Enjeux et mécanismes des sanctions face aux coups d’Etat militaires

Avocat mauritanien, membre du Front National de Défense de la Démocratie, Me Gourmo Abdou Lô, explique la logique, la portée et l’utilité des sanctions internationales contre les régimes putschistes, ainsi que la Mauritanie vient d’en faire l’objet de la part du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union africaine. De même, il analyse les dangers qui pourraient résulter du silence de la communauté internationale face aux dérives militaristes qui commencent à resurgir en Afrique. En effet, l’embellie née des élections ghanéennes, qui ont porté au pouvoir Nana Akufo-Addo, le 28 décembre 2008, ne suffit pas à masquer les errements que connaissent les processus démocratiques en Afrique, face aux tendances putschistes qui subsistent. Notamment, au regard des deux derniers exemples que l’Afrique a connus, avec la Mauritanie et la Guinée.

Le 6 août 2008, les militaires mauritaniens renversent le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, élu en 2007. Le 23 décembre, profitant de la situation confuse née du décès du président Lansana Conté, une junte s’installe également au pouvoir en Guinée. Les condamnations et les menaces de sanctions fusent de la part des instances africaines et internationales, avec des ultimatums pour un retour à l’ordre démocratique. Le 5 février dernier, le CPS de l'UA a donc décidé de franchir le pas, en prenant des sanctions contre les membres civils et militaires de la junte. Selon son président, Manuel Domingos Augusto, ambassadeur d'Angola auprès de l'UA, les sanctions portent sur "une prohibition des déplacements des membres civils et militaires de la junte, le refus systématique des visas, le contrôle des comptes bancaires".

Le pouvoir établi à Nouakchott avait été averti d'une telle éventualité, mais n’avait pas réagi en conséquence. En effet, le 22 décembre dernier, l'UA avait décidé "d'imposer des sanctions ciblées à l'encontre de toutes les personnes, aussi bien civiles que militaires, dont les activités ont pour objet de maintenir le statu quo anticonstitutionnel en Mauritanie si, d'ici au 5 février 2009 , l'ordre constitutionnel n'est pas rétabli et (...) de saisir le Conseil de sécurité des Nations unies pour qu'il confère un caractère universel à ces mesures". Or, l’orientation prise par la junte mauritanienne est d’organiser une nouvelle élection présidentielle le 6 juin 2009, avec la possibilité, pour le général Abdelaziz qui a pris le pouvoir, de présenter sa candidature, plutôt que rétablir l’ancien pouvoir dans ses droits.

La décision prise par le CPS de l’UA a été portée au Conseil de sécurité de l'ONU afin qu'elles «deviennent universelles (et) que tous les pays membres de l'ONU les appliquent ». Le pouvoir militaire mauritanien se trouve donc le dos au mur, n’ayant plus d’échappatoire après avoir usé de différents artifices pour masquer son illégalité derrière un soutien populaire, renforcé par une alliance avec une partie de l’opposition. Désormais, il s’impose donc à la junte de coopérer avec «la commission de l'UA « pour le retour immédiat à l'ordre constitutionnel et la résolution de la crise politique dans ce pays », afin d’éviter un enchaînement des sanctions qui pourrait être lourd de conséquences.

Ce 7 février 2009, au lendemain des sanctions prononcées contre la Mauritanie, et comme instruite par ces mesures, la junte dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara a engagé le ministre de l'Administration du territoire et des affaire politiques et le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) «à respecter les engagements pris devant le peuple de Guinée et la communauté internationale d'organiser des élections libres, transparentes et crédibles pendant le dernier trimestre 2009 ».

Abdoul Gourmo Lô défend donc cette détermination à faire barrage aux putschistes, rappelant qu’«il est définitivement et unanimement accepté que les changements anticonstitutionnels de gouvernement sont désormais une menace contre la paix et la sécurité internationale, en raison de ses risques potentiels sur la stabilité du pays et de la région concernée et en raison également de ce qu’il représente en lui-même, comme attentat contre la volonté populaire».

L’usage a consacré les « sanctions » comme terme générique pour qualifier les contre-mesures légitimes prises par le reste du monde à l’encontre d’un Etat qui ne respecte pas ses obligations internationales. C’est ainsi que, dès le lendemain du Coup d’Etat, des « sanctions » ont été invoquées contre la Mauritanie voire appliquées par certains de ses partenaires étrangers (suspension de participation à l’Union Africaine et à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), restriction de voyage de certains officiels membres ou proches de la junte par les Etats-Unis etc…). Aujourd’hui, la question de savoir si, suite aux différents « ultimatum » de la part de principales institutions internationales, il devrait ou non y avoir des « sanctions » internationales et si oui, lesquelles, cette question est au cœur des crispations politiques nationales et des préoccupations de la communauté internationale.

« Mesures conservatoires » et « sanctions »

Sur le plan interne, les forces qui luttent avec acharnement pour le rétablissement pur et simple de la légalité constitutionnelle, estiment que ces « sanctions » , si elles devaient s’abattre sur le pays comme un mauvais sort, ne seraient que la conséquence dramatique de la prise de pouvoir illégale par des Généraux. Tant que ces derniers maintiennent leur ligne de rejet de toute formule de compromis fondé sur le préalable du retour du Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi au pouvoir, ces sanctions sont inévitables et le peuple doit s’y préparer, en ne les considérant que comme l’ombre du putsch lui-même, sa compagne encombrante et funeste. Les putschistes devront en assumer toutes les conséquences.

