L'Afrique à la télé : décadence de l'Homme, triomphe des clichés
Depuis un certain temps, on assiste à une réelle "présence africaine" dans les médias en général, et à la télévision en particulier. Il y a comme un regain d'intérêt pour ce continent si souvent oublié. Et, comme c'est souvent le cas, l'Afrique n'y apparaît pas sous un jour favorable. Comme c'est souvent le cas, avec l'Afrique, on a comme l'impression que les médias se départissent de cette pudeur qui est - ou devrait être - leur caractéristique. On a l'impression que les vannes lâchent, emportant avec elles scrupules, responsabilité, déontologie, etc.
Deux exemples récents illustrent parfaitement cette nouvelle lecture des événements "africains".
Le premier, c'est la mésaventure des enfants tchadiens, victimes de la désormais célèbre Arche de Zoé. Plus rien à ajouter sur le dossier déjà très lourd de cette Arche, dont la justice française vient d'adapter au droit français la peine infligée par la justice tchadienne (8 années de prison en 8 années de travaux forcés – Ndlr : Le président tchadien, Idriss Déby, a récemment déclaré qu’il était disposer à répondre favorablement à une demande de grâce introduite par le gouvernement français ; ce qui a été fait). Rien à ajouter, puisque tout - ou presque - a été déjà dit. Sauf…
Sauf la dénonciation énergique de la mise en scène à laquelle se sont livrées les télévisions. Pas un reportage sur cette affaire sans de gros plans sur ces enfants sales, nus ou à peine habillés, le visage couvert de mouches et le nez qui coule en permanence. Et, derrière ce défilé d'images, les mêmes commentaires compassionnels, les mêmes épithètes déclencheurs d'émotion. Et aussi, les mêmes clichés, les mêmes propos à l'emporte pièce. Un, en particulier, m'a interpellé. Pour nous expliquer combien il est difficile de savoir si les enfants sont des "orphelins" comme le prétendaient les humanitaires de l'Arche, un reportage de la première chaîne de télévision belge montre des hommes venus voir et récupérer leurs enfants. Le journaliste conclut son reportage par cette phrase incroyable : "En Afrique, il n'y a pas d'acte de naissance. Il faut mener une petite enquête pour vérifier les liens qui unissent ces hommes et ces enfants".
Deuxième exemple : le Kenya. Depuis la proclamation des résultats des dernières élections présidentielles, le pays a basculé dans la violence. Naturellement, ce sont des "violences ethniques" - les plus prudents disent "politico-ethniques". Car tout le monde sait que dans cette partie du monde, rien ne se fait en dehors de l'ethnie. Chaque jour, la violence est plus terrible. Et plus visible. Et les caméras ne se font pas prier pour tout montrer. Oui, tout : gros plans sur des têtes éclatées, des blessures de machette, des corps amputés, des fosses remplies de corps sans vie, etc. Et, pour bien montrer la barbarie, on pousse le bouchon plus loin.
Bien sûr, le journaliste prend soin de prévenir le téléspectateur qui, probablement, est en train de dîner : "attention, certaines images peuvent être dures". Et la "violence ethnique" kenyane rentre dans votre salon. Les images défilent, toutes plus terribles les unes que les autres. Et puis, une séquence terrible. Des assaillants s'en prennent à un fourgon. Un homme en descend et tente de prendre la fuite. Il ne va pas bien loin. C'est une meute qui lui tombe dessus. Quelques minutes plus tard, l'homme est mort. La caméra n'a rien manqué, elle a tout montré. Même ce manifestant qui, avant de s'en aller, ne se gène pas pour frapper, de son gourdin, le corps sans vie.
Big brother impitoyable. C'est encore sur la première chaîne belge que j'ai vu cette terrible séquence. Je ne sais pas ce que les autres ont montré, ni comment ils l'ont fait.
D'accord, des morts, on en voit beaucoup à la télé. D'accord, il faut montrer la violence, pour la rendre plus réelle, plus concrète, plus palpable. D'accord, il faut sortir de l'abstrait. D'accord, ce n'est pas la première mort en direct. Mais jusqu'où faut-il aller pour montrer les ravages de ces "violences ethniques" ? En quoi cette séquence renseigne-t-elle sur la crise politique au Kenya, sur la lutte pour le pouvoir, sur le respect des choix électoraux, etc. ?
Il y a quelques années, les caméras de France 2 ont montré la mort d'un garçon palestinien, dans les bras de son père, essuyant les tirs de soldats israéliens. Ces images ont soulevé de violentes protestations, de toutes parts. Combien de temps faudra-t-il attendre pour assister à une mobilisation similaire pour ce Kenyan ? Combien de temps faudra-t-il attendre pour que l'on arrête cette volonté de tout montrer, d'aller vers toujours plus de sensationnel ?
Difficile, dans un tel contexte, de ne pas y voir la volonté de montrer combien on peut être violent en Afrique. Difficile de ne pas y voir la stigmatisation, le renforcement des clichés sur l'Afrique, ce "paradis de la cruauté", selon l'expression d'un "africaniste" adulé. On nous a déjà expliqué "pourquoi l'Afrique meurt". Maintenant, on sait aussi "comment" elle meurt. Espérons que le cours magistral s'arrêtera là.
* Marcel-Duclos Efoudebe est un écrivain camerounais. Il est notamment l’auteur de L’Afrique survivra aux afro-pessimistes. (Source : Africultures)
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