud. Dès août 1991, ce dernier a promis au gouvernement rwandais « que la France va rapidement envoyer une mission discrète, de haut niveau, pour mener des investigations sur la localisation exacte du FPR».
Des documents montrent que dès fin 1992, une coopération de plus haut niveau a été renforcée entre la Direction Générale de la Sécurité Extérieure française, la DGSE, et la Direction de la Sûreté extérieure rwandaise. Dans la réalisation de cette coopération, le Rwanda a été appuyé par le colonel Didier Tauzin (alias Thibault), qui est un ancien cadre de la DGSE, et qui, de 1990 à fin 1993, est conseiller militaire du président Habyarimana. Elle a été également facilitée par les relations très proches qui existent entre le Chef de la mission d’assistance militaire au Rwanda, le colonel René Galinié, et le Chef des renseignements militaires rwandais, le commandant gendarme Pierre-Claver Karangwa.
Des journalistes et témoins français ont vu des agents de la DGSE à Kigali entre 1991 et 1993 au moment où l’armée française entraînait et armait intensément les FAR. Un prêtre français résidant à Kigali en 1994 témoigne : « Certains Français qui étaient ici en 1994, j’aimerais bien les revoir un jour. (..) Notamment un certain ambassadeur qui savait forcément ce qui se préparait. Le génocide était planifié ! Cet ambassadeur, des officiers de l’armée et des gars des services de renseignements ne pouvaient pas ne pas savoir. (…) A l’époque, rien ne se faisait à Kigali sans que les agents français soient mis au parfum par l’un ou par l’autre, voire sans qu’ils agissent en coulisses1 ».
Le général Jacques Rosier, qui a commandé le DAMI et qui fut chef de corps du 1er RPIMa de 1990 à 1992, a reconnu la présence des agents de la DGSE aux côtés des FAR, mais pas de façon fréquente : « Les premiers qui sont venus avec des moyens d’écoute en 1992 ne sont pas restés longtemps et c’était des techniciens, au moment où j’y étais, pour augmenter les capacités d’écoute des Rwandais».
La présence active au Rwanda des agents de renseignements français est confirmée par Augustin Iyamuremye, ancien directeur du service des renseignements intérieurs rwandais de 1992-1994, qui a indiqué à la Commission que « Les Français ont accentué leur soutien au gouvernement rwandais au fur et à mesure que la pression militaire du FPR devenait intense. On peut dire beaucoup de choses sur ce soutien français en période de guerre. La France a aidé l’armée rwandaise dans l’acquisition d’armes et de munitions, dans la formation et dans la recherche de renseignements militaires. Cette dernière activité était menée par des hommes faisant partie du DAMI».
Concrètement, la recherche de renseignements militaires au profit des FAR a été réalisée par des éléments issus du 11ème régiment parachutiste de choc, bras armé de la DGSE, intégrés dans les effectifs de Noroît (nom de code d’une opération) ainsi que par « des commandos du 13ème régiment des dragons parachutistes (RDP) » dans le but de « juger de la nature de l’aide apportée par ce pays aux combattants du FPR». Ces éléments ont formé et appuyé les FAR sur les techniques d’infiltration. Ils ont mené des actions en profondeur en territoire ougandais derrière les lignes du FPR et ont intercepté des communications radio de régiments ougandais et celles du FPR.
Les services de renseignement du Premier ministre rwandais, dans leur Bulletin quotidien, rapportent que :
« La RFI a diffusé ce matin du 17 février 1993 les résultats d’une enquête menée par les Services français de Renseignements en Uganda sur la crise rwandaise. Selon cette radio, ces services « sont convaincus que plusieurs unités ougandaises sont derrière la récente offensive de la guérilla, ils estiment que les dix bataillons déployés par le Front patriotique Rwandais dépassent largement les capacités du mouvement puisque ses forces sont estimées à environ 2500 hommes »’. Par ailleurs, les mêmes Services déclarent que les maquisards bénéficieraient de l’appui d’artillerie au travers de la forêt rwando-ougandaise.»
L’appui français s’est aussi manifesté à travers l’octroi à l’armée rwandaise d’un équipement d’écoutes, à savoir deux systèmes de radio surveillance, deux radiogoniomètres TRC 195, équipements radio-tactiques et radio-surveillance, trois équipements de radio-surveillance.
Selon Pierre Péan (Ndlr : journaliste français), cet équipement a permis de capter les communications secrètes du FPR pourtant considérées comme très protégées : « D’autres militaires français ont également percé quelques secrets des Inkotanyi par le système d’écoutes installé le 2 mars 1993, qui complétait les écoutes fournies chaque matin au colonel Maurin par Anatole Nsengiyumva, le patron du G2, le service de renseignement militaire rwandais. […] Les Français resteront encore bien informés sur les agissements du FPR grâce aux interceptions des FAR jusqu’à la date de l’attentat ».