Ces mêmes considérations, liées aux inévitables « dommages collatéraux », amènent certains acteurs internationaux à se montrer hostiles au principe même de ces « sanctions » . Le président sénégalais Abdoulaye Wade, sans doute dans un grand élan sentimentaliste à l’égard du peuple mauritanien frère, s’est dit hostile aux « sanctions » puisqu’elles ne frapperaient d’après lui, que le peuple et non les dirigeants, sinon marginalement. Mais, il est vrai qu’il n’a pas tiré les conclusions de ses prémisses, à savoir l’adoption des « sanctions » contre ces dirigeants et non contre leur peuple innocent…

(…) Suivant la vieille tactique consistant, pour le pyromane, à crier au feu, les putschistes font du bruit partout pour accuser les partisans de l’ordre constitutionnel de soutenir les « sanctions » contre leur pays en préconisant une grande fermeté de la communauté internationale dans l’application des « mesures appropriées » de la part de ses institutions les plus représentatives, pour faire fléchir la junte (UA, Ligue Arabe, UE, OIF, OCI…). Nombre de ceux qui s’expriment à propos de ces « sanctions » et « mesures appropriées » amalgament toutefois les réactions convenues dans des accords internationaux, auxquels les parties sont liées (y compris la Mauritanie), et celles qu’offrent au reste du monde les ressources du droit international général suivant l’appréciation faite de la gravité de l’évènement que représente un coup d’Etat dans les relations internationales actuelles.

Il en est ainsi, dans la première hypothèse, des « mesures » prévues par l’accord de Cotonou (UE/ACP), dont l’art 96 prévoit la possibilité, pour les parties, d’entreprendre des contre-mesures légitimées par la violation par l’autre de ses obligations en matière de Droits de l’homme, de respect des principes démocratiques et de l’Etat de droit. Auquel cas, vont s’ouvrir les fameuses « consultations » avec la partie fautive pour l’amener à se remettre dans le cadre défini par l’accord dans la matière considérée.

(…) Les « sanctions » conventionnelles sont celles qu’appréhende aujourd’hui la junte puisqu’elles sont de nature à réduire fatalement ses marges financières (plusieurs centaines de millions d’euros en « manque à gagner ») en raison de l’éventuelle suspension des avantages de toutes natures résultant de l’application de l’accord. Intervenant dans le contexte d’une crise financière et économique mondiale sans précédent, elles mèneraient rapidement le pays à la faillite totale. Pure et simple.

C’est donc à leur propos, et par autodérision, que les thuriféraires de la junte jouent à se donner du courage en louant les vertus d’une « souveraineté nationale » dont ils se souviennent subitement de l’existence, en jouant la fibre de l’étroitesse nationale puisque ce sont elles qui provoqueraient le plus de « dommages collatéraux » dans la vie courante des gens (même si la coopération dite humanitaire était maintenue).

Pourtant, au risque de surprendre, on peut affirmer que, sur le plan strictement juridique, la situation visée par l’art 96 (violation par l’une des « parties » , de ses obligations essentielles notamment au plan de la démocratie pluraliste) n’est pas tout à fait celle que connaît aujourd’hui la Mauritanie.

Dans le premier cas, c’est l’Etat lui-même, dans sa constitution et sa représentation normales (gouvernement légal), qui viole ses engagements et qui, dès lors, à travers ses représentants légaux, assume les conséquences externes de ses actes. Ce serait le cas si c’était la Mauritanie, telle que dirigée avant le coup d’Etat, qui avait accompli une violation essentielle de ses obligations en matière de Droits de l’homme, de gouvernance démocratique etc. Il est clair que dans une telle situation c’est l’Etat qui se trouverait, en tant que tel, engagé par l’action (ou l’abstention) de ses représentants légitimes. On serait donc bien dans une logique de « sanctions » au sens du droit international, c’est-à-dire une contre-mesure qu’assumerait l’Etat, éventuellement d’ailleurs, devant une instance judiciaire internationale (Cour Internationale de Justice par exemple), quels que soient ses dirigeants. Dans notre cas actuel, il en est autrement.

La Mauritanie, comme « partie » de l’accord de Cotonou, n’a remis en cause aucune de ses obligations. Bien au contraire, elle les a toutes scrupuleusement respectées durant les quinze mois qui se sont écoulés depuis l’établissement du régime de M. Mohamed Sidi Ould Cheikh Abdallah jusqu’à son renversement le 6 août 2008. A moins de considérer que le coup d’Etat, acte inconstitutionnel (et donc anti-étatique) et contraire au droit international par définition, soit néanmoins imputable à l’Etat mauritanien - ce qui serait le comble de l’absurdité juridique.

Le Coup d’Etat est le fait d’un nombre particulièrement réduit d’officiers supérieurs, de surcroît limogés au moment du forfait par le détenteur légal de l’autorité suprême d’Etat. Il n’engage donc pas le pays mais seulement ses auteurs, devant leur peuple et devant la communauté internationale. Aucune plainte, de quelque nature que ce soit, ne pourrait être déposée, devant quelque instance que ce soit, contre l’Etat mauritanien du fait de cette rupture illicite de son ordre constitutionnel. Au 6 août, la Mauritanie en tant qu’Etat n’a pas violé ses engagements susceptibles de déclencher des sanctions contre elle au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou.

Etait-il possible, pour autant, de laisser courir l’accord de Cotonou, au motif que l’une des conditions de sa violation (à savoir l’imputation de ladite violation à un « Etat partie » ) n’était pas remplie ? Bien sûr que non ! Les autres Etats parties à l’accord étaient non seulement en droit, mais dans l’obligation d’en suspendre l’application, non pas comme mesure de sanction mais comme mesure conservatoire puisque l’une des qualités essentielles de la partie concernée (pour la Mauritanie), fait défaut provisoirement : être gouverné par des autorités représentatives.

