La situation politique au Maroc
Le contexte politique actuel se caractérise par l’aggravation de la crise du capitalisme à l’échelle mondiale et l’offensive généralisée du capital pour faire supporter le fardeau de sa crise aux masses populaires. Au Maroc, cette crise accentue l’impasse des choix néolibéraux imposés par les institutions financières et commerciales internationales.
Le Maroc a été colonisé pendant 43 ans (de 1912 à 1955) par la France et l’Espagne qui ont pillé ses ressources, empêché son industrialisation et entravé son développement. Le processus de lutte pour l’indépendance n’a pas permis une rupture avec la domination coloniale qui s’est poursuivie sous de nouvelles formes. La dette qui était le principal outil de financement dès le début des années soixante, a explosé au début des années quatre-vingt et a entrainé les programmes d’ajustement structurel. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international imposaient alors leurs politiques de tout pour l’export, le démantèlement des barrières douanières, la libre circulation des capitaux étrangers et des marchandises, la privatisation des entités publiques rentables et des services publics, les accords du libre-échange, etc. Ces choix néolibéraux ont accentué le transfert des richesses, la dépendance structurelle de notre pays à tous les niveaux (financier, technologique, industriel, commercial et alimentaire), et ont condamné la majorité des citoyens à vivre dans la pauvreté et l’analphabétisme.
L’IMPASSE DE CES CHOIX EST RETENTISSANTE DANS LE CONTEXTE ACTUEL DE CRISE
L’année 2012 a connu un taux de croissance de 2,4% contre 4,9% en 2011. Elle s’est terminée par un déficit commercial de 197 milliards de DH qui représente 23,8% du PIB (1 euro = 11 dirhams –Dh-), et la valeur de nos exportations ne couvre que 48% de nos importations (36% pour la balance alimentaire). La crise en Europe affecte aussi les autres principales sources de devises (les résidents marocains à l’étranger, le tourisme et les investissements directs étrangers) qui manifestent une tendance à la baisse. Ce qui a conduit à un déficit historique du compte courant de la balance des paiements qui a atteint près de 83 milliards de DH à fin 2012, soit 10% du PIB (le plus haut niveau de déficit depuis les années 1980). Les avoirs extérieurs nets ne permettent de couvrir que 3 mois et 27 jours d’importations de biens et services en février 2013. C’est alors qu’on tombe à nouveau dans la spirale infernale de l’endettement.
La dette publique totale (interne et externe) du Maroc a atteint 583 milliards de Dh (environ 71% du PIB) en fin 2012. Son service est de 108 milliards de Dh. Si l’on compare le poids annuel de la dette avec le budget de l’Éducation en 2012 (51 milliards de DH), de la Santé (12 milliards de Dh) ou des investissements publics (59 milliards de Dh), on se rend à l’évidence qu’aucun développement économique ou social n’est possible sans l’annulation de la dette.
Mais l’État continue sa quête de devises en empruntant directement sur les marchés financiers internationaux : 1 milliard d’euros en 2010 et 1,5 milliards de dollars en décembre 2012. Pendant ce temps, le Fmi, par le biais de sa nouvelle Ligne de précaution et de liquidité (Lpl) dotée de 6,2 milliards de dollars, nous a fixés les termes du plan d’austérité à suivre. Au menu : gel des salaires (les principales dispositions de la loi des Finances 2013 portent sur un quasi-blocage de la masse salariale publique, qui ne croîtrait que de 1,3% après avoir progressé de 9,2% en 2012), démantèlement du système de subventions des produits de première nécessité et du système des retraites par répartition, baisse de la dépense publique dans les secteurs sociaux et privatisation de l’enseignement et de la santé. Le gouvernement marocain vient déjà de prendre la décision de réduire le budget d’investissements publics de 15 milliards de dirhams sur les 59 milliards de dirhams fixés dans la loi des finances 2013, ce qui aura un impact négatif sur le taux de croissance déjà faible, l’emploi et le niveau de vie. Les impôts représentent plus de 63% des recettes de l’État dans la Loi des finances de 2013 mais seront supportés essentiellement par les consommateurs et les salariés, tandis que la participation des entreprises privées et des ménages riches restera faible, car elles bénéficient d’exonérations fiscales, de subventions et d’un accès au foncier à des prix dérisoires.
