Lancement du Consensus africain

Le Forum social mondial 2011 a été l’occasion pour le lancement du Consensus africain. Il s’inspire du Consensus de l’Himalaya (qui intègre les expériences de la Chine, de l’Inde et d’autres régions de l’Himalaya), pour proposer une nouvelle approche qui s’oppose au Consensus de Washington sur lequel sont adossés le G8 le G20 pour la régence du monde. Initiateur du Consensus de l’Himalaya, Laurence Brahm a participé à la réflexion menée avec des organisations de la société civile africaine, dont la RADDHO, pour lancer cette initiative.

Résolution du Consensus africain :

Préambule : L’inspiration africaine

Défis et inspiration
Le continent africain possède l’une des plus riches diversités ethniques et biologiques qui restent sur notre planète. Toutefois, ceux deux diversités sont en danger de destruction imminente, juxtaposées qu’elles sont à des modèles économiques motivés par l’industrialisation mondialisée et la croissance basée sur la consommation, entraînant une exploitation à outrance des ressources. Ce continent est également confronté à l’un des problèmes les plus graves du monde : la pauvreté cyclique.

Cependant, partout en Afrique, divers dirigeants régionaux, aussi bien des pouvoirs publics que des ONG, ainsi que des militants individuels et entrepreneurs sociaux s’attaquent à ces défis de plein fouet. Chacun, à sa manière, expérimente des solutions de grande envergure pour une économie durable. Ces efforts sont entre autres la micro finance et la micro entreprise, l’entrepreneuriat social, l’éducation et la santé localisées, la protection du patrimoine et de l’environnement.

De nouvelles voix remettent en question les vieilles hypothèses

Ces approches pour s’attaquer aux problèmes de la pauvreté cyclique, de la marginalisation sociale, de la croissance économique durable, de l’héritage culturel et de la protection de l’environnement remettent en question les hypothèses qui ont sous-tendu nos théories et formules économiques datant de l’époque révolue de Bretton Woods.

Aujourd’hui, nous représentons de nouvelles voix qui résonnent actuellement à travers le monde, appelant à changer ces hypothèses du passé. Il nous faut un nouveau cadre économique et financier à même d’aider notre planète à survivre aux crises actuelles que l’humanité de cette ère moderne a créées à cause d’un consumérisme aveugle et démesuré et d’une utilisation abusive des ressources pour soutenir cette consommation.

Partout en Afrique, des approches novatrices voient le jour au niveau de la base pour protéger et garantir à la fois la pérennité de la culture et de l’environnement. Ces efforts forgent collectivement la base de paradigmes économiques pertinents pouvant protéger l’ethnicité, tout en favorisant une évolution saine de la culture. Ces programmes organiques font briller l’Afrique comme un symbole modèle des réponses locales à la situation mondiale difficile. Collectivement, ces approches diversifiées sont devenues le Consensus africain.

Article I : Principes du Consensus africain

Le modèle : Pas de modèle

Le Consensus africain présente un tout nouveau paradigme de développement économique fondé sur trois principes : protection de la diversité ethnique et du développement culturel durable, par des entreprises sociales ou programmes économiques et de financement durables, tout en privilégiant la protection de l’environnement et le développement communautaire.
Le Consensus africain ne repose sur aucun modèle ou théorie économique. Il est plutôt le produit d’expériences collectives à travers le continent africain où le savoir local a fait ses preuves dans la création de solutions pragmatiques aux problèmes de développement.
Le Consensus africain préconise trois principes fondamentaux :

- Préserver la diversité ethnique et l’identité autochtone, la culture, les traditions et le patrimoine ;
- par la mise en place de plateformes économiques et de modèle d’entreprise autonomes basés sur les réalités locales pour réduire la pauvreté à travers un transfert de compétences qui responsabilise ;
- lesquels, à leur tour, sont socialement responsables et visent à satisfaire au mieux les besoins humains fondamentaux tels que l’éducation et la santé, tout en privilégiant la protection de l’environnement.

