La politique africaine contemporaine vue sous le prisme de la RD Congo
Le continent africain continue d’être bousculé avec la connivence des dirigeants africains eux-mêmes favorisant la convoitise extérieure sur les ressources africaines, participant et facilitant le pillage éhonté de celles-ci, organisant la prédation de l’économie dite nationale, permettant l’économie de crime (blanchiment d’argent, trafic des drogues, et des armes, l’esclavage ou tourisme sexuel), etc. Il y a certainement des exceptions. Mais nous centrons nos analyses sur le cas de la République Démocratique du Congo, le cœur troublé de l’Afrique (Robert B. Edgerton, 2002.)
La recherche de la paix durable
(…) Depuis qu’elle a eu son indépendance nationale, la RDC est dans une crise sans fin. Pendant la période de l’Etat indépendant du Congo, la phase initiale du pays, les conflits s’exprimaient en guerres opposant les conquérants coloniaux, les esclavagistes arabisants, les populations et des fragments d’Etats en crise résistant aux conquêtes. Ils se résolvent par la création forcée d’un « Etat », décidé par l’accord des puissances impérialistes à la Conférence internationale sur le Congo à Berlin (1884-1885).
L’indépendance nationale fut octroyée précipitamment. Les nouveaux dirigeants, paniqués, sans boussole, naviguaient à vue. L’Occident soupçonneux des communistes russes pouvant profiter de la crise pour vite entrer au centre de l’Afrique, met le pays sous l’éteignoir. Le premier Premier ministre Patrice E. Lumumba et d’autres nationalistes sont ciblés. La décision d’éliminer Lumumba, par exemple, est prise dans les hautes sphères des Etats américain et belge. Les occidentaux veulent alors préserver, à tout prix, leurs intérêts au Congo et sont prêts à écarter tous ceux qui y porteraient atteinte.
Depuis lors, les crises et les conflits se sont succédés au Congo, dans une spirale sans fin, mais sur des bases bien connues. Comment résoudre le conflit et ramener la paix ? L’assassinat de Lumumba et d’autres nationalistes n`a fait que l’aggraver. L’Occident pense que ses intérêts ne peuvent être préservés au Congo que si le Congo indépendant reste aux mains de leurs alliés (marionnettes) des forces congolaises pro-occidentales. Il ne s’occupe pas de la légalité ni des intérêts de la majorité des Congolais.
Pour sortir de cette logique de guerres sans fin, la RD Congo a intérêt à développer une vision pouvant guider le processus de transformation d’un territoire, colonisé et décolonisé précipitamment, en une Nation autocentrée répondant positivement aux intérêts et aspirations de la majorité de la population. Un discours —quelque émancipateur qu’il soit dans les intentions - prononcé devant les adversaires et les ennemis possibles, ne peut être la meilleure manière de formuler, en synergie avec ses citoyens, une vision utile.
Si la question de la paix concerne des contextes différents et des situations spécifiques (contextes mondial, régional, sous-régional et national), elle passe d’abord par un vrai projet congolais de construction de la démocratie participative.
Le continent africain continue d’être bousculé avec la connivence des dirigeants africains eux-mêmes favorisant la convoitise extérieure sur les ressources africaines, participant et facilitant le pillage éhonté de celles-ci, organisant la prédation de l’économie dite nationale, permettant l’économie de crime (blanchiment d’argent, trafic des drogues, et des armes, l’esclavage ou tourisme sexuel), etc. Il y a certainement des exceptions. Mais nous centrons nos analyses sur le cas de la République Démocratique du Congo, le cœur troublé de l’Afrique (Robert B. Edgerton, 2002.)
La recherche de la paix durable
(…) Depuis qu’elle a eu son indépendance nationale, la RDC est dans une crise sans fin. Si on remonte jusqu’à la phase initiale de sa création par des guerres des conquêtes coloniales, son histoire a été marquée par un processus des crises. Adam Hochschild, dans King Leopold’s Ghost (1998), examine ce qu’il appelle « l’holocauste oublié » pendant la période de l’Etat indépendant du Congo, la phase initiale du pays. Ici, les conflits s’expriment en guerres opposant les conquérants coloniaux, les esclavagistes arabisants, les populations et des fragments d’Etats en crise résistant aux conquêtes. Ils se résolvent par la création forcée d’un « Etat », décidé par l’accord des puissances impérialistes à la Conférence internationale sur le Congo à Berlin (1884-1885).
Les esclavagistes sont battus et les populations autochtones sont conquises. C’est un cas, dans la typologie de Cheikh Anta Diop sur la formation des Etats dans l’histoire, de la formation de l’Etat par conquêtes. Les conquérants n’ont pas exterminé les conquis, parce qu’ils ont eu besoin d’eux pour piller les ressources. Mais l’organisation du travail dans l’économie dite de cueillette reposant sur la force brute —coupure des têtes ou des mains des travailleurs forcés ne remplissant pas le montant exigé de caoutchouc ou d’ivoire—entraîna une réduction de la population estimée à 20 millions (1885) à 8 millions (1908). Cela donna naissance éventuellement, suite à un grand mouvement international de protestation plus ou moins dirigé par Edmund D. Morel, à un Etat colonial dont la terreur répressive à l’endroit des colonisés sera adoucie par un paternalisme raciste.
Bien que les colonialistes belges aient retenu comme politique de civilisation de ne pas former des élites (« pas d’élites pas des troubles »), la colonisation fut marquée par beaucoup de troubles et de conflits : des mutineries au sein de la Force Publique, organisée comme armée d’occupation pour tenir les colonisés à l’œil, des grèves réprimées violemment et surtout, dès 1921, un mouvement prophétique exigeant la libération politique et spirituelle des Congolais, etc., ont eu lieu.
Le mouvement prophétique était dirigé par Kimbangu Simon et d’autres prophètes dont Ntwalani Thomas, Filipo Mbumba, Matai Muanda. En six mois (avril-septembre 1921) les fondements politico-idéologiques de la colonie étaient ébranlés — du moins dans la partie occidentale de la colonie. Les travailleurs des entreprises avaient déserté, les hôpitaux étaient vidés des malades, les Eglises coloniales avaient perdu des croyants. Un état d’exception était proclamé, une répression était organisée et une arrestation massive était faite. Au moins 38 000 des prophètes et leurs disciples étaient déportés vers les autres parties de la colonie. Les dirigeants étaient jugés par un Conseil de guerre. Kimbangu Simon sera condamné à mort et puis à vie. Il mourra en prison après 30 ans de servitude pénale, accusé de xénophobie à l’endroit des Blancs dont il prédisait qu’ils partiraient.
