Qui a tué le président du Rwanda ?

Le débat sur la question de savoir qui était derrière l’assassinat du président rwandais Juvenal Habyarimana a fait rage pendant presque 16 ans. Un nouveau rapport établi par un ‘’Comité indépendant d’experts’’, mandaté par le gouvernement du Rwanda, arrive, écrit Gérald Caplan, comme ‘’ une contribution majeure pour résoudre la question de savoir qui est responsable’’ de la mort d’Habyarimana le 6 avril 1994, deux jours avant le début du génocide. Est-ce que l’un des grands mystères de notre époque entourant un meurtre politique a finalement été résolu ? Caplan pense que oui, même s’il estime que nombreux seront ceux qui rejetteront cette solution.

Introduction

Le soir du 6 avril 1994, alors qu’il approchait de Kigali, un avion transportant le président rwandais Juvenal Habyarimana, de retour de Tanzanie, a été abattu par des missiles tirés depuis le sol. Il y avait également dans l’avion le président du Burundi, Cyprian Ntaryamira, de même que plusieurs fonctionnaires politiques rwandais de haut rang, ainsi que des officiers militaires. Mais dès le début, il n’y avait pas de doute que celui qui était visé était Habyarimana. Là où il y avait des doutes, c’était de savoir qui était le coupable et le débat a fait rage pendant presque 16 ans.

Pour la plupart de ceux qui ont étudié le génocide rwandais, le bon sens pointait vers les extrémistes hutu au sein du gouvernement et de l’armée. Ils s’étaient passionnément opposés aux accords conclus à Arusha, en Tanzanie, au milieu de 1993, prévoyant un partage du pouvoir entre les fidèles d’Habyarimana, d’autres partis politiques et le Front patriotique du Rwanda (FPR) des rebelles Tutsi. Afin de prévenir cette trahison, les extrémistes ont décidé d’une solution finale : l’extermination de l’entière minorité Tutsi, qui représente entre 10 et 15% de la population. Alors que Habyarimana était sur le point de céder à la pression internationale et de mettre en place ces arrangements de partage du pouvoir, ils l’ont assassiné et mis en œuvre leur conspiration génocidaire soigneusement planifiée.

Cette analyse semblait assez logique à tous égards, mais il n’y avait jamais eu d’enquête officielle concernant l’attentat, autre que circonstancielle. En fait, dès de début, il y a eu une autre interprétation. Quand bien même celle-ci allait à l’encontre de ce que chacun pressentait et avait des bases douteuses, elle n’en a pas moins été adoptée. Non seulement par ceux qui niaient le génocide entièrement, mais aussi, de façon surprenante, par ceux qui y étaient hostiles, pour quelque raison que ce soit, au FPR. En particulier à son chef de longue date, l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame.

Dès l’instant où l’avion s’est écrasé, les propagandistes hutus extrémistes, dirigés par la station radio de la haine, RTLM, à laquelle les fonctionnaires du gouvernement français ont fait écho, ont immédiatement pointé du doigt le FPR. De temps à autre, la Belgique a été incriminée par la France, ainsi que l’Ouganda. Le seul lien connu de l’Ouganda avec l’attentat est le fait que c’est un pays anglophone où le FPR s’est initialement constitué. Mais pour la France, parler l’anglais est une preuve suffisante de culpabilité lorsqu’il est question de l’Afrique.

Les motifs que Kagame aurait pu avoir pour assassiner Habyarimana, au moment même où celui-ci s’apprêtait à mettre en œuvre les Accords d’Arusha, n’ont jamais été clairement établis. Le FPR, grand gagnant à Arusha, était sur le point de recevoir des pouvoirs politiques et militaires substantiels. A l’inverse, les fonctionnaires de Habyarimana étaient les grands perdants, se trouvant sur le point de perdre le monopole du pouvoir et des ressources qu’ils ont tant appréciés au cours des deux décennies écoulées. Comment le FPR auraient-ils pu bénéficier du chaos, de l’anarchie et de la soif de vengeance qui allaient certainement suivre l’assassinat de Habyarimana ?