Il est vrai que, sauf conséquence en matière de pleine juridiction internationale, « sanctions » et « mesures conservatoires » se confondent dans leurs résultats pratiques puisque, dans les deux cas, l’Etat peut se trouver « suspendu » dans la jouissance de son droit de représentation internationale et dans le bénéfice de certains autres avantages (matériels ou financiers par exemple). En cas de prise de mesures conservatoires, l’Etat ne perd pas ces avantages (ce qui pourrait être le cas en matière de sanctions). Ceux-ci sont « gelés » jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel normal. C’est la position la plus répandue aujourd’hui au sein de la communauté internationale.

Ces considérations, apparemment très théoriques, m’amènent aux remarques pratiques ci-après, en ce qui concerne les « sanctions » envisagées actuellement par la communauté internationale :

1°) En tant que « sanctions » , les contre-mesures envisagées par la communauté internationale ne peuvent, en aucun cas, être prononcées contre l’Etat mauritanien (et donc contre notre peuple) puisque cet Etat n’est pas responsable de l’atteinte portée contre son propre ordre constitutionnel.

2°) En tant que « sanctions » , ces contre-mesures, tout à fait légitimes (nous verrons pourquoi) ne peuvent viser que les auteurs de l’acte considéré comme suffisamment grave pour entraîner ces réactions internationales. Ils ne représentent pas l’Etat, au plan du droit. Ils ne représentent que leurs personnes respectives et, de ce fait, doivent être traitées comme des autorités de fait (avec les conséquences juridiques internationales découlant de l’exercice d’une autorité de fait).

3°) Les parties étrangères doivent suspendre, avec ces autorités de fait, toutes relations de nature à engager la poursuite de leur entreprise et, à plus forte raison, de l’amplifier, de la consolider ou de la reproduire. Toute attitude contraire leur est opposable en droit, en particulier, s’il y’a lieu, devant les instances judiciaires pertinentes.

Il va de soi que toute mise à la disposition de la junte, de ressources financières découlant de la mise en œuvre de conventions ou contrats internationaux se ferait aux risques et périls de la partie complaisante, comme ce fut le cas, dans le cadre des clauses de l’accord de pêche avec l’Union européenne, après le coup d’Etat. En particulier en cas de détournement ou de dilapidation de la manne financière, sauf, bien entendu, acceptation au moins tacite de ces relations par les représentants légitimes de l’Etat, en liberté…

Depuis le Coup d’Etat, la doctrine officielle des putschistes est d’en nier la réalité. Il s’agirait d’un mouvement de « rectification » qui, tout en mettant fin au pouvoir du président légitime et son gouvernement –accusés de tous les maux de la terre et d’ailleurs - aurait tout de même maintenu les « autres institutions démocratiques » (Sénat et Assemblée Nationale). Cette ruse de guerre, dont l’apparence n’est même plus sauvegardée depuis l’adoption de la « charte constitutionnelle » des militaires qui inféode officiellement lesdites institutions au « Haut Conseil d’Etat » (art 8 et 9) et les « tripatouillages » du règlement intérieur de l’Assemblée en violation de la constitution légitime, cette ruse de guerre a tout de même troublé certains de nos frères et partenaires étrangers.

C’est le cas du président Wade qui en conclût que ce Coup d’Etat « n’est pas comme les autres » (outre le jugement porté sur les conditions de limogeage des généraux, de leur commandement. ) ou encore le cas du Secrétaire d’Etat français chargé de la Coopération et de la Francophonie M. A. Joyandet, au tout début de l’ouverture des négociations internationales avec la junte, quand il releva que le putsch avait, par ses aspects institutionnels, « une connotation particulière ».

Pourtant, à supposer que cela fût vrai (ce qui est l’exact contraire de la vérité !) il est constant que la participation d’un organe de l’Etat (quelque prestigieux et légitime qu’il soit) à une entreprise de violation du droit ne valide pas pour autant cette violation. La caution apportée par le Parlement au renversement d’un régime démocratique par une voie non constitutionnelle ne légalise pas le Coup d’Etat qui en résulte. L’expérience du rejet unanime en Afrique, et dans le monde, du coup d’Etat fait au Togo par l’armée à la suite du décès du général Eyadéma Gnassingbé, le 5 février 2005, pour empêcher l’accession au pouvoir du président de l’Assemblée Nationale, conformément à l’article 65 de la Constitution togolaise, est riche d’enseignement dans ce sens.

Pour réussir leur coup et lui donner des atours démocratiques, les officiers togolais avaient convoqué une « session extraordinaire » (tiens, tiens !) de l’Assemblée Nationale, le 6 février 2005, tout en empêchant le président légal de l’Assemblée, en escale au Bénin, de regagner le pays, étant en voyage à l’étranger au moment du décès. Faure Gnassingbé (le fils du président défunt) est donc présenté par l’armée à sa place comme président de l’Assemblée nationale pour assurer l’intérim présidentiel pour le reste du mandat de feu son père, soit jusqu’en 2008. Le vote des parlementaires est sans appel et ferait mourir de jalousie nos parlementaires frondeurs : l’unanimité des membres présents (67) sur 81 (nombre total des députés).

