Où va la Guinée-Bissau ?

La Guinée-Bissau s’enfonce dans une déliquescence institutionnelle qui sembIe irréversible. Le salut pour ce pays passe par une réconciliation nationale, un rééquilibrage des institutions de la République et l’instauration d’un Etat de droit, mais surtout la refonte des mentalités et des comportements. D’où un besoin de tenir des Etats généraux.

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Une tragédie prend souvent la forme d’une plaisanterie au goût amer. En effet, c’est par un organe de presse sénégalais, dénommé Le Populaire, dans son édition des 3 et 4 décembre 2011, que nous avons appris le décès du président Malan Bacaï Sanha, à l’hôpital Val de Grâce de Paris. Cette information sera, seulement quelques heures après, démentie par un communiqué officiel émanant de la présidence de la République de Guinée-Bissau.

Trois semaines plus tard, plus précisément le 26 décembre, alors que le chef de l’Etat luttait encore contre la mort, une énième tentative de coup d’Etat fut découverte. Sans doute, un autre règlement de comptes crypto-personnels entre camarades du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap Vert), pour le contrôle du pouvoir. Il y a eu des échanges de tirs nourris à Bissau. On dénombra un mort et plusieurs blessés. Des officiers de l’Armée, dont le contre-amiral et patron de la Marine nationale, José Bubo Na Tchut, furent arrêtés. Le lendemain, c’est la maison d’un député, Roberto Cacheu, où se seraient retranchés certains suspects, qui a été attaquée à coups de roquettes. Des hommes politiques, tous du PAIGC, impliqués dans ce complot, sont activement recherchés, sur ordre du gouvernement. Le même jour, c’est un officier de police, Iaia Dabo, qui a été froidement abattu, au moment où il tentait de se rendre.

Le 9 janvier 2012, le président de la République est effectivement mort, frappé par le destin. Son corps fut rapatrié du pays de Sarkozy à Bissau le 15 janvier, grâce au président Abdoulaye Wade qui a eu la générosité de mettre son avion personnel à la disposition des autorités bissau-guinéennes. L’enterrement eut lieu le lendemain, en présence des présidents du Sénégal, du Cap-Vert et du Burkina-Faso.

Qu’il nous soit permis de rendre un vibrant hommage à celui qui fut président de la République de Guinée-Bissau. Nous l’avons rencontré pour la première fois en 1992, au bureau de feu Tiago Alleluia qui, à l’époque, était le président de l’Assemblée nationale. Malan Bacaï Sanha était le premier vice-président de cette institution parlementaire. En 1994, c’est lui qui remplaça le président Tiago au perchoir. Il y joua un rôle déterminant pour l’apaisement du climat de tensions qui, souvent, régnait entre des députés qui faisaient, en ce moment-là, leur première expérience du multipartisme dans un hémicycle.

Homme de poigne, il ne faisait pas partie de ceux qui se laissent dicter leur conduite. C’est grâce à sa fermeté et à son courage que le Premier ministre, Carlos Domingos Gomes, a pu retrouver son fauteuil après en avoir été chassé par des militaires. Nous lui devons, personnellement, beaucoup de reconnaissance. En effet, quand le président Joao Bernardo Vieira fut chassé du pouvoir en juin 1999, le député François Kankoila avec qui nous avons des désaccords sur le fonctionnement du Front de lutte pour l’indépendance nationale de la Guinée-Bissau (FLING) voulut qu’on nous expulsât d’une réunion qui se tenait dans les anciens locaux de la Commission nationale des élections à laquelle, comme lui, nous avons été invité, en notre qualité d’acteur politique, à prendre part. Le président Malan Bacaï Sanha, qui devait remplacer provisoirement le président déchu à la tête de l’Etat, s’y opposa vivement. Il fit savoir au député Kankoila que le pays n’était pas encore totalement sorti d’une crise regrettable et qu’il n’y avait donc pas de place pour la politique politicienne. Isolé dans sa position, François Kankoila quitta la salle ; ce qui nous permit de continuer tranquillement notre réunion.

Le président Malan Bacaï Sanha était aussi un homme de mesure et de dialogue. Au moment où tout le monde le croyait politiquement fini, il a su rebondir, après l’élimination du président Nino Vieira en 2009, pour imposer sa candidature au sein du PAIGC et briguer une troisième fois, au nom de ce parti, la magistrature suprême. Cette tentative fut la bonne. Il gagna haut la main le scrutin présidentiel devant Kumba Yala. Malgré sa santé fragile, le président Sanha n’avait jamais cessé de lutter pour le retour d’une paix définitive en Guinée-Bissau. Son souhait avait toujours été aussi de pouvoir donner sa modeste contribution au retour de celle-ci au Sénégal, notamment en Casamance. En effet, il était conscient que lorsque la case de quelqu’un brûle, le devoir du voisin, pour des raisons évidentes, est de l’aider à éteindre le feu.