Bernard Debré a confirmé l’existence d’écoutes des communications du FPR mais a indiqué que cela se faisait au niveau d’un ministère qu’il n’a pas nommé. Une note du service de renseignements belge du 28 décembre 1993 rapporte une information complémentaire selon laquelle « les conseillers français qui sont restés au Rwanda après le retrait de Noroît […] organisent une campagne de dénigrement des Casques bleus belges (…) » et précise que deux d’entre eux « s’emploient à mettre le central téléphonique de Kigali sur écoute », plus particulièrement « les téléphones des ambassades (6) ».
En réalité, le décryptage des communications du FPR était mené par les adjudants chefs Didot et Maïer, deux spécialistes français qui formaient les FAR à la maintenance des postes radio de l’armée et aux techniques de transmission, y compris bien évidemment les écoutes. Didot et Maïer habitaient non loin du CND, où logeait le bataillon du FPR, et certaines sources soulignent que ces deux militaires avaient choisi ce lieu de résidence pour mieux procéder aux écoutes des communications du FPR émanant du CND.
Des techniciens militaires français sont aussi intervenus dans les analyses du matériel de guerre récupéré sur le FPR pendant les combats aux fins d’aider l’armée rwandaise dans leur identification, pour mieux connaître ce matériel et permettre aux FAR d’acheter les armes appropriées à la destruction de celles utilisées par le FPR. Des militaires français ont aussi été actifs dans l’apprentissage aux FAR des techniques de minage et de piégeage. Dans ce cadre, le col. Gilbert Canovas a enseigné à l’armée rwandaise comment « valoriser le terrain en piégeant des carrefours, confluents de thalwegs, et de points de passage possibles de l’adversaire ». Cette mesure a été exécutée « avec la participation du détachement Noroît » dans les secteurs opérationnels de Byumba et de Rusumo.
L’autre type de soutien offert par les autorités françaises au gouvernement rwandais concerne le détournement des informations d’ordre militaire obtenues par la Mission des Observateurs Français (MOF). Cet épisode éclaire la nature des efforts de conciliation de la France dans le conflit, alors que le travail d’observation requérait un minimum de neutralité de la part la France.
La MOF a séjourné tour à tour au Rwanda et en Ouganda du 26 novembre 1991 au 10 mars 1992 et a été reçue le 28 novembre 1991 par le ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération ainsi que par celui de la Défense nationale, en présence de l’ambassadeur Martres. S’il n’y a aucune anomalie à ce que des représentants d’un Etat tiennent un discours défendant la politique menée par leur gouvernement, la chose la plus étonnante concerne la partialité manifestée à cette occasion par l’ambassadeur Martres qui, au lieu de tenir un langage neutre, a plutôt repris le même ton que celui de chacun des deux responsables rwandais.
Le Ministre Bizimungu relate en ces termes la position de Martres : « Sur cette lancée, l’Ambassadeur de France au Rwanda a aussi confirmé à ses compatriotes que le président Museveni est très malin et qu’il va certainement s’efforcer de montrer à la mission militaire française des traces de son armée sur le sol ougandais pour faire croire que ce sont les Forces Armées Rwandaises qui violent son territoire ou encore montrer les combattants du FPR en Ouganda et faire croire que c’est le sol rwandais qu’ils occupent. Monsieur Georges Martres a communiqué au Chef de la mission militaire française d’observation que l’Ambassadeur de France en Ouganda a déjà été voir tous ces scénarios et qu’il est bien informé de la mauvaise foi du FPR et de la complicité de l’Uganda dans le conflit.»
La partialité de l’ambassadeur Martres a continué à se manifester par la violation du secret contenu dans les rapports d’enquête conclus par la MOF au profit du Gouvernement rwandais. Le principe retenu lors de la création de la MOF était que les rapports qu’elle devait rendre étaient réservés dans un premier temps aux autorités françaises. Celles-ci devaient ensuite les analyser, puis s’il y a lieu, convoquer une réunion rassemblant le Rwanda et l’Ouganda sous les auspices de la France. C’est dans ce type de réunion que les résultats des enquêtes menées par la MOF devaient leur être communiqués, pour contribuer au retour à la paix.
Dans le même registre des opérations occultes, les services secrets français ont aidé le régime de Habyarimana dans l’infiltration des membres hutus du FPR pour les convaincre de joindre le camp présidentiel. Ces services ont notamment entrepris une opération de récupération et d’enlèvement en Allemagne d’un opposant hutu bien connu, Shyirambere Jean Barahinyura, qui fut membre du Comité exécutif du FPR et son premier porte-parole en Europe en 1990.
