Les apports des Noirs à la science et à la technologie

Tenter d’évaluer l’apport de l’Afrique au Patrimoine Scientifique et Technologique ne constitue pas un exercice nouveau. D’autres, avant nous, s’y sont attelés, avec brio. Nous fondant sur leurs travaux remarquables, nous devons profiter de notre projet pour leur rendre un hommage mérité. L’Afrique est, aujourd’hui, universellement reconnue, comme étant le berceau de l’humanité. Elle est, également, le seul continent, où toutes les phases de l’évolution humaine sont attestées par des éléments concrets.

C’est, donc, sur son sol, que les premières formations humaines ont vu le jour, se sont développées, pour ensuite, essaimer à la faveur de facteurs multiples, vers les autres parties de la planète. C’est, incontestablement, là que les premières manifestations du génie humain se sont exprimées, comme en portent témoignage d’innombrables traces du temps du Paléolithique, comme du Néolithique, notamment. Depuis les découvertes d’Henri Lotte, il est prouvé, avec les peintures rupestres au Sahara, que les peuples noirs avaient connu plusieurs cycles culturels.

La conception et la construction de la Pyramide de Kheops, à une époque où l’on ne connaissait ni le fer ni la roue, ne cessent de forcer notre admiration et de poser à tout observateur averti, des questions qui n’ont pas, encore, été élucidées, à ce jour. On sait, par ailleurs, que bien avant l’édification de la Grande Pyramide, le peuple égyptien avait, à partir d’une observation méticuleuse du Nil, imaginé et maîtrisé des mécanismes d’endiguement et des techniques d’exploitation de ses crues, grâce auxquelles, il avait fertilisé des régions entières, jadis, occupées par le désert, ou les marécages, pour les transformer en un cadre de vie prospère.

Lorsqu’on évalue les réalisations de l’Egypte Antique, on y sent une volonté tenace de maîtriser les forces de la nature, le souci constant de booster les limites des capacités de l’homme à façonner son destin, avec une constance et une pugnacité extraordinaires. On en vient à estimer que ce peuple exceptionnel, comparé à d’autres peuples de la même époque, avait pris une avance de près de 2 000 ans sur l’Histoire Générale de la planète.

Aucun de ces processus n’était le fait du hasard. Il était le résultat de savoirs et de savoir-faire intériorisés, de techniques et de technologies maîtrisées par des acteurs du moment, que malheureusement, le peuple noir, comme le reste de l’humanité, dans leur écrasante majorité, ignorent. Les écrits des historiens grecs, les chroniqueurs arabes, tout comme les différents témoignages, du Soudan Nigérien, par exemple, renferment des données intéressantes. Les descriptions du continent et de ses populations, laissées par les explorateurs mentionnent elles aussi, des éléments importants. Les différentes campagnes de fouille faites en Afrique ont, par ailleurs, révélé des données incontestables.

Mais nul n’a autant que l’incomparable Professeur Cheikh Anta Diop saisi cette problématique, avec l’exhaustivité qu’on lui connaît. Dans « Nations Nègres et Culture », il nous révèle l’existence « d’un observateur astronomique » selon le témoignage de Lepsius, dans la Méroé Antique. Il signale, en outre, « qu’on y a découvert une série d’équations numériques, relatives à des évènements astronomiques, qui s’étaient déroulés deux siècles avant, Jésus Christ ».

Après avoir démontré que les égyptiens étaient des Noirs, le professeur Cheikh Anta Diop, pour étayer sa thèse, a exposé, un certain nombre d’arguments ethnologiques, parmi lesquels, le totémisme, la circoncision, la cosmogonie, la royauté, l’organisation sociale, le matriarcat ou la parenté. Sa théorie s’appuie, également, sur des arguments linguistiques, au nombre desquels il avait, avec brio, établi une étude comparative des grammaires égyptienne et Ouolof (Ndlr : langue parlée au Sénégal), ainsi, d’ailleurs, qu’une autre, concernant le cocabulaire.

Cheikh Anta a soutenu que ce sont les Egyptiens qui ont initié des savants, comme Solon, Thalès, Platon, Pythagore, Eudoxe, Archimède, Eratosthène, etc. Il a, également, mentionné les particularités de l’architecture cyclopéenne découverte au Zimbabwe. Preuve, assurément, que l’Afrique anté-coloniale connaissait non seulement l’usage de la pierre, mais également des processus architecturaux avancés pour l’époque, attestés par l’existence de châteaux-forts fortifiés, de fenêtres vitrées, de murs peints, etc., et d’éléments architecturaux combinant le bois à d’autres matériaux. Le même Cheikh Anta DIOP avait, déjà, soutenu le caractère rigoureusement endogène du style architectural dit de Djenné et de Tombouctou.