C’est le prisonnier politique africain qui soit resté le plus longtemps en prison. Beaucoup de ces « ntumwa » sont morts en prison et, pour ceux qui fuyaient le persécution, en brousse. Près du village Kindiati, 1062 personnes se cachant dans un tunnel sont mortes suite à l’éboulement.
L’indépendance nationale fut octroyée précipitamment. Il fallait surprendre ou prendre de vitesse les colonisés qui s’organisaient pour arracher l’indépendance. Ceux-ci n’ont pas eu le temps pour développer un minimum nécessaire des capacités (surtout politique et spirituelle) pour maîtriser les exigences de l’indépendance nationale, surtout dans l’époque de la Guerre froide. Quatre jours seulement après la proclamation de l’indépendance, le 30 juin 1960, il y a eu crise : une mutinerie de la Force Publique et des grèves ouvrières importantes ont eu lieu. Cela ouvrira une histoire post-coloniale marquée des conflits récurrents.
Il y a eu dérapage général : les nouveaux dirigeants, paniqués, sans boussole, naviguaient à vue. Les colonialistes belges qui quittaient le pays, pris à partie par les mutins, interviennent militairement. L’Occident soupçonneux des communistes russes pouvant profiter de la crise pour vite entrer au centre de l’Afrique, à travers l’ONU, entre autres, invitée précipitamment par le gouvernement Lumumba, cherche à contrôler la situation en traquant les possibles sympathisants des communistes pour les éloigner du pouvoir. Le premier Premier ministre Patrice E. Lumumba et d’autres nationalistes sont ciblés. La décision d’éliminer Lumumba, par exemple, est prise dans les hautes sphères des Etats américain et belge. Les sécessions (du sud Kasai et du Katanga) sont provoquées et discrètement soutenues par certaines puissances occidentales pour casser le gouvernement de Lumumba. Les fonctionnaires belges, retenus dans l’Administration publique, quittent. De même que les officiers belges dans la Force Publique devenue l’Armée Nationale Congolaise.
Lumumba, comme chef du gouvernement, ne se rend pas clairement compte de la gravité de la situation mondiale. Il met sa confiance dans l’ONU pour s’opposer à la Belgique, membre plus influent dans l’ONU que le Congo ; en invitant l’ONU à intervenir au Congo, c’était comme si pour contrer un ennemi, on invitait d’autres ennemis possibles. Lumumba se montre, en plus, très intransigeant—conformément à la position nationaliste-- ; il utilise une mauvaise tactique, celle de menacer de faire appel à l’URSS si l’Occident ne l’aidait pas. Il est vite perçu par les dirigeants occidentaux (le directeur de la CIA, Allan Dulles, par exemple, qui pensait que Lumumba était comme Fidel Castro, sinon pire.) de pro-communiste. Les occidentaux veulent préserver, à tout prix, leurs intérêts au Congo et sont prêts à écarter tous ceux qui y porteraient atteinte.
Très vite donc, sur terrain, le conflit oppose les forces pro-occidentales (fortement soutenues par l’Occident) à celles se disant nationalistes, soupçonnées, par l’Occident, d’avoir des sympathies communistes et ne recevant un peu de soutien que des pays se disant non-alignés. Cette opposition conduit à la balkanisation du pays en quatre centres politiques : Léopoldville, Elisabethville, Stanleyville et Bakwanga.
Comment résoudre le conflit et ramener la paix ? L’assassinat de Lumumba et d’autres nationalistes n`a fait que l’aggraver. L’Occident pense que ses intérêts ne peuvent être préservés au Congo que si le Congo indépendant reste aux mains de leurs alliés (marionnettes) des forces congolaises pro-occidentales. Il ne s’occupe pas de la légalité ni des intérêts de la majorité des Congolais. Il faut que les intérêts occidentaux priment sur ceux des Congolais. Pour l’Occident, résoudre le conflit c’est rétablir le contrôle sur le Congo, c’est priver du pouvoir les nationalistes lumumbistes. C’est pourquoi, les nationalistes penseront qu’il faut relancer la lutte pour la Deuxième Indépendance.
(…) Quels devaient être les intérêts occidentaux dans cette conjoncture ? Nous pouvons avancer les hypothèses suivantes : l’intérêt géostratégique, celui de maintenir le contrôle sur l’Afrique, garder celle-ci dans le giron de l’Occident, c’est-à-dire dans le camp occidental de la Guerre froide ; continuer d’avoir la mainmise sur les ressources dont l’Occident a besoin ; ne pas permettre à ce que l’Afrique s’organise et se développe de façon à menacer les intérêts occidentaux tels que perçus de ce côté là ; protéger les investissements occidentaux en Afrique, au besoin contre l’intrusion communiste ; continuer de jouir des taux élevés de profit en Afrique en gardant les producteurs africains dans les conditions misérables ; ne pas permettre, en Afrique, l’émergence d’un Etat capable de menacer l’équilibre mondial. L’Occident considère les intérêts des peuples africains, non seulement en dernier lieu sinon pas du tout, mais surtout comme devant soutenir et favoriser les intérêts occidentaux.
Lumumba et ses collègues nationalistes considéraient d’abord la dignité humaine de l’Africain. C’est-à-dire, construire dans l’Africain un sentiment d’estime de soi, presque disparue à cause de l’humiliation du Noir en général ; ne plus être considéré comme un macaque (« Nous ne sommes plus vos macaques », avait dit Lumumba dans son discours du 30 juin 1960). Ce désir de désaliénation est compris par l’Occident comme « une haine » du Blanc.
La communication s’avère impossible. Le nationaliste exige des preuves pour faire confiance à celui qui n’a fait jusque-là que l’opprimer et le mépriser. L’Occident veut que l’Indépendance soit la continuité du système qui préserve leurs privilèges et intérêts. Même politiquement indépendant, le Congolais doit continuer d’être à sa place - celle du damné de la Terre, dirait Frantz Fanon.