Malgré cette extrême onction parlementaire, le Coup d’Etat fut unanimement condamné et échoua en définitive par rapport à son plan initial. En Mauritanie également, la caution apportée par une majorité parlementaire frondeuse n’a pas eu la vertu de changer le plomb en or, l’artifice en réalité, le Coup d’Etat en « rectification » démocratique.

Comme au Togo, à Sao Tomé et Principe, en Guinée Bissau…, comme partout où eut lieu un coup d’Etat ou une tentative, au cours de ces dernières années en Afrique, le « mouvement de rectification » en Mauritanie a fait l’objet d’une condamnation unanime, suivi d’un appel aux contre mesures nécessaires pour le faire échouer.

La méconnaissance des règles internationales élémentaires (ou la mauvaise foi, ou les deux ?) ont amené d’éminentes personnalités de la junte ou leurs soutiens actifs à s’offusquer de « l’ingérence étrangère » dans les affaires intérieures de notre pays à travers les menaces de sanctions brandies par la communauté internationale. Le « mouvement de rectification » serait un acte de souveraineté nationale dont les conséquences ne concerneraient que les Mauritaniens. Cette attitude teintée de populisme va à l’encontre de l’évolution actuelle des relations internationales et contredit de manière frappante les engagements internationaux de la Mauritanie et le droit international.

L’extrême précision et l’ampleur de la condamnation des coups d’Etat en Afrique et dans le monde sont attestées par les textes de plus en plus nombreux et les attitudes systématiquement convergentes de la communauté internationale. L’Afrique est en pointe dans cette affaire. Et la Mauritanie a été, ironie du sort, le premier pays du continent à avoir ratifié la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance peu avant le Coup d’Etat (en juillet 2008), Charte qui constitue, en la matière, un modèle du genre, tant dans la condamnation de principe que dans l’organisation prévue des réactions, comme on le verra plus loin. Il en résulte très précisément un droit d’ingérence de la communauté internationale pour y faire face et y mettre fin.

La réponse la plus cinglante et la plus profonde qui puisse être opposée à ceux qui se plaignent de cette « ingérence étrangère » est celle apportée aux putschistes par le ministre tanzanien des Affaires étrangères : « Le coup d’Etat est un revers grave pour les Mauritaniens parce qu’il a volé au peuple son droit fondamental à élire librement les dirigeants de son choix » (source : AFP). On a là le fondement et la justification juridiques et politiques de l’ingérence progressiste de la communauté internationale dans les « affaires intérieures » d’un pays victime du fléau du coup d’Etat.

Du fait qu’il viole l’une des règles fondamentales du droit international général (le droit du peuple à choisir librement son gouvernement) , le coup d’Etat ouvre à la communauté internationale non seulement la faculté d’intervenir mais lui fait obligation de le faire en assistant le peuple qui en fait l’objet et le gouvernement légitime qui en est victime. C’est le premier enjeu des sanctions qui est donc de protéger l’intégrité et la pérennité de la volonté populaire à travers la sauvegarde de sa représentation nationale légitime. Exactement comme s’il s’agissait de la protection de son intégrité territoriale ou de son indépendance nationale.

Le second enjeu des sanctions internationales concerne le maintien de l’ordre et de la stabilité des relations internationales qui est une préoccupation essentielle des Etats et l’un des facteurs majeurs de la paix et de la sécurité internationales.

Chaque coup d’Etat introduit, en effet, un élément de très grande incertitude quant à l’évolution des évènements intérieurs mais également à l’extérieur, particulièrement dans le voisinage immédiat de l’Etat concerné. C’est un facteur de risque potentiel majeur pour les intérêts du reste du monde, puisqu’il frappe par surprise au cœur même du dispositif des rapports internationaux : le système de représentation gouvernementale. La prudence des Maliens et la position… normande du Sénégal pourrait s’expliquer en partie par leur souci d’éviter que le Coup d’Etat ne dégénère en un conflit interne ouvert aux conséquences incalculables pour le pays et pour toute la sous région. Sans parler du risque de contamination cyclique inhérent à ce genre d’aventure, aussi bien à l’intérieur du pays que dans les pays voisins. C’est la loi de l’« exemple » que constitue un coup d’Etat réussi pour d’autres militaires…

Il est très probable que la lenteur des négociations avec les putschistes mauritaniens et les délais successifs qui leur sont accordés pour rendre le pouvoir ait inspiré les auteurs de la récente tentative de coup d’Etat en Guinée Bissau (fin novembre 2008). Comme il est certain que la réussite du coup d’Etat mauritanien sera fatalement interprétée, dans bien des casernes et corps spéciaux, comme un signe de levée de l’interdiction que la communauté internationale s’efforçait jusqu’alors de maintenir, contre vents et marées, spécialement en Afrique, contre un tel forfait.

Le combat de la communauté internationale contre les coups d’Etat est mené désormais, principalement, à travers un dispositif institutionnel de plus en plus rôdé dont l’objectif final est de ramener l’armée dans ses casernes et de rétablir l’ordre constitutionnel. Par deux fois (en 2005 et 2008), ce dispositif a été mis en œuvre « pour » la Mauritanie.

L’expérience montre que ce dispositif se déploie en paliers, suivant la zone d’appartenance géographique du pays concerné et les engagements résultant de cette appartenance. Pour un pays africain, arabe, francophone, membre du groupe ACP comme la Mauritanie, les « sanctions » seront envisagées et appliquées le cas échéant, suivant cette appartenance multiple, l’ONU étant, évidemment, l’institution de dernier recours dont la décision ultime (par le Conseil de sécurité) est susceptible de clore le processus « sanctionnateur » international.

