Le Niger d’une rébellion touarègue à une autre : mêmes causes, même effets
Ce n’est pas l’histoire qui se répète dans les rébellions touarègues, ce sont plutôt les troubles qui se perpétuent à travers les mêmes causes contemporaines. Ainsi, ce ne sont ni les mêmes acteurs ni les mêmes données qui prévalent dans les premier et deuxième conflits armés apparus dans la région d’Agadez. Malheureusement, on n’a pas assez réfléchi sur la question au Niger. Sinon, on aurait vu que cette nouvelle rébellion qui a éclaté en février 2007 se distingue de celle des années 1990. On aurait aussi prévu, à l’époque, que le mode de règlement de la première rébellion entraînerait inévitablement une deuxième rébellion.
Lorsqu’un groupe armé se soulève dans un pays, au nom d’une région ou d’une entité, il y a toujours des revendications. Lesquelles revendications portent généralement sur les intérêts de la région. Or, qu’a-t-on fait à la fin de la première rébellion ? A-t-on pris en charge les problèmes des régions concernés? Non ! On a simplement satisfait un certain nombre d’individus, en l’occurrence les animateurs des factions armées de l’époque. On ne peut jamais satisfaire tout le monde, surtout dans un pays qui figure parmi les trois derniers de la planète sur l’Indice de développement humain. Mais le fait, ici, c’est qu’on a plutôt cherché à contenter des individus peut-être venus à la rébellion rien que pour des postes.
Quelques années après, d’autres personnes frustrées devaient fatalement prendre la relève pour procéder de la même façon, en vue de trouver des emplois dans l’armée, les corps paramilitaires et l’administration. Ou, à défaut, accéder à des fonds d’investissement pour monter des projets.
On dit souvent que ce sont les Touaregs qui sont entrés en rébellion. C’est en partie vrai, parce que les éléments qui ont pris les armes déclarent le faire au nom de cette population. Il y a aussi toute la presse étrangère, surtout française - en général favorable aux rebelles - qui véhicule cette idée. Et le gouvernement n’a jamais fait un effort pour rétablir la vérité. Car si des Touaregs sont à la tête des mouvements, il reste que 80% de la population touarègue que compte le Niger ne sont pas dans leur dynamique ni dans leur logique.
Combien de foyers de rébellion touarègue y a-t-il dans la région de Tillabéri ? Aucun ! Combien de foyers de rébellion touarègue dans le Damergou et le Damagaram ? Combien dans l’Ader ou dans le Gobir Toudou ? Or il s’agit de régions qui renferment 70 à 80% des Touaregs du Niger ! Il est donc abusif de dire que les Touaregs du Niger sont en rébellion. Il s’agit plutôt d’un mouvement qui concerne une région précise du pays.
Isoler le problème ne signifie cependant pas l’ignorer. Mais quand on se penche sur la question, on constate que le soulèvement concerne les Touaregs des régions pastorales. Les autorités soutiennent que beaucoup de choses ont été faites pour ces populations, avec des statistiques à l’appui. Cela n’a pas été pour permettre une réelle prise en charge des problèmes qui se posent.
Aujourd’hui, le pastoralisme ne marche plus dans une région restée dans une situation de précarité permanente depuis la période coloniale. Cette situation a poussé les communautés à se replier sur elles-mêmes. Lorsque les autorités pensent apporter des solutions en construisant par exemple des infrastructures sanitaires, elles passent à côté. On oublie qu’on a affaire à une communauté éparpillée et mobile. Certains bénéficiaires supposés sont souvent à des dizaines de kilomètres du dispensaire construit. Pour y accéder, il leur faut plusieurs jours de marche. En somme, on réfléchit à des solutions adaptées à des populations sédentaires, pour des communautés qui vivent dans un nomadisme traditionnel. Il faut que les autorités nigériennes acceptent de traiter les problèmes en fonction du contexte.
Il n’est pas certain que les éléments qui ont pris les armes dans le cadre de la première comme de la deuxième rébellion l’ont fait pour réellement chercher le règlement des préoccupations des populations. Leur satisfaction, ici ou là, a pu se suffire de l’attribution de postes et de privilèges. Le gouvernement joue leur jeu et le problème reste entier. Demain, une autre génération viendra brandir le même flambeau de la révolte.
