Sénégal : Les limites à la ruse pour réviser le mandat présidentiel
Il a été annoncé dans le communiqué du Conseil des ministres tenu le 9 mai, le projet de modification de l’article 27 de la Constitution du Sénégal qui prévoit la durée du mandat présidentiel et consacre le principe de la limitation à deux du nombre de mandats que le Président peut exercer. D’après les explications supplémentaires fournies, la révision constitutionnelle envisagée irait dans le sens de l’allongement de la mandature du président de la République de 5 à 7 ans et, par voie de conséquence, de la restauration du septennat qui a été, dans l’histoire du Sénégal, en vigueur entre 1960 et 1963 et de 1992 à 2001. L’évocation de cette question mérite un éclairage qui peut être décliné en trois questions-réponses.»
Le vrai contenu du vrai texte constitutionnel
Dans cette affaire, deux textes ont été présentés à l’opinion : le texte de l’article 27 du projet de Constitution publié dans le Journal officiel de la République du Sénégal (JORS) n° 5956 du 18 décembre 2000 et qui est détenu et même commenté par de nombreux Sénégalais qui se lit : «La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ou une loi constitutionnelle.» Le second texte qui est le seul valable est la loi n ° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution promulguée et publiée dans le JORS n° spécial 5963 du lundi 22 janvier 2001, qui contient la même disposition qui s’arrête à «loi référendaire».
Sur ce point, toute ambiguïté doit être éradiquée : le texte qui fait foi est bien la Constitution promulguée le 22 janvier 2001, qui prescrit la voie référendaire comme la seule susceptible d’être empruntée pour opérer un quelconque changement relatif à cet article. Il n’est pas besoin d’être juriste pour savoir qu’un projet de texte n’a aucune valeur juridique et s’efface devant un texte promulgué et entré en vigueur.
Signification et portée de la disposition
Pourquoi ce verrou de l’article 27 par un référendum a-t-il été introduit dans la Constitution ? La réponse se trouve dans l’histoire constitutionnelle du Sénégal en général et l’histoire du statut du Président de la République en particulier. La formule rédactionnelle de l’article 27 de la Constitution approuvée par le peuple sénégalais le 7 janvier 2001 vise deux objectifs : Il s’agit d’abord de stabiliser définitivement le mandat du Président de la République à une durée qui correspond à la respiration démocratique moderne.
Par le passé, le mandat du président de la République du Sénégal a connu une instabilité dans sa durée : 7 ans entre 1960 et 1963, 4 ans entre 1963 et 1967, 5 ans entre 1967 et 1992, 7 ans entre 1992 et 2001 et 5 ans à partir de 2001. Après l’alternance, le Constituant a, dans la ferveur démocratique, voulu inscrire la durée du mandat du Président de la République du Sénégal dans une séquence temporelle définitive de 5 ans. C’est une durée qui s’inscrit dans la tendance universelle d’instauration du quinquennat (France et la plupart des pays africains), du quadriennat qui est la norme dans les pays anglo-saxons ou d’un sexennat ou encore d’un septennat mais non renouvelable comme on le voit en Amérique latine.
En tous les cas, il est question d’éviter de trop longs règnes comme cela a été décrié puis abandonné en France et dans bien d’autres pays africains comme le Sénégal. A la lumière de ces considérations, vouloir restaurer le septennat qui a été remis en cause par un fort consensus national en 2000, et qui est abandonné par la plupart des pays en modernisation politique, procède d’un recul qui ne répond à aucune rationalité démocratique. Au fil de l’évolution des régimes politiques, il est admis que le quinquennat est une bonne mesure conforme à la temporalité républicaine ni trop longue, ni trop courte.
Par ailleurs, l’article 27 vise par ailleurs à sacraliser le principe de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels qui existe dans la plupart des démocraties qui élisent leur président au suffrage universel (Etats Unis, pays de l’Amérique latine, majorité des pays d’Afrique).
La particularité du Sénégal, c’est que la clause limitative du nombre de mandats à deux n’a jamais été suivie d’effectivité parce qu’alternativement, instituée et remise en cause. C’est ainsi qu’elle a été instituée pour la première fois en 1970 mais remise en cause en 1976, ré-instituée en 1992 et encore remise en cause en 1998. En 2001, s’inscrivant dans une perspective de rupture, le Constituant sénégalais a voulu désormais inscrire le principe de la limitation des mandats présidentiels à deux dans le marbre constitutionnel ou à tout le moins, le mettre à l’abri de manipulations malsaines, en ne conférant la possibilité de le modifier ou d’y revenir qu’au peuple sénégalais par le biais du référendum.
C’est l’une des très rares innovations de la Constitution post-alternance. Remettre en cause cette intangibilité, somme toute relative, d’une disposition aussi importante, consiste à ruiner l’apport de la Constitution du 22 janvier 2001 au patrimoine constitutionnel du Sénégal. Il est vrai qu’ici, l’intention de garantir la rigidité et l’intangibilité de la clause limitative du nombre de mandats est louable mais moins forte que dans des pays comme la République démocratique du Congo ou la Mauritanie, qui ont purement et simplement choisi de proclamer l’impossibilité de toute révision de ladite clause.
Impossibilité de contourner la voie référendaire
Certains interprètes ont tenté de faire prévaloir que l’exigence de la révision par voie référendaire nettement affirmée à travers la formule, «cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire» ne s’applique qu’à la deuxième phrase de l’article qui prévoit que «le mandat est renouvelable une seule fois» et non à la deuxième phrase en vertu de laquelle, «la durée du mandat du Président de la République est de cinq ans».
Cette interprétation est irrecevable pour deux raisons. Il s’agit d’une disposition claire qui n’a pas besoin d’être interprétée. On n’interprète pas ce qui est clair. Lorsqu’un texte finit d’exposer une disposition (c’est-à-dire une norme ou des règles) et prévoit que cette disposition (c’est-à-dire en l’occurrence, la fixation de la durée du mandat à 5 ans et la limitation des mandats à deux) ne peut être révisée que par une loi référendaire, il n’y a place à interprétation, même pour les exégètes les plus passionnés.
L’erreur des interprètes défendant la thèse d’une possible interprétation, résulte du fait qu’ils ont considéré que les deux règles énoncées (quinquennat et limitation des mandats) sont dans deux alinéas différents (la première règle dans l’alinéa dans 1er et la seconde règle dans le second alinéa) et que la disposition imposant le référendum, par une proximité grammaticale et rédactionnelle avec le second alinéa, ne s’appliquerait qu’à ce dernier. Il s’agit d’une erreur monumentale parce que les deux règles se trouvent enfermées de façon ferme dans un seul et même alinéa. En effet, les deux phrases se suivent sur la même ligne. Donc, l’exigence du référendum contenue à l’article 27 in fine, s’applique aux deux règles énoncées plus haut, dans l’unique alinéa précédent.
Au total, aussi bien la modification de la règle du quinquennat que celle de la clause limitative du nombre de mandats présidentiels, requièrent la consultation du peuple sénégalais, seul habilité à en décider par le biais d’un référendum.»
* Ismaïla Madior FALL est agrégé des Facultés de droit – Professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
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