Mettre fin aux théories impertinentes, faire place au pragmatisme localisé, protéger nos droits fondamentaux

Le Consensus de l’Himalaya remet en question la théorie économico-politique d’école. À la place, il préconise des solutions organiques provenant de ces peuples autochtones qui doivent eux-mêmes faire face aux défis de la pauvreté, de la marginalisation sociale et du sous-développement.
En s’appuyant sur la sagesse et l’expérience locales, le Consensus africain recherche des alternatives pertinentes à l’obstination des institutions pour les formules théoriques assorties de conditionnalités (souvent symbolisées par le désormais obsolète « Consensus de Washington »). Dans bien des cas, ces approches académiques ont elles-mêmes contribué tragiquement à la pauvreté cyclique, entraînant ainsi le dysfonctionnement de nombreux systèmes traditionnels, politiques et économiques.

L’approche du Consensus africain vis-à-vis de l’économie du développement découle de solutions locales rationnelles et pragmatiques à ces défis, et vise à protéger les trois droits fondamentaux de développement : 1) le droit de protéger la diversité ethnique et l’identité autochtone ; 2) le droit au développement culturel durable ; 3) le droit de protéger notre planète, les glaciers de montagne et les réseaux fluviaux et de donner à nos enfants de l’eau à boire.

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Article II - Le droit de protéger la diversité ethnique et l’identité autochtone

Diversité et Identité

La diversité ethnique fait la richesse de l’humanité. La préservation de la culture, du patrimoine et de l’identité de chaque groupe ethnique est un droit humain inaliénable que nous devons défendre sans équivoque.

Chaque groupe ethnique a droit à sa propre identité spécifique et à l’autodétermination de cette identité. Les membres savent mieux comment faire évoluer leurs propres culture, patrimoine et ethnicité. Cette identification à un groupe collectif est aussi importante que la croissance économique. Elles sont toutes les deux également nécessaires. La qualité de vie ne peut pas toujours être mesurée par la seule quantification des résultats matériels. En substance, les niveaux de production industrielle et de consommation sont insuffisants en eux-mêmes pour mesurer le bonheur d’un peuple. Lorsque l’identité d’un peuple est agressée, celui-ci peut se trouver dans une situation de contrainte propice à l’extrémisme.

Auto responsabilisation

Dans les pays en développement, et dans certaines poches sociales des pays développés, les groupes ethniques à l’écart de la vie nationale en raison de circonstances historiques, et ceux qui ont été socialement marginalisés, nécessitent des mécanismes d’autonomisation pour atteindre leur développement durable et équitable. Le Consensus africain, en tant que paradigme économique, présente des voies pragmatiques pour leur fournir ces mécanismes.

Article III - Le droit au développement culturel durable
Fondements économiques de la durabilité

Toute culture et tout patrimoine nécessitent une base économique sur laquelle se développer. Sans une base économique, l’identité ethnique est facilement perdue. La diversité ethnique peut être préservée et protégée par des plates-formes économiques rationnelles, fondées sur les besoins locaux et autochtones. De même, la durabilité culturelle ne peut pas être obtenue sans une croissance économique durable. Pour réaliser des plates-formes économiques rationnelles, il est indispensable de passer par des améliorations dans l’éducation, la santé et la formation professionnelle. L’autonomie peut être facilitée par le micro financement et des compétences professionnelles permettant aux populations locales de mettre sur pied leurs propres entreprises d’une manière conforme à leurs structures traditionnelles, économiques, politiques et sociales.