L’équipe de spécialistes chargée de cet enlèvement se composait de Pierre-Yves Gilleron, ancien de la « cellule antiterroriste de l’Elysée1 », de son garde du corps Pierre Massé lui aussi rattaché à l’Elysée, et de son ami et associé, Pierre Péan, mais la tentative fut déjouée grâce à l’intervention énergique de la police allemande, le BKA de Francfort, qui avait été alerté par Barahinyura en personne. Rencontré à Bonn le 14/2/2007, le journaliste francorwandais Gaëtan Sebudandi, qui a connu cette histoire de près, l’a relatée en ces termes :
«Le récit de cette anecdote rocambolesque me fut confié, au cours d’un entretien privé, par Shyirambere Jean Barahinyura lui-même vers fin octobre ou début novembre 1990 à Francfort. Il m’a raconté cette tentative en me disant que deux agents français étaient venus le kidnapper. A l’époque, je n’y avais pas trop cru, jusqu’à ce que je retrouve, dix ans après, la même histoire avec des noms précis dans l’ouvrage du capitaine Paul Barril. Ils avaient pour mission de le livrer à Habyarimana. Pour le convaincre de les suivre et de quitter le FPR, ils lui ont fourni une grosse documentation de la DGSE sur le FPR reprenant les thèses que l’on connaît de Khmers noirs, et le dissuadaient de coopérer avec un mouvement comme celui-là ».
Il est vrai que Shyirambere Jean Barahinyura constituait pour le régime Habyarimana un adversaire de taille, à tel point que les services de renseignement rwandais et l’ambassadeur du Rwanda en France et en Allemagne avaient tenté de l’approcher en lui proposant de grosses sommes d’argent pour qu’il rallie le clan gouvernemental et qu’il cède au Rwanda tous les exemplaires de son livre pamphlet dénonçant les scandales du régime.
Conseils stratégiques et appui tactique.
Participation aux réunions d’évaluation et de planification stratégique
Au début de la guerre, des réunions régulières étaient tenues à l’Etat-major de l’armée rwandaise. Y participaient une dizaine d’officiers, parfois moins, dont des Belges et des Français. L’examen de certains comptes rendus de ces réunions montre que les officiers français y étaient souvent conviés. A titre d’exemple, on citera quelques réunions : les deux du 31 octobre 1990, celle des 2, 6, 7, 8 et 9 novembre 1990.
A en juger par leur rythme, ces rencontres apparaissent comme de véritables réunions de crise. Elles sont toutes consacrées à l’évaluation de l’évolution militaire sur le terrain : les avancées ou les reculs des « forces ennemies », c’est-à-dire le FPR ; les reprises de localités ou de villes par les « forces amies » dont la composition n’est pas mentionnée ; les problèmes divers.
Au chapitre des « problèmes divers », on apprend que les « forces amies continuent l’opération de ratissage » dans les zones de combats, comme on peut le lire dans le compte rendu de la réunion du 31 octobre 1990.
La fréquence de ces réunions baisse avec la brève accalmie intervenue sur les divers fronts, le FPR s’étant replié, et l’armée rwandaise semblant remporter une victoire momentanée fin novembre 1990. Elles reprennent avec le retour des hostilités en février 1991, mais cette fois ci à l’état-major de la gendarmerie nationale, et elles prennent une orientation stratégique et opérationnelle plus prononcée. Y prennent part régulièrement, côté rwandais : le colonel Pierre Célestin Rwagafilita, chef d’état-major adjoint à la gendarmerie nationale et président de séance, les lieutenants-colonels Pontien Hakizimana, Jean Ngayinteranya, Laurent Rutayisire, respectivement G3, G1 et G2 à l’état-major de la gendarmerie, et les commandants Jean-Baptiste Nsanzimfura, Christophe Bizimungu ; côté français, les plus assidus à diverses périodes sont le colonel Galinié, les lieutenants-colonels Canovas et Ruelle, le major Robardey.
En exemple de sujets abordés dans ces réunions, on apprend que l’entretien que le colonel Galinié a eu le 13 février 1991 avec les officiers de l’état-major de la gendarmerie nationale et des unités du camp Kacyiru (place forte de la gendarmerie) porte notamment sur « la mission prioritaire de la Gd N [qui] consiste à combattre l’ENI, le colonel Galinié est prêt à fournir à la Gd N une assistance technique et matérielle pour augmenter la capacité opérationnelle du Corps ».
