Notes pour une lecture dédramatisée des élections du 6 décembre au Vénézuela
Il est clair que la marge de manœuvre de l’opposition vénézuélienne est à présent beaucoup plus large qu’avant, mais cela ne signifie pas que maintenant l’Assemblée nationale va devenir un pouvoir qui va écraser tous les autres. La logique de la droite les conduit à réfléchir et il est certain qu’ils agiront d’une autre manière.
En politique toutes les erreurs sont toujours des erreurs d’estimation, que ce soit par le haut ou par le bas. Parfois, nous sous-estimons nos forces ou celles de nos opposants. Parfois, c’est le contraire qui se produit : nous les surestimons. Il en va de même pour les conjonctures. C’est comme ça ; au sujet de ce qui s’est passé dimanche dernier (Ndlr : le 6 décembre), ce que nous pouvons faire de mieux et de plus militant c’est d’en avoir une juste estimation. Nous ne pouvons pas prétendre qu’il ne s’est rien passé pas plus qu’il ne se passera rien. Mais nous ne pouvons pas non plus être catastrophistes et penser que tout est fini.
Commençons par ce qu’il y a de plus froid : les chiffres. Selon les derniers calculs que j’ai vus - et s’il y en a de plus récents, ils ne varieront pas énormément - en ce qui concerne les votes nationaux de dimanche dernier, le chavisme a eu 5 600 000 votes favorables ce qui correspond approximativement à 1 990 000 de moins que pour les élections d’avril 2013, celles qui menèrent le président Maduro à la tête de l’Etat. En ce qui concerne les élections d’octobre 2012, celles qui furent remportées par le président Chavez, cela correspond à 2 600 000 voix de moins. En pourcentage, ceci représente une perte d’environ 26% et 46% de votes chavistes.
En revanche, l’opposition, lors des élections de dimanche dernier, a obtenu 7 708 000 voix. En 2013, elle en avait obtenues 7 364 000, alors qu’en 2012 elle en avait recueillies 6 592 000. Ceci suppose donc une augmentation d’un peu plus de 300 000 voix par rapport à 2013 et 1 116 000 par rapport à 2012. En pourcentage cela donne une augmentation de 5% et 20% respectivement.
La baisse du vote chaviste en 2007, lors de l’échec au référendum constitutionnel, par rapport à 2006, lorsque Chavez a infligé un échec cuisant à Rosales, a été de 39%. Alors qu’au référendum constitutionnel, le plus fort vote chaviste (dans le bloc B) a été de 4 335 200 et lors de l’échec de Rosales de 7 309 000 approximativement ; c’est-à-dire qu’en moins d’un an on a perdu 3 000 000 de votes. Mais 5 ans plus tard on est passé de ces mêmes 4 000 000 et quelques à 8 192 000, c’est-à-dire que l’on a doublé le nombre de votes.
D’autre part, il y a un élément intéressant. Dimanche, le chavisme a eu 44% des votes et la Mud 56%. Néanmoins, cette différence de 12 points seulement se traduit par plus du double de députés. Il faut considérer comme il se doit la question des circuits et de la représentativité.
C’est comme ça ; à titre préliminaire, on peut tirer quatre remarques de ce qui précède. Tout d’abord, nous ne sommes pas face à une situation inédite ni finale. Nous avons déjà traversé des situations semblables et nous les avons surmontées. Deuxièmement, le vote chaviste oscille plus que celui de l’opposition, fondamentalement parce qu’il est plus critique, réfléchi et « électeur » dans le sens rationnel et littéral du terme (ce qui est une force plus qu’une faiblesse). Quant à l’opposant, il est plus canalisé et moins électeur (les opposants votent pour n’importe quoi et pour n’importe qui pourvu qu’ils votent contre le chavisme). Troisièmement, ce n’est pas l’augmentation du vote de l’opposition qui doit nous préoccuper mais la diminution du vote chaviste. Et quatrièmement, au vu de ce qui précède, nous ne pouvons pas agir ni nous assumer comme minorité.
En ce qui concerne le futur, il convient également de considérer les choses froidement. Il est clair que la marge de manœuvre de l’opposition est à présent beaucoup plus large qu’avant, mais cela ne signifie pas que maintenant l’Assemblée nationale va devenir un pouvoir qui va écraser tous les autres. La logique pranique de la droite les conduit à réfléchir et il est certain qu’ils agiront d’une autre manière (ils l’ont déjà annoncé) ; mais pour cela, il existe des contrepoids et des procédés institutionnels qui, qu’ils le veuillent ou non, doivent continuer d’exister et il en va de notre responsabilité de les obliger à faire qu’il en soit ainsi (comme nous l’avons toujours fait pour le reste).
En effet, nous sommes dans une démocratie républicaine, face à un Etat social de droit et de justice et non pas dans une jungle ou une épicerie administrée par Fedecamaras. Sans doute assisterons-nous à l’affrontement des pouvoirs avec tout ce que cela implique, mais pas à la soumission de pouvoirs qui ont la même légitimité (particulièrement l’Exécutif qui, de même que les députés de l’Assemblée Nationale, est issu du vote populaire direct). L’heure est venue pour l’opposition de démontrer qu’elle croit vraiment en la pluralité et en l’indépendance des pouvoirs (toujours relative, car elle est soumise à ce que dictera la Constitution, comme l’a dit très clairement le Défenseur du peuple).
A ce sujet, il faut également prendre en compte le fait que, le plus souvent, il en est ainsi dans toutes les démocraties. L’argentin Macri, par exemple, qui est une petite brute de droite comme les nôtres, aura contre lui le Congrès. Le Fpv – parti que est aujourd’hui dans l’opposition à l’exécutif mais majoritaire au congrès et dans les gouvernorats – a fait preuve d’un geste démocratique de gouvernabilité lorsqu’il a fait en sorte que le président du congrès soit du parti du gouvernement. Mais cela ne signifie pas que Macri a carte blanche. A un moment donné ils s’affronteront, c’est normal dans une démocratie.
Enfin, et pour conclure, il est un grand avantage que nous ne prenons pas en compte, c’est que maintenant nous pouvons livrer bataille sur le vif et en direct au sujet des modèles. En effet, on a toujours reproché au chavisme de parler au passé, de la Quatrième République d’avant la révolution, etc. Et pour le reste, parmi les propositions de l’opposition, se trouve principalement celle de l’amélioration et de progresser, etc… ce qui signifie non seulement ne pas faire de queue mais aussi que les gens aient des emplois stables, des salaires dignes, qu’il y ait des prix accessibles et que les gens puissent exercer leurs droits sociaux et économiques, etc.
Toutefois, ce qui est sûr c’est que tout cela est incompatible avec des points tels que l’élimination des garanties pour le travailleur et la travailleuse, garanties qui figurent dans la loi du travail qu’ils veulent supprimer. Ceci est incompatible avec l’élimination des prix justes et j’en passe. De sorte que, comme cela vient de se passer avec le conflit droite/bolivariens autour de l’interdiction de licenciement, nous ferons en temps réel le débat sur les modèles économiques et de société ; les gens devront choisir entre ceux qui garantissent leurs emplois, leurs salaires dignes et leurs droits et ceux qui prétendent qu’il faut les supprimer ; nous n’avons plus un affrontement qui porte sur le passé mais sur le présent et le futur. A présent, la droite doit nous expliquer comment elle va nous servir son « changement».
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** Luis Salas Rodríguez, économiste
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