Réduire les écarts de pauvreté, mettre fin à la marginalisation

Malgré d’énormes bonds en avant, les 20 dernières années de la soi-disant prospérité mondiale ont malgré tout laissé plus de 40 pour cent de la population mondiale dans la pauvreté et un sixième de notre planète dans l’extrême pauvreté. Ce modèle de développement a créé des écarts plus importants entre les riches et les pauvres. Ce déséquilibre économique est provoqué par des distorsions dans notre système commercial et financier mondial, réimposé par les institutions financières internationales, qui représentent souvent des intérêts spécifiques d’une élite bien en place.

Pour qu’un changement positif se produise, il faut tirer plus de gens de la pauvreté et réduire les écarts entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Les réponses ne viendront pas des grands modèles théoriques pour le développement, mais plutôt des solutions économiques autochtones basées sur les conditions locales. L’on doit, de manière constructive, plaider en faveur de l’intégration de nouvelles approches dans la politique nationale qui, à leur tour, influenceront le comportement des entreprises. Nos systèmes politiques, économiques et sociale seront plus sains si nous pouvons mettre fin à la marginalisation sociale et économique cyclique. L’expérience montre que lorsque les personnes marginalisées n’ont aucun moyen d’expression, sont continuellement frustrées, leur propension à se tourner vers l’extrémisme sous diverses formes augmente.

Empêcher l’extrémisme à la racine

Le terrorisme n’est pas seulement le résultat de croyances religieuses fondamentales, contrairement à l’étiquette que lui colle certains médias classiques. Les gens se tournent vers des mesures extrêmes quand ils n’ont aucun moyen d’expression pour faire entendre leur frustration à l’égard des conditions de pauvreté, de la marginalisation ethnique, ou des deux. Souvent, les croyances religieuses sont malheureusement utilisées comme justification ou prétexte à cet extrémisme. L’insatisfaction profonde et le terrorisme qui s’en suit sont des réactions séquentielles aux mêmes séries de problèmes. Les problèmes liés à l’aliénation des groupes ethniques doivent être attaqués à la racine, à travers la responsabilisation économique, l’éducation, la santé et la restitution au peuple de ce qui lui appartient : la reconnaissance de leurs propres diversité, identité et respect de soi. Sinon, la dissidence et les conflits ne vont pas disparaître, quel que soit le degré d’avancement de la technologie militaire et des théories de refonte sociale des États constituants.

Article IV - Le droit de protéger notre planète, de préserver nos glaciers et de donner de l’eau à nos enfants

Le droit à l’eau
Le changement climatique met en péril l’approvisionnement en eau de toutes les formes de vie. L’accentuation de la désertification a particulièrement aggravé ce problème en Afrique. Historiquement, de nombreuses civilisations se sont effondrées non pas en raison des fluctuations des cours du marché, mais par manque d’eau. La sécurité de l’eau affecte les marchés industriels et financiers et, par conséquent, la stabilité sociale, voire les guerres.
Aujourd’hui, les sociétés n’abandonneront pas leurs bénéfices pour les ressources en eau. Mais un jour le prix de l’eau pourrait être plus élevé que celui du pétrole. Les ressources ne sont pas inépuisables. Il ne s’agit plus pour l’humanité de s’interroger sur l’accessibilité des prix, mais plutôt sur la disponibilité des ressources telles que l’eau ainsi que sur notre présence ici. Nous pouvons donner de l’argent à dépenser à nos enfants. Mais pouvons-nous leur donner de l’eau à boire ?

