La motivation des militaires, une condition pour la sécurité en Rd Congo

Le rôle des armées dans la défense de l’intégrité nationale, dans la sécurisation des frontières et l’assurance de la sécurité des biens et des personnes leur confère une position spéciale au sein de nos sociétés. Mais pour les forces soient le socle d’une nation plutôt que d’être un facteur de déstabilisation et de destruction, des conditions s’imposent comme préalable. Le cas de la Rd Congo est édifiant à ce propos.

POSITION DU PROBLEME

Troisième pays africain en superficie, doté d'une population estimée à 66 millions d'habitants, et disposant d'un potentiel exceptionnel en ressources naturelles, la République Démocratique du Congo, (RDC) sortie il y a peu d'un interminable conflit armé, reste à ce jour un Etat fragile. Des progrès certes il y en a, entre autres la stabilisation du cadre macro-économique, l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution en février 2006, la tenue d'élections législatives et présidentielles fin 2006 (après 40 ans), sénatoriales et provinciales début 2007 et en 2011 la tenue des élections législatives et présidentielles (même si controversé).

Cependant, encore aujourd’hui, en RDC, la sécurité humaine n’est pas assurée. La population congolaise est mise en danger par les différentes milices (étrangères et nationales), les forces armées (brassées ou non), les policiers et les congolais eux-mêmes qui sont dans de telles situations que la violence, les viols et autres vols sont à déplorer quotidiennement. Les services en charge de sécurité sont dans l’incapacité d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Les policiers eux-mêmes, dans une moindre mesure que les militaires, se livrent au mieux à des « tracasseries », au pire à des exactions passibles de condamnations. Ainsi, l’ensemble du système de la sécurité est à réhabiliter et à réformer profondément. C’est ainsi que pour palier la faillite des services publics, un effort soutenu en direction de la refonte du système de sécurité est en cours. Est-ce suffisant, ca c’est une autre question !

En effet, jusqu’au mois de mai 2009, la RDC a connu, en particulier à l’Est du pays, des actions de rébellions et de violences récurrentes et régulières. Ces violences rappellent que la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS), qui vise à doter l’armée, la justice et la police d’institutions dignes d’un Etat de droit, reste inachevée à ce jour. Avec la signature des Accords de Ihusi (mars 2009) l'intégration des groupes armés signataires dans l'armée et dans la Police nationale a débuté, et elle est encore partiellement en cours pour la Police Nationale Congolaise (PNC).

Au niveau militaire, un double processus de dégagement (Démobilisation – Désarmement – Réinsertion – DDR) et d’intégration des différentes composantes (brassage dans des brigades intégrées) a été mené de 2003 à 2009. Ce processus a été régulièrement perturbé par l’urgence de répondre aux rébellions dans l’Est. Il n’est donc que partiellement réalisé.
Pour la réforme de la justice, un plan d’action a été approuvé conjointement par les bailleurs et par le ministre de la Justice. L’exécution de ce plan a démarré au début 2008. Le travail législatif et le renouvellement de la magistrature ont été entamés.

Dans le contexte actuel de post conflit de la RDC, plus récemment, les opérations de neutralisation de certains groupes armées par des opérations conjointes RDC – Ouganda et RDC – Rwanda ont permis de redéployer l’autorité de l’Etat congolais sur des territoires à l’Est de la RDC. Cette opération de réappropriation de zones incontrôlées s’accompagne actuellement d’un Plan gouvernemental de Stabilisation et de Reconstruction à l’Est. Cette évolution impose aussi une réorganisation des services de sécurité. Cela est d’autant vrai car, l’armée et la police nationale (comme la plupart des administrations publiques) sont fortement désorganisées, pléthoriques en ressources humaines mais extrêmement pauvres en moyens financiers et techniques.

Le présent article jette donc un regard critique sur les corrélations possibles entre les conditions sociales des militaires et l’efficacité de l’armée voire des services de sécurité. Il entend mettre l’accent sur le rôle que doit jouer l’armée congolaise appelée à devenir républicaine mais aussi sur la responsabilité de tout congolais afin que l’armée ne soit pas que de nom mais aussi de taille et de pointe dans sa mission de protéger nos frontières, les personnes et leurs biens.