Cette multi appartenance présente à la fois des avantages et des risques potentiels pour l’application des mesures de sanctions. S’il y’a la moindre faille, la moindre nuance dans l’appréhension des évènements et des conséquences qui en résultent, l’efficacité des sanctions sera en cause. Au contraire, si le front international est solide, et que les différents partenaires institutionnels s’expriment « d’une seule voix pour une seule voie » de sortie de crise, les chances de voir l’ordre démocratique rétabli seront multipliées d’autant. Aussi, comme on le voit aujourd’hui, les partisans du putsch sont-ils constamment aux aguets pour relever la moindre nuance dans les propos tenus par tel ou tel des principaux protagonistes par rapport aux positions communes, afin de tenter des manœuvres et de gagner du temps pour reculer aussi loin que possible, l’échéance de la mise en œuvre des sanctions, ou pour éviter le désespoir de ses partisans toujours « courageux hors de l’arène » à ce propos...

Consciente des enjeux que représente cette solidité du front extérieur face aux manœuvres du régime putschiste, la communauté internationale maintient son credo, en renforçant sa cohésion, comme le montre le texte du communiqué final de la Réunion consultative sur la Mauritanie tenue à Addis-Abeba le 10 novembre 2008 et qui a regroupé tous les partenaires institutionnels du pays. A savoir que «les participants sont convenus de la nécessité pour toutes les organisations concernées de travailler étroitement ensemble, pour continuer à envoyer des signaux concordants et mobiliser un appui encore plus soutenu aux efforts en cours de la communauté internationale pour promouvoir une sortie de crise conforme à la Constitution mauritanienne et aux engagements internationaux de la Mauritanie. » (§ 4).

Une fois constatée et proclamée l’existence d’un coup d’Etat (peu importent les formules byzantines employées par ses auteurs pour le qualifier et se dédouaner), le plus important sera le maintien d’une ligne de cohésion active de la part du reste de la communauté internationale. A ce jour, hormis quelques légères et inévitables nuances (épisode insolite de la fameuse résolution de circonstance du Parlement européen en octobre 2008), cette ligne de cohérence internationale est remarquablement maintenue. Elle s’avère à la fois souple (pour indiquer la bonne voie à tous, y compris à la junte) et ferme, donnant parfois l’impression d’une ligne brisée, alternant le chaud et le froid, la rudesse des propos et la complaisance du discours.

En fait, cette ligne reflète la complexité du dispositif diplomatique-institutionnel existant. Elle est la suivante : chaque institution applique sa « procédure en vue des sanctions » selon ses propres textes et pratiques et, il faut bien le dire, son « tempérament ». L’UE n’est pas la Ligue Arabe ni l’UA et l’OIF n’est point l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) ! Les unes et les autres agissent néanmoins de façon coordonnée, afin que chaque échéance définie par l’une, puisse trouver auprès des autres institutions la résonance nécessaire, grâce à des rencontres communes, préparées, et dont le calendrier est fixé au rythme d’évolution des rapports avec la junte.

On assiste, en définitive, à un véritable ballet diplomatique dont la synchronisation est « déléguée » aux uns ou aux autres, au gré de ces rapports avec les autorités de fait, les autorités légitimes encore en liberté et le reste de la classe politique et la société civile, tous sollicités en permanence à « coopérer » pour l’objectif final : le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Dans le cas actuel de la Mauritanie, les deux « chefs d’orchestre » de fait sont l’Union Européenne et l’Union Africaine, dont les positions communes sont « portées » dès le départ, par l’OIF, puis la Ligue Arabe et, officiellement, par les Nations Unies qui renvoient à leurs décisions en la matière, en attendant, pour cette dernière, de prendre peut-être le relais

Que peut-il se passer en effet si, au terme des différentes « échéances » fixées par les institutions concernées, les autorités de fait invitées à rétablir l’ordre constitutionnel, refusent néanmoins de s’y conformer ? Que peut faire la communauté internationale ? C’est la grande question que tous se posent et à laquelle il est difficile de répondre, en dehors de l’examen de ce que représente le coup d’Etat comme infraction particulière au plan international et des pratiques suivies dans des cas similaires par la communauté internationale pour y faire face. C’est tout le problème de la raison d’être et de l’efficacité des sanctions internationales…

Face aux exigences de retour à l’ordre constitutionnel formulées par les forces démocratiques et la communauté internationale unanime, la junte au pouvoir répond par l’enfermement sur soi, la fuite en avant, les manœuvres dilatoires, la répression tous azimuts et l’achat des consciences. Le pouvoir, conquis par la force brutale, est considéré comme un butin de guerre dont l’utilisation est supposée octroyer à terme, la reconnaissance interne et internationale.

La « reconnaissance » qu’espère la junte devrait en effet lui permettre, d’une part, de continuer sa gouvernance de fait transformée, de jure, en « gouvernance de transition », disposant en toute impunité et de plein droit, de l’ensemble des prérogatives du gouvernement légitime renversé, et d’autre part, de préparer, à grande échelle, les conditions de la future victoire de son candidat à la future élection présidentielle inscrite dans son agenda politique (la fameuse « feuille de route ») comme le seul horizon de sortie de la crise.