Facteur des valeurs autochtones
Les peuples autochtones sont les gardiens vitaux de notre planète. Mais dans notre époque où le succès se mesure uniquement par la croissance industrielle et la consommation, nous avons ignoré les systèmes traditionnels de sagesse qui privilégient l’équilibre environnemental et la qualité de vie. C’est dans le rythme et la vie de la société africaine traditionnelle, et nulle part ailleurs, que l’on retrouve mieux l’expression de ces valeurs.
En ce qui concerne les valeurs des peuples autochtones dans le monde, leur mode de vie est un référentiel de connaissances sur la façon de préserver notre environnement. Mais nous avons superbement ignoré ces connaissances. Si nous ne pouvons pas sauver notre environnement, notre planète sera détruite, et nos enfants resteront sans rien. L’économie durable et le confort matériel partagé constituent une priorité mondialisée. Mais quel est l’intérêt du capital accumulé et de la consommation ostentatoire de biens industriels quand on ouvre la porte de sa nouvelle maison ou voiture pour ne respirer que de l’air pollué ? Les plans nationaux de relance budgétaire pour stimuler la consommation ne constituent pas une solution qui va au coeur du problème. Parce que la surconsommation est elle-même l’une des causes principales des crises financières et environnementales mondiale actuelles. Il est temps de repenser nos hypothèses économiques de base et les valeurs qui les sous-tendent.

Article IV - Le Consensus africain en tant que mouvement du Consensus mondial

Sensibilisation au Consensus africain comme nouveau paradigme économique

Le Consensus africain est un nouveau paradigme économique basé sur les principes énoncés dans le Préambule et l’Article I ci-dessus. Fondé sur les principes du Consensus africain, l’Institut du Consensus africain doit être mis sur pied comme une organisation non gouvernementale. Il permet de coordonner un réseau d’organisations (ONG, entrepreneurs sociaux et activistes individuels) échangeant des expériences de développement et promouvant les principes du Consensus africain de développement culturel durable. L’Institut encourage la coopération régionale entre les parties prenantes et s’engage dans des efforts de « diplomatie de la deuxième voie » pour s’attaquer aux problèmes ethniques, de développement et d’environnement.

Le paradigme de développement économique du Consensus africain est applicable dans d’autres pays sous-développés (et dans les poches de sous-développement grandissantes des pays développés). L’Institut du Consensus africain poursuit un programme de mise en réseau transversale dans d’autres régions en dehors du continent. À travers Internet et une mise en réseau coordonnée des médias en ligne, l’Institut du Consensus africain relie souvent des programmes d’ONG, d’entrepreneurs sociaux et d’activistes individuels différents dans une plateforme de lobbying complète pouvant fournir la masse critique nécessaire pour influencer de manière rationnelle les décideurs politiques et les institutions internationales. Ce nouveau consensus préconise des approches nouvelles et pragmatiques pour réduire la pauvreté cyclique, mettre fin à la marginalisation ethnique et protéger l’environnement de notre planète.

Recherche d’un consensus mondial

L’Institut du Consensus africain cherchera à constituer des organisations de réseautage soeurs (telles que le Consensus de l’Himalaya pour l’Asie et le Consensus caribéen pour les Caraïbes et le Consensus des Andes pour l’Amérique du Sud et centrale) dans d’autres régions. Cela aboutira à la création du Consensus mondial en tant qu’organe de coordination de ces groupes de consensus régionaux (*2). Le Consensus mondial sera un mouvement de plaidoyer pacifique qui recueille les expériences et les visions locales, les coordonne dans la recherche de politiques de chaque région et les synthétise dans les cadres de plaidoyer pour prendre en charge les discussions sur le changement climatique et la refonte du système financier mondial, car il s’agit des priorités critiques affectant le développement. Le mouvement du Consensus mondial collaborera avec les médias afin que ces voix diverses puissent être entendues par le grand public, comprises et non écartées ou rejetées par ces responsables politiques avec qui nous souhaitons parvenir à un consensus pour résoudre les problèmes d’intérêt commun. Le Consensus mondial en tant que mouvement de plaidoyer travaillera de façon constructive pour amener les médias dominants, les décideurs politiques et institutionnels à d’abord écouter notre voix avant de devenir notre voix pour un changement positif.

Notes :
(*1) Les plans provisoires pour annoncer la mise sur pied du mouvement du Consensus mondial sont prévus pour la fin 2011. L’annonce d’un Consensus africain est prévue pour février 2011 au Forum social mondial qui se tiendra au Sénégal.

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