Parler de rébellion touarègue peut paraître abusif, poser le problème sous l’angle d’une «question touarègue» est dangereux. En fait, il s’agit d’une question nationale. Agadez n’est pas une ville frontalière. Elle est en plein centre du Niger, à égale distance de la Libye et du Burkina Faso, à égale distance aussi de l’Algérie et du Nigeria. Agadez n’est pas l’extrême nord, ce n’est pas le nord non plus ; c’est le centre du pays.
Il y a quatre siècles, quand une rébellion a éclaté dans le nord du Niger, le sultan du Bornou, Idrissa Alaouma, était venu s’installer à Bilma pour gérer la crise. Askia Mohamed aussi avait quitté Gao pour passer un an à Alaoucès, à 7 km au nord d’Agadez, pour gérer un conflit qui avait éclaté dans la région. C’est dire que les problèmes des populations des régions périphériques comme Agadez ou Diffa relèvent d’une «question nationale». Ce n’est pas parce qu’il s’agit de régions riches uranium ou en pétrole qu’il faut en faire des entités particulières.
Mais c’est la responsabilité de l’Etat nigérien de parfaire l’intégration de ces populations en mettant leurs besoins parmi les priorités du développement, avec des choix pertinents. Aujourd’hui, 90 % de la population nigérienne vit dans le quart sud du pays. L’avenir impose des migrations vers le Nord et il faut s’y préparer. Il faut que ces régions deviennent des pôles d’attraction. Les 127 milliards de bonus dans signature de la convention pétrolière avec la Chine devaient servir à la création du cadre attractif qu’il faut dans cette région d’avenir.
Malheureusement, les orientations prises ne font qu’isoler encore plus ces régions pour faire le lit des soulèvements. La zone est d’autant plus fragile chaque fois qu’un conflit armé éclate à Agadez, la zone nord malienne, habitée elle aussi par des Touaregs, s’embrase. De là à faire le lien entre les conflits nigérien et malien, certains observateurs n’hésitent pas. Or les différences sont réelles.
D’abord le conflit au nord Mali date de plus longteps. Au Niger, les brassages de populations qui remontent à plus de 1000 ans font qu’il est difficile de distinguer une communauté des autres. Tous les grands groupes ethniques du Niger ont vécu dans l’Aïr. Et les vestiges de leur séjour dans cette région existent encore. Si des liens existent entre les Touaregs du nord Niger et ceux du nord Mali - ce qui est naturel pour des populations nomades - il ne s’agit pas pour autant du même groupe.
Les Touaregs de l’Azawak ne sont pas les mêmes que ceux de Ménaka au Mali. Si des liens de parenté se sont bâtis à travers l’histoire, ils n’ont pas été une même entité politique. C’est à la faveur des rébellions qu’une telle jonction a pu se faire. Et si les autorités nigériennes et maliennes n’insistent pas dessus, la vérité demeure que ce sont les Français qui sont à l’origine de cette situation en créant l’Organisation commune des régions sahariennes (O.C.R.S) (1). Celle-ci devait regrouper toutes les régions touarègues en une seule entité détachée des autres, pour permettre à la France de rester maîtresse des ressources du Sahara. Et si le degré d’implication de la France dans cette actuelle deuxième rébellion reste à préciser, elle était évidente dans la première.
Toute une histoire a été bâtie sur l’image du Touareg rebelle. Elle est fausse. Les soulèvements armés que connaît cette région peuvent trouver leur solution dans une politique de développement plus inclusive pour ces communautés. Plus adaptée à leurs besoins, mais surtout à leurs réalités.
NOTE :
1 – La France avait créé, le 10 janvier 1957, une Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS), avec l’objectif, «la mise en valeur, l’expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République française et à la gestion de laquelle participent l’Algérie, la Mauritanie, le Soudan, le Niger et le Tchad»
* Djibo Hamani est historien, enseignant-chercheur à l’université Abdou Moumouni de Niamey. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et figure parmi les spécialistes des questions touarègues
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