Il est également indiqué dans le compte rendu que : « Avec le Chef EM Gd N adjoint et les Chefs de Bureau EM Gd N, il [Galinié] a évoqué les problèmes et difficultés que la Gd N rencontre actuellement dans l’exécution des missions de sécurité, défense et combat auxquelles elle n’est pas suffisamment préparée en raison de ses prestations normales et a proposé une assistance de la MAM pour relever ce défi qui ne peut être compris ni toléré par l’opinion publique [C’est nous qui soulignons]. […] Il est recommandé que la défense de la ville de Kigali revienne à la Gd nationale et s’engage à tout mettre en oeuvre pour son efficacité si le plan de défense de la capitale qu’il compte proposer incessamment est accepté. […] Cette assistance matérielle et technique ne se limitera pas cependant à la seule ville de Kigali. Elle s’étendra aussi sur d’autres camps et unités »
Entre autres thèmes, les réunions d’états-majors auxquels participent les officiers français traitent de l’état psychologique d’unités particulières et du moral de l’armée rwandaise dans son ensemble, de tactique, de sécurité publique. La réunion du 5 mars 1991 s’est beaucoup attardée sur la question de l’insuffisance des effectifs. « A ce sujet, le lt-col Canovas a souligné que cette insuffisance des effectifs devra être compensée par l’articulation de la défense autour des armes collectives, la constitution d’une réserve d’intervention décentralisée, l’utilisation des patrouilles motorisées et à pied ainsi que des postes d’observation et postes d’écoute ». (4)
Fin 1991, une forte délégation se rend au Rwanda, comprenant l’amiral Lanxade, chef de la délégation, le général Pidance, chef de cabinet, le colonel Delort, du service des Relations extérieures, et le commissaire Dechin. Elle sera tour à tour accueillie par le président de la République rwandaise et à l’état-major des Forces armées rwandaises, où le ministère de la Défense (dont, comme cela a été indiqué plus haut, le chef de l’Etat est le titulaire) précise qu’est « souhaitable la présence du colonel Chollet, commandant le DAMI ».
Peu après, une lettre du ministère rwandais des Affaires étrangères informe l’ambassade de France au Rwanda qu’«à compter du 1er janvier 1992, le Lieutenant-colonel Chollet, chef de détachement d’assistance militaire et d’instruction exercera simultanément les fonctions de conseiller du Président de la République, chef Suprême des Forces Armées Rwandaises et les fonctions de conseiller du Chef d’Etat-major de l’armée ».
Sa mission auprès du chef de l’Etat porte sur l’organisation de la défense et le fonctionnement de l’institution militaire, tandis qu’auprès du chef de l’état-major elle consiste à le conseiller sur l’organisation de l’armée rwandaise, l’instruction et l’entraînement des unités et l’emploi des forces.
La nouvelle de la nomination du lieutenant-colonel Chollet à ce double poste s’est répandue très rapidement, soulevant une vive controverse. L’attaché de défense à Kigali s’est efforcé de relativiser l’événement en indiquant d’abord que Chollet devait être rapatrié en mars 1993, ensuite en minimisant l’importance et la portée d’une pétition de l’une des grandes formations politiques de l’opposition non armée, le Mouvement démocratique républicain (MDR), qui avait vigoureusement protesté, en en appelant à une « fin définitive de la colonisation ».
Le 3 mars 1992 (soit quelques semaines seulement après la prise momentanée de la ville de Ruhengeri par les combattants du FPR), le lieutenant-colonel Chollet est remplacé par le lieutenant-colonel Jean-Louis Nabias à la tête du DAMI, et peu après, Jean-Jacques Maurin est nommé adjoint opérationnel de l’attaché de défense chargé, entre autres activités, de conseiller le Chef d’état-major de l’armée rwandaise. Interrogé par la Mission d’information, en 1998, ce dernier a indiqué « qu’il participait au titre de cette mission à l’élaboration des plans de bataille quotidiens et était partie prenante aux décisions».
Un autre officier français, le colonel Didier Tauzin, a révélé à la Mission d’information que « les militaires français ont dû rappeler à l’état-major rwandais les méthodes de
raisonnement tactique les plus élémentaires, lui apprenant à faire la synthèse des informations, l’aider à rétablir la chaîne logistique pour apporter des vivres aux troupes, à préparer et à donner des ordres, à établir des cartes ».
Cité par plusieurs témoins l’ayant vu sur les lieux de combats, le lieutenant-colonel Canovas semble être celui qui est le plus souvent intervenu sur le terrain, ou du moins celui qui a été le plus parfaitement identifié. Devant la Mission d’information, il a reconnu avoir suggéré « la mise en place de petits éléments en civils, déguisés en paysans, dans les zones sensibles, de manière à neutraliser les rebelles généralement isolés », et de « valoriser le terrain en piégeant les carrefours ».
La participation des officiers français à l’encadrement stratégique, opérationnel et tactique de l’armée rwandaise remonte au début de la guerre. Dans une note verbale adressée à l’Ambassade de France au Rwanda, le ministère rwandais des Affaires étrangères déclare apprécier « l’appui moral, technique et tactique que les officiers français et en particulier le Chef MAM, le colonel Galinié et le lieutenant-colonel Canovas ont apporté à leurs camarades rwandais depuis l’arrivée en terre rwandaise et spécialement au cours de la guerre d’octobre 1990. »
Les officiers qui, aux côtés du Chef de la MAM, remplissent à diverses périodes la mission de conseiller sont : les lieutenants-colonels Canovas pour l’armée rwandaise, Ruelle pour la gendarmerie nationale, les majors Robardey pour la gendarmerie nationale (Police judiciaire) Marliac pour l’aviation militaire, Refalo aux unités para commando, et le capitaine Caillaud à l’Ecole de la gendarmerie nationale.
