Sahel : La France impliquée dans le nord du Nigeria et du Mali

L’armée nigériane fait clairement partie du problème plutôt que de la solution. Du matériel livré à l’armée nigériane a été vendu sur le marché noir, en partie à Boko Haram même. La raison principale en est la gigantesque corruption qui ravage le Nigeria et gangrène tout, depuis les années 1960 et depuis qu’il a été découvert qu’il regorge de pétrole.

Nouveaux combats à Kidal, sommet à Paris sur le Nigeria. La zone du Sahel était loin de l’accalmie ces dernières semaines. Que ce soit au Nord du Mali ou encore autour du Lac Tchad, notamment dans le Nord-Est du Nigeria : des mouvements armés, majoritairement à tendance intégriste, ont défrayé la chronique. Alors que l’impérialisme français – sur la lancée de son intervention au Mali en 2013 – a mené une politique d’implication active, en se présentant comme un rempart face aux terroristes tout en cherchant à accroître sa marge de manœuvre dans la région.

UN SOMMET ET DES FAUSSES SOLUTIONS

Samedi 16 mai 2014, à Paris, le président François Hollande avait réuni cinq chefs d’État africains autour d’une table : le président de la République fédérale du Nigeria, Goodluck Jonathan, ainsi que ceux des quatre pays voisins partageant une frontière terrestre commune avec le Nigeria (Cameroun, Tchad, Niger, Bénin). A cette occasion, le président français a tonné contre la secte armée nigériane de Boko Haram, qui vient de se rendre célèbre par le rapt de 276 filles collégiennes dont 53 ont réussi à fuir : « Boko Haram a une stratégie anti-civilisationnelle de déstabilisation du Nigeria mais aussi de destruction des principes fondamentaux de la dignité humaine. »

Disons-le d’abord : toute ironie sur les propos du président Hollande qui minimiserait l’horreur de ces faits, et de tant d’autres crimes commis par la secte intégriste sanguinaire, serait fortement déplacée. Le 5 mai, le leader de Boko Haram (depuis 2009 et la mort du fondateur Mohamed Yusuf, exécuté par la police, ce rôle est tenu par Abubakar Shekau) a revendiqué la prise d’otages de plus de 200 écolières. Elle avait été effectuée par ses troupes dans la nuit du 14 au 15 avril dernier.

Dans la même vidéo, Shekau annonça son intention de « vendre en esclaves » les filles, fixant même leur « prix » à 12 dollars (sic). Bien qu’il soit probable qu’il ait avant tout cherché à marquer les esprits, l’horreur de ces propos et de ce comportement est indéniable. Le 12 mai, le leader de Boko Haram a annoncé cependant qu’il avait réussi à « convertir » environ 130 des filles à sa version de l’islam, ultra-rigoriste et proche de certains courants du salafisme et les avait ainsi « libérées » (spirituellement s’entend, uniquement…). Pour les autres, il proclama désormais son intention de les échanger contre des prisonniers de son organisation, demande qu’a aussitôt rejetée le président fédéral nigérian. A l’heure où nous bouclons ce numéro d’Afriques en lutte, les filles n’ont toujours pas recouvré la liberté.

Pour autant, il n’est pas certain que la mise en scène de la France et des présidents convoqués à Paris (dont au moins deux, Paul Biya et surtout Idriss Déby, sont des sinistres bouchers tout en étant des amis notoires de la « Françafrique ») ait servi la cause des filles enlevées. La stratégie annoncée reposera avant tout sur un renforcement de l’armée nigériane. Alors que la France, et d’autres puissances présentes sur le terrain comme les Usa et la Chine (dont des intérêts économiques viennent aussi d’être frappés par la secte au Nigeria et au Cameroun), n’interviendront pas sur le terrain. Il est cependant question de partage de renseignements, obtenus grâce aux drones états-uniens et/ou d’avions militaires français qui pourraient bientôt décoller du Tchad, mais aussi de l’instauration d’une plateforme de renseignements à Abuja, capitale fédérale du Nigeria L’offensive terrestre éventuelle relèverait, des troupes du Nigeria, géant de l’Afrique, pays le plus peuplé du continent avec 170 millions d’habitants.