LE ROLE UNIVERSEL D’UNE ARMEE ET LA SITUATION EN RDC

Il est universellement reconnu que les forces armées sont créées pour protéger la société ; elles ont pour fonction de servir et de défendre la population dont elles sont issues. Cependant, pour mener à bien leur tâche, elles doivent occuper une position spéciale au sein de nos sociétés, surtout parce qu'elles sont les principaux détenteurs d'armes. Par ailleurs, dans n'importe quel pays, les militaires constituent un groupe très organisé et très discipliné, soudé par des traditions, des coutumes et des habitudes de travail, mais surtout par la nécessité d'agir ensemble et de pouvoir compter les uns sur les autres en temps de crise et de conflit - une dépendance qui peut littéralement être une question de vie ou de mort. Cette dépendance crée des liens et des loyautés solides et demande un niveau de cohésion dont peu d'autres professions peuvent se prévaloir. Ce sont ces qualités - la discipline, le dévouement et la loyauté - qui confèrent à la profession militaire son caractère particulier et qui, à certains égards, la distinguent du reste de la société.

Pouvons-nous sans froid aux yeux affirmer que l’armée [1] congolaise remplit-elle ces qualités ? La balance pencherait vers le non. En effet, les accusations contre l'armée régulière ne sont pas nouvelles. [2] Il sied donc de s’arrêter un seul instant et réfléchir sur le pourquoi de cette situation au sein de nos forces armées ? Quelle thérapeutique administrer pour sortir de cette impasse et rétablir l’intégrité territoriale et la paix durable ? Ces questions sont nécessaires car il est proverbialement reconnu que quiconque veut aller loin, ménage sa monture ! Bien plus, qui veut la paix, prépare la guerre !

LA QUESTION D’AMELIORATION DES CONDITIONS SOCIALES DES MILITAIRES CONGOLAIS ET SON INFLUENCE SUR LEUR MOTIVATION ET RENDEMENT

Il est devenu une réalité de constater et/ou d’apprendre qu’en cas des troubles ou des conflits en RDC, que l'armée congolaise est souvent en mauvaise posture face a l’ennemi - même non-armée. Elle n'est pas encore consolidée, avec une mauvaise gestion de fonds... [3] On rapporte aussi que la corruption y est endémique. Sur le front, les fonds destinés au ravitaillement se volatilisent souvent avant d'arriver jusqu'à la troupe, encourageant immanquablement les soldats à la rapine ou aux pillages.

Ce cliché macabre est malheureusement la réalité dans plusieurs coins et recoins de la RDC. Il est donc temps de changer des fusils d’épaule et mettre les hommes et femmes de troupe dans des conditions ne fut-ce que minimales afin qu’ils assument leur mission. Oui, ventre affamé n’a point d’oreille, n’est-ce pas ?

La solde est un élément majeur de la condition du militaire. D’une certaine manière, elle reflète le prix qu’une nation accorde, en fonction de ses moyens, à ceux qui veulent la servir si besoin jusqu’au sacrifice du sang. Cependant, la situation des forces armées de la RDC n’est pas vraiment enviable et doit nous interpeller tous. En effet, déjà du temps du feu Président MOBUTU, le ton avait été lancé par le feu Général Mahele, le 29 mai 1992 du haut de la tribune de la Conférence Nationale Souveraine, en s’exclamant en ces termes : “Vous venez de vous rendre compte de l'ensemble des conditions difficiles dans lesquelles évoluent le soldat congolais et sa famille. Ce constat est sombre à la suite de l'indifférence des Pouvoirs publics vis-à-vis de l'Armée. À ce sujet, des milliers d'hommes et de femmes, et surtout d'enfants, vous regardent fixement et vous interpellent pour savoir pourquoi et au nom de quoi le soldat congolais, depuis la Force publique, est privé d'avenir ? Serait-il irrémédiablement condamné à vivre ainsi, à s'éteindre ainsi en éternel quémandeur ?”[4]

À l’époque du feu président Kabila, nous avions assisté à un engouement effréné des jeunes pour l’armée car le solde était de 100 dollars qui constituait une certaine fortune vers les années 1997 et 1998. Des étudiants finalistes n’avaient pas hésité d’arrêter avec les syllabus et avaient rejoint l’armée pour combattre l’ennemi. Peu à peu cette « fortune » s’est effritée au fur du temps jusqu'à ce qu’à ce jour, rares sont ceux qui touchent ne fut-ce que son équivalent - qui a dans l’entre-temps perdue sa valeur.

Aujourd’hui, les militaires congolais ne disposent pas d’une véritable solde. Ils ne reçoivent qu’une «ration» dont le montant est fixé par un taux barémique provisoire. [5] Notons qu’outre la modicité de paiement mensuel des militaires, se pose le problème de sa régularité. Enfin, s’agissant de l’alimentation, les unités reçoivent mensuellement un fonds de ménage calculé sur la base de l’équivalent de 8 USD par homme et par mois, ce qui permet tout juste de fournir un repas quotidien pendant 10 à 15 jours.