Participation directe aux combats : 1990-1993
La question de la participation directe des militaires français aux combats dans un pays avec qui la France n’a pas d’accord de défense, mais simplement des accords de coopération militaire, pose le problème de la légalité de cette intervention. Et quand on connaît le caractère criminel des actions menées par le régime que l’on aide et qui met en jeu la vie de citoyens français, la question prend aussi une dimension morale.
Nombre d’officiers des ex-FAR ont expliqué qu’à leur yeux, l’apport en conseils stratégiques, opérationnels, tactiques et en appui matériel étaient tout aussi important qu’une présence épisodique sur le terrain lorsque l’allié français se rendait compte que les FAR n’arrivaient plus à contenir les offensives du FPR.
Pour la Commission, il faut insérer les épisodes de participation directe aux combats dans le dispositif plus large de l’intervention militaire française et plutôt voir le caractère complémentaire des différentes composantes de cette intervention. Cette participation directe aux combats a été systématique à chacune des offensives importantes du FPR. On la perçoit en octobre 1990, en janvier 1991, de juin à septembre 1992 et enfin en février 1993.
Octobre 1990
Il existe de fortes présomptions indiquant qu’au tout début de la guerre, en octobre 1990, des pilotes français ont été aux commandes des hélicoptères de combat qui, selon des sources françaises, auraient fortement contribué à la mise en déroute du FPR. Lors de son audition devant la MIP, l’ambassadeur Martres « a relevé qu’un hélicoptère de combat de l’armée rwandaise avait, le 4 ou 5 octobre 1990, détruit une dizaine de véhicules du FPR et quatre ou cinq camions contenant de l’essence et que, selon les comptes rendus des militaires français, cette opération avait été menée par un pilote rwandais, même si ce pilote avait été formé par les Français. L’officier instructeur était d’ailleurs assez fier du succès de son élève. »
Le général Varret est plus explicite lorsqu’il explique que : «des instructeurs pilotes se trouvaient à bord d’hélicoptères Gazelle envoyés sur place aux côtés des Rwandais et qu’ils n’avaient pas été engagés. Ils n’étaient présents que pour faire de l’instruction de pilotage de tir. Il a encore affirmé que les troupes françaises n’avaient pas arrêté l’offensive du FPR en octobre 1990. »
Il est permis de se poser la question de savoir si le pilonnage de colonnes de ravitaillement d’un ennemi qui a attaqué trois jours plutôt et dont on ne sait pas s’il est doté de missiles antiaériens offre vraiment un contexte propice pour faire de l’instruction.
Le raid du FPR sur la ville de Ruhengeri le 23 janvier 1991
Après la déroute qu’a subie l’APR à la fin de l’année 1990, elle s’est réorganisée en se retranchant pour l’essentiel dans la région des volcans surplombant tout le nord du pays. Le 23 janvier, l’APR lance une offensive surprise sur la ville de Ruhengeri qu’elle occupe quelques heures avant de se replier, non sans auparavant libérer les prisonniers de la prison de Ruhengeri, parmi lesquels on compte les principaux opposants au président Habyarimana. Deux sections du contingent Noroît vont alors évacuer de la ville 300 personnes dont 185 Français. L’ambassadeur Martres évoque l’opération d’évacuation dans les termes suivants :
« L’unité dirigée par le colonel Galinié a su rester dans les limites de la mission qui lui était impartie, intervenant dans la zone résidentielle aussitôt après la reprise en main de la ville par les para commandos rwandais. Le respect des instructions n’a pas exclu une certaine audace dont les parachutistes français ont dû faire preuve dans les deux dernières heures précédant la tombée de la nuit. L’état de choc dans lequel se trouvaient la population expatriée ne permettait pas d’envisager de lui faire subir l’épreuve d’une nouvelle nuit d’affrontements. »
Ici encore, en prenant en compte l’ensemble du texte, on peut légitimement supposer que cette « certaine audace » désigne un engagement direct des militaires français. C’est après ce raid de l’APR que l’envoie d’un DAMI sera décidé.
Batailles de Byumba : juin–août 1992
La première des deux grandes offensives à laquelle l’armée française répondra par un engagement direct appuyé a été la bataille de Byumba de juin 1992. Il s’agit de la première offensive de grande envergure du FPR depuis octobre 1990. Le 5 juin, l’APR, occupe la ville de Byumba pendant quelques jours. Les FAR se révèlent incapables de répondre à l’offensive et à travers une série d’infiltrations, le 20 juin l’APR se crée une poche d’une dizaine de kilomètres dans la zone Byumba, reliant à travers une bande continue ses positions du Nord-ouest au Nord-est.
Le 10 juin 1992, une compagnie d’environ 150 militaires français, basée en Centrafrique, est envoyée au Rwanda. Officiellement, il s’agit de “prévenir toute menace contre la communauté étrangère”. Du 11 au 16 juin, une mission militaire d’évaluation française est envoyée au Rwanda.
