Le « printemps arabe » a commencé au Sahara occidental…
Les effets les plus remarquables ont eu lieu en Tunisie et en Algérie, avec la chute des dictateurs locaux sous la poussée populaire, mais quand il s’agit de parler de « Printemps arabe », il faut bien rendre aux Sahraouis ce qui appartient aux Sahraouis. A savoir qu’ils ont semé les premières graines de révolte. Sauf que les médias internationaux les ont ignorés.
La question pourrait paraître saugrenue. Comment le petit peuple que constituent les Sahraouis pourrait être précurseur d’une lame de fond qui a déjà coûté cher à plusieurs dictateurs ? Quel lien peuvent avoir les révoltes populaires qui ont débouché sur le départ de Moubarak, de Ben Ali et de Kadhafi et celle qui a poussé les Sahraouis, qui vivent sous la coupe des Marocains depuis 37 ans, à manifester quelques semaines avant ?
Chronologiquement d’abord, on peut constater que le mouvement de protestation qui a enflammé le Sahara occidental à Gdem Izik de la mi-octobre à la mi-novembre 2010 a précédé de quelques semaines à peine les premières manifestations de Tunisie. Dans le contexte médiatique défavorable aux Sahraouis, on peut noter que l’intellectuel Noam Chomsky a pointé ce fait lors d’un entretien accordé à Daniel Mermet sur France Inter le 28 mars 2011.
Comme les Tunisiens, les Egyptiens ou les Libyens, tous les Sahraouis n’ont pas participé aux manifestations. Mais, la plus importante a regroupé près de 20 000 personnes dans le campement de Gdem Izik créé à une quinzaine de kilomètres de la ville de Laayoune. Près de 7000 tentes traditionnelles (6610 selon le décompte des Nations Unies) ont été installées dans le désert. Des chiffres très élevés si l’on considère que les Sahraouis vivant au Sahara occidental sont autour de 60 000 (1).
Ensuite, les revendications. Elles étaient d’abord sociales. Les Sahraouis se plaignent de ne pas tirer profit de l’exploitation des nombreuses ressources naturelles : pêche, phosphates, maraîchage… Les entreprises sont aux mains de grosses entreprises marocaines et étrangères. Les emplois sont en priorité donnés aux milliers de Marocains qui viennent du Nord, pour faire le taxi ou tenir un commerce, pour la période du poulpe ou encore pour travailler dans les usines de traitement du poisson.
Les motivations étaient aussi plus larges. Le campement a été baptisé le «camp de la dignité» par les occupants. Il s’agissait bien là de faire le lien entre les droits «ordinaires» (emploi, logement…) et les droits de l’homme. Entre les droits à vivre dignement et le droit à l’autodétermination accordé par l’ONU aux Sahraouis.
On retrouve cette convergence dans les mouvements populaires d’envergure qui ont éclaté dans d’autres pays du Maghreb. Une «communion» de revendications qui fait d’ailleurs peur aux autorités car « l’ennemi » est bien l’embrasement social. Le pouvoir marocain parle ainsi de «revendications purement d’ordre socio-économique des protestataires». (Aujourd’hui Le Maroc, 29 octobre 2010).
Des témoignages recueillis par Nouvellesdusahara.fr démontrent bien l’existence de multiples motivations, souvent chez une même personne. Malgré une opération subie un mois auparavant et la recommandation de son médecin de ne pas sortir de chez elle pour se reposer, cette femme âgée rencontrée à Laayoune s’est rendue à Gdem Izik. Pour sa fille, il s’agissait d’apporter son soutien aux demandes et combats d’autres Sahraouis. Même si elle, ses parents et d’autres familles ont déjà leur combat : retrouver trace des deux frères disparus avec treize autres jeunes une nuit de décembre 2005 sur une plage de Boujdour alors qu’ils fuyaient vers les Canaries…
Selon des témoignages recueillis par Nouvellesdusahara.fr, le mouvement d’une ampleur inédite au Sahara occidental a été préparé de longue date. L’idée faisait son chemin au sein de collectifs. Depuis 1999 et la création d’un comité des travailleurs sahraouis, les militants Sahraouis pensaient à ce mode de protestation, symbole aussi d’une culture nomade et d’un rapport viscéral au désert. Selon Mohamed Daddach, un militant politique, «un mois avant l’installation des premières tentes, un comité secret avait été formé». Mais, les premières tentatives, dès la mi-septembre, sont vite réduites à néant par les forces de l’ordre marocaines, selon ce témoin qui s’est rendu sur place. La troisième tentative a été la bonne pour les Sahraouis.