Trois problèmes le tenaient également à cœur : éradiquer la drogue, lutter contre la corruption et sortir son pays de la pauvreté. Il savait que la lutte contre les cartels de drogue n’est pas facile pour un petit pays comme la Guinée-Bissau, mais il comptait beaucoup sur le soutien de ses compatriotes de bonne volonté, des pays voisins et de la Communauté internationale. C’est dire que sa disparition prématurée est une énorme perte pour les pays amis et pour le peuple de la Guinée-Bissau.

Il aurait été indispensable que, après le décès du président Malan Bacaï Sanha, les dirigeants de ce pays fassent preuve de suffisamment de maturité, de patriotisme, d’ouverture, de réalisme et de courage, pour marquer un point d’arrêt et faire le bilan de sa douloureuse trajectoire politico-militaire de presque quarante ans. Malheureusement, tel ne fut pas le cas. Or, le salut de la Guinée-Bissau passe d’abord par la réconciliation nationale, le rééquilibrage des institutions de la République et l’instauration d’un Etat de droit. Ce qui suppose la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, l’indépendance de la Justice, la mise en place d’une armée républicaine, la consolidation de la démocratie, la refonte des mentalités et des comportements.

Pour mieux édifier le lecteur, il serait important de revenir sur un certain nombre de faits de l’histoire de ce pays : le 14 novembre 1980, un Conseil de la Révolution a démis Luis Cabral de ses fonctions de chef de l’Etat au profit de Joao Bernardo Vieira. Celui-ci lance un vibrant appel à l’endroit de ses compatriotes, aussi bien de l’intérieur que de la diaspora. Celle-ci répondit favorablement à la main tendue. Des délégations furent à Bissau. Document en main, certaines proposèrent l’élaboration d’un programme commun, en vue de requinquer une société en dégénérescence et de susciter un éventuel redressement économique du pays. Désaccord. Le régime dictatorial et sanguinaire du PAIGC avait tout simplement changé de visage, mais pas de nature.
En 1982, le Premier ministre, Victor Saùde Maria, est accusé de vouloir renverser le régime du président Nino Vieira. Craignant pour sa sécurité, il se réfugie à l’ambassade du Portugal. Après de laborieuses négociations, car ses ex-camarades ne voulaient pas le voir quitter le pays, il abandonne les locaux de la chancellerie, se replia tranquillement chez lui et se fait pratiquement oublier. Deux ans plus tard, un autre épisode se produit : Paulo Correia, deuxième personnalité de l’Etat, et ses camarades sont accusés d’une tentative de coup d’Etat. Nous sommes le 17 octobre 1984. Ils seront passés par les armes en 1986, malgré l’appel à la clémence du Pape Jean Paul II et du président portugais, Mario Soares.

Après la chute du mur de Berlin et le fameux discours de La Baule de François Mitterrand, les autorités du pays, qui nourrissaient déjà le projet d’intégrer la zone du Franc Cfa, instaurèrent le multipartisme. Cependant, après les premières élections législative et présidentielle de 1994, surgit, le 7 juin 1998, le scandale de trafic d’armes aux rebelles du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance, opposant le président Nino Vieira et son chef d’état-major des Forces armées, le général Ansumane Mané. Ce fut le début d’une guerre civile qui va durer onze mois, avant la chute de Nino Vieira. Le général Mané, pour avoir défié plus tard ses propres camarades d’armes et le régime du président Kumba Yala, sera assassiné dans des conditions nébuleuses au mois de novembre 2000.

Le président Kumba Yala, à cause de sa manière atypique et informelle de gérer le pays, réussit l’exploit de faire l’unanimité contre lui. Il sera, le 14 septembre 2002, évincé du pouvoir par le général Verissimo Correia Seabra. Pendant la période de transition, un contingent militaire, qui avait été au Libéria pour le maintien de la paix, sous prétexte de revendication de ses honoraires, exécute, le 6 octobre 2004, le général Correia Seabra. Alors, arrive à la tête de l’Armée, le général Tagme Na Waie. Le 1er mars 2009, ce dernier est victime d’une mine artisanale déposée discrètement sur une marche de l’escalier qui conduit à son bureau. Comme ses relations n’étaient pas au beau fixe avec le président Nino Vieira qui, entre temps, était revenu au pouvoir, un groupe de militaires soupçonne celui-ci d’être à la base de ce coup tordu. Il se rend chez lui pour lui demander des explications. Mais le président leur fait comprendre qu’il est le premier à regretter le triste évènement. Guère convaincu, le même groupe revient, quelques heures après, pour l’exécuter devant sa femme qui n’avait que ses yeux pour pleurer. Une élection est prévue aussitôt, pour le remplacement du président Vieira.