La guerre civile larvée intermittente, qui durait depuis 1990, s’était enlisée et se trouvait dans l’impasse. Pourquoi supposer que la guerre intense, qui allait certainement suivre l’accident d’avion, mènerait à la victoire de FPR plutôt qu’à sa défaite, en particulier si les forces françaises épaulaient les forces de Habyarimana ?

Mais si l’attribution au FPR de l’attaque au missile n’avait aucun sens, elle était très utile aux extrémistes hutus. Si le FPR était coupable, cela signifierait que l’attaque de l’avion n’était pas la première étape du plan génocidaire. Le carnage des prochains cent jours pouvait simplement être attribué à la fureur des Hutus suite au meurtre de leur président bien-aimé et aucun génocide n’aurait eu lieu. Cette logique a sous-tendu les motivations de ceux, nombreux, qui ont été occupés au cours de la décennie et demie écoulée à fabriquer une multitude de ‘’preuves’’ pour mettre le crime sur le dos de Kagame et de ses forces.

Le nouveau rapport

Et voilà que survient un nouveau document préparé par un ‘’ Comité indépendant d’experts’’ mandaté par le gouvernement du Rwanda, portant le titre explicite de « Rapport d’enquête sur les responsabilités, les causes et les circonstances de l’attaque du 6 avril 1994 contre le Falcon 50, l’avion du président rwandais, No d’enregistrement 9xR-NN ». Le chef du Comité, composé de sept personnes, était Jean Mutsinzi, ancien juge à la Cour Suprême du Rwanda et actuellement juge à la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Il semble que les autres membres du Comité soient des avocats ou des experts en matière d’avions, mais il n’y a malheureusement pas d’annexe au rapport de la commission contenant leur CV. (1)

A mon avis, le rapport de la commission est généralement convaincant. Mais il aurait gagné en crédibilité si les membres de la commission n’avaient pas tous été rwandais, mandatés par le gouvernement de Kagamé. Je pense qu’une commission indépendante mandatée par l’Union africaine, par exemple, serait parvenue aux mêmes conclusions mais avec bien plus de crédibilité. Il y a eu le précédent où l’OUA a mandaté un panel indépendant et international de personnalités éminentes dont le rapport ‘’ Rwanda, un génocide évitable’’ (2) a une acquis une certaine autorité.

Mais je reconnais que ceux qui nient le génocide, tout comme les extrémistes hutus et ceux qui détestent Kagamé rejetteront toutes les conclusions qui laisseront à ce dernier le bénéfice du doute. Et au diable les preuves ! C’est peut-être la raison pour laquelle son gouvernement agit systématiquement seul, sans attendre une validation extérieure. Il a fait de même lors de l’élaboration du rapport sur le rôle de la France dans le génocide, rapport produit par un panel de Rwandais mandatés par le gouvernement et dirigé par un militant bien connu du FPR. A mon avis le rapport était extrêmement correct et accablant pour la France. Mais j’aurais souhaité que le gouvernement sollicite des experts extérieurs comme Linda Melvern, pour leur confier ce projet afin de lui donner une véritable crédibilité internationale. Mais ce n’est pas ainsi que le gouvernement de Kagamé fonctionne.

On reste donc à juger le rapport sur ‘’l’accident’’ d’avion par rapport ses mérites. Et à cet égard, il me semble que ce rapport a contribué à fournir des réponses quant aux responsabilités. En un mot, le ‘’Comité d’experts ’’documente la logique que la plupart d’entre nous avions acceptée d’emblée. Il accuse purement et simplement un groupe d’extrémistes hutus qui n’étaient pas prêts à accepter les dispositions de l’Accord d’Arusha prévoyant le partage du pouvoir. De ce point de vue, ces extrémistes font un choix terrible : l’accord même qui devait apporter l’harmonie au Rwanda a mené directement au génocide. Ceci est une vérité troublante pour tous ceux impliqués dans la résolution des conflits et le rétablissement de la paix.

