Malheureux Dadis !

Transféré du Maroc où il se faisait soigner après l’attentat qui l’a visé le 3 décembre dernier, Moussa Dadis Camara est en convalescence au Burkina Faso. En Guinée, l’intérim revient désormais à Sékouba Konaté. Et pour Venance Konan, dans cette «lettre à Dadis», l’ancien homme fort de la Guinée ferait mieux de tourner la page et se considérer exclu du jeu politique dans son pays.

Mon cher ami, je ne t’ai pas écrit jusqu’à présent, parce que je ne savais pas dans quel état tu te trouvais. D’aucuns disaient que tu étais mort, d’autres que tu étais dans le coma dans ton lit d’hôpital marocain. Et voilà que tu réapparais sans crier gare, à Ouagadougou, bien vivant, quoiqu’avec une démarche hésitante à ce que j’ai appris. Comme les autorités burkinabé disent que tu es lucide, je t’écris donc pour te présenter mes meilleurs vœux pour la nouvelle année et te donner quelques conseils.

Je te souhaite d’abord une santé de fer. Apparemment tu en as encore besoin. Et je te souhaite aussi d’apprendre à dribbler les balles désormais. Pas les balles de football ou de tennis. J’ai appris que ces facétieux de Marocains t’avaient fait croire qu’ils t’emmenaient à Conakry et tu t’es retrouvé à Ouagadougou. Finalement je ne sais plus si c’est à toi qu’ils ont fait une bonne blague ou si c’est au «beau Blaise» qui, semble-t-il, n’était pas très débordant d’enthousiasme pour te recevoir.

Tu as dû te rendre compte que, depuis le 28 septembre dernier, après le massacre commis par ta soldatesque au stade, tu es devenu un personnage encombrant, pour ne pas dire infréquentable. C’est pour cela que les Marocains se sont débarrassés de toi en te refilant comme une patate chaude à Blaise. On me dit aussi que tu tiens absolument à aller à Conakry. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. D’abord je ne crois pas que tu sois suffisamment en forme pour aller reprendre tes « Dadis shows », et je ne suis pas certain que ton ami Sékouba Konaté soit aussi très heureux de te revoir à Conakry.

Tu es bien placé pour savoir que lorsque le pouvoir tombe par hasard entre les mains de quelqu’un qui ne s’y attendait pas, il le lâche rarement de sa propre volonté. A la mort de Lansana Conté, le pouvoir t’est tombé entre les mains. Tu sais comment il t’a rendu fou et a fini par te conduire là où tu es en ce moment. Ton départ a permis à Sékouba Konaté de récupérer un pouvoir qu’il n’avait pas cherché. Mais il l’a trouvé, et je peux te parier qu’il y a déjà pris goût. En Afrique, il suffit que l’on marche sur le moelleux tapis rouge pour prendre goût au pouvoir. Je ne t’apprends rien sur ces choses. Si ce n’est Sékouba Konaté, ce sont tous ceux qui sont autour de lui et qui profitent de son pouvoir qui y ont pris goût.

Bien sûr, tu penses que tu as encore tes fidèles au pays qui t’accueilleront avec joie pour te remettre ton pouvoir. Méfie-toi. Les fidélités en Afrique sont très fluctuantes. C’est un homme politique ivoirien qui a dit qu’il est plus intelligent de sécher son linge là où le soleil brille, pour expliquer pourquoi il a quitté son parti qui n’est plus au pouvoir pour rejoindre Laurent Gbagbo. Je suis certain que la plupart de tes fidèles sont allés sécher leur linge au soleil de Sékouba Konaté. Et ils seront les premiers à lui dire de ne plus te rendre le pouvoir.

Tu ne sais pas encore si le bras de Toumba, ton aide de camp qui a tiré sur toi, n’avait pas été armé par quelqu’un d’autre. Remarque que jusqu’à présent personne n’a réussi à lui mettre la main dessus. N’exclus donc pas le fait que tu puisses prendre une nouvelle balle qui cette fois-ci, sera bien tirée. Je suis sûr que tu es convaincu que ce sont tes fétiches qui t’ont protégé. C’est possible, mais je te conseille de ne pas trop t’y accrocher. Ça marche une fois, mais rarement deux fois. Il y a aussi ton opposition à qui on a proposé le poste de Premier ministre qui n’a aucune envie de te voir venir remettre cela en cause. Et puis, n’oublie pas. Il y a Bernard Kouchner et Hillary Clinton qui disent que tu n’es pas le bienvenu dans ton pays. Kouchner voulait même que tu restes pour de bon dans ton lit d’hôpital à Rabat.

Tu me diras avec raison que la Guinée n’est pas la Martinique ou Porto Rico, et qu’ils n’ont aucun droit de te dire si, et quand tu dois rentrer chez toi. Mais tu dois le savoir maintenant. Le monde est ainsi fait qu’il est composé de pays puissants, de pays moins puissants et de pays qui ne sont rien du tout. Les puissants dictent toujours leur volonté aux moins puissants et surtout à ceux qui ne sont rien du tout. Il se trouve que la Guinée fait partie des pays qui ne sont rien du tout. Si cela peut te consoler, la plupart des pays africains sont dans cette catégorie.

Tu me répliqueras que je ne peux pas dire cela, parce que ton pays dispose de plusieurs minerais qui intéressent le monde entier. Oui, mais il ne suffit pas d’avoir des richesses dans son sous-sol pour compter dans le monde. La Suisse et le Japon n’ont rien dans leurs sous-sols mais ils sont riches et comptent dans le monde. Les pays africains ont beaucoup de richesses dans leurs sous-sols mais ils sont fauchés. Et quand on est fauché, on ne compte pas. C’est là la différence. Kouchner et Madame Clinton peuvent te faire arrêter, tout président de la République que tu es, et te traîner devant le Tribunal Pénal Internationale. Donc, si je peux te donner un conseil, reste au Burkina Faso. Les autorités de ce pays ont dit que tu vas y effectuer ta convalescence. Accepte cela et fais en sorte que ta convalescence soit aussi longue que possible.

Je sais que cela embêtera le «beau Blaise» qui subira certainement la pression des Français et des Américains, mais c’est lui qui l’a cherché. Personne ne l’a obligé à être le médiateur dans la crise de ton pays. Et le médiateur qu’il est ne pourra pas te livrer à la justice internationale sans se discréditer sur le continent. Et puis, tant que l’on te déclarera malade, personne n’ira te chercher des poux dans les cheveux.

* Venance Konan est journaliste, écrivain ivoirien - email : [email][email protected]

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