La souris qui rugissait à Copenhague

En dépit de la rhétorique guerrière incluant des «on quittera la salle» de la conférence dsur les changements climatiques à Copenhague, la ‘’délégation africaine’’, conduite par le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, n’a été rien d’autre que des spectateurs serviles, selon Alemayehu G. Mariam. Vertement critiqué par les représentants du G-77 et du Pan African Climate Justice Alliance, le ‘’leadership’’ de Zenawi n’a fait que faciliter le jeu des nations développées qui consistait à ignorer les revendications africaines dans la bataille contre le changement climatique, note Mariam.

‘’La délégation des négociateurs africains’’ a fait une entrée fracassante à Copenhague, se frottant les mains et se léchant les babines à l’idée des dizaines de milliards de dollars qui allaient tomber dans son escarcelle, avant qu’elle ne se retire de la conférence mondial sur les changements climatiques. Et ce, en compensation des émissions de carbone. Ils ont été déçus. Il n’y avait pas d’or au bout de l’arc-en-ciel de Copenhague. Au bout du compte, les nations industrialisées ont promis aux pays pauvres de la menue monnaie, pour 30 millions de dollars sur la période 2010-2012.

Préalable à la conférence, les bravades tonitruantes annonçaient au monde que ‘’la délégation africaine’’ ‘’quitterait la salle’’ ‘’et priverait la conférence de sa légitimité’’, à moins que les pays industrialisés mettent 40 milliards de dollars sur la table. La délégation et son chef, Meles Zenawi, étaient prêts à des épreuves de force, à se montrer plus malins que les pays industrialisés et à dominer la discussion dans leurs jeux habituels de somme nulle. Cette fois le jeu a eu des ratés. Les rusés néocolonialistes occidentaux ont subtilement surpassé, dominé et éconduit les négociateurs africains et ceux d’autres pays en voie de développement.

Personne n’a quitté la salle de conférence. Les ‘’négociateurs africains’’ ont fait beaucoup de bruit, ont râlé tant et plus dans l’hiver glacial de Copenhague, mais ils sont restés. L’ultimatum que Zenawi se vantait de poser n’a pas eu lieu. Les bravades pour ‘’ quitter la salle‘’ et ‘’défier’’ les pays industrialisés se sont dégonflées comme des ballons de baudruche. Au moment des confrontations, toute la bravade s’est envolée et les négociateurs se sont mis servilement à plat ventre. Certains représentants africains ont refusé de pénétrer (boycotter) dans la salle de conférence. Mais leur boycott a eu lieu à l’heure du déjeuner. Ils se plaignaient que les pays industrialisés les contraignaient à signer un accord ‘’contraire aux intérêts de l’Afrique’’.

Deux jours plus tard, le chef négociateur africain Zenawi était debout, accroché à un podium, pour une grotesque conférence de presse franco-éthiopienne lors de laquelle le président Nicolas Sarkozy vilipendait ses partenaires des pays industrialisés d’être aussi timorés quant aux limites d’émission de CO2 et l’aide à l’atténuation des conséquences du réchauffement.

A cette conférence de presse, Sarkozy et Zenawi se passaient mutuellement de la pommade. Zenawi a déclaré que lui-même et le président Sarkozy étaient tellement à l’unisson sur ce thèmes que ‘’c’était prêcher pour des convertis’’. Dans un communiqué commun, ils ont déclaré que ‘’la France et l’Ethiopie représentaient l’Afrique’’ et ont fait appel aux participants afin ‘’qu’ils adoptent un accord ambitieux qui limite l’augmentation des température à 2° celsius par rapport à l’époque préindustrielle’’. Ils ont proposé de ‘’réduire de moitié les émissions globales de CO2 par rapport au niveau de 1990 d’ici à 2050’’. Ceci nécessiterait que les pays industrialisés s’engagent à une réduction de 80% de leurs émission d’ici à 2050.

Sur le plan financier, Sarkozy et Zenawi ont proposé la création d’un fonds qui mettrait rapidement à disposition 10 milliards de dollars sur les trois prochaines années. Ce fonds serait utilisé pour des actions d’adaptation et d’atténuation, y compris la lutte contre la déforestation. L’Afrique recevrait 40% de ces fonds. Ils ont appelé à une taxation des transactions financières et ont demandé que d’autres sources de financement soient envisagées comme les taxes sur le frêt maritime et les transports aériens. Ils ont proposé le développement du marché du carbone qui serait une source principale du flux des capitaux du Nord vers le Sud.

Tout au long des négociations, les pays riches ont jeté des montants de dollars à la face des pays pauvres, comme on jetterait un os à un chien affamé. Les Etats-Unis ont offert 85 millions de dollars aux pays en voie de développement comme partie d’une donation combinée de 350 millions de dollars provenant des pays industrialisés, en faveur du développement des technologies énergétiques ’’ propres’’ (éoliennes et solaires). Le Japon a déclaré qu’il injecterait 15 milliards de dollars par année pour la décennie à venir. La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton a promis une contribution de 100 milliards par année à un fond du long terme jusqu’en 2020, afin d’aider les pays pauvres à faire face à l’aggravation des inondations, des sécheresses, des tempêtes et à l’élévation du niveau des océans. La faille c’est que les pays en voie de développement devaient signer l’accord de Copenhague et accepter la transparence et la vérification du niveau des émissions.