Ce sont donc les masses populaires qui payeront la crise par un accroissement de la précarité et le chômage. Selon le rapport 2013 sur le développement humain réalisé par le Programme des Nations Unies pour le Développement), le Maroc est toujours classé 130e sur 187 pays sur la base de trois dimensions : l’éducation, la santé et le revenu. En effet, le taux d’analphabétisme officiel en 2012 est de près de 30% pour les hommes (population âgée de 10 ans et plus) et 50% pour les femmes qui représentent plus de 50% de la population. Les dépenses de la santé représentent 5% du budget général de l’État et 1,4% du Pib. Le nombre de médecins est 5,4 médecins pour 10.000 habitants contre 12 en Tunisie, 13 en Algérie et 34 dans les pays d’Europe.
Le Pib par tête d’habitant au Maroc s’élève à 2 100 Dh par mois (25 200 Dh par an) et le salaire médian dans le secteur privé est de 2 377 Dh par mois contre 6 400 Dh dans la fonction publique, tandis que le coût des besoins pour une vie décente est estimé à plus de 5 000 Dh. Le taux de chômage avoisine 10% et le Maroc compte plus de 9 millions de pauvres (28% de la population) par application de l’indice multidimensionnel de pauvreté (9% selon l’approche monétaire officielle, c’est-à-dire moins de 2,15 dollars par personne et par jour).
LA REPRESSION POUR FAIRE SUPPORTER LE FARDEAU DE LA CRISE AUX MASSES POPULAIRES
La gravité de la crise rétrécit la marge de concession du régime qui essaye d’anticiper sur les résistances populaires et ouvrières qui se développent sur tous les fronts par la répression et un acharnement contre toutes les formes de protestations sociales. Ceci se manifeste par des interventions sauvages contre les manifestations et sit-in, l’incarcération et les poursuites judiciaires contre des militants actifs, des intimidations de toutes sortes à leur encontre. L’Etat essaye d’instaurer un climat de peur et de criminaliser les résistances. Parmi elles, celles du Mouvement du 20 février (M20F) qui connaît certes un essoufflement, mais ses principales revendications (démocratie et justice sociale) continuent à être portées dans toutes sortes de mobilisations. La répression frappe aussi les luttes syndicales pour la défense des acquis dans le secteur public (enseignement, santé, justice, …) et privé (mines, textile, hôtellerie, agriculture,…), les diplômés chômeurs en lutte pour leur droit au travail (leurs actions quotidiennes se poursuivent à Rabat malgré la répression féroce).
Les contestations pour défendre les services publics, le droit au logement et contre la cherté de la vie dans les villes subissent le même sort. Dans les zones rurales, les populations réclament des infrastructures de base qui manquent terriblement dans les régions enclavées. Les femmes victimes des effets désastreux du système du micro-crédit et les migrants subsahariens subissent également la répression, le racisme, les incarcérations et les procès iniques.
L’ensemble de ces mobilisations reflète la forte opposition politique aux politiques néolibérales et à l’État qui fait supporter le fardeau de la crise aux masses populaires et bafouer la liberté d’expression et d’opinion et les droits humains.
UNE SITUATION POLITIQUE TRES INCERTAINE
Les résistances se maintiennent contre l’offensive libérale mais ne sont pas encore à la hauteur d’une contre-attaque globale pour stopper l’hémorragie et imposer une alternative populaire. De même, elles n’incluent pas directement une dimension politique en termes de revendications démocratiques et une mise en cause de ceux qui gouvernent qui étaient justement portées par le mouvement de 20 février (M20). En effet, l’émergence du M20, en février 2011, dans le contexte des révoltes populaires dans les pays du Maghreb et de la région arabe, a augmenté l’ampleur des mobilisations sociales, surtout pour le droit au travail et les services publics, qui ont atteint toutes les couches du peuple marocain dans toutes les régions du pays. Il a également porté des revendications politiques directes dans la rue telles que la lutte contre la corruption incarnée dans certains fonctionnaires de l’État, des parlementaires, et des membres des conseils locaux et en réclamant la destitution du gouvernement, la dissolution du parlement et la libération des prisonniers politiques, etc. Il a mis en évidence la perte de crédibilité de la nouvelle Constitution boycottée par la moitié des Marocains, et des institutions représentatives par la non-participation très faible aux élections législatives dont le taux réel n’était que de 25 %. Mais pour l’instant la monarchie a réussi à reprendre l’initiative dans la gestion de la politique générale du pays en concertation avec les institutions financières et commerciales internationales et les pôles de l’impérialisme.
