Mwalimu Nyerere, l’artiste

Le rôle de Mwalimu Nyerere dans la promotion de l’art et du bien-être des artistes est analysé par Vincensia Shule, elle-même artiste. Elle note que le Mwalimu a produit différentes pièces de théâtre et que dans sa mission de décolonisation du théâtre, il a traduit Shakespeare en Kiswahili. Sans oublier qu’il a su lier sa philosophie Ujamaa avec les arts, comme ce fut le cas lorsqu’il a rebaptisé ‘Ujamaa’ la fameuse sculpture Dimoongo Makonde. Néanmoins, Vincensia constate que Mwalimu « n’a pas eu la chance de parvenir à persuader les autres politiciens, en particulier ceux de son parti, à apprécier l’art en dehors d’un discours de propagande» et lance un appel pour la revitalisation de l’idée de l’art du Mwalimu.

Il est beaucoup de domaines en Afrique, et au-delà, où la contribution et la participation du Mwalimu peuvent être reconnues. Ces domaines vont des affaires sociales et politiques, aux affaires internationales Le but du présent article n’est pas seulement de démontrer ses capacités intellectuelles et artistique, mais aussi d’exposer comme il a utilisé l’art pour exprimer sa philosophie et ses idées. Utilisant sa créativité artistique, il a réussi à produire et à identifier le potentiel de l’art dans la construction d’une nation indépendante, peu après l’indépendance. Cet article jette un regard sur Nyerere à travers ses dimensions d’artiste et ses initiatives pour protéger les arts. Il analyse aussi la manière dont le changement idéologique, allant du socialisme au néolibéralisme, a affecté les arts.

Du point de vue historique, les gouvernements coloniaux, aussi bien avec les Allemands qu’avec les Anglais, ont été des destructeurs enthousiastes du théâtre et d’autres activités culturelles, parce que, pour eux, il s’agissait de manifestations démoniaques et barbares. Les Allemands, par exemple, n’ont pas établi de théâtre pas plus qu’ils n’ont tenté d’imposer leur esthétique à la population locale. «En raison de leur ignorance et parce que ça leur convenait, ils ont dénigré les arts vivants locaux comme étant des ‘’activités peu civilisées’’. (Lihamba, 2004, p.236).

Mollel (1985) et Lihamba (1985a) expliquent comment l’occupation britannique a mené à l’introduction du théâtre colonial au Tanganyika dans les années 1920. Lihamba (2004) considère le colonialisme britannique comme le début «d’une période d’introduction agressive de théâtre occidental» qui était «facilité par deux principaux canaux : les écoles et les clubs d’art dramatique des expatriés» (pp. 236-237) Le théâtre occidental était présenté dans des écoles séparées selon des critères raciaux et utilisait des scènes à l’antique et des costumes coûteux. (Mollel, 1985, p.23)

La période entre 1945 et 1952 est marquée par un retour agressif du théâtre colonial, après une pause entre 1922 et 1940, lorsque la Grande Bretagne était économiquement étranglée comme l’explique Chachage (1986). On assista alors à la réintroduction de Shakespeare, de Bernard Shaw, de Gilbert et Sullivan (Lihamba 2004, p 237). Bien que ces représentations occidentales ne puissent trouver leurs origines en Afrique, elles étaient considérées comme un modèle universel de théâtre, argumente Mollel (1985). Le « Little Theatre» a été établi par les Britanniques à Dar es Salaam et à Arusha, respectivement en 1947 et 1953. Ils étaient utilisés pour montrer à « l’élite africaine » ou aux « Européens noirs» (comme les nommait Nyerere) la qualité et la valeur du théâtre occidental (Mlama, 1991, p.100)

Les missionnaires et les églises avaient une perception similaire de l’art vivant africain. En dehors de ses approches morales, le théâtre traditionnel africain était considéré comme démoniaque et répugnant. Deux écoles de pensées existent alors quant aux raisons pour lesquelles les colons et les missionnaires voulaient supprimer le théâtre africain au profit du théâtre occidental. Certains, comme Plastow, estiment que les missionnaires n’ont pas complètement compris les arts vivants des Africains. Le théâtre, avec les autres formes d’art vivant, étaient associé à la sorcellerie et classé comme démoniaque. Elle avance ainsi :