Pour le nationaliste lumumbiste, la désaliénation culturelle et politique doit précéder tout. Ce sont les militants congolais désaliénés qui ferraient l’histoire de l’Indépendance. Malheureusement, le colon a pris le colonisé de vitesse. Lumumba met ses pieds dans des souliers trop grands. Le temps de définir le projet de la construction d’un Etat digne, respectueux des droits de tous les Congolais n’est plus là. Le contrôle de l’Etat—encore colonial—échappe et glisse des mains des nationalistes. Ils battent en retraite et de façon dispersée : « Quand on tombe dans un trou, on ne regarde pas la couleur de la main qui vient à votre secours », dira Lumumba.
Le Congo va vivre onze phases de guerre. La Guerre froide qui se termine par l’effondrement de l’URSS ne finit pas par un vrai accord de paix. Le militarisme du victorieux ne fait que s’aiguiser davantage. Sur le plan national, on n’a même pas pensé à faire le bilan de l’impact de cette guerre sur le pays. Une communauté divisée ne peut faire un bilan réaliste. Les conférences nationales se disant souveraines qui se sont tenues ici et là, en Afrique, semblent l’avoir été sous la protection, sinon sur incitation du triomphalisme capitaliste et du «nouvel ordre mondial » proclamé par Bush, le père. L’heure était à la démocratisation du monde, et donc de l’Afrique. On pense que la meilleure manière de résoudre les conflits c’est par la démocratisation.
Qu’aurait dû être l’intérêt national congolais ?
Nous avançons les hypothèses suivantes : les dirigeants devaient :
- savoir qu’on était dans une conjoncture mondiale bipolarisée et donc savoir éviter de se faire une herbe victime de deux éléphants qui se battent ou font l’amour ;
- savoir que l’indépendance ayant été précipitée —pour sauver les intérêts des colonialistes— les capacités du leadership national étaient insuffisantes ; le leadership devait chercher à y remédier le plus vite possible et il aurait fallu éviter de faire du pays un champ de batailles des puissances antagonistes ;
- se donner un plan à long terme (avec étapes spécifiques) pour pouvoir maîtriser l’effort pour l’indépendance. Il fallait donc se retenir de faire des provocations inutiles et improductives et solliciter les aides nécessaires pour réaliser ce plan ;
- savoir identifier ses propres forces nationales et s’appuyer sur elles en priorité, les aides extérieures (toujours liées et jamais bénévoles) ne devant être que complémentaires ;
- éviter les interventionnismes extérieurs qui causent la dépendance exagérée sur l’extérieur, la division profonde dans la population, la mise en exergue d’un leadership national pas nécessairement le meilleur pour le pays, l’aggravation des problèmes plutôt que leur solution, l’imposition d’une routine presque coloniale y compris la reproduction simple ou élargie des modalités de fonctionnement de l’Etat colonial.
Bref, le pays a un intérêt à développer une vision pouvant guider le processus de transformation d’un territoire, colonisé et décolonisé précipitamment, en une Nation autocentrée répondant positivement aux intérêts et aspirations de la majorité de la population. Un discours —quelque émancipateur qu’il soit dans les intentions - prononcé devant les adversaires et les ennemis possibles, ne peut être la meilleure manière de formuler, en synergie avec ses citoyens, une vision utile.
Le leadership doit avoir confiance en ses propres gens ; c’est un des moyens de minimiser la division au sein du leadership lui-même. Le gouvernement Lumumba était tout sauf uni. C’est dans l’intérêt du pays de développer, le plus vite possible, la conscience publique requise par la position géopolitique du pays ainsi que sa position géostratégique dans les calculs des puissances du monde. C’est dans l’intérêt national de maîtriser la dimension internationale du pays (qui a neuf voisins et se trouve au centre du continent et dispose d’énormes ressources naturelles hautement convoitées).
Il faut que l’intérêt national, dans chaque conjoncture, soit compris, d’une part, en articulation avec ceux des puissances du monde et, d’autre part, avec ceux des pays voisins. Avec ceux-ci, en alliance d’intérêts, on peut faire un front commun dans les négociations avec les puissances. Pour vaincre l’esprit colonial qui habite encore les institutions et les gens —les ex-colonisés-, il est nécessaire de développer, dans les gens, l’indépendance de l’esprit.
Dans l’absence de l’intellectualité politique résumée ci-devant, les conflits sont vite confiés à la « médiation internationale », sous prétexte de manque des moyens matériels pour les résoudre. L’appel à l’ONU ou à cette sorte de médiation dénote une carence réelle de leadership national et pas nécessairement une marque de maturité du leadership. Le fait que la RDC ait fait appel à l’ONU montre la profondeur de la crise et la faiblesse de leadership capable d’éviter, par ailleurs, les sollicitations extérieures dues aux convoitises des ressources immenses du pays. La paix n’est pas à faire ; elle est à vivre.
Le recours à la méthodologie onusienne de résolution des conflits a montré ses limites. Elle évite d’organiser une palabre proprement dite sur les causes profondes de la crise, pour ne pas éclabousser les grands de ce monde qui bénéficient de la crise et des conflits. Elle se focalise, tout de suite, sur la question du partage « exclusif » du pouvoir comme cause du conflit. Les conflits se réduisent à ceux qui prétendent au pouvoir —l’exclusion de certains prétendants constitue la cause du conflit. Les impératifs du partage du pouvoir décident de tout. La médiation se fait donc indispensable et utilise le manque de temps et les limites des ressources pour éviter une vraie palabre participative entre adversaires, d’une part, et victimes des conflits d’autre part. La nature des contradictions, responsables des conflits, n’est pas explicitée. Le rôle du facilitateur, loin d’être identifié à celui du « Nzonzi » (facilitateur intellectuel de la palabre), par exemple, est assimilé au modérateur des réunions.
C’est pour ces raisons, brièvement analysées, s’appuyant sur la RDC, que la recherche de la paix durable est rendue difficile. Le mode même de pensée et d’existence ne montre pas que les dirigeants africains ou les aspirants veulent vivre la paix. La résolution des conflits est devenue un autre moyen de préparer un conflit futur. Dans la mesure où les responsables des conflits sont aussi ceux qui prétendent être au centre des activités prétendument de prévention des conflits, celle-ci échoue toujours. Pour vivre la paix, il faut réellement la vouloir. Pour la paix durable, également, il n’ y a pas de volonté politique.