L’armée nigériane fait clairement partie du problème plutôt que de la solution. Du matériel livré à l’armée nigériane a été vendu sur le marché noir, en partie à Boko Harem même. La raison principale en est la gigantesque corruption qui ravage le Nigeria et gangrène tout, depuis les années 1960 et depuis qu’il a été découvert qu’il regorge de pétrole. Six milliards de dollars par an sont déboursés au titre de la « lutte contre le terrorisme », alors qu’en réalité, seulement 25 millions arriveraient sur le terrain dans le Nord-est du Nigeria. Vu que huit États fédéraux du Nigeria appliquent explicitement la charia – dans une version intégriste -, certains militaires ou fonctionnaires d’État ressentent par ailleurs certaines proximités idéologiques avec ces combattants invoquant l’islam rigoriste.

Amnesty international a accusé le 9 mai dernier l’armée nigériane d’avoir été au courant du projet de rapt – les djihadistes présents autour de l’école avaient été repérés, mais rien n’a été fait pour les empêcher de nuire.

Une solution-miracle n’existe certainement pas. A court terme, il est à craindre qu’une négociation avec la secte sanguinaire soit inévitable pour sauver les filles, ce qui ne réduit aucunement la nécessité de la combattre. Le meilleur moyen, ensuite, sera de donner aux populations locales des moyens d’assurer une auto-défense efficace contre les intrusions de la secte armée.
En attendant, les grandes puissances profitent de l’occasion pour mettre un pied au Nigeria et entrer dans la danse du pétrole Déjà le 24 mai 2009, François Fillon – alors Premier ministre, en visite d’État au Nigeria depuis le 22 mai – avait proposé l’aide militaire française à l’armée de ce pays. A l’époque, c’était pour combattre des rebelles dans le delta du Niger. Dans cette principale zone de production du pétrole par les compagnies multinationales britanniques et par Total (où il y avait d’abord eu des mouvements pacifiques contre le pillage, la destruction de l’environnement et la misère des populations), l’écrasement de toute protestation civique avait engendré des rebellions armées, qui ne peuvent pas être comparés aux intégristes combattants de Boko Haram.

Aujourd’hui, le profil de ce dernier groupe semble procurer à la France, et à d’autres puissances, une meilleure légitimité aux yeux du monde pour intervenir. Sauf que leur façon de procéder, et surtout celle de l’armée nigériane – dont les répressions et tortures dont le Nord ont souvent renforcés les rangs des djihadistes, vus comme l’opposant armé principal au pouvoir en place -, risque de créer des problèmes au lieu d’en résoudre.

Si, toutefois, les 200 filles étaient libérées, on ne saurait cracher cyniquement sur ce fait. Mais il ne faudra aucunement oublier que les victimes de Boko Haram se comptent par milliers, mais n’ont jamais été médiatisées qu’avec l’affaire des lycéennes parce qu’elle a procuré un symbole à une mobilisation internationale autour de personnalités connues.

NORD DU MALI : REPRISE DES COMBATS

Au Mali, on assiste presqu’en même temps à une reprise des combats dans le Nord-Est du pays, avec une brusque flambée de violences entre le 17 et le 23 mai à Kidal.

Sur le terrain, les violences avaient déjà augmenté les semaines précédentes, avec une série d’assassinats de (supposés) informateurs de l’armée française dans le Nord-Mali. Début mai, une roquette est tirée sur la ville de Gao dans la nuit du 07 au 08 mai. L’événement principal a cependant eu lieu le 17 mai à Kidal, dans l’extrême nord-est du pays.

Dans cette région, une sorte de « paix armée » avait prévalu depuis plusieurs mois. Le mouvement séparatiste du Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), qui s’appuie notamment sur la minorité touareg – environ 2 % de la population totale du Mali, ( 20 % dans le Nord) – avait gardé ses armes, suite à l’accord de Ouagadougou conclue en juin 2013. A l’époque, cet armistice avec le pouvoir central malien devait permettre la tenue des élections présidentielles puis législatives au Mali, pendant le deuxième semestre de l’année 2013. En théorie, l’accord prévoyait le cantonnement des combattants du Mnla (tout en leur laissant leurs armes) dans certains bâtiments spécifiques, alors que l’administration centrale – armée, préfet, administrations civiles – devait revenir à Kidal.