Les autorités marocaines ont dans un premier temps joué la carte de l’apaisement, de la compréhension. Elles présentaient alors les revendications des Sahraouis comme «légitimes». Mais, le discours a changé avec la mort d’un jeune Sahraoui, Najem El Guareh, tué par les forces de l’ordre. La propagande est alors entrée en action. Les organisateurs du campement sont devenus des «délinquants», des «voyous», qui séquestraient les familles dans le campement. Un refrain entendu maintes fois.
Très vite, le black out médiatique est imposé par le pouvoir marocain. Les quelques journalistes qui sont parvenus à aller au contact des milliers de manifestants ont dû s’habiller en Sahraoui, certains allant même jusqu’à se passer de la terre sur le visage… Des politiques (comme le député français Jean-Paul Lecoq ou des députés européens) sont refoulés du sol marocain. Même la mission de l’ONU a été dans «l’impossibilité de suivre la situation dans le camp parce que les autorités marocaines lui en ont refusé l’accès», peut-on lire dans le rapport de l’ONU d’avril 2011.
Le 8 novembre, à l’aube, l’assaut est donné par les forces de sécurité marocaines. Nombre de vidéos postées sur Internet montrent la violence de la charge. «La violence qui en a suivi et qui s’est étendue à la ville de Laâyoune - violence déplorée par le Conseil de sécurité le 16 novembre 2010 - aurait causé une douzaine de morts parmi les forces de l’ordre et les civils selon les autorités marocaines, tandis que le Front Polisario parle d’un nombre de victimes civiles plus élevé», écrivait le 25 novembre 2010 ACAT France, CCFD, HRW et Oxfam France. (2)
ET LE «PRINTEMPS ARABE» AU SAHARA OCCIDENTAL ?
Interrogé par Nouvellesdusahara.fr, Pierre Galand, ancien sénateur belge et président de la Coordination européenne de soutien au peuple sahraoui (EUCOCO), estime que «le «camp de la dignité» de Gdem Izik s’inscrit clairement dans les initiatives prises par les peuples de la région pour revendiquer de manière pacifique le respect des droits économiques, sociaux et culturels. Si Gdem Izik est une forme propre au peuple sahraoui d’exprimer ses revendications, le calendrier, le contexte et l’expression générale de ras-le-bol des populations arabes ne sont pas le fait d’un processus concerté et planifié. Par contre, il n’est pas fortuit non plus et va se poursuivre. Dans le cas des Sahraouis, il s’est agi d’un lent processus dans l’appropriation des différentes formes de résistance dont les peuples ont historiquement fait l’expérience dans leurs luttes de libération nationale».
A Alain Juppé, qui avait déclaré le 16 avril 2011 que «désormais, tous les gouvernements savent qu’ils doivent laisser leurs citoyens faire entendre leur voix. Tous savent qu’on ne réprime plus impunément les aspirations légitimes d’un peuple», les responsables de trois ONG, ACAT France , CCFD – Terre Solidaire et Oxfam France demandaient dans une tribune publiée le 22 avril 2011 dans le quotidien Libération et intitulée : «La France laissera-t-elle fleurir le printemps arabe jusqu’à Laayoune ?», de ne pas voir occulter les revendications pour les droits et libertés fondamentales du peuple sahraoui, qui, écrivaient-ils encore, «méritent les mêmes égards que celles des peuples tunisien, égyptien ou libyen».
Mais, realpolitik ou cynisme politique oblige, l’idée d’une «exception marocaine», qui serait forcément positive dans cette région du monde, entrave la capacité des uns et des autres à porter un regard critique sur le régime marocain et, par conséquence, sur le conflit du Sahara occidental. Il faut voir comment les dernières évolutions constitutionnelles au Maroc sont communément saluées dans les grands media français et les «élites» intellectuelles et économiques.
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** Olivier Quarante est journaliste indépendant
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