En résumé, la question de la paix concerne des contextes différents et des situations spécifiques. Il s’agit des contextes mondial, régional, sous-régional et national.
Le contexte mondial est marqué par des menaces sur une paix durable : les forces mondiales qui cherchent des modalités d’une politique capable d’instaurer la paix durable sont confrontées aux activités irresponsables des entreprises transnationales dont le seul objectif est de faire l’argent de par tous les moyens possibles, à l’hégémonisme américain post-Guerre froide (entraînant une reprise de réarmement par les puissances mondiales), au système mondial de l’économie de crime (comprenant le trafic d’armes, de la drogue, le blanchiment d’argent), à la crise mondiale de la politique d’émancipation (avec la domination de la pensée unique d’un matérialisme démocratique faisant usage parfois de la force), à l’accumulation mondiale de la pauvreté et à la concentration de la richesse mondiale entre de moins en moins des mains, à un humanitarisme de charité (plutôt que de solidarité s’accommodant aux conflits), à la crise de la civilisation capitaliste et à la rareté d’un leadership visionnaire mondial.
Le contexte régional africain est caractérisé par l’absence de développement capable de soutenir les rapports sociaux renforçant le mode de pensée et d’existence paisibles. Toute politique régionale de paix est confrontée, en plus de l’absence de volonté politique, à une incapacité matérielle qui oblige de recourir à l’interventionnisme extérieur. « Pour le continent africain », a écrit Makhtar Diouf, « la mondialisation actuelle a toutes les allures d’un scénario de recolonisation clandestine et collective, mais cette fois, sans conquête territoriale ; ceci pour assurer son intégration plus complète à l’économie mondiale. »
Paradoxalement, l’Afrique semble être maudite et réduite au sous-développement à cause de ses ressources potentielles immenses. Les conflits violents se concentrent là où s’exploitent les ressources naturelles convoitées de partout, dans l’absence d’un vrai Etat.
Le contexte sous-régional des Grands lacs et de l’Afrique centrale semble souffrir de la vérité suivante : sans partage équitable des ressources naturelles, dans les conditions d’absence d’un vrai projet de construction d’Etat, pas de paix durable. Toutes les sortes des violations de la dignité humaine ont été vécues ici : traite négrière, génocides, massacres divers, « l’holocauste oublié », anthropophagie, deux chefs d’Etat (Maréchal Idi Amin Dada et Maréchal Bokassa) accusés d’avoir pratiqué le cannibalisme, chasse à l’homme pour des fétiches, ‘répression comme politique’, assassinats politiques des dirigeants et/ou adversaires politiques, guerres récurrentes, interventionnismes extérieurs récurrents, etc.
Dans les pays comme le Rwanda et le Burundi, dont le processus de génération de surplus économique, par rapport à la croissance démographique galopante, est incapable de satisfaire, par une justice sociale, les besoins fondamentaux croissants de la majorité de leurs populations respectives, les conflits se sont souvent transformés en véritables génocides. Pendant la colonie, le surplus de la population était orienté vers le Congo Belge à chaque fois qu’il y avait des cas de famine. C’est d’ailleurs dans ces pays que les ethnies ont été, pour ainsi dire, créées artificiellement. Les populations ont les mêmes cultures et croyances religieuses ainsi que la même langue, mais les communautés qui s’opposent de par le fonctionnement d’Etat colonial, sont assimilées à des ethnies.
Le grand défi, dans cette région, se résume à travers les questions suivantes : comment trouver une politique de paix, c’est-à-dire, comment transformer la dynamique qui alimente le militarisme comme politique ? Comment transformer cette zone des conflits récurrents en une zone de paix ? Comment partager les immenses ressources sans recourir au militarisme ? D’où peut émerger l’intérêt général par rapport à l’appropriation des ressources ? Comment transformer le rapport pouvoir/ethnie/cliques militaristes/Etat ? Comment transformer les Etats des cliques en Etats pour tous ? Comment prescrire à l’Etat la multiplicité pour son horizon, afin de corriger son caractère discriminatoire ?
Les guerres qui se sont répétées n’ont pas été pour la paix, ni même pour des objectifs politiques. Ce sont des guerres au service du pillage des ressources accessibles. Les guerres pour la « sécurité » ne seraient-elles pas un cas de guerre pour la puissance pure ? La RDC a jusqu’ici échoué de jouer son rôle possible de puissance pacificatrice de la sous-région par un partage équitable de ses ressources, par une coopération sous-régionale mutuellement bénéfique.
(…) Il faut éviter les conditions de conflit capables de menacer la paix et de conduire à la guerre. Les Etats coloniaux fonctionnaient sur des modalités discriminatoires. Les Etats post-coloniaux n’ont pas fait rupture avec ce fonctionnement ; ils sont toujours organisés sur la base de la discrimination ethnique, régionaliste, religieuse, clientèle, linguistique, raciale et sexuelle. C’est pourquoi les conditions qui menacent la paix sont souvent reproduites. Les Etats africains, dans leur majorité, n’ont pas eu de paix civile depuis leurs indépendances.
Aucune guerre, en RDC, ne s’est terminée par une réconciliation nationale sur fond de vérité. Ce qui explique le fait qu`après les conflits l’Etat a continué de fonctionner de façon discriminatoire. Les conditions de guerre, même après la fin officielle de la guerre, continuent de prévaloir en RDC.
La recherche de la démocratie participative
Nous sommes à l’époque de la mondialisation impérialiste dominée par l’hégémonisme américain. La mission de démocratisation, même par la force, est un objectif affiché de cet hégémonisme. On peut se demander s’il y a un projet, proprement africain, de construction de la démocratie. Depuis la fin de la guerre dite froide qui a amené le retour en Afrique du multipartisme, on a l’impression que c’est à travers les rapports politiques dominants dans chaque pays, essentiellement extravertis, que se formulent et s’exécutent des « projets » de construction de la démocratie.
Ce qui est clair, c’est que les « élites » africaines, surtout politiques, sont plus proches, culturellement, politiquement et socialement des forces extérieures que des masses populaires qu’elles prétendent diriger. Partout ou presque où les masses populaires sont parvenues à s’organiser, plus ou moins indépendamment de ces élites, les expériences démocratiques ont débouché sur des conflits. Le cas du Kenya, par exemple, illustre cette situation.