Le rapport de force est actuellement en défaveur des classes populaires qui souffrent d’un épuisement de leurs outils de lutte. Les partis politiques de la gauche institutionnelle qui parlaient au nom des forces populaires s’accordaient avec la monarchie pour un nouveau consensus qui permettra une stabilité politique et une continuité des politiques néolibérales. Ils légitiment le despotisme en place en participant aux gouvernements de façade et les pseudos institutions représentatives. Ils sont suivis par les syndicats, émiettés, bureaucratisés, atomisés qui collaboraient eux aussi avec l’Etat et les employeurs pour maintenir la paix sociale et détruire les acquis historiques de la classe ouvrière.
Le dogme libéral domine également au sein des dirigeants de nombreuses organisations de femmes, de jeunes, des droits de l’homme et organisations de « la société civile », ainsi que parmi un large éventail des intellectuels et des enseignants universitaires qui considèrent que le temps de la résistance et la confrontation est révolu, et qu’il faut juste travailler à humaniser la mondialisation néo - libérale et s’accrocher au régime existant en tant que garant de la stabilité politique, surtout avec la montée de l’épouvantail de l’islam politique. Et avec l’ampleur de la machine médiatique qui défend le nouveau règne et l’absence de traditions nécessaires de solidarité, les expériences combatives des luttes ouvrières et des mobilisations populaires restent fragmentées et isolées et vulnérables à des campagnes de répression, les combats des diplômés chômeurs subissent une répression journalière farouche et systématique, et toutes les voix dissidentes subissent également des harcèlements de toutes sortes.
En effet, pour faire passer les plans d’austérité et la restructuration globale de l’économie et de la société tel que requis par les Institutions Financières Internationales et les multinationales le régime n’avait d’autres moyens que le renforcement de la répression contre les mouvements de protestation en croissance et la réduction des libertés publiques par un système politique qui est dépourvu de toute légitimité populaire. La gauche radicale est trop faible pour peser et influencer largement. Le champ reste alors ouvert aux courants islamistes radicaux qui exploitent cette absence de perspective progressiste claire pour orienter les aspirations surtout des jeunes vers des horizons obscurantistes.
CONSTRUIRE UN FRONT POPULAIRE LARGE CONTRE LES PLANS NEO – LIBERAUX
Le défi central pour Attac/Cadtm Maroc dans le contexte politique actuel, est de contribuer à la construction d’un front large contre les plans néo-libéraux. Le slogan qui oriente Attac Maroc reste « l’éducation populaire tournée vers l’action », qui signifie, réfuter la logique des Ifi (Ndlr : Institutions financières internationales) basée sur le marché et le profit privé, et développer des alternatives populaires basées sur les priorités sociales des citoyens. D’où ses campagnes de sensibilisation contre la dette, contre la privatisation des grands établissements publics et contre la marchandisation des services publics de santé, d’éducation, d’eau, électricité, des transports urbains, contre les accords de libre-échange, la fiscalité injuste, l’accaparement des terres, etc. Ce grand effort d’éducation populaire s’accompagne d’une pratique quotidienne pour unir les luttes et la coordination des expériences.
Malgré son rayonnement national, et malgré les efforts considérables déployés par les militants d’Attac Maroc pour renforcer sa présence dans les mobilisations, et en dépit des succès de ses positions et de ses analyses, son implantation populaire reste encore modeste. Le discours d’Attac/ Cadtm Maroc se distingue du consensus libéral et sonne comme une tendance radicale contre le courant général surtout que la machine des grands médias de l’État influence l’esprit des citoyens plus qu’une association limitée en ressources et en influence. L’État ne cesse de harceler notre association et refuse toujours de renouveler son récépissé de dépôt légal, malgré la reconnaissance dans la pratique. Ceci la prive des salles publiques pour ses activités et limite ses initiatives, des aides financière comme d’autres associations, et accentue son déficit budgétaire pour garantir ses propres locaux. Il faut ajouter à cela la caractéristique des adhérents d’Attac Maroc qui sont essentiellement des jeunes. Ces jeunes confèrent une très grande audace de lutte et d’initiatives, d’une part, mais d’autre part rendent difficile une continuité de son travail et la mise en œuvre des plans en raison de l’instabilité de la situation sociale de ces jeunes qui sont les premières victimes du chômage et de la précarité.
Malgré tous ces défis Attac Maroc continue à œuvrer pour la construction d’un mouvement social fort et profondément enraciné et pousser les mobilisations sociales vers la conquête de la démocratie et de la justice sociale.
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