Leçon de l’histoire pour la présidentielle ivoirienne

Il fut un temps où il n’y avait en Côte d’Ivoire ni nord ni sud autres que les points cardinaux. La bêtise politique a fait de ces axes d’orientation des axes de crises et de division sanglante du pays. Au moment où les Ivoiriens se cherchent un nouveau futur avec la présidentielle dont le second tour se tient le 28 novembre, Venance Konan rappelle comment le nord et le sud ne furent qu’un pour écrire l’histoire.

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Connaissez-vous Ouezzin Coulibaly ? Nos enfants et nos jeunes frères et sœurs certainement pas. Il est né vers 1909 à Pouy, dans l’actuel Burkina Faso. Il a fait ses études primaires et secondaires à Ouagadougou, puis à William Ponty. Il en est sorti instituteur et a enseigné à Ouagadougou, Bobo Dioulasso et Banfora, toujours dans l’actuel Burkina Faso. Puis il s’est lancé dans la politique et s’est présenté en 1945 à l’élection à l’Assemblée constituante. Il avait face à lui Félix Houphouët-Boigny. A la demande du Moro Naba, empereur des Mossi, il a retiré sa candidature pour permettre à Houphouët-Boigny d’être élu. Et ce dernier a été élu, principalement avec les voix du nord.

En 1946, Ouezzin Coulibaly est devenu député de la Côte d’Ivoire avec 125 752 suffrages sur 125 752 exprimés. En 1953, après le décès de Victor Biaka Boda, il a été élu sénateur de la Côte d’Ivoire. Election confirmée en 1955. En 1957, il devient vice-président du conseil de gouvernement de la Haute Volta, puis meurt en 1958, peu de temps avant l’indépendance de nos pays. Il avait consacré sa vie à servir à la fois la Côte d’Ivoire et la Haute Volta d’alors. La jeunesse du RDA de l’époque avait écrit ces mots en guise de condoléances : « Tu es mort pour l’Afrique, nous jurons de vivre pour elle jusqu’à la mort. »

Telle est succinctement résumée la vie de cet homme que vous pouvez lire dans tous les livres d’histoire, dans ses propres livres, dans ses biographies ou celles d’Houphouët-Boigny, ou tout simplement sur internet.

Quelle leçon tirer de son histoire ? Hier, le fils du nord s’était désisté au profit du fils du sud, pour le triomphe de leurs idéaux communs. Aujourd’hui, l’histoire qui aime parfois faire des clins d’œil, nous met face à face un fils du nord et un autre du sud. C’est le sud qui est aujourd’hui appelé à soutenir le fils du nord, pour le triomphe des idéaux communs.

Henri Konan Bédié, qui a la grandeur des hommes qui savent entrer dans l’histoire même après une défaite, comme Churchill, a appelé les fils du sud à soutenir celui du nord. Vont-ils rester sourd à cet appel, et ne pas payer la dette qu’Houphouët-Boigny, le père tutélaire dont tout le monde, même ses ennemis d’hier, se réclament aujourd’hui, doit à ce nord ?

Aujourd’hui nous sommes face à notre histoire et à notre avenir. Hier, le natif de Pouy en Haute Volta fut député, puis sénateur de la Côte d’Ivoire. Et aujourd’hui, en 2010, nous allons refuser au fils du nord nos suffrages sous le prétexte rétrograde qu’il ne serait pas notre frère ? Hier, nous avons voulu exclure ce fils du nord de notre famille. L’histoire nous a châtiés en nous envoyant les refondateurs. Elle nous donne aujourd’hui l’occasion de nous racheter. Allons-nous laisser passer cette occasion unique ?

L’histoire nous regarde. L’avenir de nos enfants aussi. Nous connaissons notre présent. Il est hideux, à l’image des ces déchets qui encombrent nos rues et intoxiquent nos populations, de ces rues et routes défoncées, boueuses et impraticables à la moindre ondée, de cette jeunesse nourrie à la haine et à l’intolérance. Nous avons le choix entre sortir de ce présent et y rester pour le léguer à nos enfants.