On ne peut pas dire qu’il y a un vrai projet congolais de construction de la démocratie participative. Aucun débat sérieux n’a eu lieu sur la question. Mais la conviction se fait entendre que les conflits, les crises et même le sous-développement seront vaincus par la démocratie ; et on réalise de plus en plus que le multipartisme, qui caractérise le noyau de la forme dominante de la démocratie, non seulement reflète le fractionnisme politique mais semble aggraver la division.
Les premières expériences des élections démocratiques (1960, 1964-65), en RDC, ont été interrompues par des coups d’Etat provoqués, entre autres, par l’internalisation des conflits des puissances opposées de la Guerre froide. La première expérience de multipartisme (1990-1996), après l’achèvement de cette guerre, était interrompue par les rebellions fomentées par le fonctionnement dictatorial de l’Etat sous Mobutu, et surtout son utilisation de la politique dite de « géopolitique » tendant à renforcer l’aspect discriminatoire de l’Etat post-colonial, allant jusqu’à la révocation du droit de nationalité à certains groupes et la déportation forcée de « non-originaires » de certaines provinces.
Le renversement du régime dictatorial de Mobutu, le 17 mai 1997, par une grande convergence des forces et des acteurs, revendiquant le départ de Mobutu, n’a pas abouti à une réconciliation nationale sur fond de vérité ou à un équilibre satisfaisant de différents agendas concernant l’après-Mobutu. Il n’a donc pas apporté une paix civile. La guerre avait repris et s’est terminée par deux Accords : les Accords de Lusaka, signés le 10 juillet 1999, de caractère régional et les Accords de Sun City, conclus et signés le 3 avril 2003, focalisés sur le conflit congolais. Malgré la volonté politique des dirigeants africains, exprimée par le feu Mwalimu Julius Nyerere, de résoudre la crise congolaise indépendamment de la communauté internationale qui était responsable de l’accession de Mobutu au pouvoir pour résoudre la première crise de l’indépendance congolaise, cette communauté a éventuellement pris le contrôle de ce processus de résolution et a donc orienté la mise en application de ces Accords.
Le Dialogue intercongolais a été tout sauf un vrai dialogue entre Congolais. Lequel dialogue devait d’ailleurs se tenir au pays même, pour impliquer toutes les couches de la population congolaise. C’est pourquoi, une fois encore, le succès de l’application de ces Accords était placé sous la garantie de la communauté internationale. La période de transition (2003-2006) qui devait jeter les bases pour les élections démocratiques était dominée par cette communauté qui bénéficiait presque d’un droit de veto pour trancher tout conflit possible entre groupes congolais.
Il est vrai que sans la pression de cette communauté, aucun objectif de la transition n’allait probablement être réalisé. Celle-ci devait mettre en exergue la nécessaire inclusivité dans le partage du pouvoir, l’impérative non-conflictualité de cette transition, l’impérieuse obligation de réaliser une réconciliation nationale sur fond de vérité ainsi que l’intégration des armées (ou des milices) dans une armée structurée, républicaine et nationale, pour réaliser les élections démocratiques et résoudre la crise de légitimité politique. En d’autres termes, la transition devait mettre en place les conditions nécessaires pour la démocratie.
Tout au long de la transition, les gens souffrant des sentiments d’exclusion du partage de pouvoir (ou d’inclusion insuffisante) n’ont pas disparu. La conflictualité jusqu’au sommet de l’Etat a prévalu. Deux grandes confrontations armées, opposant les dirigeants (le président J. Kabila à son vice-président, J.P. Bemba) ont eu lieu, dont l’insuffisante gestion continue d’influer même l’après-élections. Les grands responsables n’ont pas voulu se réconcilier et la réconciliation nationale sur fond de vérité n’a pas eu lieu.
La réussite d’une telle réconciliation allait certainement priver la communauté internationale de sa position de contrôle. Toutes ces insuffisances ont, enfin, retardé sinon bloqué la mise en place d’une vraie armée intégrée, restructurée, républicaine et nationale. Le caractère discriminatoire de l’Etat, encore fragmenté, n’a pas disparu. C’est sur cette base des insuffisances que les élections démocratiques ont eu lieu et les institutions de formalisme démocratique plaquées.
Le processus pour arriver à la démocratie était plus extraverti qu’intraverti ou endogène. Les divisions dans la société, occasionnées par la longue dictature de Mobutu et les rébellions, n’ont pas été traitées correctement, faute d’avoir réalisé la réconciliation nationale avec vérité. Les conditions d’insécurité ont prévalu, faute d’avoir réussi l’intégration et le restructuration des armées et des milices. Aujourd’hui encore, la tension entre les ex-FAZ (les soldats de l’ancienne armée de Mobutu) et les milices des ex-rébellions persiste ; une partie des FAZ reste exilée à l’Etranger.
Le processus d’élaboration de la nouvelle Constitution s’est fait en dehors de l’implication active du demos congolais, dont l’éducation civique n’a même pas bénéficié d’une attention convenable. Comme c’est l’Union Européenne qui a financé la grande partie des élections, sur la base de ses conditions, la souveraineté du processus était hors de toute considération. Tout est apparu comme étant une importation, plutôt qu’une initiative du peuple congolais.
Les consultations de la population, par le Sénat de la transition, ont été faites en vitesse et ont pour l’essentiel été artificielles. Le peuple devait seulement choisir parmi les concepts (fédéralisme contre unitarisme, par exemple) dont il n’avait pas la compréhension utile. Le sens même du referendum échappait à beaucoup d’électeurs. Une électrice, par exemple, qui pensait que Referendum était une personne, voulut voir sa photo avant de voter. L’analphabétisme ayant pris de la croissance, beaucoup d’électeurs devaient être assistés, souvent par des électeurs intéressés, pour exercer leur droit démocratique.
(…) La vision du futur n’a pas fait l’objet de débat social. Même quand la loi électorale exigeait les débats entre candidats, dans les campagnes électorales, ils n’ont pas eu lieu. Le caractère sinistré de notre société et le processus pour sortir le pays de cette situation catastrophique n’a pas fait l’objet de débats ni de déclaration de la part des dirigeants. Les anti-valeurs décriées depuis l’époque de Mobutu ont non seulement été reproduites, mais n’ont pas fait l’objet de critère de choix entre les dirigeants. Les campagnes électorales étaient baignées par les anti-valeurs : l’achat des consciences par la distribution d’argent ou des biens matériels. Les élections étaient une occasion pour les riches de déployer et exhiber leur richesse.