Quelques semaines après ce double assassinat, un communiqué, émanant du ministère de l’Intérieur fait état d’une énième tentative de coup d’Etat qui serait en préparation par des responsables politiques, tous du PAIGC. Suite à ce communiqué, des hommes en uniforme se rendent, à une heure tardive de la nuit, chez l’un des supposés complices, Baciro Dabo, qui fut ancien ministre et candidat à l’élection présidentielle, le criblent de balles et disparaissent dans la nature. Un autre ancien ministre, Helder Proença, connaîtra un sort non moins triste. En effet, il a été extirpé de chez lui et conduit à quelques kilomètres de Bissau, avant d’être liquidé avec ses camarades. Les corps sont abandonnés sur place. Une fois de plus, les criminels disparaissent dans la nature.

En dépit de cette série de violences, ayant occasionné plus de morts, l’élection présidentielle prévue pour le 28 juin reste maintenue. Au deuxième tour de celle-ci, Malan Bacaï sortit vainqueur devant Kumba Yala. Pour le gouvernement de Domingos Carlos Gomes, la voie venait d’être tracée pour faire revenir la paix. Or, à quoi pouvait servir un scrutin, même immaculé, si les cœurs ne sont pas déminés des rancunes et des haines toujours réchauffées et si l’Armée n’est pas suffisamment républicaine pour se garder de ruer dans les brancards à la moindre crise ?

En effet, force est de reconnaître que les multiples élections qui ont eu lieu en Guinée-Bissau, de l’indépendance à nos jours, n’ont servi, pour la plupart des dirigeants qui se sont succédé au pouvoir, qu’à narguer le peuple et à brouiller la visibilité de la Communauté internationale. Car, derrière cette mascarade de démocratie, il y a des clans politiques qui, épaulés par leur correspondance factionnelle, au sein d’une armée à la mexicaine, ne cessent de régler leurs comptes crypto personnels dans le sang.

Dans le journal sénégalais dénommée L’Observateur, édition du jeudi 11 juin 2009, n° 1712, un ancien Premier ministre bissau-guinéen avoue, lors d’une interview accordée aux journalistes Mamadou Wane et Ndiaga Ndiaye, que le pouvoir dans son pays ne vient pas exclusivement des urnes. Car, dit-il, « il est indispensable d’entretenir de bonnes relations avec les militaires et une ou plusieurs factions de la milice. Sinon, il est impossible d’exercer le pouvoir ». Plus loin, il informe que « les chefs militaires font des recrutements en dehors des schémas officiels, sans aucune autorisation du Trésor ». Devant cette situation, poursuit-il, « pour financer ce genre de recrutement et faire vivre les recrutés, il leur faut aller chercher l’argent ailleurs ». Et la même source de conclure que « l’argent de la drogue est encore indispensable pour le fonctionnement régulier de l’actuelle Armée ». C’est dire que la Guinée-Bissau a besoin d’un débat de fond, sous forme d’états généraux de toutes les forces vives de la nation, pour lui permettre de sortir d’une crise cyclique, qui ne cesse de le miner.
Après la mort du président Nino Vieira, le gouvernement de Carlos Domingos Gomes avait fait nommer le capitaine de frégate, Mr. José Zamora Induta, chef d’état-major des Forces armées. Ce qui, apparemment, n'était pas conforme à la Constitution. Pedro Infanda, avocat de profession et candidat à l’élection présidentielle, dénonce la procédure qu’il trouve cavalière et anticonstitutionnelle. Il fut interpelé le 23 mars par des hommes de tenue et torturé. Aucun motif n’est avancé pour justifier cet acte incompréhensible et criminel. Pedro Infanda exigea que les conditions de sécurité fussent d’abord réunies pour tous les candidats, avant la réalisation de l’élection. Pour n’avoir pas été entendu par le gouvernement, il désista de la course présidentielle. Car, dira-t-il, « si les Forces armées, dont l’une des missions est de garantir la sécurité des personnes, sont, elles-mêmes, auteurs de crimes, cela veut dire qu’aucune autre institution ne sera capable de le faire pour les candidats ».