Un de mes amis qui vit au Kenya m’a appelé. J’étais passé rapidement dans cette ville il y a quelques mois. J’avais vu une ville propre, hérissée de gratte-ciels aux côtés desquels nos immeubles délabrés du Plateau donnent envie, soit de pleurer soit de rire. Je me souviens avoir vu à l’aéroport de Nairobi qui fait au moins dix fois la taille du nôtre, une vingtaine d’avions de Kenya Airways. Je crois qu’Air Ivoire n’en a que deux ou trois. Mon ami m’a expliqué que ce que j’avais vu n’était qu’un échantillon de ce qu’est le Kenya, un pays qui, il y a une trentaine d’années, avait pour modèle la Côte d’Ivoire.

Les dernières élections présidentielles se sont terminées dans le sang. Mais les Kenyans ont mis de côté leurs rancœurs, se sont réconciliés, et ont doté leur pays d’une nouvelle Constitution qui les met désormais à l’abri de telles mésaventures. Et le pays repart. Nos jeunes frères, ainsi que tous ceux qu’on intoxique dans les Agoras et autres « parlements », eux qui n’ont pas beaucoup voyagé et ne se cultivent que dans les maquis ou dans les temples, ne voient pas que leur pays qui était le premier de la classe, est en train d’en devenir le dernier. Je comprends qu’ils ne réalisent pas qu’il y a mieux que ce présent blafard que les refondateurs leur offrent.

Je comprends qu’on les a tellement appauvris, aussi bien sur le plan matériel qu’intellectuel, qu’ils sont devenus très fragiles devant les discours qui flattent leurs sentiments les plus primaires, et devant le moindre billet de banque. C’est à nous, adultes à l’esprit ouvert, de leur faire comprendre qu’ils peuvent sortir de ce présent nauséabond, de cette pauvreté. C’est à nous, adultes de notre époque, de les faire sortir de leurs villages qu’ils ont transportés en ville ou même en Europe, pour leur montrer le monde réel, le monde où ce que l’on recherche chez un candidat à la présidence ou à n’import quel poste, ce n’est ni son ethnie, ni sa couleur de peau, mais sa compétence.

Expliquons leur que jusqu’à nos indépendances, il était interdit aux Etats-Unis aux Blancs et aux Noirs de s’asseoir sur le même banc, de manger dans les mêmes restaurants et que les Noirs n’avaient même pas le droit de vote. Aujourd’hui, cette même Amérique a élu à sa tête un Américain dont le père est Kenyan, parce qu’il leur a paru plus compétent que l’autre candidat, qui était Blanc.

Expliquons-leur que dans un pays qui veut avancer, lorsqu’un pouvoir échoue aussi lamentablement comme ont échoué nos refondateurs, on se donne tout simplement de nouveaux dirigeants. Si Obama échoue aux Etats-Unis, il sera remercié. Si Ouattara est élu et qu’il échoue en Côte d’Ivoire, il sera remercié de la même façon, dans les urnes. Faisons ce travail de pédagogie aussi en direction de leurs élites qui, malgré leurs diplômes, malgré leurs voyages autour du monde, en sont encore dans leurs têtes à l’ère où l’on communiquait par le tam-tam et où le ressortissant du village voisin était un étranger.

Expliquons-leur que le monde a changé plus vite qu’ils ne le réalisent, que nos enfants sont les frères des enfants du monde entier avec qui ils échangent sur internet dans les cybercafés, que nos enfants regardent les chaînes de télévision du monde entier. Aidons les à enlever les ornières tribales avec lesquelles ils avancent dans la vie, avec lesquelles ils voyagent, sans rien voir autour d’eux, sans rien retenir, sans tirer aucune leçon, ni de l’histoire des autres, ni de leur propre histoire que certains d’entre eux ont enseignée ou continuent d’enseigner.

* Venance Konan est journaliste et écrivain ivoirien

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