Le Scandale Wolfowitz
Le Président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, pris en flagrant délit de népotisme en faveur de sa copine, s'accroche à son poste, et peut se prévaloir du soutien total de Gearge Bush. Pour Demba Moussa Dembélé, ce scandale est révélateur de la profonde corruption, de l’hypocrisie, de l’immoralité et du cynisme d’un système de plus en plus militarisé et terroriste.
Malgré le tollé général soulevé par le scandale qui l’éclabousse, le Président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, pris en flagrant délit de népotisme en faveur de sa copine, refuse toujours de démissionner. Il s’accroche à son fauteuil malgré les appels à la démission formulés par les employés de la Banque, d’éminents économistes, de milliers de citoyens à travers le monde et même de journaux du système, comme le Financial Times, l’International Herald Tribune, Le Monde et bien d’autres encore. Et comme on s’y attendait, il bénéficie du soutien total de George Bush qui l’avait envoyé à la Banque dans le cadre de la stratégie globale de l’impérialisme américain, comme on le verra plus loin. En fait, ce scandale est révélateur de la profonde corruption, de l’hypocrisie, de l’immoralité et du cynisme d’un système de plus en plus militarisé et terroriste.
Théoricien de la « guerre préventive »
Avant sa nomination à la tête de la Banque mondiale en 2005, Wolfowitz était numéro deux du Pentagone, le ministère américain de la défense. A ce titre, il fut, avec son ancien patron, Donald Rumsfeld, un des architectes de l’invasion de l’Irak. En effet, Wolfowitz, tout comme Rumsfeld, fait partie de ce groupe de « néo-conservateurs » qui ont théorisé la doctrine de « guerre préventive » officiellement adoptée par l’administration Bush en 2002.
Au nom de cette doctrine, les Etats-Unis s’arrogeraient le droit d’attaquer un pays souverain du moment qu’ils auront décidé que ce pays représente un « danger » pour leur « sécurité nationale ». C’est une telle doctrine qui a conduit à l’invasion de l’Irak et au massacre de centaines de milliers d’Irakiens depuis 2003. C’est au nom de celle-ci que plusieurs dizaines de Somaliens innocents sont tombés sous les bombes américaines en janvier dernier et que des centaines d’autres Somaliens ont été massacrés par l’armée éthiopienne au service des desseins stratégiques des Etats-Unis. Ainsi, de par la seule volonté des Etats-Unis, la Somalie est à feu et à sang, avec des centaines de morts et des centaines de milliers de déplacés sous l’œil impuissant de la «communauté internationale»!
Comme on le constate, la «guerre contre le terrorisme» n’a pas de frontières. Elle n’a pas non plus de limites temporelles. En fait, pour l’administration Bush, le mot « terroriste » s’applique à tout état ou mouvement, y compris les mouvements révolutionnaires, qui résiste à la politique de guerre et de domination de l’impérialisme américain ou de ses alliés, tel que l’Etat sioniste, comme l’ont montré l’agression et les massacres commis par ce dernier au Liban en juillet/août 2006. Avec cette doctrine, le monde semble entrer dans l’ère de la «guerre perpétuelle» et assister à l’instauration d’un système de type fasciste qui ne dit pas son nom. En effet, au nom de «la lutte contre le terrorisme», les Etats-Unis ont instauré une sorte d’état d’urgence permanent qui permet de légaliser les tortures, de multiplier les zones de non-droit et d’utiliser des prisons secrètes aux quatre coins de la planète, y compris en Afrique.
Ainsi donc, Wolfowitz, en tant qu’un des principaux idéologues de la doctrine de «guerre préventive», porte-t-il sur la conscience une partie des crimes odieux commis par les Etats-Unis dans les pays cités, notamment en Irak, jadis l’un des joyaux du Moyen-Orient, mais aujourd’hui transformé en un enfer quotidien pour des millions de ses habitants. En quatre ans d’occupation américaine, le monde a été témoin des horreurs de la prison d’Abu Ghraib, de la mort de plus de 600.000 civils innocents, sans compter plus de deux millions d’exilés et autant de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays!