D’autres pays africains et négociateurs ont considéré les accords Sarkozy-Zenawi comme un outrage, une, entente irresponsable qui bradait le futur de l’Afrique à vil prix. Pour reprendre les propos que Zenawi tenait avant la conférence, ils ont dit que l’accord conduirait à un autre ‘’viol de notre continent’’. L’Algérie, soutenue par le Nigeria et l’Afrique du Sud se sont portés au secours du continent, accusant les pays industrialisés de conspirer pour la mort du protocole de Kyoto et s’arranger pour que les accords de Copenhague ne soient pas légalement contraignants quant à la diminution des émissions.

Zenawi a été pris à partie par différents représentants de pays en voie de développement pour son attitude d’agent double. Lumumba Di-Aping, le négociateur en chef du bloc du G-77 représentant 130 nations, a malmené le président érythréen pour avoir vendu l’Afrique aux pays riches : ‘’Meles est d’accord avec les points de vue de l’Union européenne et les points de vue de l’Union mènent à la destruction de tout un continent, plus des douzaines d’autres pays… Le fondement moral de l’Union européenne est des plus douteux parce qu’il accepte que de grands fragments de la famille humaine souffrent afin qu’elle puisse continuer à croître et à prospérer… L’Union africaine n’accepte pas cela. Meles n’est pas l’auteur de cette proposition. Les auteurs sont certainement l’Union européenne avec la Grande-Bretagne et la France.’’

Mithika Mwenda du Pan African Climate Justice Alliance, citant une étude du Groupe de Travail du Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) Fourth Assessment Report (quatrième rapport d’évaluation), attaque lui aussi : « La science de l’IPCC est clair : 2° celsius égalent 3,5° Celsius en Afrique ce qui signifie la mort de millions d’Africains… Si le Premier Ministre Meles veut vendre la vie et les espoirs des Africains pour une bouchée de pain, libre à lui… Mais ce n’est pas la position de l’Afrique.

La réponse confuse de Zenawi a été noyée dans des larmes de crocodile : ‘’Je sais que ma proposition d’aujourd’hui va décevoir ces Africains qui demandent justice et une compensation pleine et entière des dommages causés à nos perspectives de développement. Ma proposition réduit drastiquement nos attentes au regard du degré de financement, par rapport à un financement plus fiable et une place à la table de gestion d’un tel fonds.’’

Comparez cela aux déclarations belliqueuses de Zenawi en septembre 2009, quand il clamait : ‘’ Nous userons de notre supériorité numérique pour délégitimer ce qui ne concorde pas avec notre position minimale… Au besoin, nous sommes prêts à quitter la table des négociations, si on tend vers un nouveau viol de notre continent… Les intérêts de l’Afrique ne seront pas étouffés comme c’est généralement le cas… L’Afrique enverra une seule délégation qui aura tout pouvoir de négocier au nom de tous les Etats de l’Union africaine… Pour moi l’élément clé est que l’Afrique reçoive des compensations pour les dommages causés par le réchauffement climatique. De nombreuses institutions ont tenté de quantifier le dommage et ont produit des chiffres différents. Le chiffre moyen s’élèverait à environ 40 milliards de dollars par année’’

La saga grotesque de ‘’ la délégation africaine’’ à la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique à Copenhague (COP 15) rappelle l’histoire de Leonard Wibberley, relatée dans son livre publié en 1955 : ‘’The mouse that roared’’ (la souris qui rugit). Dans cette satyre, le duché fictif (territoire sur lequel règne un duc ou une duchesse) de Grand Fenwick, dans les Alpes françaises, a déclaré la guerre aux Etats-Unis afin de perdre et de pouvoir recevoir de l’aide américaine. Suite à une série rebondissements rocambolesques et hilarants, Fenwick gagne la guerre et forme la Ligue des Petites Nations qui dictent les termes des accords de paix aux Etats-Unis et à la Russie et fait du chantage afin de les contraindre au désarmement nucléaire.

La ‘’ délégation africaine’’ est venue à Copenhague avec l’illusion de recevoir des milliards de dollars comme dette du sang. Comme le rideau tombait sur la scène de Copenhague, les ‘’négociateurs africains’’ ont appris une importante leçon : ils peuvent faire du bruit tant et plus, râler et s’agiter et essayer de démolir la maison Copenhague, mais dans le théâtre du changement climatique ils ne sont rien de plus que des figurants serviles. Après avoir traîné pendant deux semaines à Copenhague, les ‘’ négociateurs africains’’ sont devenus rien de plus que des spectateurs marginaux d’un accord creux : ‘’l’Accord de Copenhague’’ signé par les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, qualifié ‘’d’un progrès historique avec encore un long chemin à faire’’.

L’accord affirme poursuivre sur la voie du Protocole de Kyoto et fixe à 2° celsius le maximum d’augmentation de température. Suite à une révision en 2016, cette augmentation pourrait être limitée à 1,5° celsius. Pour la période 2010-2012, les pays riches ont promis 30 milliards de dollars de nouveau fonds afin d’aider les pays pauvres. Ils ont aussi promis de soutenir l’objectif de 100 milliards de dollars par année dès 2020. Les pays riches se sont par ailleurs engagés à une réduction de 80% des émissions de carbone d’ici à 2050. Il y a encore d’autres dispositions vagues pour soutenir les programmes nationaux d’atténuation des conséquences et des procédures de vérification.

Le 18 décembre, alors que les limousines scintillantes disparaissent dans l’obscurité en direction de l’aéroport de Copenhague, avec leur cargaison de riches et puissants dirigeants, le directeur exécutif de Greenpeace UK se lamente : ’’La ville de Copenhague est la scène du crime ce soir, avec les coupables s’enfuyant en direction de l’aéroport.’’ Ainsi s’est terminée la grande aventure de la souris qui rugissait à Copenhague.

* Suivez Alemayehu G. Mariam sur Twitter. Cet article a initialement été publié dans The Huffington post

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