Dans ce contexte, la démocratie tend à être une confirmation des rapports politiques existants plutôt que leur transformation. On a vu qu’en Afrique rares sont les cas des élections démocratiques qui ont amené des alternatives politiques nouvelles au pouvoir plutôt qu’une simple confirmation des occupants du pouvoir.
(…) Le président élu est aujourd’hui entouré d’une armée fonctionnant comme une milice personnelle, inconsciente du fait qu’elle devrait, en démocratie, servir fidèlement tout le peuple congolais et non le harceler pour ses moyens de vie. Le désir, par le vainqueur, d’avoir la majorité au Parlement et contrôler le pouvoir, bloque le fonctionnement utile des institutions démocratiques. Ce sont ces limitations qui font que la démocratie, en RDC, ne développe pas des racines profondes. La manière de forcer les choses, pour asseoir la démocratie dans le pays, par nos « éducateurs de démocratie » occidentaux, fait qu’on finit souvent par accoucher d’une souris.
Quelques institutions démocratiques sont en place. Mais cela n’a pas empêché le conflit armé de se poursuivre à l’Est du pays. Les premiers exercices de droits démocratiques, par exemple la protestation au Kongo Central contre des votes extorqués et par menaces, ont rencontré, de la part des élus, une répression disproportionnée causant mort d’hommes. Ce qui a entraîné un approfondissement de la crise de légitimité politique et sociale qui a donné lieu à l’ « affaire Bundu dia Kongo ». Ce mouvement a été réprimé et ses adhérents (makesa) ont été massacrés, leurs paroisses (maziku) détruites et leurs corps précipitamment jetés dans le fleuve (à Luozi) ou dans des fosses communes ailleurs.
On ne peut construire la démocratie sur un terrain des ruines. Le recours à la force ou à la menace pour museler les citoyens exerçant leurs droits démocratiques de protestation contre toute violation de leurs droits ne peut renforcer la démocratie. La stabilité de cimetières ne peut conduire à une vraie construction de la démocratie.
La recherche de la solution appropriée à la question nationale
Très tôt, dans le cadre de l’OUA, les pays africains, après leurs indépendances, ont adopté la décision de l’intangibilité des frontières coloniales. Cette décision a compliqué plutôt que facilité le processus de l’unification politique de l’Afrique qui n’est possible que par la transformation des dites frontières. Les pays africains, à quelques exceptions près, sont la conséquence des guerres des conquêtes coloniales.
(…) Des communautés plus ou moins homogènes, à différents niveaux de développement culturel et social (qui sans Etat, qui avec Etat embryonnaire, qui avec un royaume ou même empire en crise), ont été fragmentées et des fragments différents collés ensemble pour former des colonies. Celles-ci ont donc eu des frontières artificielles par rapport à l’intégrité des communautés d’avant les conquêtes. Il y a eu des communautés scindées en deux : l’une ou l’autre partie a vu ses terres se retrouver dans l’autre côté de la frontière coloniale. Les habitants de Luozi, en RDC, ont, pour certains d’entre eux, leurs terres claniques au Congo-Brazzaville, par exemple.
Quand il y a d’importantes ressources naturelles le long des frontières, les Etats postcoloniaux se disputent les frontières. C’est le cas du conflit frontalier opposant le Cameroun au Nigeria dans une région riche en pétrole, conflit qui devait se résoudre par un recours à la Cour Internationale. C’est le cas, récemment de Kahemba, en RDC : l’Angola et la RDC ont eu à revisiter les frontières coloniales, suite à l’accusation par les habitants de Kahemba de la présence sur le territoire des troupes angolaises exploitant le diamant. Même les Etats se disant progressistes ou révolutionnaires, l’Ethiopie et l’Erythrée, sont allés en guerre autour d’une dispute des frontières.
La tension entre le Rwanda et la RDC prend parfois la forme d’une violation des frontières coloniales que le Rwanda n’a pas toujours acceptées. Il fut un temps, le régime rwandais revendiquait la nécessité d’une autre Conférence de Berlin pour retracer des frontières à nouveau.
L’intégration régionale, dans le respect de l’intangibilité des frontières coloniales, a été souvent conçue en termes d’intégration économique suivant le modèle de l’Union Européenne. Les expériences africaines d’intégration régionale n’ont pas été très performantes. La tentative d’unité continentale est confrontée au refus systématique, de la part des Etats, d’aliéner les souverainetés nationales des Etats en se fusionnant en un Etat continental africain. L’unification graduelle, par l’intégration économique, dans la mondialisation, n’a peut-être pas de chance de réussir comme l’Union Européenne qui, d’ailleurs, semble être poussée à penser à son unification politique si elle veut être une vraie superpuissance mondiale.
A l’indépendance, le problème de la question nationale se posait en termes de formation de la nation indépendante, transcendant les divisions ethniques jusque-là entretenues par l’Etat colonial. C’était en fait la nécessité de la transformation de l’Etat colonial en un Etat digne garantissant les droits de chacun et de tous. (…) La construction de la nation par l’Etat a été conçue comme une intégration nationale des communautés ethniques, par exemple, qui étaient forcées d’être ensemble par la colonisation et dont l’autonomie était parfois préservée par l’Etat colonial dans sa dynamique de diviser pour régner. Si l’Etat indépendant ne parvient pas de se défaire du caractère discriminatoire, il devra faire face aux revendications d’autonomie communautaire, sous la forme de lutte de l’autodétermination pouvant même conduire à la sécession.
(…) En Afrique, la question tribale qui est au centre des difficultés pour réussir les démocraties et la construction des Etats dignes, est une indication de la difficulté qu’il y a de résoudre la question nationale. Ni le fédéralisme ethnique, comme l’a tenté l’Ethiopie, ni la création des nations ethniques ne pourront peut-être résoudre cette question. La plupart des expériences africaines de construction de la nation à partir de l’Etat post-colonial, soit en mettant l’accent sur l’unité pour l’unité justifiée par « les impératifs du développement », soit par un recours partisan aux traditions culturelles africaines, ont échoué.