L’Afrique anté-coloniale possédait ses corporations de maçons, de pêcheurs, de chasseurs, de piroguiers, d’architectes, comme en portent témoignage certaines formes d’habitats Dogons. C’est encore Cheikh Anta Diop qui note la présence d’une métallurgie comprenant l’extraction de minerais, métallurgie attestée, entre autres preuves, par la maîtrise du travail du bronze des chevaliers du Bénin, la pratique de l’orfèvrerie, le travail de l’or, du cuivre, de l’étain, des alliages, de la serrurerie, etc. Même, le travail du fer était attesté. Puisque sa présence en Afrique date de 2500 ans.

C’est toujours Cheikh Anta Diop qui mentionne la place que la médecine spécialisée et l’hygiène avaient atteinte, en se fondant sur le témoignage de Tariq El Sudan. Cette médecine empirique avait maîtrisé l’opération de la cataracte. La toxicologie, elle aussi empirique, avec l’utilisation des venins de serpent et des sucs de certaines plantes, était déjà connue. L’usage du savon avait également été inventé.

Cheikh Anta avait, de même, découvert, dans « L’Afrique précoloniale », l’usage du métier à tisser, à pédales ou horizontal, les techniques d’exploitation et de transformation du coton et l’existence d’un velours indigène chez les peuples Balubas. Evidemment, les métiers de tailleurs et de couturiers avaient une origine endogène que la perspicacité du chercheur sénégalais nous fait découvrir.

Dans le domaine de l’agriculture, il démontre que les peuples africains avaient mis au point, des techniques agricoles permettant toutes les cultures dont ils avaient besoin. Ce sont eux qui ont développé en Amérique la culture du coton, du riz et de l’indigo, ainsi que leur savoir faire et la technologie nécessaire à ces activités. La cordonnerie, la vannerie, la chasse, l’écriture et les techniques nautiques, pratiquées dans l’Afrique précoloniale, ont, elles aussi, été inventées en Afrique.

Bakari II a équipé 2 000 pirogues grâce auxquelles il s’est lancé dans la traversée de l’Atlantique ; et celà, dés le début des années 1300.

En 1513, Vasco Nunez de Balboa affirme avoir rencontré des Noirs dans l’Isthme de Panama, confirmant, ainsi, les révélations du chercheur américain Ivan Van Sertima, faites dans son livre, intitulé : « Ils y étaient avant Christophe Colomb ». Le chercheur scandinave Thor Hyderdall, pour vérifier cette assertion, a conçu un canot selon les techniques des Boudoumas du Tchad, grâce à quoi, il effectua, du 25 mai au 18 juillet 1869, la traversée de l’Atlantique, du Maroc aux Antilles, soit une distance de 4.345 km. M. Serge Bile, mentionne cet événement.

Tout récemment, une embarcation partant de Saint-Louis du Sénégal, a rejoint Cayenne, entre mars et avril 2009, en 42 jours.

Tous ces remarquables travaux n’ont cessé de se développer dans les pays francophones, anglophones, lusophones ou hispanophones d’Afrique, ainsi que dans nombre de pays de la Diaspora, soit à l’occasion des débats engagés par l’Unesco autour du projet de l’Histoire Générale de l’Afrique, dont, notamment, le fameux Colloque du Caire, soit dans d’autres cadres.

Le Professeur Théophile Obenga a apporté à cette réflexion une contribution irremplaçable. Le Bureau régional de l’UNESCO, à Dakar, a organisé d’intéressantes rencontres au cours desquelles, des savants noirs anglophones ont même démontré que des modèles des ponts aériens, parmi les plus célèbres des Etats-Unis, avaient aussi été découverts en Afrique, bien avant l’arrivée des Blancs.

Dans l’ouvrage monumental qu’il a consacré à l’Afrique Noire (Egypte Pharaonique et Afrique Noire) dans l’Antiquité, notre sémillant collègue a, tour à tour, étudié la question de la diffusion des peuples noirs dans l’Antiquité Primitive, celle des divers foyers culturels antiques, avant de se consacrer à ce qu’il appelle le rôle civilisateur des anciens égyptiens dans l’histoire de l’humanité, à travers des exemples empruntés à l’écriture, à l’Aarchitecture, notamment.