La Banque mondiale : un instrument-clé du dispositif impérialiste
Quand Bush a décidé de nommer Wolfowitz à la Banque mondiale, il y a certainement eu des gens qui s’étaient étonnés de cette transition. Mais il n’y a là rien d’étonnant quand on sait qu’il y a un précédent à cette nomination: celle de Robert McNamara, ancien ministre de la défense de Kennedy dans les années 60 qui, après avoir lamentablement échoué dans sa guerre d’extermination du peuple vietnamien, avait été envoyé à la Banque mondiale avec pour mission de « réduire la pauvreté » dans le but de mieux « combattre le communisme ». On sait ce qu’il en a été: c’est un autre échec cuisant qu’il avait essuyé.
En outre, c’est méconnaître le rôle que joue la Banque mondiale dans le dispositif stratégique actuel de l’impérialisme américain. La nomination de Wolfowitz était destinée à impliquer davantage celle-ci dans la prétendue « reconstruction » de l’Irak, qui est un fiasco total. En effet, des rapports officiels américains, ceux des Nations-Unies et d’organismes indépendants ont mis le doigt sur des fraudes massives, des surfacturations, une gestion calamiteuse des projets et de nombreuses malversations, qui ont coûté des centaines de milliards au peuple irakien, puisque l’argent utilisé provenait des exportations de pétrole. Les firmes américaines se sont, bien sûr, taillé la part du lion, notamment la firme Halliburton, étroitement liée au Vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney.
Ainsi donc, Wolfowitz a-t-il pour mission de mettre davantage la Banque mondiale au service de la politique d’agression et de guerre de l’impérialisme américain. C’est ainsi qu’en Irak et en Afghanistan, on a fait appel à elle pour coordonner les efforts de « reconstruction » après que l’OTAN et l’armée des Etats-Unis avaient fini leur sale besogne, à savoir transformer ces pays en champs de ruines. Car dans la tête des théoriciens de la « guerre préventive », celle-ci doit nécessairement déboucher sur un « chaos constructif ». Autrement dit, une fois le chaos créé par l’intervention américaine ou d’un de ses alliés, comme au Liban, les multinationales de l’Oncle Sam et de ses alliés sont appelées à prendre le relais pour « reconstruire » selon, bien entendu, les normes du capitalisme néolibéral, avec le soutien multiforme de la Banque mondiale.
En d’autres termes, des pays à genoux seront livrés à la voracité de la mafia financière et industrielle internationale qui se livre à un pillage systématique de leurs ressources avec la bénédiction de la Banque mondiale. Autrement dit, le « chaos constructif » est destiné à frayer la voie à une nouvelle forme de capitalisme, que certains appellent « capitalisme de catastrophe » . Et le rôle de la Banque mondiale est de soutenir, voire renforcer, ce capitalisme d’un nouveau genre, en poussant à la privatisation à outrance des entreprises publiques et des ressources naturelles. Dans le cas de l’Irak, elle a contribué – avec le FMI- à l’élaboration d’un projet de Loi sur le pétrole qui préconise d’accorder des concessions d’une durée de 20 ans aux multinationales dans l’industrie pétrolière. Un projet que le Parlement irakien hésite jusqu’à présent à voter, malgré les multiples pressions exercées par les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la Banque mondiale et le FMI. En effet, l’adoption d’un tel projet de Loi mettrait plus de 80% des ressources pétrolières irakiennes entre les mains des multinationales, ce qui priverait le peuple irakien de sa souveraineté sur les réserves d’hydrocarbures qu’on estime être les plus importantes du monde après celles de l’Arabie Saoudite.
Des fuites récentes parues dans la presse américaine révèlent que « l’obsession » (sic) de Wolfowitz avec l’Irak a indisposé même des membres du Conseil d’Administration. Beaucoup n’apprécient pas l’importance qu’il veut accorder à la « reconstruction » de ce pays dans les activités de la Banque. Le désaccord sur la politique envers l’Irak a conduit un haut responsable de la Banque à démissionner au début de cette année, parce qu’il s’opposait aux plans de Wolfowitz qui voulait à la fois étoffer le personnel travaillant sur l’Irak et le déplacer d’Amman (Jordanie), d’où il opère présentement, à Bagdad.