L’art vivant traditionnel était souvent en relation avec la religion indigène, la sexualité et l’alcool, toutes choses que l’Eglise s’efforçait de dénier aux peuples africains. De plus, la culture traditionnelle africaine devait être effrayante pour beaucoup d’impérialistes. Ils ne comprenaient généralement ni son langage ni sa forme et avaient été endoctrinés à croire à la nature sauvage des primitifs africains. Au point qu’un ngoma autour du feu a très bien pu devenir pour eux, un rituel païen d’un barbarisme effrayant.(1996,p.45)

Des érudits comme Bakari & Materego (2008), Kerr (1995) et Nsekela (1984) proposent un autre point de vue. Il suggère que le bannissement de l’art africain n’était pas un accident. Les colonialistes savaient que le théâtre était une expression culturelle. Et pour les Chrétiens ils ont supprimé les arts vivants africains lorsqu’ils ont compris que «la culture est la clé symbolique des bases religieuses et morales des sociétés indigènes». (Kerr 1995, p.18) Nsekela explique en détail comment la formation dispensée par les missionnaires a été utilisée pour encourager les gens à accepter «l’inégalité humaine et la domination du faible par le fort» comme l’un des éléments fondamentaux de l’être civilisé. (1984, p.58) Même le processus pour promouvoir la religion avant l’administration coloniale avait une raison spécifique. Mlama (1985) argumente que «dans un système capitaliste, l’esprit de celui qui est exploité est tourné de telle sorte qu’il accepte l’exploitation et «les chants religieux, par exemple, en particulier ceux du christianisme, ont été abondamment utilisés par les capitalistes afin de faire accepter aux gens la pauvreté matérielle dans l’espoir de trouver le salut spirituel divin» (p9)

Avant la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les activités culturelles, y compris les danses traditionnelles, le ngoma, étaient perçues comme obscènes et barbares et comme étant une de ces activités qui favorisaient le tribalisme. (Plastow, 1996). Plus tard, en 1948, le gouvernement colonial britannique a changé sa politique culturelle et a permis et encouragé les activités culturelles, y compris le ngoma. (Rubin & Diakante, 2001, p302) Il a ainsi établi une liste de 20 ngoma qui étaient acceptables (Lange, 1995, p 46). Ceci pourrait être vu comme une différence entres les Allemands et les Britanniques. Mais en réalité, au moment où le gouvernement britannique a décidé de permettre certain ngoma, le nationalisme et les mouvements de libération avaient commencé à se développer et l’administration coloniale n’était plus en mesure d’adopter une position autre. (Askew, 2002, p 168) Cette liberté devait «les distraire de l’opposition croissante à la domination coloniale de l’empire» (Mlama, 1991, p 58)

Malgré cette incursion, il était clair que les colonialistes ne pouvaient réussir à supprimer les arts vivants africains traditionnels. (Lihamba, 2004, p.236) Le gouvernement colonial bannissait diverses formes d’art vivant traditionnel en raison de leur «nature barbare», mais certains groupes de théâtre ont résisté à cette invasion culturelle et ont lutté pour leur liberté culturelle. Beni ngoma était l’une d’entre elle. Cette attitude s’est développée en intégrant différents éléments sociaux et politiques provenant de l’organisation coloniale. Les danseurs revêtaient des imitations de costumes militaires. La musique était un ensemble de cuivre et même la danse (parade militaire) imitait l’entraînement militaire. Beni pratiquait sous formes d’associations, comme celles bien connues de « Marini contre Arinoti » et « Kingi contre Scotchi » (Askew, 2002, p 45 ; Chachage 2002 ; Lange 2002 ; Edmonston, 2007)