Il n’y a pas longtemps, le slogan de Kenneth Kaunda : « Un pays, une nation ; une nation, un parti politique ; un parti politique, un dirigeant : Kaunda ! » était partagé par bien des dirigeants africains. Des partis uniques étaient devenus des véhicules pour construire la nation. Pour expliquer l’échec, il faut revenir au mode historique de la politique de lutte (armée ou non) populaire de libération nationale qui a dominé tout le mouvement des indépendances depuis celle de l’Inde en 1948, jusqu’à l’assassinat de Salvador Allende et Amilcar Cabral, en 1973. A travers ce mode (les théoriciens militants pour l’Afrique étaient Frantz Fanon et Amilcar Cabral), la nation était comprise comme se formant dans le processus des luttes populaires pour l’indépendance nationale.
Les mouvements de lutte de libération nationale se sont rapidement transformés en partis et plus tard en Etats. Il y en avait même qui fonctionnaient comme Etats en attente, avant même la victoire finale. Ils ont eu une forte croyance en l’Etat comme facteur émancipateur. Ce qui a donné naissance à l’étatisme rampant.
(…) Tous les lieux de cette politique, bien que variables, comprenaient un mouvement de masse, des organisations de masses, la guerre de guérilla et les communautés paysannes. Avec la déviation étatique, le militarisme s’est formé et les solutions militaires aux problèmes dominaient sur les solutions politiques. Les mouvements de libération nationale devinrent, en pratique, l’image-mirroir de la politique coloniale. Durant les 30 dernières années, nous avons vécu la péremption de cette politique.
La question nationale et même celle dite des conflits ethniques sont les résultats du retrait de la politique de libération nationale, une politique d’émancipation et de fonctionnement des Etats postcoloniaux avec des modalités de fonctionnement de l’Etat colonial. Pour les résoudre, il faut qu’émerge un nouveau mode historique de la politique de la lutte contre la mondialisation impérialiste.
La recherche d’un développement endogène pro-peuple.
Il y a, en Afrique, un grand besoin de démystifier le terme « développement », comme d’ailleurs « la science économique. » En grande partie ils dénotent des idéologies de et pour l’évolution des sociétés capitalistes. Le développement nc’est avant tout le développement capitaliste qui, initialement, s’est construit, entre autres mais principalement, sur la traite négrière et l’esclavage Atlantique. Il se construit donc sur la base de la dévastation de l’Afrique. La trajectoire des sociétés africaines, vue du Congo, va du pillage des forces humaines africaines, à peine sédentarisées et plus ou moins organisées, au pillage actuel des ressources naturelles, principalement pour les forces extérieures.
(…) Le Congo a vu, pendant plusieurs décennies, l’investissement du capital étranger et la création des richesses se faire sur la base de l’extraction des ressources naturelles. Ce capital et ces processus n’ont pas produit les bénéfices attendus par la société congolaise. L’honnêteté oblige que soit éclairci le rapport entre le développement (et surtout son absence) de notre pays et les richesses que nos ressources ont générées pour les autres nations dans un rapport de partenariat avec une minorité de l’ « élite » congolaise. Ce qui est clair, c’est que le résultat de cette histoire a été, en termes humains et en termes de conditions socioéconomiques de la société congolaise, un échec complet et total. N’est-ce pas que cet échec socioéconomique est une des causes structurelles des conditions qui perpétuent l’instabilité, les conflits et la guerre en RDC ?
La plupart des investisseurs étrangers s’accorderont avec moi sur le fait que les coûts économiques de cet échec, en termes d’incapacité congolaise de créer un environnement basé sur l’Etat de droit, la création des marchés opérationnels, la stabilité macroéconomique et une politique fiscale et monétaire responsable, sont importants.
L’expérience congolaise a montré qu’on ne peut pas organiser une économie sociale en dehors et contre les intérêts vitaux des masses de la population sans souffrir des crises économiques et politiques majeures, dans le long terme.
La « décolonisation » était l’ensemble des pratiques politiques et positions idéologiques prise par des colonialistes en vue d’accorder l’indépendance politique de telle manière que celle-ci soit en continuité dans le maintien des privilèges colonialistes dans le nouveau système. Il en est de même du « développement ». C’était d’abord et avant tout un ensemble des pratiques politiques et économiques, ainsi que des positions idéologiques du monde occidental, pour l’évolution des sociétés qu’il a toujours subjuguées dans la continuité de ses privilèges économiques.
(…) Le développement, qui doit être endogène, ne peut être poursuivi que consciemment. Il ne peut pas être laissé aux mains des autres. (…) Dans la situation présente, le développement en Afrique doit être conçu dans une perspective de pensée puissante qui émergera d’un grand mouvement de promotion de la liberté de la pensée. Cette pensée devra reprendre, comme enracinement, toutes les pensées critiques du vaste mouvement de refus historique de toute pensée unique et de toute conception linéaire de l’histoire. Peut-être n’est-il pas possible de sortir du monde capitaliste, mais ne devons-nous pas nous accorder sur les contours d’un capitalisme favorable aux intérêts profonds des peuples africains ?
Pour le moment, la crise de la société africaine tourne autour de l’incapacité d’un traitement approprié du rapport entre la ville et la campagne rurale. C’est à la campagne rurale qu’habite la majorité de la population, en RDC, par exemple. Mais jusqu’à 85% du budget national restent à Kinshasa. Les milieux ruraux n’en recevant au maximum que 5%, sont absolument négligés. Alors qu’ailleurs, comme en Amérique latine, les « latifundia » sont en train d’être démantelés, en RDC, on semble s’orienter vers la création de cette forme de gestion de terres. (…)
La recherche d’un leadership visionnaire
L’Afrique a produit des grandes figures, avec un certain rayonnement dans le monde, dans plusieurs domaines d’activités humaines : dans la culture (musique, religion), dans les sciences, dans la politique, etc. Mais dans l’état où se trouve l’Afrique aujourd’hui, l’impact de ces figures n’a pas apporté grand chose.