Entre juin et octobre 1992, il est procédé au renforcement de Noroît par des troupes du 8e RPIMa, au renforcement du DAMI à travers la constitution d’un DAMI artillerie qui amène des batteries de 105 mm. Ce DAMI artillerie est constitué d’éléments du 35e RAP. De juin à novembre, c’est la colonel Rosier, à ce moment là chef de corps du 1er RPIMA, qui prend le commandement et du contingent Noroît et des éléments du DAMI.
Le général James Kabarebe, actuel chef d’état-major des Forces de défense rwandaises, dans une entrevue accordée à David Servenay, explique comment l’APR s’était rendue compte de l’engagement direct des militaires français dans la bataille de Byumba :
« Personnellement, la première fois que je me suis retrouvé en contact avec des Français, c’était en 1992 à Byumba ; ils avaient apporté une nouvelle batterie d’artillerie de 105 mm. Ils l’utilisaient. Ce devait être une nouvelle arme, que nous n’avions pas rencontrée depuis 1990. Ce nouveau système était supposé en finir avec l’Armée patriotique rwandaise. (…) Ils sont donc venus directement sur la ligne de front de Byumba. Ils nous ont bombardés tout le long de cette ligne de Ruhengeri jusqu’au Mutara. Ils étaient très près de la ligne, car nous pouvions entendre leurs communications. Ils ont bombardé nos tranchées.
« Quand les Français estimaient avoir suffisamment tiré, les FAR avançaient pour finir le travail. Mais à leur grande surprise, quand les FAR ont avancé, nous les attendions très près de leurs tranchées et on leur a tiré dessus à revers, de très près. Il y eut beaucoup de pertes. Ceux qui ont survécu étaient souvent blessés. Ils se sont repliés à l’endroit où se trouvaient les Français. Et là, je me souviens, la radio qu’écoutaient les Français et les FAR était juste à côté de moi : ils les ont engueulés… Ils étaient si durs, les traitant de faibles, d’inutiles. Ils disaient [en français] : « Les forces armées rwandaises sont faibles, faibles, comment pouvez vous échouer après de tels bombardements ? » […]
« Les Français ayant investi, organisé et commandé ces forces, apporté ce système d’armes. Tout ce qu’ils pouvaient faire, ils l’avaient fait : et les FAR n’arrivaient pas à jouer leur rôle. Mais le ton de colère du commandant français qui parlait à la radio, cette colère… montrait qu’il se sentait plus concerné que les Rwandais eux-mêmes. C’était son affaire. »
Selon le colonel Murenzi, ex-FAR, c’est à partir du moment où l’APR lance l’assaut de Byumba en juin 1992, montrant sa supériorité militaire sur les FAR, que les Français se sont résolument engagés. Les conseillers français du bataillon « artillerie de campagne » (AC), normalement stationné dans le camp Kanombe, ont pris part aux combats à Mukarange sur les positions du FPR. « Pour la première fois dans l’histoire de l’armée rwandaise, on a utilisé des canons 105 mm. […] Nous n’avions pas ce type d’armement. […]» Dans les combats de Mukarange et de Kivuye, ce sont ces canons qui nous ont aidés », ajoute le colonel Murenzi.
Sur la bataille de Byumba de 1992, l’actuel général Rwarakabije, ex-FAR, confirme le témoignage du colonel Murenzi. Entre juin et août 1992, les Français avaient pris position dans la région de Rukomo sur un site de l’entreprise Amsar. Là, ils ont combattu avec leurs propres armes.
La participation des Français dans divers combats se déroulant en préfecture de Byumba est confirmée par un rapport officiel rwandais. Dans le cadre de la même bataille de Byumba, mais cette fois plus à l’est dans la région du Mutara, une note du chef de service de renseignements, Augustin Iyamuremye, au Premier ministre sur l’évolution de la situation militaire au front, apporte un éclairage précis sur l’engagement militaire direct des Français :
« Nos militaires, avec l’aide des armes d’appui des militaires français, libèrent la commune Bwisige le 19 juillet bien avant l’heure du début de la trêve. Mais l’ennemi restait encore bien installé en commune Mukarange, Cyumba et Kivuye et dans le secteur Cyonyo de la commune Kiyombe. Au cours de la journée du 20 juillet, les combats sont signalés au Mutara en communes Ngarama et dans les communes de Cyungo, Kibali, Bwisige et Mukarange. Du côté du Mutara, nos militaires qui étaient installés près du centre de Muhambo sont délogés le 20 juillet 1992 l’après-midi par le pilonnage ennemi. Celui-ci réussit à occuper le pont de Ngoma situé entre les communes Muvumba et Ngarama et l’on craignait qu’il ne puisse avancer jusqu’au bureau de la sous-préfecture Ngarama qui est à 10 Km dudit pont. L’intervention française permit encore de repousser l’assaillant le 22 juillet 1992. »
Toujours dans l’Est, Mwumvaneza, actuellement député, et à l’époque conseiller communal, relate les circonstances dans lesquelles il a vu des militaires français intervenir dans la bataille de Ngarama (chef-lieu de la commune du même nom) au mois de juillet 1992. Le FPR et les FAR s’y sont affrontés pendant six heures. Ces dernières ayant essuyé de lourdes pertes humaines, les Français sont intervenus pour les aider à reconquérir leur position.