De façon surprenante, les colonialistes ont été attirés parce qu’ils pouvaient voir que les Africains comprenaient le type de représentations auxquelles ils pouvaient s’adonner. «L’imitation de l’habillement et des pratiques européens, en particulier par les fonctionnaires africains, les enseignants et les soldats, était considéré comme un processus de civilisation de la population locale» (Lihamba, 2004, p. 238). Donc la notion selon laquelle le ngoma et autres danses traditionnelles étaient barbares était bien comprise à l’intérieur du Beni Toutefois, le Beni comme forme de théâtre traditionnel était le résultat d’une structure oppressive entre le dominant et le dominé qui lutte pour s’intégrer dans le système administratif créé. Comme le démontre clairement Ngugi, la conséquence d’un système de domination est la naissance d’une culture de résistance (1997, p.127)

Plus tard, le gouvernement colonial a décidé de réglementer Beni parce qu’il pensait que cela pouvait mener à une conscience politique dans le mesure où celui-ci contenait des insultes et mettait en question la légitimité du gouvernement colonial. (Chachage, 1986) Pour les colonialistes, Beni est devenu une société communiste (Lihamba, 2004, p, 238) Il s’en est suivi que le gouvernement colonial a commencé à imposer une taxe sur chaque représentation, afin de décourager les gens de danser. Comme on pouvait s’y attendre, certains membres de l’association Beni faisaient partie du mouvement nationaliste qui a donné naissance au Tanganyika African National Union – la TANU- le parti qui a lutté pour l’indépendance. (Lihamba, 1985a, pp. 29-30)

Pour marquer l’accession à la pseudo-indépendance, Mwenge wa Uhuru (La torche de la liberté/Uhuru) a été placée au sommet du Kilimandjaro par Alexander Nyirenda, à la veille du 9 décembre 1961, comme symbole de la liberté. Ici je voudrais souligner que le rituel consistant à placer la torche et la course annuelle de la torche Uhuru (Mbio za Mwenge wa Uhuru) montrent l’admiration de Nyerere pour les arts vivants et leurs rôles dans la prise de conscience de la population envers le but commun. L’établissement d’un ministère de la Culture et de la Jeunesse remonte au discours inaugural du président en 1962. Nyerere a alors décliné le rôle du ministère, y compris le processus qui devait permettre aux Tanzaniens de regagner leur fierté culturelle. (Nyerere, 1966, p 187) Dans ce même discours au Parlement, Nyerere a exprimé sa préoccupation quant à la déshumanisation de l’art africain par les colonialistes. Son discours est devenu le programme de politique culturelle en Tanzanie et a conduit à diverses réformes de l’art. Ceci a inclus «l’institutionnalisation» du National Art Groups (NAGs) pour réaliser la quête de Nyerere d’une renaissance de l’africanité des arts et de la culture (Bakari et Materego, 2008)

Les groupes institutionnalisés comprenaient le National Bgoma Troupe (1963), le National Acrobatic Group (1969) et le National Drama Group (1972). Ils étaient désignés pour devenir le modèle des arts vivants en Tanzanie. Le National Bgoma Troup comprenait 30 artistes recrutés dans différentes régions de la Tanzanie, comprenant des musiciens et des danseurs. (Lange, 2002, p.55) On notera que le processus de construction d’une culture nationale au travers de ces groupes remonte à la naissance de la TANU en 1954, lorsque Hiairi y Moyo, sous la direction de Suleiman Mwinamila, ont participé efficacement à la création du théâtre national (Semzaba, 1983). Dès la création de la TANU, les mouvements de décolonisation ont commencé et Hiairi y Moyo a été forcé de mettre en avant des concepts de libération et de nationalisme, pour lutter contre le colonialisme et l’impérialisme culturels. « Amka Msilale » (Réveilles-toi, ne dors pas) a été leur première représentation enregistrée

Amka Msilale (Réveilles-toi, ne dors pas)
Msiwe wajinga mu Tanganyika (Ne sois pas stupide, tu es au Tanganyika [territoire])
Tanganyika ni mali yetu (Tanganyika notre propriété)
Tukidai tutapewa (Si nous exigeons on nous donnera)
(Semzaba, 1983, p. 22