Le Comité a mis deux ans pour élaborer son rapport qui contient 169 pages auxquelles s’ajoutent de nombreux addenda, avec d’innombrables documents, en plus d’un rapport balistique de la Defence Academy du Royaume-Uni basé à l’université de Cranfield. Ses membres ont entendu 557 témoins, y compris d’anciens fonctionnaires de la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR), présents au Rwanda à l’époque des faits, d’anciens membres de l’armée rwandaise et de la Garde présidentielle sous Habyarimana. Ils ont étudié les rapports post-génocide établis par la Belgique, la France et les Nations Unies, en plus des ouvrages d’auteurs occidentaux qui ont étudié le génocide et le livre écrit par le chef de la MINUAR, le général Romeo Dallaire, basé sur son expérience de cette époque.

Bien que les autorités consultées ne seront pas heureuses de la façon dont leurs travaux ont été utilisés, un consensus écrasant émerge des entretiens et des recherches du Comité.

Permettez-moi de brièvement résumer les points principaux de ce qui s’avère souvent être hautement technique, plein de longueur et géographiquement spécifique.

Premier point

Des mois durant, avant l’assassinat de Habyarimana le 6 avril 1994, les rumeurs ont couru que de hauts fonctionnaires et des militaires de haut rang de son gouvernement étaient résolument opposés à la mise en oeuvre des Accords d’Arusha. Ces histoires comprenaient, entre autre, spécifiquement, l’assassinat du président s’il osait mettre en œuvre les arrangements concernant le partage du pouvoir. Voilà des années que nous savons que la station radio RTLM et le journal Kangura, une petite publication qui était la voix des extrémistes hutus, avaient publiquement déclaré que quelque chose de dramatique arriverait à Habyarimana à la fin mars ou au début avril. Par exemple, dans son article principal de l’édition de décembre 1993, Kangura déclarait que Habyarimana serait assassiné au mois de mars suivant. Le général Dallaire et d’autres ont cité les menaces formulées le 4 avril, lors d’un événement mondain, par le Colonel Theoneste Bagosora, un des dirigeants des extrémistes généralement considéré comme le cerveau du génocide. ‘’La seule solution pour le Rwanda’’, avait dit Bagosora à un petit groupe qui incluait un aide camp belge de Dallaire, semble ‘’être l’extermination des Tutsis’’

Ce que ce nouveau rapport ajoute à notre connaissance, c’est à quel point ces histoires étaient répandues. Des douzaines de témoins les ont entendues à la fin 1993 et elles se sont multipliées dans les premiers mois de 1994. Il y a même eu une rumeur spécifique annonçant que l’avion d’Habyarimana allait être abattu. Le président lui-même avait entendu ces histoires et il semble que même l’équipage français, venu avec le Falcon 50 que le président Mitterrand avait donné à Habyarimana (il semble que ce soit ainsi qu’un président socialiste récompensait ses présidents africains favoris), les avaient entendues.

Le 6 avril le président Habyarimana se rendait à Dar Es Salaam en Tanzanie, pour une réunion au sommet avec des présidents régionaux. Le président du Burundi, qui n’avait pas de jet luxueux a commis l’erreur fatale de faire du stop pour rentrer chez lui avec Habyarimana, en passant par Kigali. Ce sommet est généralement décrit comme ayant été centré sur le Rwanda. En fait ce nouveau rapport nous informe qu’il concernait l’instabilité au Rwanda et au Burundi. Habyarimana a ouvert la réunion en déclarant à ses pairs qu’il mettrait en œuvre les Accords d’Arusha dans les deux jours et le reste de la journée a passé en discussions sur la crise politique extrêmement turbulente du Burundi.