Echouant totalement à convaincre la communauté internationale du bien fondé de leur « mouvement de rectification », les putschistes ont vite réorienté leur ligne tactique en direction de l’intérieur, dans le but ultime d’imposer au reste du monde leur fait accompli, tumultueusement présenté comme irrésistible puisque cautionné par le « peuple ». Tous les moyens de l’Etat (le butin de guerre !) sont mobilisés pour entraîner les masses déshéritées dans un vaste mouvement de « soutien », auquel celles-ci sont par ailleurs habituées depuis plusieurs décennies, de la part des régimes successifs, et qui les laissent par conséquent de marbre, en dépit des apparences radiophoniques ou télévisuelles soigneusement élaborées. Mais peu importe : pour un gouvernement d’apparat, seule importe, précisément, l’apparence !

Dans cette configuration de l’évolution politique imaginée par la junte, le temps joue un rôle essentiel. Il s’agit de jouer la montre, pour enraciner et consolider son pouvoir de fait à l’intérieur du pays et pour imposer au reste du monde, en définitive, son programme stratégique de restauration du régime d’avant 2005, (le régime de l’ex-président Ould Taya), avec sa nouvelle figure de proue, adoubée par des « élections libres et transparentes » fortement « impulsées » par le Haut Conseil d’Etat.

Aussi, depuis le coup d’Etat et les toutes premières démarches de la communauté internationale pour rétablir l’ordre constitutionnel, le seul vrai programme de la junte est de gagner du temps, avec comme mot d’ordre donné à ses envoyés spéciaux et émissaires plénipotentiaires : reculer les échéances… quitte à faire multiplier les ultimatums des institutions internationales ! Cette approche négative très pragmatique de la junte est la seule qui puisse concilier le risque des sanctions qui pèsent sur elle (et qu’elle craint par-dessus tout) et la durée nécessaire pour réaliser son programme. C’est le seul gage de réussite complète du putsch...

Mais cette approche de la junte ignore délibérément, non seulement les fragilités inhérentes à la nature même de l’Etat et du régime, - fragilités décuplées par l’état d’urgence économique mondiale ambiante et la raréfaction systémique des ressources financières - mais aussi les risques encourus par elle, du fait des engagements réitérés de la communauté internationale de ne pas accepter la réussite du coup d’Etat et la menace des sanctions contre elle.

La nature des sanctions brandies et le profil de solution de sortie de crise qui se déduit des prises de position exprimées par les différents partenaires du pays apparaissent comme antagoniques avec l’attitude générale de la junte et, spécialement, sa « feuille de route » de sortie de crise.

Chaque institution internationale est libre de décider du type de sanction qui lui semble adapté aux circonstances particulières de la Mauritanie. Ces sanctions, par principe, sont adressées à la junte, en tant qu’organe de pouvoir de fait et à ses membres pris individuellement, en tant qu’auteurs, co-auteurs ou complices d’une infraction internationale. Nous avons vu, précédemment, que le pays, en tant que tel, ne pouvait être visé puisque l’Etat mauritanien n’a pas commis une telle infraction.

Le communiqué de la réunion consultative sur la situation en Mauritanie, tenue à Addis Abeba le 10 novembre 2008 entre l’ensemble des institutions de coopération a clairement annoncé la couleur, en mettant en garde « les auteurs du coup d’Etat et leurs soutiens civils contre les risques de sanctions et d’isolement au cas où ils ne répondraient pas aux demandes de la communauté internationale… », en visant particulièrement, « le dirigeant de ces autorités (qui) assume une responsabilité particulière à cet égard. ».

C’était la position qu’avait prise le 22 septembre 2008, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine en s’adressant directement et personnellement aux principaux responsables du coup d’Etat, position à laquelle les membres du Conseil de sécurité avaient dit s’associer, dans le même communiqué de la réunion consultative.

La logique de ces sanctions individuelles est de faire assumer aux putschistes seuls la responsabilité de leur acte devant la communauté internationale. Leur isolement, notamment par la restriction de leurs voyages, est assurément le premier palier dans la hiérarchie des possibilités. Il en va de même du gel de leurs avoirs et du blocage de leurs comptes et opérations monétaires et financières à l’étranger. Il est clair, cependant, que de telles sanctions « minimales » ont des répercussions négatives globales sur une économie de monopoles nourris par un clientélisme politique actif au service de certains grands opérateurs économiques aux liens étroits divers avec les gouvernants du moment.

Restreints dans leurs déplacements à l’étranger, comment ces autorités pourraient-elles assurer, à terme, même la simple expédition des affaires économiques courantes pour un pays qui compte, avec Haïti, parmi les pays les plus dépendant du monde ? Comment leurs soutiens privés pourraient-ils assurer la poursuite de leurs fructueuses relations d’affaires avec l’étranger, à moins de recourir, en masse, à certains expédients dangereux (planche à billets, blanchiment d’argent et trafics crapuleux en tous genres…) et de transformer le pays en jumeau économique du Zimbabwe ?

La Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance de l’Union Africaine va plus loin dans cette logique des sanctions individuelles. Son Chapitre VIII, dédié aux « sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement », offre à l’UA la possibilité non seulement de décider de formes variées de sanctions à l’encontre des auteurs du coup d’Etat, y compris des sanctions économiques (article 25.7) mais aussi de traduire ces auteurs « devant la juridiction compétente de l’Union » (article 25. 5). A défaut de la mise en place de cette justice commune, les Etats parties « jugent les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ou prennent les mesures qui s’imposent en vue de leur extradition. », (article 25. 9), ce qui constitue une véritable révolution juridique internationale.