La multiplications des NAGs a atteint jusqu’aux villages. Le processus ne s’est pas arrêté avec leur établissement mais a aussi inclus leur ancrage pour être les fondations de la fierté artistique nationale. Ces groupes ont fait des représentations lors de manifestations politiques, des banquets d’Etat et des réunions à tous les niveaux. Les membres du NAG étaient des employés de l’Etat qui leur payait leur salaire et subventionnait la plupart de leurs coûts. Et les groupes ne pouvaient pas recevoir de paiements additionnel pour leur présentation. La focalisation portait sur l’unité nationale et la promotion des politiques Ujamaa de l’Etat. Un des résultats positifs de ces initiatives a été de rendre vivante les activités à différents échelons de la société. (Mlama, 1985, p. 103)

Le rituel de l’union entre le Zanzibar et le Tanganyika, le 26 avril 1964, peut être considéré comme une autre prestation artistique. Outre la signature conventionnelle du traité, c’est-à-dire les échanges des textes de l’Union, Nyerere a mélangé de la terre des deux pays. Les costumes et ce mélange symbolisent la valeur que Nyerere accordait à l’art et sa croyance dans le contenu du théâtre traditionnel.

Mwalimu, comme il est communément appelé, a aussi produit différentes pièces de théâtre. Il doit être noté que dans sa mission de décolonisation de l’art, il a traduit les fameuses pièces de Shakespeare en Kiswahili. Selon Rubin et Diakante (2001, p.301) les pièces traduites étaient Julius César sous le nom de «Julius Kaizari» (1968), Macbeth sous le nom de « Makbeth» (1968) et le Marchand de Venise sous le nom de «Mabepari wa Venisi» (1969)

Une des explications de la traduction de ces oeuvres de théâtre pourrait être qu’en révélant le contenu de ces célèbre oeuvres de théâtres britanniques, Nyerere pouvait ajouter de la valeur au théâtre du peuple qui regagnerait sa fierté. Il croyait que les lecteurs en Kiswahili pourraient mieux comprendre le contenu et le contexte des œuvres de Shakespeare et auraient une opportunité de comparer le théâtre africain /tanzanien et le théâtre étranger/occidental tout en regagnant leur fierté. Deuxièmement, pour Mwalimu, il était important de promouvoir le Kiswahili comme langue de théâtre. (Rubin et Diakante, 2001, p 302) Troisièmement, c’était peut-être sa façon de prouver au monde qu’une personne simple, un prolétaire comme il aimait se désigner, savait lire, écrire, comprendre et traduire la littérature glorifiée par la majorité. En fait, dans son discours au Parlement en 1962, Nyerere déplorait l’éducation européenne qui se concentrait à enseigner aux gens comment danser le fox trot, la valse et le rock. Il affirmait que cela rendait les personnes éduquées incapables de danser les danses traditionnelles comme le gombe sugu, le mangala, le kiduo ou le lele mama dont certaines ignorent même l’existence (Nyerere 1966, p. 187)

Au regard de la manière dont Mwalimu a traduit les œuvres, il est nécessaire de lire entre les lignes afin de comprendre ses motivations intérieures. Par exemple, le « Marchand de Venise » pourrait être littéralement traduit par « Mfanyabiashara ou Wafanyabiashara au pluriel) wa Venise ». Le mot «mabepar » (bepari au singulier), signifie capitaliste. Peut-être qu’après avoir lu le livre, il a compris que le comportement du marchand ne pouvait être dissocié de celui des capitalistes. Peut-être aussi qu’il voulait convaincre qu’étant un socialiste autoproclamé, il était anti-capitaliste. Comme noté précédemment, il a sciemment utilisé le pluriel dans le titre contrairement à l’œuvre originale. On peut aussi observer que les années au cours desquelles il a traduit ses œuvres, entre 1967 et 1969, reflètent la période de la promotion de l’idéologie dominante, Ujamaa. Peut être qu’il voulait mettre l’accent sur ce point pour le bénéfice de son peuple. Toutes ses initiatives et traductions indiquent sa position contre l’impérialisme et ses différentes manifestations. Il voyait l’impérialisme comme la cause de la mauvaise représentation de l’histoire et des arts africains.

