La postguerre partisane togolaise : l’envers des ego

A l’heure ou le Togo tente d’expérimenter le gouvernement de « large ouverture » annoncé par son premier ministre, les Togolais s’interrogent sur le sens de cette décision pour les principaux acteurs, à savoir le président Faure Gnassingbé et l'opposant de toujours. Gilchist Olympio. Dans cette contribution, Pierre S. Adjeté, propose sa lecture de ces derniers développements dans son pays d'origine.

Article Image Caption | Source
Wikipedia

L’expérience désenchantée de la démocratie togolaise chasse ses derniers magiciens longtemps reclus au pays des merveilles. Malheureusement, hors du jardin fleuri, le souffle du vent ne semble pas encore avoir éveillé certains aux réalités de la démocratie universelle. L’ère post-guerre partisane s’ouvre : les deux fils aux deux «Pères» du Togo se rejoignent. La nouvelle paire est encore à ses premiers pas qu’elle ne fait que de vagues promesses ne soulevant aucun enthousiasme populaire. L’enjeu à ne pas perdre de vue demeure le Togo ; il est donc loin de se réduire à un accord fortuit de gré à gré entre les fils de deux anciens présidents. D’une autre façon, le destin du Togo doit se jouer à l’envers des ego, en toute transparence et contribution des uns et des autres.

Avec la formation du gouvernement de large ouverture faite aux partisans de Gilchrist Olympio, lui-même en délicatesse avec la base de son propre parti politique, l’Union des forces du changement (UFC), il est difficile de prévoir autre chose que l’incertitude. Le dernier avatar est à l’image de tous ses précédents, scellés sous le sceau du désamour de l’élite politique, de la désunion partisane, de la désillusion de la diaspora, du désenchantement des citoyens togolais.

Aujourd’hui, le paysage politique togolais est assez hétéroclite et en complète mutation qu’il est difficile d’en reconstituer les filiations idéologiques nées dans la précipitation des années 1990, difficile de distinguer les alliances de raison des mariages d’amour, difficile de différencier la saine polyphonie des voix majoritaires sans tomber dans la cacophonie des désaccords monocordes. À quoi s’attendre dans un tel paysage? À l’imprévisible et à la fin des certitudes!

Ne pouvant se permettre de siéger aux côtés de Faure Gnassingbé, Gilchrist Olympio délègue au gouvernement de large ouverture ses amis putatifs. Ces derniers ont en commun, avec lui-même et son adversaire de toujours, Faure Gnassingbé, le désir de dégonfler les prétentions du candidat de l’UFC à la présidentielle du 4 mars 2010, Jean-Pierre Fabre, et la frange des fidèles partisans de celui-ci, arc-boutés sur le FRAC (Front Républicain pour l’Alternance et le Changement), une coalition événementielle battant pavé tous les samedis dans la capitale togolaise, Lomé, par beau temps ou mauvais temps. Leur réclamation est simple : la vérité des urnes et la transition vers la démocratie.

Le FRAC, une coalition de partis et d’organisations politiques, n’a jamais eu la bénédiction de Gilchrist Olympio, président national de l’UFC. Pas plus d’ailleurs que Jean-Pierre Fabre n’a su faire accepter sa candidature par le chef de son propre parti, Gilchrist Olympio, qui s’était pourtant déclaré malade à quelques jours des échéances du dépôt des candidatures présidentielles. Du haut de son traditionnel Ego, Gilchrist Olympio aurait aimé l’UFC sans candidat plutôt qu’avec un substitut n’ayant pas été désigné par ses soins. Offense suprême, le président national de l’UFC considère l’inscription de son parti au FRAC, par Jean Pierre Fabre, comme une aliénation de sa propre suprématie dans la vie politique du Togo.

En réalité, Gilchrist Olympio n’a jamais imaginé le destin du Togo sans lui. Revanche ou ambition, les deux sont de peu de résultat pour le commun des citoyens togolais, toujours pris au piège des rancœurs et des ruptures politiques.