Ces deux Savants auxquels, on doit ajouter, pour faire bonne mesure, le Prince Dika Akwa du Cameroun et les professeurs Aboubakry Lam, Babacar Sall et Pathé Diagne de l’Université Cheikh Anta Diop, ont, admirablement, démontré la parenté génétique de l’Egyptien ancien avec les langues négro-africaines et mis en exergue, avec érudition et compétence, les capacités opératoires des parlers négro-africains et leur aptitude à transposer les concepts les plus sophistiquées.

Poussant plus loin, sa réflexion, Cheikh Anta DIOP écrit dans « Nations Nègres et Culture » : « L’homme de couleur, contrairement ce que pense André Siefried, loin d’être incapable de susciter la technique, est celui-là même qui la suscita, le premier, en la personne du nègre, à une époque où toutes les races blanches, plongées dans la barbarie, étaient, tout juste, aptes à la civilisation ».

« En disant que ce sont les ancêtres des nègres qui vivent aujourd’hui, principalement, en Afrique Noire, qui ont inventé, les premiers, les Mathématiques, l’Astronomie, le Calendrier, les Sciences en général, les Arts, la Religion, l’Agriculture, l’Organisation Sociale, la Médecine, l’Ecriture, les Techniques, l’Architecture ; que ce sont eux qui ont, les premiers, élevé des édifices de 6 millions de tonnes de pierre (Grande Pyramide, en tant qu’architectes et ingénieurs) et non en tant qu’ouvriers ; que ce sont eux, qui ont construit l’immense temple de Karnak, cette forêt de colonnes, avec sa célèbre salle Hypostyle, où entrerait Nôtre Dame avec ses tours ; que ce sont eux, qui ont sculpté les premières statues colossales, en disant tout cela, on ne dit que la modeste et stricte vérité que personne, à l’heure actuelle, ne peut réfuter par des arguments dignes de ce nom ».

Portant, ainsi, le débat à un niveau qu’il n’avait jamais atteint après les intuitions de Volney t Blyden, les publications de Marcus Garvey et les anticipations de Firmin, celui que le Professeur Obenga appelle le père de la Nouvelle Ecole Historique Africaine avait, très largement, ouvert la voie. Sous cet éclairage, les fastes des empires du Soudan nigérien, pour ne citer que ceux-là, s’inscrivent dans une continuité historique ininterrompue. Les rappeurs et chansonniers noirs disposent là d’un vivier informatif considérable dans lequel ils devraient puiser sans modération pour inscrire tous ces savoirs dans l’esprit de tous les segments du monde noir.

Tirant les conclusions d’une partie de ce qui vient d’être rappelé, le professeur Cheikh Anta Diop s’exclame : « Dès lors, le nègre doit être capable de ressaisir la continuité de son passé historique national, de tirer de celui-ci, le bénéfice moral nécessaire, pour reconquérir sa place dans le monde moderne, sans verser dans les excès d’un nazisme à rebours, car la civilisation dont il se réclame eût pu être créée par n’importe quelle autre race humaine - pour autant que l’on puisse parler d’une race – qui eût été placée dans un berceau aussi favorable, aussi unique ».

Pour compléter ce dispositif, deux chercheurs Paul Fehmu Brown (un noir canadien) et Oumar Dioume (un Sénégalais de stricte obédience, qui vient de regagner son pays, après plus de 20 ans passés en Amérique du Nord) ont publié, aux Editions « Les Cinq Continents », en 1998, un important fascicule intitulé : « Inventeurs et héros noirs » dans lequel, figurent 42 personnalités sélectionnées, parmi lesquelles :