Tout compte fait, l’on peut comprendre pourquoi le nombre d’exactions commises par les hommes en armes sur la population civile croit. Bien qu’il faille condamner ces actes et agissements, il est cependant nécessaire et urgent de mettre les hommes et femmes en armes à l’abri de sollicitudes. Cela est d’autant vrai car, tout soldat sait qu'il peut mourir au combat. Chose curieuse, son contrat avec la nation stipule qu'il défend le pays et que réciproquement le pays lui donne les moyens de se défendre. Ce qui semble ne pas être le cas en RDC et d’aucuns de se demander pourquoi mourir pour un pays qui ne semble pas se soucier de vous? Telle semble être la question à laquelle répondent les soldats congolais qui refusent de combattre ou qui désertent. Ils sont en un mot « démotivés ». Que faire?

NOTRE RESPONSABILITE A TOUS

Face à cette démotivation des hommes et des femmes qui constituent les forces armées de la RDC, il est de notre responsabilité à tous de mettre la main à la patte afin de redorer le blason des vaillants militaires ainsi que de notre pays qui sont tristement à la une dans certains medias et milieux politico-diplomatiques. Il est curieux voire écœurant de constater qu’alors que les parlementaires et les ministres – au niveau national et provincial - pour ne citer qu’eux, se régalent et palpent des milliers des billets verts (dollars) ou des millions des francs congolais, les hommes et femmes en uniforme croupissent dans le noir avec une solde de misère comme indiquée supra. Cela fait que tout individu placé dans des conditions similaires, ne peut qu’être démotivé et se résigner de mourir pour la patrie qui l’a presque oubliée en ne le mettant pas à l’abri des sollicitudes. Pouvons-nous comprendre un seul instant que les députés nationaux et provinciaux roulent carrosse et bénéficient des avantages que d’aucuns qualifient d’immérités sous prétexte qu’ils doivent être à l’abri des sollicitations [6], mais que l’on ne garantisse pas des conditions minimales à ceux qui sont censés protéger les parlementaires, les gouvernants, la population et leurs biens.

Loin de nous l’idée de jeter des pierres aux députés - surtout ceux provinciaux - qualifiés par certains de « silence radio » [7], relevons tout simplement que les parlementaires peuvent faire que l’armée soit dotée des moyens suffisants et contrôler que les militaires soient régulièrement et adéquatement payés et/ou que leur argent ne soit pas détourné comme c’est presque devenu la norme en RDC. Les parlementaires sont donc en principe en mesure d'exercer leur contrôle sur l'armée. L'affaire n'est ni tabou ni relevant du secret-défense. En démocratie, le Parlement veille au fonctionnement de l'armée à travers « la définition des lois et règlements relatifs aux militaires », en votant son budget ou encore à travers la conformité de l'armée « avec la politique de sécurité nationale ». En commission parlementaire, les parlementaires doivent en principe recevoir tous les rapports détaillés sur les réformes envisagées ou entreprises dans les rangs de l'armée et peuvent organiser des auditions pour en savoir plus. Il est donc temps que nos parlementaires jouent leur rôle.

Bien plus, nous suggérons que durant les périodes de guerre par exemple, que les « gagne beaucoup » contribuent à l’amélioration de la solde des militaires en acceptant de se débarrasser temporairement d’au moins 100 USD par mois et il en restera des milliers des dollars pour leur villégiature, extravagance, etc. Les « gagne petit » ne resteront pas non plus bras croisés car ils devront aussi contribuer. C’est ici le lieu de faire recours utile à la fameuse philosophie ou doctrine de « un zaïre pour un grand Zaïre » de l’époque du MPR, Parti-Etat. Si chaque citoyen peut contribuer avec au moins un Franc Congolais (FC)- pourquoi pas 1000 FC - nous ferons un grand Congo. Ainsi, nous aurons par cette contribution à l’effort de guerre pour réarmer moralement, socialement et économiquement nos militaires. Mais, tout cela doit être fait dans la transparence pour éviter les cas d’abus et détournements pouvant entraîner des enrichissements sans cause et pousser certains, à la démotivation décriée.

