Les enjeux autour de l’Afrique de demain

Il y a cinquante ans, les pays africains accédaient à l’indépendance. La France a alors poursuivi une politique africaine où se sont mêlés sans grande cohérence l’aide au développement souvent héritée de la charité, voire de la repentance, mais aussi l’exploitation des ressources minières et énergétiques, le soutien aux régimes autoritaires, la problématique des droits de l’homme, quelquefois même la reconnaissance d’élections truquées. Nommée par les uns « néo-colonialisme » et par d’autres « Françafrique », cette politique a toujours été motivée par l’enjeu géostratégique que représentait l’Afrique.

Après 1990 et l’effondrement des régimes soviétiques, cet enjeu étant minimisé, la France s’est massivement désengagée. L’APD nette reçue par les pays de l’Afrique subsaharienne, qui était de 36 dollars par habitant dans les années 1980, a chuté à moins de 20 dollars ces dernières années. Le nombre d’expatriés français a diminué de près d’un tiers en vingt ans, les experts techniques français sont passés en trente ans de 23 000 à 1 500.

En 1962, René Dumont, dans un livre intitulé « L’Afrique noire est mal partie », condamnait la traite négrière et la colonisation et proposait une révolution agricole, une révolution fourragère, tout en manifestant un pessimisme pour l’avenir des jeunes États africains et une foi très limitée dans leurs élites pour développer le continent.

Ces derniers mois, des auteurs tels que Jean-Michel Severino et Olivier Ray voient au contraire le devenir de l’Afrique avec optimisme dans un ouvrage intitulé « Le temps de l’Afrique ». Ils soulignent « que l’Afrique est le théâtre de l’aventure démographique la plus incroyable qu’ait jamais porté l’humanité » : 100 millions d’habitants en 1900, 700 millions en 2000, 1 milliard aujourd’hui, certainement 1,8 à 2 milliards en 2050. Cela implique bien sûr des besoins à satisfaire sur le plan alimentaire, éducatif, sanitaire ou environnemental, en infrastructures et en emploi puisque. Chaque année, ce sont 27 millions de jeunes actifs qui arrivent sur le marché.

Serge Michailof, dans un essai intitulé « Notre maison brûle au Sud », tempère cet optimisme car il considère que la croissance démographique incontrôlable des pays sahéliens favorise les tensions, l’insécurité et les crises agricoles et alimentaires.

Reste que l’Afrique est toujours le continent le plus pauvre de la planète et compte trente-trois pays sur les quarante-neuf pays moyennement avancés de la liste de l’OCDE.

Pour autant, la croissance de l’Afrique est inéluctable. Elle sera au minimum de 5 % par an ; c’est déjà le cas dans plus de vingt-cinq pays africains, et le taux moyen pour le continent a été de 5,8 % en 2007.

L’enjeu africain est donc fondamental en termes de démographie mais aussi d’immigration, en termes de réchauffement climatique, de pollution atmosphérique, de gestion des ressources en eau, de sauvegarde de la biodiversité, et il est facile de comprendre qu’en aidant les pays africains, nous nous aidons nous-mêmes.

L’enjeu africain, c’est une population jeune, très jeune. Dans certains États, plus de 50 % de la population a moins de vingt-cinq ans.

L’enjeu, c’est l’accès à la démocratie, et les événements du Maghreb nous imposent d’être plus attentifs, plus réceptifs vis-à-vis de ceux qui y aspirent, et d’éviter tout soutien, voire toute compromission avec les régimes autoritaires qui se maintiennent en bafouant chaque jour les droits de l’homme.

Hubert Védrine, dans son rapport « La France et la mondialisation », affirme que « la France a intérêt à garder une politique africaine et que, même si elle doit exercer un droit d’inventaire lucide sur sa politique d’après l’indépendance, elle doit engager une politique partenariale par une large consultation avec tous les responsables africains en prenant le temps nécessaire et sans tabou ».

Le président de la République déclarait à Dakar, en 2007, dans un discours demeuré célèbre, hélas, par la provocation qu’il a représenté pour le peuple africain : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. L’homme noir reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble écrit d’avance. Jamais l’homme noir ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. » Mais je souhaite retenir qu’il déclarait aussi : « Ce que veut l’Afrique et ce que veut la France, c’est la coopération, c’est l’association, c’est le partenariat des nations égales en droits et en devoirs. »

Le partenariat doit donc se substituer aux pratiques antérieures de néocolonialisme et de « Françafrique ». D’ailleurs, au moment où l’Afrique décolle économiquement, où la démographie, handicap d’hier, devient chaque jour davantage une chance, où les richesses du sol sont un atout, à condition qu’elles ne soient pas captées par des convoitises, nous nous devons de relever les défis de l’éducation, de la santé, de la pauvreté – partout où elle existe –, de l’accès à l’eau et à l’assainissement, de l’emploi, mais aussi de la démocratie. Cette démarche, l’Afrique l’a engagée ; nous nous devons d’être à ses côtés car cette transformation du continent aura des conséquences pour les Européens.

Il nous faut donc assurer une aide efficace et lisible et, en la matière, le renforcement du bilatéralisme est indispensable. La prolifération impressionnante des organismes internationaux en matière de développement ne fait que renforcer la confusion et abaisser l’efficacité. Abdou Diouf, ancien président du Sénégal, déclarait à ce sujet que « l’aide bilatérale, soumise à la seule décision souveraine d’un gouvernement, est plus réactive et plus souple que l’aide multilatérale ; elle est de plus favorable à une appropriation démocratique ». Pour cela, il faut des financements innovants, tels que la taxe sur les transactions financières votée par cette assemblée en 2001 et pour laquelle il suffit de fixer un taux.

Il faut reprendre une politique de dons aux pays les plus pauvres, qui ne peuvent avoir accès aux prêts, et respecter les engagements du Millénaire, en particulier les 0,7 % du PIB consacrés à l’aide au développement.

* Jean-Paul Bacquet est député socialiste français

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