« C’étaient des jeunes dont on aurait dit qu’ils sortaient à peine de l’adolescence. Ils ont installé leurs canons à Gituza, non loin du dispensaire, sur un terrain de football. Huit canons étaient alignés. Lorsque les soldats de Habyarimana eurent repris leur position, les militaires français avancèrent vers Kanero et installèrent à nouveaux leurs canons, en un lieu que l’on appelle Mashani et qui est le centre commercial de Kanero. Si mes souvenirs sont exacts, je pense qu’il y avait huit canons tirant en direction de la commune Muvumba.»
Nkurunziza Elias, conseiller municipal aussi de la commune de Muvumba en 1990, distingue les témoignages indirects et celui qu’il peut apporter comme témoin oculaire. Tout d’abord, il avait entendu les militaires dans leurs conversations se vanter : « désormais, nous allons nous battre avec les inkotanyi [FPR]. Ils ne pourront plus nous chasser de nos positions, car nous avons parmi nous des Français. » C’est ainsi, dit-il, que lui et d’autres apprirent que les canons qui tiraient sur les positions du FPR en 1992 dans diverses zones de combat en préfecture de Byumba étaient actionnés par des Français.
Février 1993
Le 8 février 1993, le FPR lance une offensive généralisée à partir de toutes ses positions et s’empare en quelques heures d’une grande portion de la partie nord du pays. Il arrive même à une trentaine de kilomètre de la capitale, Kigali.
Le 8 et le 9, la France procède au renforcement de Noroît, qui comprend désormais un état major tactique (EMT), trois compagnies du 21e RIMa, une compagnie du 8e RPIMa, les détachements Chimère et Rapas et un DAMI renforcé (génie).
Le 20 février 1993 le Quai d’Orsay annonce que deux compagnies supplémentaires de soldats français ont été envoyées “d’urgence” au Rwanda “pour assurer la sécurité des ressortissants français et des autres étrangers”. Il s’agit d’une compagnie du 6e bataillon d’infanterie de marine (BIMa) basé à Libreville, et d’une compagnie des éléments français d’assistance opérationnelle (EFAO) installée à Bangui, soit un total d’environ 240 hommes. Le contingent français s’élève désormais officiellement à quelque 600 militaires d’élite (pour environ 400 expatriés). Sur la bataille de février 1993, le général Rwarakabije fait état d’un engagement français encore plus déterminé qu’en juin 1992. L’avancée du FPR jusqu’aux environs de Kigali, à Base précisément, fait craindre la prise de la capitale.
Quand les troupes du FPR arrivent à Tumba, les Français se déploient à Ruyenzi et à Shyorongi, faisant jonction avec des éléments des FAR pour repousser leurs adversaires. « Les Français ont distribué des armes et fourni un appui feu ». Un ancien caporal ex-FAR explique qu’il a directement servi sous les ordres et avec les militaires français durant la bataille de février 1993. Il a servi sur des pièces d’artillerie 105 mm avec des Français.
« Des Français ont utilisé à nos côtés à Kirambo des canons 105 mm. Il y avait une quinzaine de canons, sur lesquels nous étions formés au tir. Nous étions généralement sept personnes sur un canon : quatre français, et trois Rwandais dont un responsable appelé « chef de pièce ». Ce sont les Français qui avaient apporté ce type de matériel, nouveau pour nous. […]
« Moi, j’étais chef de la ‘’pièce 15’’, recevant les instructions d’un officier français qui, avec le colonel Serubuga, commandait les opérations. Je prenais note et transmettais à un caporal français qui, plus compétent en la matière, réglait l’appareil, puis, un autre Français ouvrait le couvercle, et un autre Français encore et un Rwandais appelés ’’pourvoyeurs’’ introduisaient l’obus, et un quatrième Français actionnait le mécanisme de tir. Tous les canons tiraient à peu près simultanément. Les bombes lâchées creusaient des énormes trous dans la terre, c’est pourquoi on les appelait ‘’dimba hasi’’ (traduction approximative du kinyarwanda : asséner un coup au sol). »
François Nsengayire avait été muté au début de l’année 1993 au camp de gendarmerie de Jali. Là-bas, il a trouvé une section de militaires français du 8ème RPIMA à laquelle il a servi d’interprète. Lors de l’attaque de l’APR du 8 février 1993, ses combattants sont arrivés pas très loin de la position française de Jali.