Cependant l’intervention de la Banque mondiale dans la « reconstruction » de pays dévastés ne se limite pas seulement à l’Irak ou à l’Afghanistan. Elle est envisagée au Liban où l’Etat sioniste d’Israël, en accord avec son inconditionnel protecteur, a procédé à des crimes monstrueux et à des dévastations incommensurables en juillet/août 2006. Elle intervient également dans les pays africains, comme le Liberia ou la RDC, et dans ceux frappés par des catastrophes naturelles, comme les pays asiatiques dévastés par le tsunami. Partout, ce sont les mêmes recettes qui sont préconisées: une privatisation sans fard, ou sous une forme déguisée, connue sous le nom de « partenariat public-privé » qui consiste à confier à des entreprises privées la gestion des services publics.
Et pour mener cette mission au service du « capitalisme de catastrophe », la Banque mondiale a recours à des consultants internationaux, entendez occidentaux pour la plupart, grassement payés sur le dos de pauvres citoyens en détresse. On rapporte qu’au Timor Oriental, un de ces « consultants » avait un salaire mensuel équivalant aux salaires annuels de 20 Timorais ! Et cet exemple est loin d’être un cas isolé. Au contraire, partout, on constate la même chose, surtout en Afrique. Voilà comment la Banque mondiale entend « réduire la pauvreté »!
Faillite des remèdes néolibéraux et profonde crise de légitimité
Ce n’est dès lors pas étonnant que celle-ci continue à s’aggraver et à hypothéquer l’avenir de milliards d’individus. Ceci explique pourquoi plusieurs rapports ont conclu à l’échec de la Banque mondiale dans la lutte pour réduire la pauvreté dans le monde. Un rapport commandité par le Sénat américain et publié en 2000 par la Commission Meltzer avait conclu que plus de 70% des projets de la Banque n’avaient eu aucune incidence sur la réduction de la pauvreté. Tout récemment, c’est un autre rapport, interne celui-là, qui est arrivé à la même conclusion. Ce qui est encore plus grave pour la Banque, c’est que ce dernier rapport remet en cause son dogme sur la libéralisation du commerce et réfute toute corrélation entre cette libéralisation et la « réduction de la pauvreté », comme veulent le faire croire les idéologues du néolibéralisme.
Ainsi donc, le scandale Wolfowitz risque-t-il de ruiner le peu de crédibilité qui reste encore à la Banque mondiale et d’aggraver sa crise de légitimité. Déjà en 1999, c’était Joseph Stigliz, son économiste en chef, qui était poussé à la porte après avoir attaqué les politiques de la Banque et du FMI imposées aux pays du Sud, notamment africains. Depuis lors, les critiques avaient continué de fuser de toutes parts, remettant en cause les dogmes néolibéraux que ces deux institutions tentent d’imposer à tout prix aux pays africains comme des vérités d’évangile. Critiques exprimées tout récemment encore de l’intérieur même de la Banque.
Les révélations faites l’année dernière par un groupe d’éminents économistes sont encore plus dévastatrices pour l’image et la crédibilité de la Banque mondiale. En effet, dans leur rapport, ces économistes ont montré comment celle-ci a essayé d’orienter la plupart des études qu’elle commandait dans le but d’amener leurs auteurs à faire des recommandations qui justifient ou soutiennent le bien-fondé de certaines de ses politiques. L’un des auteurs du Rapport, Angus Deaton, professeur à Princeton, a fait l’observation suivante: «ils sélectionnent parmi les travaux ceux qui soutiennent les positions de la direction... ». Et de critiquer vivement cette direction qui, dit-il, « …a claironné de façon répétée des conclusions empiriques et préliminaires sans reconnaître qu’elles étaient fragiles et incertaines. » Et les auteurs du document de lancer cet avertissement à la Banque mondiale : « Si vous faites ça trop souvent, les gens ne croient plus que la Banque mène des recherches impartiales ».