Mwalimu a aussi été capable de lier la philosophie de Ujamaa aux Beaux Arts. La fameuse sculpture Makondé, connue sous le nom de ‘Dimoongo’, de Robert Yakobo Sangwani, a été rebaptisée « Ujamaa » en 1960, après le Déclaration d’Arusha de 1967. La sculpture de Dimoongo a démontré la puissance d’un Makonde. En voyant la sculpture qui représente une personne à la base qui en supporte d’autres qui, à leur tour, se soutiennent eux-mêmes, elle a signifié pour Mwalimu l’idée de l’Ujamaa. (Erick, 2009) Il est dit que c’est lui qui l’a rebaptisée après l’avoir vue.

Les Armes de la Tanzanie, un de nos symboles nationaux, représentent la créativité artistique contenu dans d’autres symboles comme le drapeau, l’hymne national et la torche Uhuru. Elle est forgée de sorte à épouser les lignes du bouclier du guerrier au milieu d’une défense d’éléphant et a été placée au sommet du Kilimandjaro. On peut aussi voir sur le bouclier du guerrier un homme à gauche et une femme à droite, debout en équilibre, avec respectivement à leurs pieds des clous de girofles et du coton. Le bouclier du guerrier représente aussi la torche de Uhuru, le drapeau tanzanien, une hache croisée, une houe, une lance et des signes d’eau. Tout cela symbolise la devise qui est dessous ‘’de Uhuru na Umoja» (Liberté et Unité) et qui est aussi le titre d’un livre de Nyerere (1966). Il est important de noter le bouclier du guerrier qui dépeint différentes batailles historiques pour la liberté. L’homme et la femme représentent le respect pour les êtres humains sans distinction de genre, de couleur ou de position sociale.

Comme nous l’avons dit précédemment, l’établissement d’un ministère de la Culture a été la première initiative après l’indépendance pour lutter contre l’impérialisme culturel. Selon Ngugi :

L’impérialisme culturel à l’époque du néo-colonialisme peut s’avérer un dangereux cancer parce qu’il peut prendre des formes subtiles. Il peut se cacher sous le manteau du militantisme national, prétendre à la plus pure authenticité, représenter le symbole culturel et même s’autoproclamer sous la bannière raciste autochtone qui souvent se substitue à l’autocritique nationale et à la fierté dans la culture et dans l’histoire de la résistance. (1997, p.18)

Comme l’explique Ngugi, il est évident que Nyerere était conscient de la magnitude de l’impérialisme culturel et il a pris des mesures pour le contrer. Il croyait que la langue était un facteur important de la lutte Il a élaboré des méthodes subtiles pour absorber l’influence impérialiste sur le théâtre. L’approche la plus directe a été de fournir à l’artiste le thème de sa représentation, c’est à dire Ujamaa. Compte tenu du fait que les artistes considéraient Nyerere comme un modèle national et international, il leur était facile de transformer ses actions et décisions en pièces de théâtre. Les discours et arguments philosophiques que Nyerere aimait à prononcer étaient probablement parmi ceux qui ont le plus influencé les artistes.

Une étape a été marquée dans le monde du théâtre avec la naissance de Chama cha Mapinduzi (CCM) en 1977. Ceci était la fusion entre la TANU et l’Afro Shiraz Party (ASP). Suite à la naissance du CCM,

Kufa kwa TANU na Afro (La mort de la Tanu et Afro [ASP])
Sio kufikiwa kwa Ujamaa kamili (Ce n’est pas la réussite Ujamaa)
Wametimiza yao waliyoyaweza (Ils ont fait ce qu’ils ont pu)
CCM lake ni kuendeleza (CCM doit prendre la responsibilité)
Kwenye Ujamaa kutufikisha (Afin d’atteindre Ujamaa)
(Semzaba, 1983, p. 26

C’est à cette époque que nous avons appris chama kimeshika hatamu -, la suprématie du parti. Par conséquent, le travail des artistes, en particulier le chant et les arts vivant du NAG, s’est orienté vers la suprématie du parti et la promotion de Ujamaa. Mlama ajoute que «l’intention idéologique derrière la promotion de ces groupes a résulté dans un théâtre de propagande, dans une tentative de domestiquer le théâtre qui doit servir les intérêts de l’idéologie dominante» (1991, p. 103)

Malgré tous les efforts de Nyerere, il n’y a pas eu de politique culturelle définie (Mlama, 1985). Les discours de 1962 et suivants ont été compris comme étant partie de la politique culturelle et des arts. La soi-disant politique était basée sur les déclarations des fonctionnaires de l’Etat. Il était donc tenu pour acquis que la croissance de la culture irait main dans la main avec les succès de Ujamaa :