Mais si Habyarimana était conscient des menaces dont son avion faisait l’objet, pourquoi a-t-il consenti à voler vers Dar Es Salaam ce jour-là ? Il aurait pu simplement annoncer par téléphone ses intentions de mettre en œuvre les Accords d’Arusha. Pourquoi son pilote a-t-il consenti à voler avec lui ? Pourquoi certains des principaux conspirateurs contre lui, comme son beau-frère, le colonel Elie Sagatwa, un extrémiste hutu, responsable de la sécurité personnelle du président (ô ironie !) a-t-il consenti à l’accompagner ? Tous sont allés vers l’embrasement mortel ce 6 avril. Et pourtant il semblait que tous soient conscients du risque. C’est une des omissions criantes du rapport. Cette question n’a jamais été posée pas plus qu’une tentative de réponse n’a été formulée.

Il demeure qu’il était connu que les extrémistes hutus étaient furieux contre Habyarimana et étaient déterminés à empêcher la mise en œuvre des Accords d’Arusha. Compte tenu que le président avait explicitement annoncé, le 2 avril, son intention d’assermenter un gouvernement de large coalition le 8 avril, il a toujours paru logique de supposer que l’attaque de l’avion, le 6 avril, était l’exécution du plan des extrémistes.

Deuxième point

Le FPR n’aurait pas pu introduire subrepticement des missiles anti-avion ou des rampes de lancement de missiles à Kigali. Il n’aurait pas pu les introduire clandestinement dans le parlement où, selon les Accords d’Arusha, le contingent du FPR était temporairement assigné, pas plus qu’il n’aurait pu les amener en douce à l’endroit d’où, selon les détracteurs du FPR, les missiles avaient été tirés. Le Comité établit de façon convaincante que la MINUAR, et surtout l’armée rwandaise, maintenaient le contingent du FPR installé dans le bâtiment du parlement sous haute surveillance et que donc il aurait été impossible de ne pas s’apercevoir des activités requises pour introduire les missiles, les monter et les tirer. Le Comité montre aussi que l’endroit d’où il est allégué que les missiles ont été tirés était patrouillé en permanence par les troupes rwandaises et qu’aucun soldat du FPR, transportant un missile et une rampe de lancement n’aurait pu s’infiltrer dans l’endroit sans être aperçu.

Troisième point

Les missiles n’ont pu être tirés que de la zone proche du camp militaire de Kanombe, de la résidence du président et de l’aéroport principal de Kigali. Or toute cette région était entièrement contrôlée par l’armée rwandaise. Le 6 avril, les soldats rwandais en avaient subitement interdit l’accès à la MINUAR. Le Comité est parvenu à ces conclusions cruciales en se basant sur les témoignages de témoins visuels et de ce qu’elle appelle les témoins auditifs, y compris les soldats rwandais d’avant le génocide, les employés de l’aéroport adjacent où l’avion devait atterrir, des soldats de la MINUAR et de la Coopération militaire technique belge. De façon peut-être plus significative, c’est aussi la conclusion du rapport préparé, pour le Comité, par Mike Warden et Alan McClue du département de Applied Science, Security and Resilience, de la Defence Academy de l’Université de Cranfield au Royaume Uni.

La documentation en ligne des travaux du Comité inclue le contrat formel que la Commission a signé avec les deux chercheurs afin que tous les aspects soient transparents. Pour leur part, les deux chercheurs ont présenté un rapport de 109 pages, souvent extrêmement technique, qui conclut que les missiles ont dû être tiré depuis la zone de Kanombe. Il n’est pas contesté que cette zone était entièrement contrôlée par les forces gouvernementales rwandaises. Ainsi les missiles n’ont pu être tirés des zones suggérées par ceux qui accusent le FPR, mais bien d’une zone où seuls les soldats gouvernementaux (et français) pouvaient accéder.

Il est difficile d’imaginer que le personnel de la Defence Academy du Royaume Uni aurait exagéré ou falsifié ses conclusions. Il me semble donc que le rapport balistique indépendant, qui naturellement concorde avec les conclusions du Comité d’experts, leur ajoute une grande crédibilité.