A cela, il faut ajouter une autre sanction tout aussi lourde de conséquence pour les auteurs du putsch : leur exclusion de toute éventuelle élection destinée à rétablir l’ordre constitutionnel. Pour la Charte (article 25.4), « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat » . Cette disposition de bon sens avait déjà été invoquée par l’organe central du Mécanisme pour la Prévention, la Gestion et le Règlement des Conflits de l’UA en juillet 2004, à l’occasion du putsch de Sao Tome et Principe qui finira d’ailleurs par la restitution du pouvoir au Président élu exilé au Nigeria et l’amnistie des putschistes.

L’organe de l’UA avait, en effet, rejeté, par principe, « toute participation, notamment comme candidats, des auteurs d’un coup d’Etat…aux élections organisées en vue de restaurer l’ordre constitutionnel » . L’actuelle majorité parlementaire putschiste en Mauritanie, qui a voté, dans une belle unanimité, la loi autorisant la ratification de la Charte, se rend–elle compte de l’ironie succulente de la situation dans laquelle elle se trouve par rapport à l’applicabilité actuelle de cette disposition à leurs actuels mentors ?

Certes, adoptée en janvier 2007, la Charte n’est pas entrée en vigueur puisque le nombre requis de ratifications (15) n’a pas encore été atteint. Cependant, le fait pour la Mauritanie de l’avoir, pour sa part, d’ores et déjà ratifiée depuis juillet 2008, n’est pas sans conséquence sur son opposabilité à son égard, au nom du principe de bonne foi en droit international qui impose aux Etats qui, avant les autres, ont signé ou ratifié une convention, certaines obligations liées à la sauvegarde de l’objet même de ladite convention. Les sanctions prévues dans cette convention sont en principe invocables et applicables aux auteurs du changement anticonstitutionnel de gouvernement par les autres Etats membres de l’UA et à plus forte raison par les instances compétentes de l’UA.

En fonction de leur propre appréciation de l’évolution des rapports de la junte avec le reste de la communauté internationale et des risques inhérents au maintien du statu quo putschiste, les partenaires, alternativement ou parallèlement à leurs sanctions spécifiques, peuvent décider de s’en remettre pour la suite de ces rapports, au Conseil de sécurité des Nations unies. Potentiellement, c’est la phase la plus redoutable des relations de la junte avec le reste du monde, une fois celui-ci convaincue de l’échec des tentatives de règlement pour une sortie de crise acceptable.

Le Conseil peut, bien évidemment, décider de la suite à donner, en fonction des solutions préconisées par les institutions régionales concernées, de sa propre appréciation de la situation, des risques potentiels du coup d’Etat sur la stabilité du pays et de la sous région, de l’impact que génère le putsch comme exemple négatif en Afrique et dans le monde, du degré de mobilisation de ses membres les plus éminents pour un règlement acceptable du dossier etc. Mais sa décision sera sans recours.

Au terme du ballet diplomatique euro-africain actuel, avalisé par le reste de la communauté internationale, le statu quo putschiste se poursuivant, l’agenda prévu est, le cas échéant, de transférer le dossier mauritanien au Conseil de Sécurité, instance souveraine de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Dès le lendemain du coup d’Etat, le 19 août 2008, le Conseil a condamné le coup d’Etat et « exigé » la « libération immédiate du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et le rétablissement immédiat des institutions légitimes, constitutionnelles et démocratiques. » . Ayant pris note du rôle de premier plan de l’UA et de l’appui dont elle bénéficie dans ce sens par les autres institutions internationales, le Conseil « demande à tous d’aider à rétablir rapidement l’ordre constitutionnel en Mauritanie », en promettant de continuer de suivre l’évolution de la situation.

Aussi est-ce sans surprise que les membres permanents et les membres africains du Conseil de sécurité qu’avaient rencontré, à l’issue de leurs travaux, les participants de la réunion consultative sur la situation en Mauritanie d’Addis Abeba du 10 novembre 2008, ont « réaffirmé leur plein appui aux efforts de l’UA et des organisations partenaires, et souligné leur disposition à examiner de nouveau la situation à la lumière de l’évolution des efforts visant à régler la crise et à restaurer l’ordre constitutionnel en Mauritanie. » (Voir texte du Communiqué issu de la réunion consultative).

(…) Pour une situation comme celle que connaît la Mauritanie après un putsch aussi absurdement contraire aux valeurs démocratiques universelles actuelles et potentiellement aussi dangereux pour la paix et la sécurité du pays, le Conseil de sécurité des Nations unies ne peut qu’ « agir » pour mettre fin à un tel défi et briser les ressorts de la dynamique putschiste, ce fléau d’un continent, en quête de stabilité et de paix. Auquel cas, cette « action » pourrait se fonder, en théorie, sur deux chapitres distincts de la Charte des Nations Unies, animés chacun d’une logique internationale spécifique : le Chapitre VI et le Chapitre VII.

Dans le cadre du Chapitre VI, le Conseil ne serait pas dans une logique de « sanctions » mais de « règlement pacifique ». Saisi le cas échéant par d’autres parties (en l’occurrence ici, le panel des institutions internationales), le Conseil, sur la base de l’article 33 de la Charte, « invite les parties à régler leur différend » par des moyens pacifiques (négociation, enquête, médiation, médiation, conciliation, recours aux organismes ou accords régionaux etc.). Il peut décider lui-même de mener des enquêtes sur la situation pour savoir si elle est de nature à menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationale (article 34). Dans tous les cas, s’il le juge nécessaire, il peut recommander aux parties les procédures ou méthodes d’ajustement appropriées, aux termes de l’article 36.