Cet argument ignore le fait que la base économique et les infrastructures culturelles se déterminent et s’influencent mutuellement et ne peuvent être séparées. Il ignore également le fait que, pendant que le pays attendait l’avènement de la culture socialiste, il était constamment exposé aux influences culturelles capitalistes et impérialistes qui fait partie de la lutte du capitalisme contre le socialisme. Il y a une tendance qui est de croire que la guerre contre l’impérialisme est seulement économique et on manque de comprendre que l’impérialisme combat le socialisme aussi bien sur le terrain culturel qu’économique. (Mlama, 1985,p.5)

Malheureusement, le ministère ou département désigné pour les Arts et la Culture a failli en plusieurs endroits depuis 1962. En 1995, le ministère, ou son élément culturel, a été déplacé dans environs 11 ministères et bureaux. (Askew, 2002, p.186) Ces mouvements ont été interprétés comme un manque de sérieux pour ce qui concerne la culture et plus particulièrement les arts. (Askew 2002 ; Lange, 2002 ; Lihamba 1985b ; Mlama 1985). Au lieu de travailler à l’élaboration d’une politique culturelle claire, en harmonie avec Ujamaa, le ministère responsable pour la culture s’est occupé d’envoyer des groupes faire des représentations à des réunions du parti et d’autres situations de cette nature. Ceci est en partie dû à l’influence de l’idéologie Ujamaa et la suprématie du parti. Donnant plusieurs exemples, Mlama confirme que cette attitude de pantin a conduit à l’art du perroquet. (Mlama, 1985, p.14)

Afin de protéger la suprématie du parti, Radio Tanzania - Dar es Salaam (RTD) et le National Music Council (BAMUTA) ont fini par exercer une censure directe au travers de fonctionnaires de la culture installés à tous les niveaux. (Mlama, 1985, pp.14-15) Mlama note qu’ « un tel contrôle témoigne d’une vision erronée du rôle de l’art dans l’idéologie. L’art peut être critique mais néanmoins contribuer à un développement positif. L’art du perroquet ne contribue en rien à la construction socialiste parce qu’il n’analyse pas les problèmes et ne suggère aucune solution » (1985, p.15)

Bien que Mwalimu ait été un artiste, aimant les arts et un bon enseignant, il n’a pas eu la chance de convaincre ses camarades politiciens, en particulier ceux de son propre parti, d’apprécier l’art en dehors de la propagande politique. Les discours de Nyerere ont été mal interprétés et ont conduit à l’envoi de groupe de ngoma à l’aéroport ou au stade national, danser sous un soleil de plomb, essayant de se montrer à des invités de marque cependant que les services de sécurité s’efforçaient de limiter leurs mouvements avant même qu’ils aient commencé leur représentation. Au moment même où l’on réalisait les politiques de Nyerere, des slogans politiques comme kazi si lele mama (‘le travail ce n’est pas danser’ of lele mama’) qui insultaient directement les arts, sont apparus. (Mlama 1985. p.17)

L’amour de l’art de Nyerere n’a pas non plus été épargné par l’impérialisme. La proposition de restructuration au travers du FMI et de la Banque Mondiale, les Programmes d’Ajustement Structurel, ont nécessité des coupes sombres dans les dépenses de l’Etat. Mis à part les défis artistiques et politiques des NAGs, le gouvernement a dû cesser de les subventionner à la fin des années 1970. La focalisation était sur le remboursement de la dette qui impliquait la coupe des allocations budgétaire destinées aux services sociaux, tel le théâtre, et mettre l’accent sur le développement, la modernité et l’universalisme, c'est-à-dire se conformer aux politiques néo libérales.