Au cours d’une conférence de presse, l’ancien Premier ministre, Mr. Francisco Fadul, dénonce à son tour la procédure, critique ouvertement le chef du gouvernement, l’accuse de vouloir utiliser l’Armée, pour conforter son pouvoir personnel et placer des personnes qui lui sont proches aux postes-clés de l’administration et de l’Etat. Cette déclaration d’un homme politique à l’endroit d’un autre, fût-il chef de gouvernement, ne fut pas du goût d’une frange des hommes de tenue. Mr. Francisco Fadul sera agressé chez lui et sauvagement battu. Admis à l’hôpital Simon Mendes, les médecins conclurent que sa vie n’était pas en danger. Néanmoins, il sera évacué à Lisbonne pour des soins complémentaires.

Quelques mois après l’élection du président Bacaï Sanha, un groupe d’officiers de l’Armée, conduit par Antonio Indjaï, chasse le Premier ministre du pouvoir. Le chef de l’Etat qui, ironie du sort, n’était pas inquiété, convoqua le nouvel homme fort de l’institution militaire, pour lui demander des explications et ce qu’il attendait pour l’arrêter à son tour. « Simplement parce que vous êtes mon chef », répondit Antonio Indjaï. « Et pourquoi avez-vous agi ainsi sans m’en parler ? ». « Parce que je ne pouvais pas faire autrement », répondit encore M. Antonio Indjaï. Et l’officier d’expliquer qu’il était obligé d’agir vite pour sauver sa peau. Car au sein de l’Armée « il y a de profonds désaccords ». Le chef de l’Etat lui intima de libérer sans délai le Premier ministre. Le message fut entendu et respecté. Car le chef du gouvernement, M. Carlos Domingos Gomes, sera immédiatement libéré et, cerise sur le gâteau, il fut rétabli dans ses fonctions.

Au vu de ces faits, que nous venons de relater brièvement, force est de reconnaître que la Guinée-Bissau a besoin, pour retrouver la paix et s’atteler à son développement, d’une autre voie que celle de la confusion des pouvoirs, de la corruption, de la concussion, de la vente de drogue, du mensonge et de la barbarie. Le fait que, seulement quelques jours avant l’élection présidentielle du premier tour, un officier de l’Armée fût assassiné en plein jour, devant son domicile, apparemment par ses propres camarades d’armes, est la preuve que nous sommes dans un pays où la vie humaine n’a aucun respect et où la justice ne fonctionne pas.

En effet, aucun magistrat n’a les coudées franches pour appliquer la loi contre ceux qui ont commis des crimes de sang. Aucun magistrat n’oserait dépoussiérer, avec sérénité, les multiples dossiers enfouis dans les tiroirs du palais de la Justice, pour mener une enquête sérieuse concernant les crimes commis. Car en le faisant, il risquerait d’y laisser sa peau. Les cas d’assassinat, dont nous venons de parler - et la liste n’est pas exhaustive - sans aucune poursuite judiciaire à l’endroit des criminels, sont la preuve la plus éloquente de l’impunité qui règne dans ce pays. Le dernier coup d’Etat, entre les deux tours de la présidentielle, est une autre preuve de la fragilité des institutions, de l’insécurité des populations et du rôle de premier plan que ne cesse de jouer l’Armée avec la complicité de certains politiciens ; au mépris du peuple, des recommandations de la CEDEAO, de l’UA et de la Communauté internationale.

Cependant, la Guinée-Bissau n’a pas besoin, comme le prétendent certains, d’une Force armée d’interposition. Il lui faut, sous l’égide de la Communauté internationale, particulièrement de la CEDEAO, dont elle est membre avec le Cap-Vert, un débat de fond, sous forme d’états généraux de toutes les forces vives de la nation. Il est question de mettre en place une équipe d’experts de l’Armée, de la police, de la gendarmerie, de la douane, des pompiers, des agents des eaux et forêts, des communautés religieuses révélées et traditionnelles, des partis politiques, des syndicats, de la société civile et de la diaspora, pour une étude exhaustive qui permettrait aux Bissau-guinéens de savoir qui doit faire quoi et quelles sont les limites de chacun. Le consensus dégagé, une fois mué en loi fondamentale, devra s’imposer à tout le monde et de la même manière. Cependant, pour que des solutions appropriées puissent être trouvées, il faut que la sincérité soit mise en avant et que le dialogue soit basé sur des faits. En effet, sans sincérité dans la démarche, l’engagement qui s’en suivrait ne sera pas crédible et le désir de paix ne s’encrera jamais.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



* Jose Catengul Mendes est un acteur politique bissau-guinéen, président du Fling. Il devrait publier prochainement un ouvrage intitulé : «Guinée-Bissau : un pays a la recherche de ses repères.»


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