« Alors, les militaires français du 8ème RPIMA dans lequel se trouvaient des éléments d’artillerie de campagne ont actionné les mortiers 105 et 122 mm et se sont positionnés à Syonrongi, d’où ils ont commencé à pilonner les positions ennemies. Moi avec un groupe de français étions au lieu-dit Kimaranzara dans Mbogo, dans un petit bois. Nous servions d’observateurs avancés, et c’est nous qui guidions les tirs d’artillerie de Shyorongi. Moi j’étais avec les Français, leur servant d’interprète. Mais sur une colline un peu plus loin, il y avait des combattants de l’APR qui les avaient vus. Ces inkotanyi [FPR] avaient des canons sans recul. Ils ont envoyé trois obus, trois Français sont morts sur le champ et deux autres ont été gravement blessés. »
Après être arrivé à 30 kilomètres environ de Kigali, le 20 février 1993, le FPR décrète un cessez-le-feu unilatéral. Du 25 février au 2 mars, les partis d’opposition envoient une délégation rencontrer les représentants du FPR, et à l’issue de cette rencontre est rendu public un communiqué conjoint appelant à un cessez-le-feu durable, au retrait des troupes étrangères et à la reprise des négociations d’Arusha.
Après les importants efforts de soutien à l’armée rwandaise, l’effondrement de celle-ci le 8 février 1993 signalait la vacuité du dispositif d’appui français tel qu’il avait été échafaudé depuis octobre 1990 et renforcé au lendemain de l’offensive du FPR du 5 juin 1992. Le 19 février 1993, le général Quesnot adresse au président Mitterrand une note résumant les trois options qui restaient à la France face à l’offensive de l’APR du 8 février :
«1) l’évacuation des ressortissants dans les prochains jours si le FPR maintient son intention de s’emparer de la capitale […] ; 2) L’envoi immédiat d’au moins deux compagnies à Kigali […] Cette action, sans résoudre les problèmes de fond, permettrait de gagner du temps ; 3) L’envoi d’un contingent plus important interdisant de fait la prise de Kigali par le FPR et rendant les unités rwandaises disponibles pour rétablir leurs positions au moins sur la ligne de cessez-le-feu antérieure. […]Cependant, elle serait le signal d’une implication quasi directe ».
C’est la seconde option qui a été retenue et qui, comme nous l’avons vu, a conduit à la participation directe aux combats des militaires français. Etant donné l’échec de la stratégie de soutien français aux FAR, et les contraintes diplomatiques qui ne permettaient pas un engagement français franc et direct contre l’APR, la France et son allié le président Habyarimana durent finalement se résoudre à accepter le départ des troupes françaises du Rwanda et leur remplacement par une mission de paix onusienne exigé par le FPR comme condition à la paix.
L’échec militaire des FAR, malgré le soutien français, a certainement joué un rôle important dans le choix de l’alternative du génocide comme stratégie de résistance au changement politique. Vu l’importance de l’engagement militaire français auprès des FAR, il y a lieu de se demander si la France n’a pas ressenti la défaite militaire de ces dernières FAR comme sa propre défaite et dans quelle mesure elle aurait contribué à la mise en place de cette alternative génocidaire.
Participation à la formation des miliciens interahamwe et à l’autodéfense civile
Les interahamwe
Parmi les accusations les plus graves portées contre la France, figure celle d’avoir formé les milices interahamwe qui ont été le fer de lance de l’exécution du génocide. Ces milices étaient au début un mouvement de jeunesse sans statut juridique mais affilié au parti présidentiel MRND. Ce mouvement a commencé à faire parler de lui au lendemain de l’instauration du multipartisme en juin 1991. Très rapidement, la compétition entre les partis était devenue intense et violente un peu partout dans le pays.
Les différents partis politiques ont créé des mouvements de jeunesse servant « de troupes de choc » durant les meetings, les manifestations et contre-manifestations populaires, intimidant les partisans des formations politiques rivales ou obligeant les habitants des alentours à venir à leurs assemblées ou manifestations. Dans Kigali, il y avait aussi une guerre territoriale des milices des différents quartiers, qui se battaient pour protéger certaines zones d’influence où les autres milices ne pouvaient pas se rendre ou exercer le racket. Dans les zones rurales, les milices se faisaient la guerre des drapeaux, et certaines faisaient fuir des bourgmestres (maires) de communes, s’arrogeant même des champs à cultiver du domaine public.
Mais à côté de ces interahamwe ordinaires, à partir de l’année 1992, un autre groupe d’interahamwe plus restreint est apparu, formé militairement, et dont l’une des tâches consistait à commettre des massacres et des assassinats. Les massacres, les tueries et les assassinats qui ont été commis dans la partie gouvernementale entre mars 1992 et avril 1994 l’ont été en tout ou partie par ces interahamwe-là.
Pendant le génocide, dans les régions où le MRND était resté influent comme dans Kigali, la préfecture de Kigali rural, les préfectures de Kibungo, Byumba, Ruhengeri, Gisenyi et une partie de Cyangugu, les interahamwe et leurs associés ont été à l’avant-garde du génocide.
Par la suite, ils se sont répandus dans les préfectures où le MRND avait perdu de l’influence suite à l’instauration du multipartisme, comme dans Gitarama, Butare, Kibuye, des préfectures qui avaient d’importantes populations tutsi et où les tueries avaient commencé assez timidement.
* Tidiane Kassé est le rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News
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