Il donc important de souligner que le projet qui consistait à construire une culture nationale par le théâtre a été démantelé lorsque l’Etat à dû diminuer ses dépenses conformément aux conditions néo libérales du FMI et de la Banque Mondiale. «A travers tout le pays, les institutions gouvernementales ont soit disparu ou ont dû diminué leurs activités ou ont été plus tard privatisées. Des troupes culturelles appartenant à de telles institutions ont cessé de fonctionner. (Lihamba, 2004, p. 243) A la fin, « les politiques de libéralisation poursuivies dès le début des années 1980 ont fait du théâtre une marchandise à vendre comme n’importe quel autre». (Rubin et Diakante, 2001, p.304)

L’Etat a dissout les NAGs et a formé à leur place le National Art Institute. Cet institut était situé à Ilala Sharif-Shamba, à Dar es Salaam, dans l’actuel National Art Council (BASATA). En 1981, l’institut a été transformé et déplacé à Bagomoyo et est devenu le Bagomoyo College of Arts (BCA). Il est actuellement connu sous le nom de l’Institute of Arts and Culture, Bagomoyo ou TaSUBA (Makoye, 1998 p. 95)

Afin d’en assurer la durabilité, Nyerere a créé des opportunités pour les artistes de faire des représentations et de survivre par leurs propres moyens. En dépit du fait qu’il n’y avait pas de politiques claires, ses discours ont le plus souvent été traduitws en directives et l’on pouvait percevoir son idée, sa créativité et sa passion pour l’art. Il a établit Nyumba ya Sanaa en 1974 le plaçant en plein centre de Dar es Salaam. Il pensait que s’il pouvait être efficacement utilisé, il diminuerait le syndrome ‘’du mendiant auprès des donateurs» et de l’Etat, qui les met en esclavage. Il est surprenant de noter que même Nyumba ya Sanaa a été l’un des endroits que l’Etat veut privatiser, tout en se démenant pour obtenir des fonds pour construire d’autres endroits de même nature à Magamoyo (Naluyaga, 2009)

La Déclaration de Zanzibar de 1991, qui a remplacé la Déclaration d’Arusha (1967) peut être vue comme la marchandisation de l’art comme n’importe quel autre produit. (Rubin et Diakante, 2001) Les artistes supposés entrer en compétition dans ce marché n’étaient pas bien équipés pour faire avec les changements et produire des œuvres de qualité. La formation artistique pouvait être un des domaines où l’Etat pouvait les assister. Les clauses de la Politique Culturelle de 1997, 2.1.2 (p.4 et 6.2.5 (p.19) déclarent la nécessité d’introduire l’art comme thème, sujet à examen, dans les écoles primaires et secondaires (la musique, les Beaux Arts, la sculpture et les arts vivants). Ce n’est qu’en 2008 que le gouvernement a réalisé ces dispositions.

Bien que le résultat se fasse attendre, nombre de défis ont pu être identifié. Les étudiants sont instruits en anglais, ce qui les empêche de comprendre l’art comme une manifestation de leur culture qui est perceptible principalement en Kiswahili. Une insuffisance d’enseignants et de matériel d’enseignement fait partie des obstacles. (Mmasy,2009) On peut se demander à quoi le ministre responsable s’était préparé ?

Alors que les œuvres artistiques, comme d’autres secteurs sont liés au marché, la piraterie est une pierre d’achoppement pour les artistes et l’économie nationale. Peut-être que si la Tanzanie avait renforcé la taxation et la protection des œuvres artistiques, ceci aurait pu contribuer à l’économie nationale. A preuve, l’exemple du Nigeria, où l’industrie vidéo est le troisième facteur contribuant au PIB, après le pétrole et l’industrie de télécommunication. (Palmberg, 2008) Ceci implique que si les idées de Mwalimu pouvait être bien réalisées, les artistes n’auraient pas besoin d‘attendre le bon vouloir des donateurs ou de dépendre de l’Etat. Ils pourraient subvenir à leurs besoins et les impôts collectés pourraient contribuer à d’autres projets de développement. Ainsi les idées de Mwalimu pourraient s’accommoder du défi dû aux forces du marché

* Vincensia Shule est une artiste des Arts vivants et enseignante au Département des Beaux Arts et des Arts Vivant à l’université de Dar es Salaam - Cet article constituera un chapitre dans le livre à paraître ‘Nyerere’s legacy’, textes rassemblés par Chambi Chachage et Annar Cassam et publié par Pambazuka Press Books

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