Après avoir étudié les 50 dernières années des indépendances des pays africains, Martin Meredith (2005) a conclu : « Au centre de la crise se trouve l’échec des dirigeants africains de promouvoir un gouvernement efficace. Peu de pays ont eu une expérience d’un leadership sage et compétent… Dans la plupart des cas, l’Afrique a souffert terriblement des mains de ses Grands Hommes et des élites régnantes. La préoccupation de ceux-ci a été de garder le pouvoir avec l’objectif de s’enrichir. Les systèmes patrimoniaux qu’ils ont utilisés pour se maintenir au pouvoir ont fait couler une grande proportion des ressources de l’Etat. Ils ont confisqué d’autres richesses, comme gardiens, des compagnies étrangères. La majeure partie de la richesse acquise a été dépensée sur une vie de luxe ou placée dans des comptes des banques étrangères et des investissements étrangers. »
On a eu, certes, des leaders clairvoyants comme Nelson Mandela, Julius Nyerere, Kwame N’Krumah, etc. Mais ces genres de leaders n’ont pas été nombreux. Des générations à venir vont continuer de vivre les conséquences des passages des leaders comme Mobutu, Idi Amin, J-B. Bokasa en Afrique. Les 32 années de pouvoir de Mobutu, en RDC, ont beaucoup coûté à celle-ci : l’état sinistré actuel du pays a été la conséquence.
Sous la direction de Julius Nyerere, la Tanzanie a pratiqué l’idée de Platon (dans La République) selon laquelle le gardien de la communauté doit être soustrait des intérêts personnels ou de groupe pour éviter d’être corrompu. La Tanzanie s’était donnée un code de leadership pour tous ceux qui servaient dans les institutions supérieures de l’Etat et du parti TANU. Aucun de ces leaders ne devait être impliqué dans les affaires pendant qu’il était dans ces institutions. En Afrique, en général, les leaders, à commencer par le sommet de l’Etat, sont mêlés dans des affaires. C’est cela aussi qui rend la corruption endémique sur le continent.
Le leadership concerne le fait d’avoir une vision, la discipline de travailler pour sa réalisation et la capacité d’entraîner les autres dans cette réalisation. La discipline implique aussi le fait d’être préparé à payer le prix pour ses profondes convictions. C’est d’avoir l’engagement d’être fidèle aux conséquences de la réalisation des prescriptions découlant de sa vision. C’est là aussi une expression de la volonté politique d’agir qui fait souvent défaut aux dirigeants africains.
Pour un pays comme la RDC, la vision doit tenir compte de son histoire complexe des souffrances, de sa position géostratégique en Afrique et dans le monde, de l’évolution mondiale globale, de ses richesses culturelles et spirituelles dans leur diversité, des ennemis potentiels et réels qui convoitent ses ressources, de la centralité des forces humaines et des éléments futurs contenus dans le présent.
La première vision de la nation congolaise, dans sa formation même, était celle du mouvement de l’indépendance. Son leadership initial (dont les piliers étaient Simon Kimbangu, Joseph Kasa-Vubu et Patrice Emery Lumumba) avait réussi à en imprégner la population congolaise pour s’orienter vers l’effort pour l’indépendance. La discipline de travail pour que cet effort arrive jusqu’à son terme a été mise à l’épreuve par la précipitation belge de la décolonisation qui a abouti à la proclamation de l’indépendance, le 30 juin 1960, avant que le leadership local ait pu, par la lutte, acquérir la maturité et la capacité voulues pour entraîner toute la nation congolaise dans la réalisation des conditions d’existence de l’indépendance réelle. Pris de vitesse, le leadership visionnaire battait en retraite ou s’était ravisé et avait cédé sur sa fidélité à la vision.
La contribution africaine à la recherche des alternatives mondiales.
L’Afrique, par rapport au reste du monde, a toujours donné l’impression d’une domestique très influente dans une maison royale. Le roi ne peut pas se passer des considérations de sa domestique, mais il doit nier qu’il est sous son influence. Il est difficile d’imaginer ce que serait le monde d’aujourd’hui sans l’Afrique - même si ce n’est que pour servir d’étalon de comparaison avec les autres. Et pourtant, les contributions africaines à la construction du monde moderne sont rarement sollicitées ou reconnues et appréciées quand elles sont offertes.
Les considérations mondiales, de reconnaissance, de la contribution de Nelson Mandela, par sa façon d’être même, ne semblent pas être comprises comme des prescriptions au monde d’aujourd’hui qui devrait modifier ses modalités de fonctionnement. Même ceux qui donnent un coup de chapeau à cela, ne sont pas fidèles aux conséquences de ces prescriptions.
D’autre part, pour des raisons de complexe d’infériorité ou de manque d’estime de soi après avoir, pendant des millénaires, été humiliés, les Africains hésitent d’affirmer haut leurs idées sur comment reconstruire ce monde pour qu’il soit de solidarité et mette en avant non pas l’argent mais l’ « humain ». Même les timides élaborations du « socialisme africain» n’ont pas été poursuivies avec conviction, originalité et authenticité. Les expériences d’Ujamaa étaient abandonnées sans qu’on en fasse un vrai bilan populaire. Ceci explique aussi la timidité qu’on constate dans l’affirmation des droits de l’Afrique.
L’Afrique a participé à la construction de l’Occident, jusque dans ses guerres dites mondiales pour la défense, comme on dit, de la « liberté ». Mais, ses exigences d’égal traitement sont regardées avec suspicion de la part des Occidentaux. Face à tous les cataclysmes subis (de la traite négrière, l’esclavage Atlantique, le colonialisme et le néocolonialisme, le pillage effréné des ressources, etc.), l’Afrique ne serait-elle pas en droit de réclamer, revendiquer des réparations ? Avant l’Etat indépendant du Congo, jusqu’à 12 millions de Congolais ont été massacrés pour l’enrichissement du roi Léopold II ; il n’ y a pas eu ni de demande de pardon officiel ni réparations.
(…) L’éthique, sous le capitalisme, qui domine est une éthique de l’enfant, une concurrence effrénée entre enfants, celle de Caïn qui a avait répondu à la question de Dieu, « Où est ton frère ? », en ces termes : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Si Dieu demandait aujourd’hui concernant les Africains aux Occidentaux : « Où sont vos frères et sœurs africains et pourquoi sont-ils misérables ? » ne répondraient-ils pas comme Cain ?
* Pr Wamba Dia Wamba est sénateur honoraire et ancien vice-président de la Commission permanente du Sénat sur les affaires administratives et juridiques, de l’administration de transition de la République démocratique du Congo. Cet article est extrait d’un texte utilisé par l’autre comme document de base pour ses conférences dans les universités du Brésil
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