En vérité, il y a belle lurette que la Banque a perdu une bonne partie de sa crédibilité au point d’être en proie à une véritable crise de légitimité. Cela est dû non seulement aux mensonges contenus dans ses études, mais surtout à son incapacité à contribuer à la «réduction de la pauvreté».
Un vernis moral pour un système intrinsèquement immoral et tyrannique.
C’était peut-être en partie, pour redorer le blason de la Banque que Wolfowitz voulait faire de la « lutte contre la corruption » son principal cheval de bataille, surtout en Afrique. En réalité, ni la Banque mondiale ni le FMI n’ont jamais été intéressés par une lutte véritable contre la corruption, car ces deux institutions sont au service d’un système financier et commercial international profondément corrompu et mafieux. L’accent mis sur la lutte contre la corruption traduit d’une certaine manière la faillite des dogmes néolibéraux, puisque pour ces deux institutions, la corruption et la « mal gouvernance » expliqueraient l’échec des programmes d’ajustement en Afrique!
Le scandale qui éclabousse Wolfowitz a révélé au monde le vrai visage de cet homme: menteur, cynique et immoral! Et c’est un tel homme qui prétendait donner des leçons de vertu aux autres et qui, par sa campagne sur la corruption, essayait de donner un vernis moral à un système profondément immoral et despotique, à savoir le capitalisme dans sa phase néolibérale, de plus en plus militarisée et terroriste. Et curieusement, il semble que les seuls soutiens dont bénéficierait encore Wolfowitz au sein de la Banque viendraient des pays africains, cible principale de sa « lutte contre la corruption »! Mais le paradoxe n’est qu’apparent, car maintenant que Wolfowitz est dans la boue, les dirigeants africains préfèrent sans doute avoir affaire à quelqu’un qui aura désormais du mal à les regarder dans les yeux pour parler de « bonne gouvernance » et de corruption.
S’affranchir du système néolibéral
Le scandale Wolfowitz, par delà sa personne, éclabousse tout le système néolibéral dont la Banque mondiale est l’un des porte-parole les plus zélés. Le scandale est révélateur du cynisme et de la profonde hypocrisie d’un système totalitaire, despotique et mafieux qui a peu de respect pour les valeurs humaines les plus élémentaires. Avec la militarisation croissante de la mondialisation néolibérale, la Banque mondiale est devenue complice des guerres d’agression et de pillage des peuples du Sud, tirant en moyenne un bénéfice net annuel estimé à plus d’un milliard de dollars, provenant pour l’essentiel des remboursements opérés par les pays dits « pauvres »! De l’Afrique à l’Asie, de l’Amérique latine aux pays européens de l’ancien bloc soviétique, partout elle s’est illustrée par la défense des intérêts des multinationales et des spéculateurs financiers au détriment de ceux des peuples.
Espérons que ce scandale contribuera à ouvrir davantage les yeux aux leaders et citoyens africains et à leur faire comprendre encore une fois que la Banque mondiale, le FMI et l’OMC sont au service d’un système qui, depuis plus de cinq siècles, a prospéré en suçant le sang de l’Afrique par le biais de l’esclavage, de la colonisation, de la dette et du pillage de ses ressources. Le rôle de ces institutions est de perpétuer un tel système et d’étouffer tout effort visant à frayer le chemin à un développement autonome du continent. Il est temps que l’Afrique se réveille et brise les multiples liens de domination étrangère qui entravent la formidable capacité d’imagination et de créativité de ses peuples. L’Amérique latine, sous l’impulsion de Cuba, du Venezuela, de la Bolivie et de l’Equateur, entre autres, montre la voie à suivre. Puisse-t-elle inspirer l’Afrique !
* Demba Moussa Dembele est Directeur du Forum Africain des Alternatives qui est basé à Dakar. Il peut être contacté aux adresses suivantes : [email][email protected] ou [email][email protected]
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