- la pionnière du féminisme, au Canada, dans la Province de Nouvelle Ecosse, Rose Fortune, est une Noire, née en 1774, d’une famille d’esclaves. Elle fut la première policière.
- Des Noirs ont, aussi, participé à l’exploration du monde. C’est le cas avec Jean Baptiste Pointe du Sable (1745-1818), né d’un métissage franco-congolais, fondateur de la ville de Chicago. Il a, le premier, traversé le Mississipi, jusqu’aux environs du Lac Michigan.
- Matthew Henson, qui fut, dès 1909, un des explorateurs de l’Arctique.
- Elijah Mc Coy (1843-1929), lui aussi, d’origine africaine, qui compte à son actif, 50 inventions.
- Benjamin Banneker (1731-1806), qui inventa la première horloge américaine, en 1753, reçut les hommages et l’admiration du Président Jefferson, qui transmit ses travaux à son ami Condorcet, de l’Académie des Sciences de France, travaux qui furent applaudis par tous les académiciens.
- Richard Pierre Pointe, originaire du Boundou, stratège militaire, qui mobilisa les noirs de 16 à 60 ans dans une milice grâce à laquelle le Canada remporta sa première victoire militaire contre les Etats-Unis.
- Tilly Mays, femme de conviction, inventrice de l’Action humanitaire, qui mit au point un service de bénévolat destiné à dispenser l’instruction aux anciens canadiens noirs, ayant participé à la guerre des Boers, dans le cadre de ses écoles du dimanche.
- Majorie Joyner (1696-1794), inventrice d’une machine électrique
- Granville T. Woods (1856-1910), qui comptait à son actif, 150 inventions nouvelles.
- Lewis Latimer (1848-1928), qui fut l’auteur d’un manuel à l’usage des écoles sur l’éclairage électrique.
- Norbert Rilieux (1806-1894), qui a inventé un procédé permettant le raffinage du sucre.
- Abdou Moumouni, Professeur Agrégé de Physique, Docteur d’Etat, qui inventa le chauffe-eau solaire, adapté aux pays du Sahel.
- Cheikh Modibo Diarra, co-responsable de la mission « Pathfinder » sur Mars.
- Camille Saint Jacques Laraque (1902-1986), qui a été l’un des plus grands spécialistes de la mécanique des fluides et de la thermodynamique, au 20e siècle, avec à son actif, 5 sélecteurs brevetés. Il fut, en outre, l’un des membres les plus influents de la Ligue de Défense de la Race Noire et de l’Union intercontinentale.
- J’ajoute, pour ma part, que c’est un Noir, nommé Washington Carver, qui a fait des découvertes sur l’arachide, la patate douce et le soja.
Le rôle joué par l’Institut Tsukeggee de Booker T. Washington, dans ce sens, fut déterminant.

On pourrait y ajouter que, c’est le Professeur Abdoulaye WADE, qui a inventé « The Formula WADE » (Pt-29) Q t = St), visant à combattre la pauvreté par le pétrole, publiée, pour la première fois, le 22 Septembre 2006, par le Financial Times, dans un Article intitulé : « Africa Over a Barsel ».

Un travail du même genre doit être entrepris dans chacun des 53 pays africains et dans chacun des pays des Amériques, de la Caraïbe, de l’Europe, du Moyen-Orient, mais aussi, de l’Asie et de l’Océanie, où les Noirs ont développé des civilisations brillantes, avant d’être dominées et écrasées, de manière à dresser la liste complète de tout ce que le monde noir a apporté à la Science et à la Technologie, dans un premier temps.

Dans un second temps, il faudra procéder à un inventaire, tout aussi exhaustif, dans le domaine des Arts, des Lettres, de la Politique, du Droit, de l’Histoire, de l’Economie, de la Linguistique, de la Danse, de la Chanson, du Sport, etc., bref, dans chacun des domaines de la connaissance et de l’activité humaine. Les éléments de cette gigantesque moisson pourraient être consignés dans une Encyclopédie Africaine destinée à révéler, au grand jour, tout ce que nos ancêtres et les fils actuels du Continent, ont apporté au Patrimoine de l’Universel.

(…) Cela demandera des moyens. Nous devons les trouver, car cette richesse incommensurable va étonner toute l’humanité et modifier, du coup, la vision que les autres continents, cultures et civilisations ont de l’homme noir et de sa place dans l’Histoire et dans la gouvernance mondiale. C’est cela qui va armer les générations actuelles et futures, d’outils de re-célébration, de conscientisation, de fierté. C’est cela, qui permettra de saisir, dans son exacte mesure, la grandeur du peuple africain, le génie de l’homme noir. C’est cela, qui légitimera notre volonté de réécrire l’Histoire du monde, une histoire qui restituera enfin à notre race (si tant est que la race existe), la juste place à laquelle, elle a droit.

Si le combat sacré pour les Etats-Unis d’Afrique et la Renaissance Africaine sous-tend cette démarche, on peut parier que ce combat-là peut être gagné, à condition, évidemment, que chaque fils, que chaque fille de notre continent et de sa Diaspora se retrousse les manches, avec la volonté ferme et résolue, de se mettre au travail, dès à présent et sans relâche, dans la sphère où s’exercent ses activités, armé du dessein conscient de traduire ces deux nobles et fortes ambitions, en actes concrets.

* Iba Der Thiam est agrégé d'Histoire. Il a fait partie du Comité scientifique de l'UNESCO chargé de rédiger l'histoire générale de l'Afrique. Actuellement, il est président d'honneur du comité scientifique du FESMAN?

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