Le prononcé du dernier divorce, celui du schisme des jeunes loups de l’UFC avec leur leader historique, est devenu effectif depuis le 17 avril 2010, lorsque, ovationné de boue et de sable à une manifestation populaire du FRAC, Gilchrist Olympio, de ses propres yeux, a vu le thermomètre de sa popularité descendre abruptement, au point de lui donner une dépression profonde dont il tente toujours de se remettre… maladroitement.

L’opportunisme de son rapprochement avec le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) et son chef Faure Gnassingbé s’inscrit dans ce revers de fortune politique subi entre les mains de son propre parti, l’UFC. Depuis lors, « le maréchal » cache à peine ses humeurs et ses soubresauts vengeurs. Le temps presse ; il se découvre stratège – qualité que personne ne lui connaissait avant, et surtout il est prêt à reprendre le contrôle de l’avenir politique du Togo. C’est écrit et ceci est une loi politique universelle : un fils de président ne sera jamais ni trop jeune ni trop vieux au service de son pays.

Ainsi donc, Gilchrist Olympio, président national de l’UFC, ès qualité, davantage pour son ego que pour la noblesse du geste, vient de signer un « Accord pour un meilleur essor du peuple togolais » avec le secrétaire général du RPT, agissant au nom du parti présidentiel dirigé par Faure Gnassingbé. L’entrée au gouvernement, consécutive à cette entente non désirée de l’exécutif de l’UFC, offre sept postes ministériels aux fidèles de Gilchrist Olympio. Notamment les Affaires étrangères et la Coopération, l’Urbanisme et l’Habitat, l’Enseignement technique et la Formation professionnelle, l’Enseignement supérieur, les Droits de l'Homme et la Formation civique, la Communication et l’Industrie, Zone franche et Innovations technologique. Une première dans l’histoire récente du Togo : encore que cette fumée blanche censée annoncer la bonne nouvelle se soit vite révélée n’être que le premier signe d’une pétarade mal orchestrée par ses initiateurs ,qui pensaient bien faire le coup politique du siècle. L’annonce même de la liste officielle de ce gouvernement de salut fut un supplice politique.

Ainsi, le peuple togolais découvre que pour l’opposant légendaire, devenu finalement président du Comité de suivi de cet Accord bipolaire, ses propres stratégies antérieures n’auraient pas porté les fruits escomptés. Ce constat, tout de même lapidaire et subrepticement lancé à partir de l’ancienne résidence de son père Sylvanus Olympio, à Lomé - lieu duquel le premier président togolais démocratiquement élu croyait s’échapper avant son assassinat attribué à Gnassingbé Eyadema, père de l’actuel président togolais Faure Gnassingbé - ne satisfait personne. Toute la charge historique et émotive était pourtant invitée à cette annonce.

L’évènement manque toujours d’éclat à cause de la division qui reste à la base de sa conception. Les Togolais sont devenus plus exigeants par rapport à la définition de leur avenir. Celui-ci ne saurait se limiter aux seuls désirs des « héritiers » présidentiels. Un tel Accord sème le doute et la confusion et possède la faiblesse de consacrer l’idée malheureuse que le devenir du Togo appartiendrait aux seules familles Gnassingbé et Olympio ; tous les autres citoyens devant assister en spectateurs au partage du destin de leur pays selon des motivations encore floues.

Mariage au bal masqué… Vivront-ils heureux et cachés longtemps?

En attendant d’y voir clair, il demeure néanmoins que l’histoire donne aujourd’hui raison à l’une des plus brillantes intelligences africaines qui se trouve être un homme d’État originaire du Togo, Édem Kodjo.

Il y a pratiquement vingt ans, dans un texte retentissant à l’adresse de ses compatriotes togolais, Édem Kodjo invitait ses compatriotes à un dépassement du drame politique fondateur du Togo indépendant. En novembre 1990, Édem Kodjo avait les mots justes dans son « Appel pour un renouveau démocratique au Togo : le Grand Pardon » ; il disant avec une grande perspicacité prémonitoire: « Farouchement attaché au Togo qu’il avait conduit à l’indépendance dans l’honneur et la dignité, le président Sylvanus Olympio dans sa dernière demeure ne nous dénierait ni le droit ni le devoir de refuser que le sang qu’il a versé soit un objet permanent de discorde entre ses compatriotes. L’heure est enfin venue de réaliser le Grand Pardon. »