Au gouvernement, nous réitérons les vœux du Professeur Mwayila Tshiyembe qui souligne que “…le gouvernement de la République n'a besoin ni de tribaliser l'armée ni de la financer sur la possibilité de la créer. Parce que, sans armée, il n'y a pas d'Etat. L'armée est le bras de l'Etat pour agir en cas de coup dur, c'est-à-dire assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, assurer les libertés individuelles et assurer la survie des institutions. Quand elle est républicaine, l'armée, au-delà de protéger les personnes et leurs biens, d'assurer l'intégrité du territoire, a aussi la vocation de garantir les institutions républicaines et de défendre les valeurs de liberté. C'est pour cela qu'elle est républicaine. C'est dire que les autorités du pays ont l'obligation, sinon le devoir, de faire en sorte que le Congo retrouve ce qu'il a perdu de l'étoffe d'un pays référant en Afrique centrale, dans la région des Grands Lacs et dans le golfe de Guinée. Avoir une armée républicaine est la condition sine qua non de cette présence, de cette visibilité du Congo…” [8]

Que dire de plus ? Sauf rappeler qu’afin de réussir les cinq chantiers de la République et le pari de la révolution de la modernité - certains diront même « cinq plus »-, en y ajoutant entre autres la sécurité humaine, il sied d’investir dans la femme et l’homme congolais, les acteurs de développement durable. S’ils ne sont pas embarqués dans le bateau de la reconstruction, du développement voire de la modernité, il n’y aura point de salut ! Prenons donc conscience de mettre l’HOMME au centre de tout projet afin qu’il vive en toute dignité et en toute liberté : Voilà le chantier des chantiers..... Aux armes citoyens !

[1] Les Forces armées de la RDC (FARDC) comptent aujourd'hui officiellement 125.000 hommes, dont environ 18 brigades « intégrées » - 45.000 hommes - qui ont suivi ces dernières années le processus de réforme de l'armée, appuyé par la communauté internationale - principalement l'Afrique du sud, l'Angola et la Belgique. L'Union européenne est aussi présente avec une mission de conseil et d'assistance de l'UE en matière de réforme du secteur de la sécurité en République démocratique du Congo (RDC), EUSEC RD Congo.

[2] Déjà en 2007, la MONUC estimait que 40% des violations des droits de l'Homme en RDC étaient le fait des Forces armées de la RDC (FARDC). Pour sa part, l’organisation Human Rights Watch (HRW) note que « …Mal entraînés, peu disciplinés, fréquemment non rétribués et manquant de l'essentiel, les soldats du gouvernement commettent de nombreux crimes au cours de pillages… ». Bien plus, Amnesty international renchérit que l’armée régulière commet des exécutions sommaires, arrestations arbitraires, violences sexuelles et pillages... La liste est longue, en particulier dans le Nord-Kivu en guerre.

[3] Comme le concède le porte-parole militaire de la MONUC, le lieutenant-colonel Jean-Paul Dietrich.

[4] Muissa-Camus, ‘Quelle Armée pour la IIIe République ?’ in La Conscience, 20 juin 2004, http://www.laconscience.com/article.php?id_article=416

[5] Ce taux bien que réévalué en janvier 2006, reste relativement faible. Un soldat touche l’équivalent de 25 USD par mois, un adjudant-chef 34 USD, quant au colonel, il reçoit l’équivalent de 50 USD. Les soldats des brigades « intégrées » touchent généralement leur solde mensuelle - 65 dollars - grâce au contrôle exercé par l'EUSEC.

[6] Lire Eugène Pierre, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, Loysel, 1992. Dans son « Traité de droit politique, électoral et parlementaire », EUGENE PIERRE écrivait : « Les électeurs n’auraient pas la liberté absolue de leurs votes s’ils ne pouvaient les accorder, indistinctement, à tous les citoyens qu’ils jugent dignes de leur confiance, si des raisons matérielles devaient peser dans la balance de leur choix. L’indemnité attribuée aux représentants du pays a pour but d’empêcher que nul ne soit écarté de l’enceinte législative par des considérations pécuniaires. Les hommes les plus dévoués aux intérêts publics peuvent hésiter légitimement à quitter leurs affaires s’ils ne sont pas assurés d’une compensation pendant l’exercice de leur mandat».

[7] Yav Katshung Joseph, Le Parlement Provincial, Pour Quoi faire?, Éditions Contrôle Citoyen, Lubumbashi, RDC, 2008

[8] Question de l'heure, Journal la Conscience, jeudi 22 mai 2008 http://www.laconscience.com/article.php?id_article=7364

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* Yav Katshung Joseph est avocat congolais, professeur de Droit et consultant.


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