Il apparaît donc, au vu de ces dispositions de la Charte, que le recours au Chapitre VI serait parfaitement en discordance avec la logique du règlement pacifique déjà entrepris dans le cadre du panel des institutions internationales mené par l’UA et l’UE et dont l’échec seul permet précisément d’expliquer, en définitive, le recours au Conseil. Si ce dernier recourrait à son tour à ce même dispositif, il ne ferait que reproduire le cheminement suivi jusqu’alors par les parties et qu’il a accompagné pas à pas. Ce serait, de sa part, participer à son corps défendant aux manœuvres dilatoires destinées à assurer et prolonger la poursuite du coup d’Etat à moindre frais. Ce serait contraire à sa propre demande à tous

Le recours au Chapitre VII par le Conseil entérine l’échec des efforts pour trouver une solution acceptable de sortie de crise et confirme la volonté des Nations Unies de mettre fin, le plus rapidement, à une situation considérée comme une menace contre la paix, une rupture de la paix et un acte d’agression. La question de savoir si un coup d’Etat entre dans le champ de définition de ce Chapitre est désormais dépassée.

Il est définitivement et unanimement accepté que les changements anticonstitutionnels de gouvernement sont désormais une menace contre la paix et la sécurité internationale, en raison de ses risques potentiels sur la stabilité du pays et de la région concernée et en raison également de ce qu’il représente en lui-même, comme attentat contre la volonté populaire. Les mesures de sanctions peuvent revêtir plusieurs formes n’impliquant pas la force armée et pouvant se traduire notamment par un embargo plus ou moins complet (article 41).

Mais elles peuvent au contraire entraîner un tel recours si ces mesures sont considérées comme inefficaces. Dans ce cas, la pratique suivie consiste à autoriser la mise sur pied d’une force d’intervention, soit explicitement comme ce fut le cas en Haïti en juillet 1994, soit implicitement en « laissant faire » et en suivant de près une intervention régionale comme ce fut le cas au Libéria, par l’ECOMOG, en août 1990, et en Sierra Léone, en 1997 et, plus récemment aux Comores en mars 2008 de la part d’un groupe de d’Etats mandatés par l’UA (Soudan, Lybie, Tanzanie et Sénégal pour ce dernier cas), pour mettre fin au putschisme et aux velléités sécessionnistes du Colonel Mohamed Bacar, après le constat de l’inefficacité des sanctions économiques décidées contre son régime.

Le modèle d’ « action » le plus significatif, en termes de recours par le Conseil à ses pouvoirs dans le cadre du Chapitre VII est celui donné par sa fameuse résolution 940, par lequel l’ONU « autorise des Etats membres à constituer une force multinationale placée sous un commandement et un contrôle unifiés et à utiliser dans ce cadre tous les moyens nécessaires pour faciliter le départ d’Haïti des dirigeants militaires(…) et le prompt retour du président légitimement élu, ainsi que pour instaurer un climat sûr et stable(…). ».

Après avoir imposé des sanctions économiques sévères et constaté la poursuite du coup d’Etat malgré les accords de sortie de crise conclus entre les autorités de fait et les autorités légitimes, le Conseil de sécurité donna donc son feu vert pour une action militaire qui se solda, trois longues années après le déclenchement du coup d’Etat, par le départ du général Raul Cédras, son auteur principal. Il faut dire qu’une telle solution n’a été possible que par la détermination de la superpuissance américaine dont l’opposition quasi personnelle au général Cédras avait joué un rôle décisif dans l’intervention étrangère minutée par les troupes américaines.

En définitive, comme on le voit, le choix d’une solution de sanctions est largement ouvert, aussi bien sur le plan régional (avec l’UA, l’UE et les autres institutions régionales) que celui des Nations Unies. Ce qui se dessine n’est pas de bon augure et, il faut bien le dire, risque de nous entraîner bien plus loin que l’on ne puisse imaginer.

Au vu de l’évolution des démarches de règlement international de la crise en Mauritanie, il apparaît clairement que celle-ci, peut-être au corps défendant de ses principaux protagonistes, est en train d’atteindre un seuil critique, un point de non retour dont les conséquences pourraient être catastrophiques pour le pays et pour longtemps. La gravité de la crise provient du fait que sa dimension politique n’est que la partie visible, spectaculaire de l’iceberg. C’est une crise existentielle, totale, qui requiert de chacun la claire conscience des enjeux et l’immensité du poids de nos responsabilités respectives.

La communauté internationale fait les efforts qu’elle peut et nous donne la réponse que nous méritons d’elle, en bien ou en mal. Elle dispose, pour ce faire, de la panoplie des moyens de pression qui, les unes autant que les autres, sont redoutables. Dans le contexte de crise mondiale actuelle, la seule perspective de la moindre sanction aura forcément des répercussions dangereuses. Mais le fait est que la réussite du coup d’Etat, forcément par le durcissement du régime, sa militarisation de plus en plus ouverte, sa « dictatorialisation », sera pire.

Le mieux, pour nous, serait donc de ne pas jouer avec le feu, d’éviter l’engrenage des sanctions et de recourir au compromis qu’appellent de leur vœu la communauté internationale et notre peuple qui, quand même, est celui qui fut frustré de sa volonté souveraine de choisir ses dirigeants. Il faut rétablir l’ordre constitutionnel en assurant le retour du Président légitime, tel est le sens des exigences communes. Entre nous Mauritaniens, dans la limite du respect de cette volonté commune, tout doit être négociable, tout doit être possible, pour éviter les sombres perspectives qui se profilent à l’horizon…

* Me Lô Gourmo Abdoul est membre du directoire de l’Union des forces de progrès et du Front national de défense de la démocratie