L’ancien secrétaire général de l’Union Africaine, deux fois Premier ministre du Togo et politicien aguerri, Édem Kodjo, n’avait jamais été écouté par les siens ; jamais par le très populaire Gilchrist Olympio jusqu’à ses récentes mésaventures politiques dont il cherche maintenant, et à tout prix, à se remettre. Jean-Pierre Fabre lui-même s’en étonne : « Je ne peux pas comprendre que M. Olympio tout seul, dans sa maison, décide d’entrer au gouvernement au nom de l’UFC. »

Avec Gilchrist Olympio absent d’un gouvernement auquel il a donné le plus fort contingent de ministres d’ouverture et qu’il codirige de l'extérieur de facto, le pari de gouvernance en expérimentation est difficilement envisageable sous l’angle de la triple efficacité politique, administrative et éthique. L’analogie de « la clause du ministre le plus favorisé », comme traitement préférentiel, ne pouvant être étendu aux autres membres du gouvernement togolais de large ouverture, immanquablement le modèle sèmera toujours le doute sur l’équité à réserver aux diverses familles politiques en cohabitation à la table d’un tel Conseil des ministres.

Il faut alors comprendre le peu d’enthousiasme qui traverse la communauté des Togolaises et des Togolais, où que se trouvent les citoyens de ce pays. Le trophée de chasse politique que constitue Gilchrist Olympio dans l’arsenal des victoires symboliques de Faure Gnassingbé, ne fait nullement saliver qui que ce soit en dehors des cercles proches des deux pôles de pouvoir longtemps en confrontation.

Au Togo, tout se passe toujours comme en politique fiction; une politique étouffant les rêves, oblitérant les jaillissements de fierté, écartant l’éthique publique, effaçant la durabilité républicaine, édulcorant toute saveur participative des autres ayants cause. Une telle situation semble pourtant avoir trop duré. L’horizon politique togolais doit s’éclaircir et devenir lisible à tous les citoyens ; le Togo doit redémarrer avec l’énergie de toutes ses forces républicaines et sur des enjeux rassembleurs et non égoïstes.

Faure Gnassingbé laissera-t-il survivre longtemps le RPT hérité de son père avec un lourd passif démocratique toujours visible ? Que fera l’UFC de ses militants émargeant désormais au gouvernement, avec la complicité de Gilchrist Olympio et contre la volonté de la majorité du Bureau national? Quelle est la destinée finale du virage de Gilchrist Olympio lui-même? Le FRAC et ses nombreux alliés poursuivront-ils leur collaboration informelle sans bannière unificatrice et stratégique? Pour combien de temps encore le statu quo prévaudra dans l’espace politique togolais? Quelle est la part des ego dans la « partisannerie » ambiante?

Le jeu politique togolais n’a jamais été aussi ouvert. Cette ouverture ne saurait toutefois se confondre au seul « partage du pouvoir » proclamé ces dernières heures et encore confondu aux postes ministériels attribués. Voilà que le partage des fonctions gouvernementales est fait. Le renouveau démocratique du Togo est toutefois loin d’être réalisé.

La véritable éclaircie à surveiller dans les rayons politique, économique, social et éthique ne pourrait se réaliser qu’avec la participation effective de tous les citoyens à un authentique processus de réconciliation, efficacement initié dans la bonne foi et sous le sceau de la garantie républicaine du Grand Pardon. Les tactiques partisanes ainsi que les masques seront ainsi délaissés, le douloureux passé revisité selon tous les points de vue, le mariage avec l’avenir du Togo scellé à la satisfaction de tous les citoyens et de la communauté africaine et internationale.

En somme, c’est effectivement une Commission nationale sur l’avenir du Togo qui présente les attributs de cette ambition républicaine d’écoute et de transparence. Devant une telle Commission, toutes les forces vives de la nation togolaise présenteront leur perspective, directement ou sous forme de mémoire, en vue de la renaissance démocratique apaisée du Togo. Il est temps de faire un Togo qui appartienne à son avenir.

* Pierre S. Adjété est ancien Directeur de publication du magazine « Afrique Tribune » - Source : www.ouestaf.com

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org