Quatrième point

Le Comité montre que l’armée rwandaise possédait des missiles sol/air, du genre qui peut avoir abattu le Falcon 50, bien que des rapports précédents, en particulier français, nient formellement cette possession. Au contraire, ceci démontre que les affirmations répétées de ceux qui veulent blâmer le FPR, disant que les rebelles de Kagamé avaient obtenu les missiles de l’Ouganda (qui les avaient reçu de la Russie), ce que les ennemis du FPR n’ont été que trop heureux de croire, sont fausses et font partie de mensonges délibérés de la part des soldats gouvernementaux rwandais de l’époque,

Cinquième point

Le colonel Theoneste Bagosora est nommément accusé d’être l’instigateur de l’attaque de l’avion de Habyarimana et du génocide ainsi déclenché, comme prévu. Ceci corrobore le point de vue général concernant le rôle de Bagosora, de celui général Dallaire à ceux des historiens du génocide, en passant par les juges du Tribunal Pénal International pour le Rwanda qui l’ont jugé coupable de génocide et condamné à la prison à perpétuité.

Sixième point

En élaborant son rapport, le Comité a fait œuvre utile en discréditant les attaques contre le FPR du juge français Jean-Louis Bruguière tel qu’elles apparaissent dans son rapport de 2006, concernant l’attentat contre l’avion. Bruguière, dans la foulée du discours préféré de l’establishment français, accuse tout de go Kagamé et le FPR de l’attentat dans le but de prendre le pouvoir au Rwanda.

Les recherches de Bruguière posaient aussi problème, pour le moins qu’on puisse dire. Il s’est basé sur des soi-disant témoins qui étaient des membres dissidents du FPR et qui avaient de multiples raisons de discréditer le FPR. Certains d’entre eux se sont, dans l’intervalle, rétractés ou ont nié avoir accusé le FPR et Kagamé, contrairement à ce qu’affirme Bruguière. Curieusement, le juge, qui ne s’est jamais rendu au Rwanda pour examiner le lieu de l’attentat ou pour interroger le gouvernement du FPR ou l’armée qu’il incriminait, s’est rendu à Arusha pour s’entretenir avec des hommes détenus par le Tribunal International pour leur rôle présumé dans le génocide. Parmi ceux-ci, le colonel Bagosora lui-même, qui, avant même qu’il ne soit condamné, était universellement considéré comme le maître d’œuvre du génocide. A un moment, Bruguière écrit à propos d’une chose particulière : ‘’ La vraie nature du message… a aussi été confirmée par les preuves à Arusha provenant d’anciens soldats des FAR (l’armée de Habyarimana)’’. Il donne les noms de quatre soldats, parmi lesquels celui du colonel Theoneste Bagosora. Ce qui revient à s’informer sur l’Apartheid auprès de P.W. Botha, plutôt qu’auprès de Nelson Mandela.

Septième point

L’attitude cynique de la France est perçue tout au long du rapport du Comité comme ce doit l’être dans toute narration relative au génocide. Les soldats français ont eu accès à la base militaire de Kanombe le 6 avril, contrairement aux soldats belges de la MINUAR. Les soldats français ont été sur les lieux de l’attentat dans les minutes qui l’ont suivi, fouillant les débris et cherchant la boîte noire qu’ils ont emportée. Les fonctionnaires français ont scrupuleusement suivi la ligne des Hutus extrémistes accusant les Belges ainsi que le FPR de l’attaque aux missiles. Lorsque l’accusation contre les Belges a perdu toute crédibilité, le principal conseiller pour l’Afrique du président Mitterrand, son chef d’état major et l’ambassadeur de France au Rwanda ont tous accusé le FPR.

Au cours de l’enquête parlementaire concernant le rôle de la France dans le génocide, les enquêteurs français se sont donnés beaucoup de mal pour incriminer le gouvernement ougandais dans l’attentat. A aucun moment ils n’ont suggéré que leurs proches alliés parmi les extrémistes hutus, dont bon nombre se cachent en France, ont été impliqués le moins du monde. Pour reprendre les propos d’un ancien diplomate occidental, ’’dans un monde idéal la France présenterait des excuses au Rwanda, traduirait en justice une vingtaine d’anciens fonctionnaires et procéderait à l’extradition de 15-20 génocidaires qui vivent en France’’.