En réalité, c’est à peu près l’inverse qui s’est passé : de retour à Kidal à partir de juillet 2013, l’administration malienne est restée cantonnée à un périmètre restreint, alors que les combattants du Mnla contrôlaient de fait une large partie de la ville. Les troupes françaises en place autour de l’aéroport, séparaient les deux parties qui s’observaient mutuellement. Le dimanche 17 mai, cet « équilibre » fragile a volé en éclats. Ce jour-là, le nouveau Premier ministre malien Moussa Mara, en place depuis début avril (son prédécesseur Oumar Tatam Ly ayant démissionné au bout de sept mois), a effectué une visite à Kidal.

Arguant qu’ « un Malien est chez lui partout, dans le Sud comme dans le Nord », il invoquait son bon droit de visiter cette portion du territoire malien. Sa visite avait, selon lui, un « caractère administratif » alors que les sécessionnistes du Mnla y voyaient « une provocation politique ».

Des combats ont aussitôt éclaté. Le Mnla prétend que « les Maliens » (le mouvement les voit comme des forces étrangères) auraient d’abord ouvert le feu « sur une manifestation avec femmes et enfants ». Les pouvoirs publics maliens, au contraire, parlent dès le début d’une attaque armée, menée par des combattants. Elle aurait impliqué, non seulement des hommes du Mnla mais également des combattants du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (Hcua), vitrine civile du mouvement islamiste armé Ansar ed-Din) et des djihadistes. Le Mnla était d’abord allié, en 2012, à ces derniers avant que l’alliance Mnla / djihadistes ne soit rompue, et que le mouvement sécessionniste justifie son rôle actif sur le terrain en 2013 par l’idée qu’il aidait les Français à combattre les terroristes.

Le Premier ministre, Moussa Mara, s’est plaint publiquement du fait que ni la force française « Serval » ni la Minusma (mission des Nations Unies au Mali), présentes sur le terrain, ne s’étaient interposées pour assurer la poursuite de sa visite. Le bilan des affrontements est de 40 soldats maliens morts selon le Mnla – une trentaine selon le gouvernement –, plusieurs dizaines de blessés, alors que les principaux bâtiments publics ont été occupés par le Mnla. Ce dernier occupait, à la date du 22 mai, aussi d’autres villes telles que Aguelhok, Ménaka et Tessalit. A peu près comme au début de son offensive, en janvier et février 2012, avant que celle-ci n’aboutisse à la partition du Mali courant 2012.

La France continue à avoir une politique ambiguë, jouant un rôle peu clair, en relation à la fois avec le pouvoir central du Mali et le Mnla (dont certains représentants se trouvent en permanence à Paris). Les pouvoirs publics maliens ont appelé les Français à renforcer leur présence militaire, et la force Serval a été renforcée de 1 000 hommes – qui restent déployés en permanence au Mali – à environ 1 700. Mais les Français ne veulent certainement pas combattre le Mnla. Les deux députés François Loncle (Ps) et Pierre Lellouche (Ump), se trouvant en visite officielle à Bamako, ont déclaré le 22 mai qu’il s’agissait de « combattre le terrorisme », mais aucunement « d’une guerre civile au Mali ». La discorde réside dans le fait que les officiels français ne définissent que les djihadistes comme des « terroristes », alors que les officiels maliens étendent ce terme également au Mnla. Une manifestation de protestation a dénoncé la politique française le 22 mai à Bamako.

Un cessez-le-feu a été conclu dans la nuit du 23 au 24 mai mais ne résoudra certainement pas les choses durablement. La popularité du président du Mali « IBK » (Ibrahim Boubacar Keïta), élu triomphalement en août 2013, a par ailleurs connu une forte érosion ces derniers mois. La corruption et l’arrogance de la classe politique sont restées à des niveaux élevés. Dernière péripétie en date, le débat autour du (nouvel) avion présidentiel : le Mali en possédait un, acquis sous le président « ATT » (Amadou Toumani Touré, 2002 à 2012), mais « IBK » voulait en acheter et posséder le sien propre.

L’acquisition a sans aucun doute enrichi une série d’intermédiaires. Le Fmi, vitupérant une « mauvaise gestion de l’argent de l’État », a récemment exigé du Mali une mise en vente du nouvel appareil. Alors que la colère gronde dans la population. Ce n’est pas ainsi que le Mali, en tant que pays et État, retrouvera une légitimité aux yeux de toutes les populations. Il faudrait plutôt aller vers un nouveau contrat central, impliquant toutes les parties du pays et coupant ainsi l’herbe sous les pieds des sécessionnistes.

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** Bertold Du Ryon – Source : www.afriquesenlutte

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