Nous verrons si le récent rapprochement entre la France et le Rwanda génèrera l’avènement d’un monde plus idéal.

Conclusions

Le rapport du Comité d’experts aurait pu être meilleur (bien que j’aurais tendance à dire que c’est vrai pour tous les rapports jamais écrits). L’organisation et l’écriture sont parfois confuses. Il y a des détails qui restent en suspens comme, et pas des moindre, ces références obscures à trois ‘’ Blancs’’ qui, d’une façon ou d’une autre, pourraient avoir été impliqués dans l’attaque contre l’avion de Habyarimana. Il semble parfois que le complot visant à assassiner le président a été conçu à la fin 1993, et plus loin on apprend que tout s’est produit dans les premiers jours d’avril 1994. Il omet d’analyser les raisons pour lesquelles Habyarimana a consenti à voler vers Dar Es Salaam le 6 avril, alors qu’il savait les menaces explicites de mort à son égard.

Malgré ses efforts évidents pour être objectifs, des biais se manifestent occasionnellement dans le rapport. Le Comité affirme que ‘’ la pratique du génocide contre les Tutsis’’ a été initiée par le premier gouvernement dominé par les Hutus au début des années 1960 et que 1994 était ‘’ l’étape finale du génocide’’. Ceci est de la mauvaise histoire partisane, qui n’est acceptée par aucun historien sérieux que je connaisse. Le fait est que les massacres des Tutsis après 1959 ont pris fin après le coup d’Etat de Habyarimana en 1973 et n’ont pas repris que 17 ans plus tard, avec l’invasion du Rwanda par le FPR. Ces tueries initiales ont été terribles mais rien de plus. Ce furent des massacres, des pogromes, et non la première étape d’un plan établi sur 45 ans pour exterminer tous les Tutsis. La conspiration génocidaire finale n’a commencé que quelque temps après l’invasion du FPR en 1990.

Ces défauts restreignent l’impact du rapport. Ils seront saisis au bond par tous ceux qui n’accepteront jamais des conclusions qui omettent d’accuser Kagamé et le FPR du meurtre de Habyarimana. C’est inutile d’essayer de prouver quoi que ce soit aux négationnistes et aux extrémistes. Ils ne sont pas intéressés par la vérité. Mais pour ceux qui véritablement cherchent les réponses les plus convaincantes à ce grand mystère d’un meurtre politique, la force du rapport du Comité va prévaloir sur ses quelques défauts malencontreux. Bien sûr, ce serait mieux d’avoir un rapport définitif fait par un groupe, véritablement indépendant, d’experts internationaux. Mais en attendant, les conclusions de ce rapport sont valides. Et s’il devait y avoir une enquête externe indépendante, je crois que leurs conclusions rejoindraient celle du Comité d’experts rwandais.

Nous savons qui a abattu l’avion de Habyarimana. Nous savons pourquoi ils l’ont fait. Nous savons comment ils l’ont fait. Et nous savons qu’il s’en est fallu de peu pour que leur plan diabolique réussisse. Mais ils ont été défaits, ces extrémistes hutus qui ont assassinés le président Habyarimana, ont éliminé d’honorables Hutus ayant refusé de prendre part à leur abominable plan, et tué les trois quarts des Tutsis du pays. L’attaque contre l’avion présidentiel a été l’élément déclencheur de l’un des plus purs génocides de ces cent dernières années, mis en œuvre pour aucune autre raison que la soif démesurée de pouvoir d’une poignée de fanatiques hutus. C’est l’une des plus grandes tragédies de notre époque du fait de la main de l’homme.

NOTES
1) le rapport est facilement accessible en ligne à www.mutsinzireport.com)
2) http://www.africa-union.org/Official_documents/reports/Report_rowanda_genocide.pdf

* Gérald Caplan a un doctorat en histoire africaine. Il a récemment publié un livre intitulé The betrayal of Africa. - Ce texte a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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